La lumière se fixe sur une jeune fille marchant dans la rue. À son habillement, on comprend qu'elle sort du collège. Elle marche sur un pont. Tout à coup, la scène s'illumine et elle découvre Evan, en suspension au bord du pont, une pancarte accrochée à son cou. Elle s'approche.

COLINE

Evan ? Que... elle lit la pancarte. Une question par personne, puis je sauterai.
Qu'est ce que c'est que ça ? Evan, c'est une blague ?

EVAN

Tu as posé deux questions. Parce que je te connais bien, je répondrais aux deux.
Non. C'est une manifestation au monde.

Coline se tord nerveusement les mains.

COLINE

Allez, Evan, descends... s'il te plaît... je... je vais appeler ta mère... la police...

EVAN

Appelle plutôt les infos. Il y a une question par personne avant ma fin.

Elle s'approche de lui, tente de le saisir et de le ramener sur le bord. Il court sur le rebord du pont, manque de tomber.

EVAN

Ce serait bête de mourir avant que le monde connaisse mon coup d'éclat... Juste un anonyme de plus, un peu trop abîmé pour ce monde. à Coline. Mais je ne suis pas que ça ! J'ai des ambitions, je suis motivé ! Je sais pourquoi je fais ça !

COLINE, sanglotant

Evan, descend...

EVAN

Coline, je crois que je ne t'ai jamais vraiment appréciée. C'est vrai, je te prenais souvent de haut. Mais après tout, tu n'es qu'une fille de ma classe, un humain de plus dans cet enfer terrestre, juste une vie anonyme. Alors voilà, je te le dis maintenant, autant que tu le saches un jour. Tu me paraissais trop simple pour moi, avec tes soucis futiles de lycéenne. Le bac ? Le couple ? Crois-tu vraiment que ce sont les choses qui motivent ta vie ? Peut-être la tienne, en effet, tu es assez simple pour ça, mais ne voudrais tu pas participer à quelque chose de plus grand que toi ? Quelque chose dont tu sois si intimement convaincue que tout apparaît plus clairement à présent ? Car je vois, Coline. Je vois tout. Cette vague m'a emporté.

COLINE, un peu vexée

Tu divagues. Allez, descend de là.

EVAN

Mais ne comprends-tu pas ? Je le fais pour toi, pour les autres ! Je sais l'engouement que provoquera mon action, je sais l'inquiétude des adultes raisonnables, l'énervement du maire, les journalistes curieux. Je sais tout ça et bien plus encore.

COLINE

Et ta mère ? Elle doit être morte de peur pour toi !

EVAN

Oh, je sais. Elle est au téléphone. J'ai menacé de sauter si elle s'approchait trop. Les pompiers, la police... bientôt l'armée de l'air. Je n'accepte que les gens lambdas et les journalistes. Personne pour me secourir, je sauterai avant. Mais je dois être médiatisé, sinon mon action passera inaperçue. Mais laisse moi donc, tes questions sont toutes posées depuis un moment et je veux me réserver pour les curieux. Tu ne me sers plus à rien. Depuis qu'ils m'ont vu te parler sans que je ne bouge, ils sont résolus à m'envoyer de pompiers et policiers en civil. Allez, tu peux partir.

COLINE

Je vais appeler... je vais appeler...

EVAN

Mais vas-y, fais donc, je te prie. Plus il y aura de monde, mieux ce sera. il lève la tête vers le ciel bleu. Peut-être même que les dieux là-haut m'écoutent et me poseront leurs questions.

Coline dégaine son téléphone, s'éloigne. On surprend des bribes de conversations.

COLINE

Oui... je sais pas, il est sans doute fou... il veut sauter... sa mère... police, pompiers... viens voir, je te dis, si tu ne me crois pas ! Bientôt les journalistes seront là, on ne pourra plus lui parler...
oui... oui...

EVAN, au public

Et voilà, déjà une qui me croit fou. Mais j'ai un but, ne l'oubliez pas. Vous vous interrogez ? Mais venez sur scène, je vous en prie ! Posez vos questions, tous ! Je suis prêt à vous répondre. Personne ? Ah ! Les journalistes. Est ce que ma mine sombre l'est assez ? Sans aucun doute. Mes vêtements suffisamment dépressifs pour ces questionneurs ? Assurément ! Venez observer ma tête de clown et mon regard noir, venez affronter mes réponses et mes réparties, je vous attends !

Il lève les bras en l'air, la tête penchée en arrière, à la manière du Christ.
Noir.