Chapitre 1
Un pas devant l'autre.
Ton chemin apparaît devant tes pieds.
Tu as préféré ne pas prendre de véhicule ou de monture. Qui sait où tu vas atterrir ? Si tu débarques dans un monde futuriste, un cheval détonnera fortement. De même, une voiture au Moyen-Âge risque de te voir accuser de sorcellerie.
Le sable, blanc d'abord, vire au rouge. L'intensité du soleil augmente, la végétation se transforme petit à petit. C'est d'abord une fleur, qui disparaît peu à peu, une feuille qui change de forme... Et bientôt, tu n'es plus du tout chez toi. Pourtant, ton voyage commence à peine. Prisme, autant que l'Arwen, te guide. Tu sauras quand tu seras arrivée.
Quand t'es-tu retrouvée au milieu de l'eau ? Tu l'ignores. Les transformations se produisent de manière trop imperceptible pour que tu puisses marquer une limite claire. Tu marchais et te voilà qui nages. Bien que tu manques d'endurance, comparée aux membres de ta très vaste famille, tes capacités dépassent largement celles de l'humain moyen. Tu pourrais continuer durant des heures à ce rythme. Néanmoins, tu ne comptes pas te bercer d'illusions : tu ne tiendras tout de même pas des jours.
Dans quelques centaines d'années peut-être en sera-t-il autrement...
Prisme se met à pulser alors que tu te perds au milieu de l'océan. Tu laisses donc l'Arwen se retirer. Marcher en Ombre n'est plus nécessaire.
La perplexité te gagne cependant, car tu te trouves toujours en plein milieu des flots sans aucune terre visible à l'horizon. L'inquiétude commence à poindre. Ton souffle s'affole légèrement alors que tu regardes de tous côtés. Immédiatement, tu t'efforces de prendre des inspirations et des expirations plus longues. Tu ne peux pas te permettre de crise. Pas au milieu de l'océan.
Rester à la surface, dans ce corps, ne paraît pas approprié. Alors, tu fermes les paupières et plonges. Sous l'influence de ta concentration, la peau de ton cou se déchire et tes organes se transforment, dans la douceur et dans la douleur. Tu rouvres les yeux, recouverts d'une fine protection, en même temps que tes poumons s'emplissent d'eau.
La sensation te déroute comme à chaque fois, mais tu respires.
Tu retires ensuite bottes et chaussettes, que tu fourres dans ton sac. Tout est trempé, mais qu'importe. Tu n'as emporté avec toi aucun objet qui puisse se détruire facilement.
De nouveau, tu te focalises ton attention. La douleur se concentre désormais dans tes mains et tes pieds. Ton corps se modèle sous ta psyché inflexible : de la peau relie maintenant tes doigts entre eux. Ainsi, nager sera plus aisé.
Dorénavant, tu pourras tenir des jours si nécessaire.
Ton regard se porte sur Prisme à ton poignet. La boussole en trois dimensions qui constitue l'artefact t'indique que tu dois t'enfoncer dans les abysses, sans te laisser couler à pic pour autant.
Ton voyage peut reprendre.
— Attention derrière toi !
La voix d'Allyn a surgi, directement dans ta tête, et tu n'as que le temps d'effectuer une vrille sur la gauche pour esquiver la mâchoire puissante de la créature qui t'agresse. Tu voudrais l'observer, pour connaître ton ennemi, mais son corps immense qui te percute te prive de l'occasion. Au choc, tu comprends qu'elle possède une ossature imposante, et particulièrement douloureuse, puis des tentacules atrocement visqueux te frôlent. À moitié sonnée et peu consciente de ton environnement, tu es projetée sur le côté. Tandis que tu clignes désespérément des yeux, à peine habituée à l'obscurité sous-marine, tu tentes de réaliser ce que tu es en train de vivre.
— Tu dois fuir, Opale !
La voix d'Allyn te presse, alors même que tu ne peux plus réagir assez rapidement. Tu n'es pas entraînée à ce genre de situation. Tu ne possèdes pas les bons réflexes.
Les tentacules s'enroulent autour de ton corps pour te ramener vers la gueule, pourvue de trop nombreuses rangées de dents, de la créature. Avec une certaine fascination morbide, tu observes la mâchoire se diviser en quatre. Quel type de nourriture cette chose peut-elle bien dévorer en temps normal ?
De grosses bestioles.
La réponse, si peu pertinente, s'impose à toi.
Finalement, tes yeux se ferment tandis que les crocs s'approchent encore, à quelques centimètres de toi.
Opale d'Avalon, fuyant son mariage, espérance de vie : cinq heures.
Tu aurais ri si tu avais pu.
Alors que tu perds tout espoir de survie, une détonation retentit. La créature pousse un cri de rage et ploie sous la douleur. Plusieurs dents s'enfoncent en divers endroits de ton corps dans le mouvement. Mais elle se désintéresse pourtant de toi.
Si seulement elle pouvait être moins intelligente et te lâcher.
D'autres explosions surviennent encore. Tu en perçois l'onde de choc plus que tu ne les entends d'ailleurs. Le monstre hurle sa souffrance et semble diriger sa colère sur quelque chose que tu ne peux voir.
Le monde est rouge.
Ton sang forme des traînées au rythme des sursauts de la bête : c'est une œuvre d'art étrange, un test de Rorschach en trois dimensions. Tu ne distingues plus le haut du bas. Douleur et brusquerie t'habitent. La créature s'agite en tous sens et t'entraîne sans aucune considération dans chacun de ses mouvements.
Allyn tente de te parler. C'est un murmure inintelligible, perdu au milieu des remous, des cris et de la peur. Le chaos domine.
Puis tout cesse.
Est-ce ça la mort ?
Non.
L'environnement aqueux se rappelle toujours à ton existence. Il emmêle tes cheveux autour de ton visage. Le sel brûle tes chaires béantes, qui te causent déjà une nausée violente et l'envie terrible de hurler ta souffrance. Les tentacules, gluants, continuent de serrer ton corps maltraité. Tu t'enfonces dans les profondeurs, entraînée par la créature qui coule tel un poids mort. La chute semble implacable.
A-t-elle été tuée ? se demande ton esprit trop sollicité.
Soudain, tes sensations se transforment encore. Un contact froid te saisit en plusieurs endroits, provoquant une nouvelle vague de douleur. Tu manques de t'évanouir et ne dois qu'à ta volonté de réussir à rester éveillée.
Ce qui t'attrape ressemble à un bras.
Un robot ?
Le courant s'inverse autour de toi. On te remonte à la surface.
Concentre-toi, concentre-toi, t'assènes-tu. Une petite voix dans ta tête te hurle de transformer tes branchies en poumons, pour ne pas avoir à l'expliquer. Ou est-ce Allyn qui te parle ?
Les ondes de douleurs rendent tes pensées si chaotiques.
Tu peines à réfléchir.
Tu as si mal.
Finalement, c'est grâce à la souffrance que tu parviens à faire disparaître les appendices qui t'ont aidé à survivre. Mais tes poumons n'ont pas pu expulser toute l'eau qu'ils contenaient. Quelque part, au fond de toi, une idée extrêmement logique s'empare de toi : cela te donnera de la crédibilité.
Une nouvelle vague de douleur t'emporte dans son roulis.
Tu sombres définitivement.Le bruit des machines te parvient en premier. La sensation t'agresse brutalement et tu tentes de gémir. Alors, le tube enfoncé dans ta gorge pour te permettre de respirer te signale son existence sans douceur. L'instinct de survie prend le dessus et tu te mets à tousser pour expulser l'objet parasite. Tu devines plus que tu ne vois qu'on s'agite autour de toi. Le tuyau disparaît enfin et tu inspires une grande goulée d'air qui brûle ta trachée trop sèche.
D'autres sons envahissent ton environnement tandis que tu sens divers contacts sur ta peau à vif. Ou sont-ce tes nerfs ?
Tu comprends finalement que ces sons correspondent à des mots. Quelqu'un — quelques-uns ? — est en train de te parler. Malheureusement, tu ne reconnais pas la langue. Tes yeux s'adaptent lentement à la lumière ambiante et des ombres dansent autour de toi, fantômes incertains d'être que tu ne saurais discerner.
La terreur te frappe au ventre, quand tu réalises qu'Allyn, que tu portes toujours au poignet gauche, a disparu. Ta main droite vient s'en saisir pour vérifier une vérité que tu aurais préféré ignorer et tu te redresses en panique. Où se trouvent toutes tes affaires ?
Le geste tire sur tes cicatrices à peine refermées, te rappelant l'existence de tes blessures sans la moindre douceur ou prévention. Tu découvres alors des pansements qui enroulent de larges pans de ton corps, en limitant les mouvements.
Tu gémis ta douleur dans un son angoissé.
Les voix te paraissent plus claires, sans que tu parviennes à en dégager le sens. Tu sens leur panique, et cela alimente la tienne. Qui sont-ils ? Que font-ils là ? Finalement, une femme les fait tous taire.
Ses cheveux roux, presque rouges, agressent ta vue fragilisée.
Elle s'approche de toi et tu recules comme tu peux sur ton lit d'hôpital. C'est une militaire. Ta famille comporte trop de guerriers pour que tu ne les reconnaisses pas au premier coup d'œil. Elle attrape ton bras et y attache quelque chose.
— Je suis là, Opale, calme-toi. Ils ne font que te soigner.
La voix d'Allyn retentit dans ta tête et ta panique redescend de plusieurs niveaux.
La femme t'a rendu Allyn.
L'Arwen la bénisse.
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