Scène 7

PAULO

Alors ? Ton article, il donne quoi ?

MARLÈNE

Tu as finis le tien ?

PAULO

Oui, mais je suis pas convaincu...
On se les lit ?

MARLÈNE fait la moue.

MARLÈNE

Je n'ai pas très envie... de toute façon, j'ai déjà envoyé mon article.

PAULO :

Si tu veux, je commence.
Il prend une grande inspiration.

"Art ? Chantage ? Performance ? Tragédie ? Que réalise Evan D*****, en ce moment même ?
Ce matin, vers neuf heures, un jeune nommé prénommé Evan D***** s'est établi au dessus du vide. Il demande à ce qu'on lui pose des questions, une par personnes. Les mots exacts inscrits sur sa pancarte sont Une question par personne. À la fin, je saute. Le jeune homme a établi un périmètre de sécurité pour que personne ne vienne le sauver, dit-il. Les pompiers, établis en bas, parviendront-ils à empêcher une catastrophe lorsque Evan décidera que c'est la fin ?
Les policiers ont étés interdits par la maman d'Évan, par peur que ce dernier saute en voyant que son action allait être interrompue. Ils attendent donc des ordres pour intervenir et sont postés non loin de la scène. Quelques policiers en civil sont venus poser leurs propres questions.
Les questions posées ont été presque toutes identiques, sur ses motivations, son organisation, le concept... le lycéen a été très fier de nous expliquer ce qu'il avait mis en place depuis de nombreux jours, minutieusement.
Ses réponses aux questions ont toutes étées différentes et souvent pertinentes, parfois dans la provocation. En effet, il porte une jupe, ce qui a provoqué l'émoi de certains journalistes et passants, qui se sont empressés de le lui faire remarquer. Ce dernier ne s'est pas démonté et a affirmé son identité, celle d'un garçon cisgenre qui porte des jupes, tout en lançant quelques piques aux fâcheux. A l'heure où j'écris ces lignes, il est toujours sur le pont, à répondre aux questions. Sa mère, elle, très inquiète, nous confie que " Evan n'a jamais été un enfant à problème, je ne comprend pas ce qu'il lui arrive, il me fait peur... "
La plupart de ses camarades de classe, questionnés il y a peu, ont montrés peu d'engouement pour son action, à part un groupe bien prononcé, engagé dans le même collectif que lui.
Nous avons également eu droit à un petit moment d'émotion quand un de ses camarades de classe, Jon, est venu lui exposer son point de vue et exprimer ses sentiments. Après une déclaration touchante, il a posé la seule question auquel il avait droit, et demandé si son amour était réciproque.
Toutes les conversations se sont tues et tous les spectateurs se sont suspendus aux lèvres de notre perturbateur. Après un temps qui nous a à tous paru infiniment long, il a décidé de ne pas répondre, car ce n'était pas vraiment en rapport avec son action. Une larme a roulé sur la joue d'Evan. Leurs regards se sont ensuite fixés pendant un long moment, puis Evan a murmuré quelque chose que personne n'a entendu sauf Jon. Ce dernier a également versé une larme avant de partir la tête basse. Il a refusé de répondre aux questions.
Evan continue cependant de répondre aux questions. Comment va-t-il faire cette nuit ? Il n'a pas non plus mangé depuis qu'il s'est installé. Tout le monde s'interroge mais il continue sa performance.
Et vous, quelle questions souhaiteriez-vous lui poser ?"

MARLÈNE

Tu étais inspiré !

PAULO

Il m'intrigue.

MARLÈNE

Tu es bien mélioratif dans ton article... c'est quand même un gamin qui fait un chantage au suicide délirant.

PAULO

Ce n'est pas que ça, il l'a bien expliqué lui-même...

MARLÈNE

Tu es vraiment laxiste.

PAULO

Son action résonne en moi, on peut dire. Je... pense que je le comprend...

MARLÈNE

Peuh !

PAULO

Et toi ? Fais voir !

MARLÈNE

Non.

PAULO se lève et saisit le bloc note de MARLÈNE. Elle lève les yeux au ciel, croise les bras puis fixe le sol. PAULO se met alors à lire l'article dans sa tête puis laisse échapper quelques exclamations de dédain.

PAULO

Hein ? Que... Mais quoi ? Mais pourquoi... peuh !

MARLÈNE

C'est bon, tu as finis ton cirque ?

PAULO sur un ton pompeux

"Evan D, le grand enfant qui se prenait pour un révolutionnaire.
Un article de Marlène H."
à Marlène : Tu n'es pas trop dure ? Il essaie de faire changer les choses, lui, au moins ! Pas comme notre génération bonne à écrire des torchons !

MARLÈNE, lassée

Arrête...

PAULO, s'emportant soudain

Je ne te comprend pas. Il est motivé, il fait parler de lui, il est intelligent... et toi tu le rabaisse comme ça ! Tu le dénigre totalement, réduisant à néant son effort ! Tu détruis son concept et sa personne par tes mauvais mots !

MARLÈNE, criant à son tour

Mais c'est toi qui ne comprend pas ! Il va se suicider ! Mourir ! Pour ses idées, alors que nous sommes en 2024 ! Il veut faire changer les choses sans se rendre compte qu'à la fin... il va vraiment le faire, Paulo ! Il veut mourir ! Et si mon article permet qu'il vive quelques secondes de plus, même s'il est horrible, alors je ne regrette pas un seul mot !
Il en entendra parler. Et peut-être qu'à ce moment là il réfléchira. Il réfléchira aux vies qu'il va briser en partant, cet égoïste. Et peut-être qu'il changera d'avis. Sa sortie de scène aura moins de panache mais il sortira debout, et pas dans un joli cercueil à sa taille.

PAULO reste un moment à fixer MARLÈNE, puis il se détourne.

PAULO

J'ai besoin d'être seul.

Il sort. MARLÈNE s'affale sur sa chaise, se prend la tête dans ses mains. Regarde le sol, renifle un peu.

MARLÈNE

J'ai raison, n'est ce pas ? Il ne peut pas mourir comme ça... Il n'a pas encore dix-huit ans... il faut l'en empêcher...

PAULO entre en courant

PAULO :

Marlène ! Il se passe quelque chose ! Viens vite ! C'est...

MARLÈNE

Je... désolé pour tout a l'heure mais....

PAULO

On a plus le temps ! Viens !

Marlène ramasse son sac, son téléphone et son bloc note, et ils sortent en courant.




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