Prologue

— Es-tu sûre de toi ?

Le regard d'Arthur pénètre ton âme. Ses yeux bleu délavé, si semblables aux tiens, sont emplis d'inquiétude. Ses mains sur tes épaules semblent bien plus lourdes que la norme. Il ne souhaite pas ton départ et pense que cela pourrait te causer des soucis.

— Oui.

Ta voix marque ta sécheresse plus que prévue, mais tu ne peux t'en empêcher. Tu aimes ton frère de tout ton cœur, mais son désir de te voir rester à ses côtés et son expérience nuisent à sa compréhension de la situation. Contrairement à toi, il a eu l'occasion de vivre, de voyager, de découvrir le multivers. Il est également ton roi, le roi d'Avalon. Cela lui offre le pouvoir de refuser ce qui lui déplait et de poser ses conditions. Toi, tu n'es que la petite princesse née d'une artisane avec qui ton père avait convolé, et arrivée cent ans après. C'était en pleine Guerre de Fer, bon le but était de faire accepter Avalon comme troisième force dans l'équilibre du multivers.

Dans un tel contexte, personne n'avait vraiment le temps de gérer ton éducation. Merlin vous a exilées, Onyx et toi, en Ombre Terre pendant les trente premières années de ta vie. Il a choisi la solution de la facilité, plutôt que d'avoir à s'occuper de vous et à vous protéger. Les gens ne s'attaquent pas à ce qui échappe à leur connaissance. Peux-tu réellement dire que cette situation te déplaise ? Oui et non. Tu y as vécu tranquille, dans l'ignorance de ton ascendance impériale et sans problèmes, jusqu'à la mort de ta mère. Là-bas, tu as suivi ses traces devenant l'apprentie d'un maître ciseleur et en exerçant ce métier. Tu te sentais en sécurité et tu l'étais. Mais tu n'as pas connu ni ton père, ni ton frère, ni aucun membre de ta famille. Et tu te souviens de tes trop nombreuses questions à ta mère, avant de renoncer, pleine de dépit et de désillusion.
À trente ans, tu as rencontré un homme barbu, aux cheveux noirs attachés en catogan, et aux yeux aussi délavés que les tiens, venu enterrer Onyx. Cet inconnu t'a entraînée à Avalon et t'a présentée à ton frère. Les temps étaient devenus plus calmes ; ton deuxième apprentissage a commencé, afin de tenir ton nouveau rang. Tu n'avais guère le choix en la matière.
Tu as fini par te perdre sans réserve dans l'artisanat d'atout, qui t'a permis de nouer des liens avec certains membres de ta famille ayant poussé cet art plus loin que tes instructeurs. Celle dont tu te rapprochas le plus fut Elysabeth. Son histoire et la tienne se ressemblaient : deux enfants abandonnés en terre inconnue, qui ont découvert leur histoire une fois l'âge adulte atteint. Elle t'apporta le réconfort qui te manquait. Ni empereur ni roi, elle pouvait se permettre avec toi une proximité que tu n'avais plus éprouvée depuis la mort de ta mère.

Et voilà que, presque une centaine d'années plus tard, on t'annonce que tu vas te marier. On avait choisi ton fiancé pour toi, le contrat se discutait en ce moment même. Tu aurais pu tomber sur pire que Fenris Hellghast. Tu aurais pu tomber sur mieux. Il possède une réputation de douceur et d'étrangeté.

Reste cette terrible impression de n'avoir pas vécu.

— Et tu comptes partir comme ça ? Sans la moindre excuse qui empêchera votre père de te rapporter par la peau du cou ?

Arthur et toi sursautez. Aucun de vous deux n'a entendu Elysabeth arriver. Elle se tenait devant vous, si minuscule que vous deviez tous deux baisser la tête pour la dévisager. Pourtant, vous vous trouvez très humbles en sa présence. Sa posture force le respect, son regard bleu, presque vert, donne envie de contempler ses pieds. Cependant, elle s'exprime toujours avec une douceur redoutable.

— Je n'y ai pas réfléchi, finis-tu par répondre d'une petite voix.

La femme aux cheveux auburn te sourit d'un air tranquille et te tend deux objets.

— Heureusement que je suis là.

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