2 - Prometteur.
Nous avons trop de temps à rattraper pour en perdre à cuisiner, alors nous continuons à discuter en grignotant quelques chips.
Si je résume bien la situation, je n'ai plus de parents actifs, ce que confirme leur long silence. Ils sont relégués hors de nos vies avec pertes et fracas. Je ne vais pas faire semblant d'être dévastée puisque nous n'avions déjà plus de relations normales. C'est tout de même moche car j'espérais qu'elles s'arrangent un jour, raison pour laquelle je maintenais un lien, même ténu. Concernant mes deux frères, l'un est devenu peu fréquentable et le second n'est que l'ombre de lui-même. Des couards, une brute, un dépressif, et moi, perdue au milieu. Quelle famille ! Ça valait le coup de me presser pour revenir ! Si, pour mes frères, évidemment, même si je ne suis pas aussi optimiste que Raven sur l'accueil qu'ils me réservent. Lorsque je lui confie mes doutes, elle les balaye d'un revers de la main.
— Tu n'as pas à t'inquiéter. Je vous ai vus vivre ensemble et les ai aussi vus sombrer après ton départ. Je suis bien placée, contrairement à tous ces cons d'adultes qui ont sans cesse voulu vous séparer, pour savoir que vous avez besoin les uns des autres. C'est comme un tabouret à trois pieds. S'il en manque un, tout se casse la gueule ! Tes parents avaient tout faux.
— Le souci, c'est qu'ils ne trouvaient pas normale une telle proximité entre frères et sœur, et c'est ce que leur répétaient inlassablement les gens de la paroisse.
— Les enseignants et les bigotes voient le mal partout, surtout chez les autres. Votre proximité ne m'a jamais choquée, mes parents non plus d'ailleurs. De toute façon, peu importe, le mal est fait, et dès que tes frères te retrouveront, ils iront mieux, j'en suis persuadée.
— Tu as sûrement raison, ce doit être la nervosité et l'impatience plus que l'appréhension. Après trois années à compter les jours, je peine à réaliser que c'est enfin terminé.
— Tu vas réaliser très vite, on ne va pas tarder à partir.
— Tu m'emmènes chez eux ? Tu as bien fait comme prévu, tu ne les as pas prévenus ?
— Non, ils croient toujours que tu rentres dans deux semaines. On est samedi, alors on les trouvera à la sortie de la ville, dans un lieu que les jeunes ont investi. On y est plus libres et ça évite les problèmes parce que les bagarres ne sont pas rares, généralement avec tes frères dedans. C'est un endroit sympa, caché dans les bois, mais ça s'est bien organisé au fil du temps.
— Oh, ça me plaît déjà. Ça me fera du bien de me lâcher un peu.
— Hum hum. Aurais-tu oublié comment ils collaient leur petite sœur adorée ? Si tu comptais draguer du mâle local, remets ça à plus tard.
— Dis donc, j'ai grandi ! Ils ne vont pas m'empêcher de m'amuser, je voudrais bien voir ça.
— Ils vont t'étouffer, j'en rigole d'avance. Ne t'inquiète pas, j'irai draguer à ta place.
Moqueuse, elle m'adresse une moue aguicheuse. Je lui jette un coussin à la figure, juste parce qu'elle a raison. Ce soir, je me contenterai de mes frères, ils m'ont trop manqué.
Pour une fiesta dans une clairière uniquement éclairée par un feu de camp, inutile de sortir le grand jeu. Un jean, un tee-shirt avec un sweat à capuche par-dessus, ma paire de Vans, qu'il est temps que je change, et ça ira bien. Toujours bien habillés, mes frères vont râler, mais pour les brins d'herbe collés ou les insectes sur les jambes, je passe mon tour. Raven me rejoint dans le salon en portant une tenue quasi identique, j'ai donc tout bon.
Dehors, la nuit est totale et mon enthousiasme prend du plomb dans l'aile une fois que nous sommes dans la voiture. Au premier carrefour, je commence à cogiter sévère. Au second, une tempête de sentiments m'assaille. J'ai la boule au ventre, et dans le même temps, je suis sur un nuage. Je ne gère plus rien. Heureusement que la route n'est pas longue, sinon ça finirait en crise d'angoisse.
Nous nous garons en lisière de forêt, sur un parking sauvage qui contient plus d'ornières que d'herbe. De la musique et un brouhaha ambiant emplissent la nuit. Je m'attendais à trouver une dizaine de personnes, mais il y a une foule là derrière !
— C'est une rave party ou quoi ?
— Presque ! répond-elle en riant. Tu vas voir, c'est vachement sympa.
Elle me guide sur un petit chemin qui serpente entre les arbres. Un classique de film d'horreur. Il fait sombre, vraiment. Je trébuche tous les deux mètres et prends des branches dans le visage. Je vais arriver en sang avec ces bêtises ! Je n'ose imaginer le retour avec quelques verres d'alcool en plus, ça va être épique.
— C'est encore loin ?
— Une cinquantaine de mètres.
— Ils ne pouvaient pas s'installer plus près du parking ? C'est franchement pas pratique, je ronchonne en détachant une ronce prise dans mon jean.
— Le concept, c'est pas d'être vus. Si les flics nous trouvent, ça ne sert à rien.
— Le chef des flics, c'est Burke. Malin comme il est, ça m'étonnerait qu'une bande de gamins puissent le rouler.
— D'accord avec toi. Mais je suis persuadée qu'il préfère justement nous savoir là, plutôt qu'à faire nos conneries dans sa ville.
Plus nous approchons, plus le bruit et les exclamations augmentent.
— Euh... Raven, tu es sûre de ton coup ? Ça m'a l'air bien agité pour une petite réunion dans les bois.
— Tu te fais une mauvaise idée de l'endroit.
Quand le trek prend fin, nous débouchons sur un terrain et je pile net. Ah ouais ! Pas du tout le bout de pelouse avec dix gugusses qui s'ennuient en buvant des bières. J'ai sous les yeux une immense clairière si peu éclairée que je ne vois pas le fond. La petite cabane pourrie fabriquée à l'arrache, que j'imaginais presque comme un tipi de branches aux feuilles roussies, fait bien dix mètres de long, en planches solides, et même avec une terrasse et une dizaine de tables devant. Deux gars s'activent derrière le comptoir pris d'assaut. Ça doit sacrément débiter ici. Je ne parviens pas à définir le nombre de personnes, c'est un essaim. Des enceintes crachent la musique, c'est presque une boîte de nuit. Les seules sources lumineuses proviennent du bar et d'un grand feu autour duquel les gens boivent et chahutent. Conquise, j'ai les yeux qui pétillent. Pas peu fière de son effet, Raven me colle un coup de coude :
— Alors ?
— J'adore. Par contre, ça doit être moins sympa l'hiver. Tu viens souvent ?
— Malheureusement non. Plutôt déconseillé de venir seule. Ça picole, les mecs s'échauffent et mes quelques copines de cours ne sont pas fans de l'ambiance. Pour être honnête, je me suis fait suer comme un rat mort sans toi, il était temps que tu rentres. Je vais enfin pouvoir m'éclater ! crie-t-elle en levant les bras.
Aïe ! Sa remarque me fait l'effet d'une bonne claque, celle de la culpabilité. C'est vrai qu'elle a également souffert de mon départ.
— Je suis sincèrement désolée. Tu as été un dommage collatéral.
— Stop ! Pas d'excuses, pas de remords. C'est terminé. Maintenant, on rattrape ces trois années d'actes manqués. Notre slogan pour les prochains mois est : les mecs, garez vos fesses, on arrive !
— Yes ! Préparez-vous, les lionnes sont lâchées !
— Ça tombe bien, je suis chaud bouillant. Je commence par qui ? répond une voix grave juste derrière moi.
Je bondis de peur et me tourne d'un bloc. L'intrus ricane, ravi de son coup. Malgré la faible luminosité, je vois... Non, pas possible. J'inspecte mieux pour être certaine de ce qui se présente à moi. Houlà ! Mais où étais-tu caché toutes ces années, toi ?
J'oublie tout pendant que je régale mes rétines, de la raison de ma venue jusqu'à mon nom. Je ne crois pas avoir déjà approché plus viril que ce gars immense. Il est perché sur une souche, ce n'est pas possible. Je ne suis pas un cheval ni une naine, mais là, je pense qu'il peut poser son verre sur ma tête pour m'utiliser comme table. Et il est aussi sacrément large. La vache ! Oui, c'est presque ça, un taureau. C'est une putain de bombe. Zut, il ne faut pas dire putain, c'est pas bien. Mais putain, quoi !
Je n'ai jamais croisé un gars pareil et ce jour béni arrive pile quand je me trouve au fond d'un bois en pleine nuit. Le truc improbable. Beau gosse semble plus âgé que moi, mais c'est à confirmer à la lumière. Un visage taillé à la serpe, un nez droit et fier, une mâchoire solide parsemée d'une légère barbe aussi foncée que ses cheveux très courts, et des yeux clairs dont je ne parviens pas à distinguer la couleur. Le tout est emballé dans un jean, des bottes et un blouson en cuir. Difficile de deviner ce qu'il a laissé sur le parking, cheval ou moto ?
Malheureusement, mon manque de discrétion me grille, voilà qu'il m'observe avec un rictus moqueur. Il sait l'effet qu'il fait, ce con, et ça l'amuse.
— Alors, ça te plaît ? Donc tu passes la première ?
Il n'avait pas besoin de posséder, en plus du reste, une voix veloutée qui incite à la débauche. Bien sûr de lui, le bonhomme. En même temps, si j'étais moins transparente, je serais également moins ridicule. Attends mon petit père, j'ai quand même ma fierté.
— J'avoue. Tu frises la perfection. Mais là, ça ne va pas être possible, mon planning est overbooké. En plus, je n'aime pas passer après toute une meute de filles, ce dont je ne doute pas te concernant.
Je me décale pour libérer le chemin, non sans en rajouter une couche :
— Allez zou, tu peux bouger. Je suis occupée, mais je te ferai signe si besoin. Bye.
Il cille et reste pantois, sûrement pas habitué à se faire remballer par une gamine. Trop drôle. Je me marre, intérieurement seulement. Je suis téméraire, pas inconsciente. Il ne faut pas trop les titiller ces bêtes-là.
D'ailleurs, il ne bouge toujours pas et ne répond pas. Ça craint. Il peut très bien être impulsif, voire violent. Si je pouvais réfléchir avant de jouer à la maligne, mais non, c'est à croire que je n'apprendrai jamais. Comment me sortir de là sans manger une salve d'insultes ? Par chance, il me reste un temps d'avance puisqu'il semblerait que rien ne soit encore monté jusqu'à sa cervelle. La faute à sa taille, on n'a pas idée d'avoir la tête aussi haut. Donc, vite en profiter avant qu'il ne se réveille. Hop ! J'attrape Raven et nous filons bras dessus, bras dessous en pressant le pas. Alors qu'elle s'apprête à courir, je la retiens.
— Non, il ne faut pas que ça ressemble à une fuite.
— Pourtant, c'est exactement ça !
— Nous, on le sait. Pas lui. Par chance, la taille de son cerveau n'est pas proportionnelle à celle de ses épaules. Il est beau, mais il est lent, ça nous laisse de l'avance.
Nous nous lançons dans une marche nordique, sans les bâtons. Nous ralentissons lorsque nous sommes hors de portée et Raven se lâche :
— T'es folle ou quoi ?! J'ai dit qu'on devait s'éclater, Nell, pas qu'on devait se faire éclater !
— N'exagère pas, j'ai juste égratigné sa fierté. Il avait trop d'assurance et je n'aime pas qu'on piétine la mienne, tout magnifique qu'il soit.
— Ouais, nous n'avons jamais eu les mêmes goûts. Pas mon genre du tout celui-là, mais peu importe.
— Pourquoi crois-tu que je t'ai choisie comme meilleure amie ?
— Parce que je suis la fille la plus géniale de la planète ?
— Après moi. Non, c'est parce que je sais que tu ne me piqueras jamais mon mec puisque nous ne sommes jamais d'accord à leur sujet.
— C'est sûr. Le problème, c'est que tu n'as pas misé sur le bon cheval. Ça va être lourd à gérer maintenant avec ton entrée en matière.
— Pourquoi ? C'est le fils du maire, du gouverneur, du pape ? Ah non, pas lui, pas possible.
Elle secoue la tête, déjà blasée par mon humour, puis se penche pour chuchoter :
— Nell, c'est lui.
— Lui ? Lui qui ? L'Apollon du bois ? Le diable de la clairière ? Le mangeur de vierges ? Je ne le suis plus, donc pas grave. Raven, je ne vois pas de qui tu parles.
— Mais c'est Wade ! couine-t-elle avec un air horrifié.
Je stoppe net. J'assimile, puis je m'emballe :
— Tu ne pouvais pas me marcher sur les orteils, me tirer le pull, me faire un signe avant que je parte dans mon délire ?!
C'est tout moi ! Le seul gars avec qui je ne devais pas m'embrouiller, je mets direct les pieds dans le plat. Non que je le craigne, un peu quand même, mais ses activités louches, son air sombre — que je trouve craquant malgré moi —, et surtout, son grand rapprochement avec mes frères, tout cela risque de former un cocktail amer.
— Ben voyons. Ce n'est pas comme si tu m'en avais laissé le temps. Au fait, bravo pour ton show. Je retire ce que je t'ai dit, tu as changé. Ce nouveau toi n'est pas pour me déplaire, je sens qu'on ne va pas s'ennuyer.
Elle rit en jetant un coup d'œil en arrière et reprend plus doucement :
— Magne-toi discrètement, il nous suit. Il faut le semer avant qu'il nous tombe dessus parce qu'il n'a déjà pas une gueule d'ange en temps normal, mais là, il fulmine.
— Je veux bien, mais tu m'expliques comment on fuit un taureau furieux de façon discrète ?
D'un commun accord et sans un regard en arrière, nous nous hâtons en direction du bar afin de nous mêler à l'attroupement d'assoiffés, ce qui devrait suffire pour disparaître. Ou non, car lorsque je m'apprête à monter sur la terrasse, on m'attrape par le bras, puis par la taille, et je m'envole littéralement. Si vite que Raven ne se rend compte de rien, elle continue sa progression pendant que je suis transportée vers mon funeste destin. Il y a un tel potin qu'elle ne m'entend même pas l'appeler. La prochaine fois, je m'équipe d'un sifflet ou d'une corne de brume. Mes pieds retouchent le sol quand nous sommes sur le côté de la cabane, là où il fait bien sombre. Merveilleux ! Finalement, je crois que Taureau est vexé et va m'en coller une.
Plaquée contre les planches et maintenue par les épaules, je fais face à un visage d'homme toujours autant à mon goût, mais en colère, ce qui est déjà moins plaisant. Il se penche sur moi lentement, nul doute que ce n'est pas pour m'embrasser si je me fie à son regard mauvais. Verts, ses yeux sont verts. Maintenant à dix centimètres de mon nez, je vois moins bien, un peu flou dirons-nous, mais ses narines palpitent. Il s'apprête à beugler. Moi, je n'aime pas que l'on me crie dessus, alors je le coupe dans son élan. Des années de pratique sur mes frères, ça aide.
— Je t'ai dit que j'avais autre chose de prévu. Donc, tu es gentil, mais tu viendras m'embrasser une autre fois. Rassure-toi, ce n'est pas personnel, c'est juste une question de timing, parole de Nell.
Je lance ma tirade sans reprendre mon souffle et son air ahuri confirme que j'ai fait mouche. L'effet de surprise est primordial pour s'en sortir, la preuve, il relâche même la pression sur mes épaules. Ni une ni deux, d'un mouvement leste, je me baisse et parviens à lui échapper. Maintenant, sauve qui peut ! Je fonce sans un regard en arrière jusqu'à la terrasse et me faufile dans la foule.
Je retrouve vite ma rouquine préférée qui, girl power oblige, venait dans la mêlée pour m'aider. Je m'accroche à elle en soufflant, pas trop fière, et nous rejoignons le bar, seul endroit où nous serons plus ou moins protégées contre une attaque taurine.
— À ton avis, il est vexé ou furieux ? Histoire que je me prépare à la suite.
— Hum, je dirais furieux que tu l'aies vexé.
— Cool... ça promet. Juste pour savoir, il est du genre à aboyer ou à mordre ?
Maintenant, elle se marre carrément. Je lui fais les gros yeux, alors elle daigne m'en dire plus :
— Je ne l'ai jamais vu taper sur une fille, si c'est ta question. Quant à te mordre, je crois qu'il en a très envie. Finalement, c'est toi qui vas devoir garer tes fesses. Oh purée, ce qu'on va se marrer !
— Je doute que la grosse marrade soit pour ce soir, c'est plutôt en train de déraper. Vivement que les garçons arrivent.
Nous commandons nos boissons, un Black Russian pour moi, j'en ai bien besoin. Nos verres en main, nous inspectons les lieux à la recherche du furieux, histoire d'éviter de croiser sa route. Ne voyant aucune tête qui dépasse les autres, je suis prise du fol espoir qu'il soit parti. Raven casse ma joie en me donnant un coup de coude :
— À deux heures.
— Tu causes militaire, maintenant ? Et il faut que tu arrêtes de me frapper, je vais avoir le bras tout bleu.
Je suis la direction de son doigt. Wade est bien là, seul et pas du tout sur le départ à en juger par sa position. L'épaule appuyée contre un arbre, une bouteille de bière à la main, il me fixe intensément. Surtout, il s'est judicieusement placé sur le passage qui mène au feu, en embuscade. Impossible de l'éviter sauf à s'enfoncer dans la forêt pour le contourner. Option non retenue, il a de grandes jambes. Je l'ai mal jugé, il est rusé. La situation n'échappe pas à Raven :
— Bien, nous avons deux choix : soit on s'installe ici en guettant l'arrivée de tes frangins, soit on reste ici et on attend tes frères.
— Euh... ce n'est pas un peu pareil ?
— Si, c'est juste pour nous donner l'impression que nous ne sommes pas bloquées. C'est psychologique.
— À défaut d'idée pour une issue de secours, c'est gentil de t'occuper de notre mental.
En attendant de trouver une échappatoire, ou une dose de courage pour l'affronter, nous nous asseyons sur le bord de la terrasse car toutes les tables sont bondées. Une gorgée revigorante, puis deux, les minutes s'égrènent et je constate un fait étrange. Mes yeux ne m'obéissent plus. Ils se posent sans cesse sur Wade, qui braque les siens sur moi. Surtout, il ne montre plus aucune trace d'agressivité. À croire qu'il ne s'est rien passé juste avant, tant son revirement est extrême, voilà qu'il dégage de la douceur, ce qui lui va merveilleusement bien. Sans parler de son regard d'une telle intensité qu'il remplace toute parole pour exprimer ses pensées. Heureusement que je n'ai pas les images du scénario qui doit traverser sa tête en ce moment, car ça m'a l'air très chaud. Il n'est donc pas rancunier, c'est un bon point.
Maintenant que les choses repartent sur de bonnes bases, l'effet que ce gars a sur moi me déconcerte. C'est celui que j'ai toujours attendu, lu dans tous les bouquins, vu dans tous les films, et que je n'avais pas ressenti jusqu'ici. Cette chaleur qui s'insinue dans les veines, ce frémissement qui titille le ventre, c'est nouveau et très agréable. Plus il insiste et plus je suis troublée, je commence vraiment à me sentir toute bizarre. Presque ramollie. Il y a indéniablement un truc qui m'attire chez lui, plus qu'une histoire de physique, mais je suis incapable de déterminer lequel. Je n'ai pas eu le coup de foudre dans un bois en pleine nuit pour un type louche, quand même ? Pourtant, ça y ressemble, et pour le gars qu'il ne fallait pas. C'est tout moi. Des fois, je me collerais des baffes.
Puisque ce genre d'émotion est difficilement contrôlable, il est temps que j'en sache un peu plus sur lui avant de prendre totalement feu. Non mais le cliché ! Je dois me calmer, je me fais peur.
— Raven, que peux-tu me dire sur lui et les femmes ?
— Wade et les femmes ? Je n'en sais trop rien. Je dirais qu'il est comme tes frères, il utilise sans aucune attache.
Charmant ! Très frustrant venant d'un gars qui m'intéresse, mais affligeant de la part de mes frères. Je les ai connus plus respectueux. Quant à Wade, cette histoire va droit dans le mur, zut ! Je formalise ma déception par un long soupir suivi d'une gorgée de mon cocktail.
— Toi, tu as craqué dessus.
— Un peu, c'est vrai, je bougonne.
— Un peu ? Si tu voyais cette perversité qui brille dans tes yeux, c'est limite un attentat à la pudeur. Remarque, j'admets que c'est une belle bête, mais tu as intérêt à avoir les reins solides pour tenter un truc avec lui. Et je parle au sens propre comme au figuré, finit-elle en éclatant de rire.
Elle a raison, je n'ai pas la carrure. J'ai beau jouer les fières, je n'ai pas le plumage en accord avec le ramage. Je dois me reprendre. De toute manière, je dois me tromper, car après tout, ce gars ne peut pas me faire un tel effet. C'est l'excitation du retour qui me rend perméable, c'est tout.
Voyons voir encore une fois, je serai fixée. Deux lasers m'épinglent, effet immédiat, je me liquéfie. Crotte ! Pourquoi a-t-il fallu que ça tombe sur lui ? Et moi, qu'est-ce qu'il me prend ? J'ai dépassé ma période rebelle de pacotille il y a plus de cinq ans. Pourtant, le fait est qu'il m'attire. Son côté sombre n'est plus, il s'est envolé pour laisser place au séducteur. Je trouve qu'il dégage une force plus rassurante qu'inquiétante.
J'ai beau cogiter, tenter misérablement de me raisonner, mon corps, ce truc en guimauve, prend le pas sur ma jugeote. Après tout, si Wade est aussi intéressé qu'il le montre, je ne peux pas passer à côté de toutes ces sensations enivrantes. J'admets faire preuve de légèreté et je m'en mordrai peut-être les doigts, mais je suis trop jeune pour être constamment réfléchie. J'ai besoin de m'amuser, d'un peu d'aventure. Et lui, bon sang qu'il est envoûtant !
C'est décidé, je pars à l'attaque. Je ne vais pas lui crier ma décision à travers la foule, alors je lui fais passer le message. Tentative d'œillade suggestive en cours. Sans talent aucun pour le mime, je me rends vite compte de mon ridicule. Pourtant, il me décrypte, car sans me lâcher des yeux, alors qu'il s'apprête à boire sa bière, il stoppe son geste, le goulot à quelques centimètres des lèvres. Sa soudaine incrédulité disparaît pour laisser place à... pas de meilleure description que bouillant. Nous sommes en phase !
Notre envie ainsi déclarée et comprise par l'autre, chacun avec un sourire satisfait sur le visage, nos regards s'échangent de chaudes promesses. Nous sommes dans notre bulle, imperméables au brouhaha qui devient ronronnement lointain. Nous buvons de manière sensuelle, essuyant nos lèvres langoureusement. Nous nous aguichons, presque des préliminaires, et la température monte irrémédiablement. Raven a raison, c'en est presque indécent, mais qu'est-ce que c'est bon.
Notre bulle éclate. Par ma faute, ou plutôt celle de Raven qui m'envoie encore son coude dans les côtes alors que je suis en train d'avaler une gorgée, que je me renverse sur le visage, évidemment. En deux secondes, je passe du statut de bombe sexuelle à celui de godiche. Mortifiée, je m'essuie avec la manche de mon sweat, pendant que lui, sans complexe, se tort de rire. Je n'ai pas le temps de m'apitoyer sur mon sort ou d'aller lui trancher la tête, car Raven m'attrape le bras en s'excitant :
— Les garçons arrivent !
Elle pointe l'entrée du chemin d'où déboulent deux ombres que je reconnais bien. Mon cœur rate un battement. Adieu Wade, c'était sympa, mais on jouera une autre fois, tu ne fais pas le poids contre eux.
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