L'odeur du pain d'épices - partie 2.
✩ Texte et moodboard réalisés par Chelinka-Chan ✩
Un jour de novembre, Noël approchait. Cassiopée se sentait mal. C'était sa première année sans maman. Elle redoutait chaque jour qui passait et qui la rapprochait de la date fatidique. Ran était venu la trouver dans sa chambre.
- Je sais que cela va être un moment difficile pour toi, avait-il dit. Si on est plus nombreux, peut-être que ça te changera les idées ?
- Peut-être.
- Alors, est-ce que ça te dit que j'invite Yoni ?
- D'accord.
Au fond, elle avait envie de hurler. On lui avait déjà pris sa mère. Il n'avait pas le droit de s'immiscer entre son père et elle. Et s'il l'abandonnait encore, à cause de lui ? Elle ne s'en sortirait pas. Mais elle ne voulait pas faire de peine à l'homme qui tentait de lui remonter le moral comme il pouvait.
Cette année-là, ce fut le pire Noël de sa vie. Elle détesta tout ce qui le composait. Le sapin, les décorations, la table, le menu, sa robe. Les cadeaux. Yoni lui avait offert un casque audio. Le sien était cassé. Elle l'avait remercié, caché le paquet dans le placard et avait racheté un autre casque juste après.
Yoni semblait aussi mal à l'aise qu'elle en sa présence. Il ne lui parlait pas. Il la jugeait. À ses yeux, elle devait être la pauvre gamine qui avait perdu sa mère, et qui l'empêchait de vivre son idylle tranquillement. Un fardeau.
Pourtant, elle ne pouvait pas ignorer son regard qui s'adoucissait quand il était posé sur Ran. Le relâchement de ses épaules quand il entrait dans la pièce. Sa sollicitude à son égard.
Feignant l'indifférence, elle s'était abreuvée de champagne, laissant les adultes roucouler entre eux tout en ressassant son propre malheur.
Le matin du 25 décembre arriva fatalement. Elle ne s'était pas levée, de toute la journée. Ni les jours suivants. Ran lui préparait ses trois repas par jour, auxquels elle ne touchait pas. Il lui caressait les cheveux pendant des heures, lui murmurait des chansons. Rien ne pouvait apaiser son cœur meurtri.
Puis il a fallu retourner sur le chemin du lycée, remettre le masque et le sourire. Cassiopée était de plus en plus proche de son père, pour le plus grand bonheur de ce dernier. L'hiver se termina, le printemps arriva, l'été passa et l'automne aussi. De nouveau, le monde allait entrer dans sa période charnière.
Comme l'année dernière, Ran était entré dans la chambre de sa fille, et s'assit sur le lit.
- Noël va vite arriver tu sais, commença-t-il. Cette année, on pourrait...
- Tu veux inviter ton mec ?
Interloqué, l'homme ouvrit la bouche puis la referma plusieurs fois, comme un poisson hors de l'eau.
- Je ne suis pas aveugle, papa.
- Je... quoi ?
- C'est juste hors de question que je le considère comme mon beau-père.
- Il t'aime bien tu sais, répondit Ran dans un soupir, il ne sait juste pas comment faire.
- Et moi je ne l'aimerai jamais. Il n'y a pas de place pour lui dans notre duo.
Le mois de décembre s'installa tranquillement. Cette année, Ran l'avait convaincue de faire le sapin avec lui. Elle avait senti une pointe de nostalgie en mettant les guirlandes et autres boules de Noël. C'était très différent du style de Noël traditionnel dont elle avait l'habitude. Ran avait choisi un sapin blanc, comme s'il était recouvert de neige, et des décorations aux teintes froides, mais lumineuses. Il avait aussi un goût prononcé mais douteux pour les animaux grandeur nature : le salon était envahi de renards des neiges, d'hermines et de lièvres blancs.
- Avec ça, on a presque l'impression d'être en Laponie, avait déclaré Ran.
Il paraissait si content de lui que Cassiopée lui rendit sans s'en rendre compte, son premier sourire sincère depuis des mois.
Quelques heures plus tard, alors qu'elle était en train de bouquiner sur le canapé, une ombre se dessina au-dessus de son crâne.
- Viens avec moi gamine, déclara Yoni de sa voix grave. On va faire des gâteaux.
Cassiopée eut envie de prendre ses jambes à son cou, mais elle suivit l'homme sans rechigner. Après tout, son père était non loin sur le balcon, en train d'installer les différents luminaires. Elle n'avait pas le cœur à provoquer une dispute. Malgré la chaleur qui s'échappait du four, l'atmosphère dans la cuisine était glaciale. Ils ne prononcèrent aucun mot.
Yoni avait décidé de faire des pains d'épices. "C'est le gâteau préféré de ton père" avait-il dit. La mère de Cassiopée les cuisinait divinement bien. Dès qu'elle fut en âge de tenir un fouet entre ses mains, la petite fille aidait à concocter les desserts. Elle connaissait la recette sur le bout des doigts. Alors ce grand bonhomme qui se débattait avec un glaçage simpliste dans un tablier trop petit, c'était à la fois très agaçant et touchant.
Prise de pitié, elle le poussa d'un coup d'épaule pour lui montrer. Puis, elle lui tendit la poche à douille pour qu'il suive ses instructions à la lettre. Avec précaution, les sourcils froncés, Yoni dessina sur un des bonshommes, des yeux, une bouche, des gants, et des boutons de chemise en forme de petits cœurs. L'odeur des épices embaumait tout l'appartement.
- Je ne te pensais pas si romantique, lança Cassiopée avec une pointe de moquerie.
- Je ne te pensais pas si amusante, comme quoi on se connaît bien mal, répliqua le géant.
L'adolescente prit le temps d'accuser le coup.
- Tu n'as jamais fait d'efforts pour venir vers moi, dit-elle doucement.
- Comment aurais-je pu ? Tu n'aurais jamais accepté ma présence.
- C'est faux, répondit Cassiopée en sachant très bien qu'elle mentait.
- Je sais ce que ça fait de passer par ces moments-là. On en veut au monde entier. Tout geste d'affection nous semble dérisoire, mensonger. Tu avais besoin de trouver tes repères. Je n'aurais fait qu'empirer les choses.
Le cœur de la jeune fille rata un battement. Pour masquer sa surprise, elle mastiqua un reste de gâteau qui avait échappé à l'emporte-pièce.
- Ça veut dire quoi ?
Yoni poussa un profond soupir, les yeux perdus dans le vague.
- J'ai moi aussi perdu ma mère d'une certaine façon. Elle n'a jamais accepté qui j'étais vraiment. J'ai coupé les ponts avec elle à mes vingt ans. Je ne supportais plus sa violence. C'est comme si elle n'existait plus à mes yeux. Les années qui ont suivi ont été difficiles, mais j'ai vraiment la sensation d'être en paix aujourd'hui.
Il se tourna vers elle :
- Quand tu es arrivée, j'ai eu peur d'être confronté à mes vieux démons de colère et de rancœur. Parce que ton regard à ce moment-là ressemblait au mien.
Cassiopée prit sur elle pour retenir les larmes qui menaçaient de couler. Leurs parcours étaient différents, mais le chaos dans leurs corps se ressemblait. Elle avait honte d'avoir jugé le compagnon de son père si vite, d'avoir cru qu'il aurait pu prendre sa place.
- Ce qu'on peut faire, si tu es d'accord, c'est d'essayer d'avancer à trois ?
Sans répondre, Cassiopée prit la part de gâteau tendue en gage d'amitié. Et pour la première fois depuis longtemps, l'odeur du pain d'épices lui fit la promesse d'un Noël heureux. Pour celui-ci et tous les autres à venir.
FIN.
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Salut! Sixième case du calendrier de l'avent qui dévoile la fin de la nouvelle « L'odeur du pain d'épices » de Chelinka-Chan ! Surtout n'hésitez pas à dire ce que vous en avez pensé en commentaire et je vous laisse avec un message de l'autrice ✨
NDA Chelinka-Chan : Ce texte est dédié à toutes les personnes qui se sentent seules pendant la période des fêtes, qui sont tristes, en colère. Qui ont perdu un proche, pour qui le lien avec la famille est coupé. Noël ne rime pas toujours avec légèreté et joie. J'ai voulu représenter tous les oubliés avec ce texte modeste, ceux qui ont le coeur gros. Vous n'êtes pas seuls. N'oubliez pas que même dans les moments les plus difficiles, on peut trouver une petite étincelle dans les ténèbres.
Vous pouvez également retrouver sur instagram: la.bibli.de.chelinka
❄ A demain pour découvrir la prochaine case du calendrier ❄
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