6.

Notre petit avion tressaute de temps en temps et je dois faire appel à toute ma bonne volonté pour ne pas régurgiter mon maigre repas. Recroquevillée sur mon siège, je tente de discerner quelque chose à travers le hublot mais je ne peux voir que les petites lumières blanches le long de l'aile gauche de l'appareil, dans la noirceur de la nuit. C'est la première fois que je m'aventure aussi loin de chez moi, je devrai être excitée de me rendre dans un pays comme l'Egypte mais je tremble intérieurement. Je me suis lancée bêtement dans une aventure que je ne peux gérer, c'est au-delà de mes capacités et j'ai peur de me faire prendre et d'y laisser ma peau. Je ne sais pas à quoi je m'attendais, maintenant que nous nous rapprochons de la base militaire, je réalise vraiment dans quoi je me suis fourrée.

Nous survolons la mer méditerranée à bord d'un petit engin où tout juste une dizaine de personnes peut tenir. L'intérieur est très confortable et si je ne me dirigeais pas tout droit vers une mort certaine, j'aurai sûrement apprécié le voyage. Les sièges en cuir noir détonnent dans l'habitacle écru et rendent l'endroit luxueux. Je vois que Richard ne se refuse rien.

Je me tiens le plus loin possible des autres hommes depuis des heures, dans l'espoir qu'ils m'oublient. Hélas l'un deux se dirige vers moi.

- Alors belle gueule tu te souviens de moi ?

L'homme au soda approche son visage et je peux sentir son haleine chargée d'alcool. Je recule imperceptiblement mais il le remarque et sourit. Il semble savourer ce moment car il sait que je suis coincée, je ne peux aller nul par. Je hoche la tête négativement et je baisse un peu plus mon visage.

- Moi je me souviens de toi mec, et je t'en dois une, dit-il en me renversant un verre d'eau glacé sur la tête.

Il ricane et rejoint les autres tandis que j'ôte ma casquette trempée. Je m'en suis bien sortie même si ce verre d'eau m'a frigorifié. Je m'échappe au plus vite aux toilettes pour ne pas le laisser me malmener de nouveau. Une fois devant le miroir j'observe le visage qui me fait face. Des cernes, des mèches noires dégoulinantes plaquées sur le front et le regard fuyant. Sans maquillage et avec la fatigue, j'ai vraiment l'air d'un jeune homme même si mon visage est fin.

Je passe une main lasse dans mes cheveux et les relève en l'air en soufflant bruyamment, jusqu'à former de la buée sur le miroir. Je reste quelques instant, immobile, tentant de me réconcilier avec mon image. Je dois me créer un personnage même si je dois mentir à la plupart des gens, c'est ma seule chance de m'en sortir.

Tu fais n'importe quoi ma pauvre fille, ce n'est qu'une question de temps avant qu'on ne découvre ton identité.

Ai-je le choix dorénavant ? Pas vraiment. Des perturbations font trembler l'avion et je suis contrainte de me tenir sur les parois de la petite cabine. Je ferai mieux de retourner m'assoir et me reposer avant l'atterrissage. En sortant, je tombe nez à nez avec le grand brun.

- C'est quoi ton nom à toi ? me demande-t-il. Il plaque une main sur le mur pour se tenir sous les secousses, et me toise de toute sa hauteur. Je ne sais pas quoi répondre. Ses yeux sombres m'agressent et ma gorge se resserre. Comment s'appelle mon oncle déjà ?

- Jonathan. Ma voix est peu assurée et le manque de salive la rend très rauque. J'évite son regard et baisse la tête pour ne pas qu'il m'observer de trop près.

- Eh bien, Jonathan. A l'avenir, ne te mets plus sur mon chemin.

Il me dépasse non sans manquer de me déboiter l'épaule au passage et rentre dans les toilettes. Alors là je suis larguée. Pourquoi tout le monde doit être si agressif alors qu'on est censé former une équipe ? Comme s'il avait lu dans mes pensées, le grand blond qui ressemble à une mangue géante s'approche de moi.

- Pas très sympathique, pas vrai ? il me sourit gentiment, signe que je peux me détendre.

- J'ai encore du mal à le cerner, dis-je en me massant l'épaule.

- Ce n'est pas un mauvais gars, il aime seulement quand tout fonctionne comme il le souhaite, ajoute le grand roux. Moi c'est Loughlin, mais tu peux m'appeler Lou. Lui c'est Paul, dit-il en montrant le blond du menton. Et le petit nerveux c'est Yakov. Lui il ne faut pas l'énerver, mais tu as déjà pu le constater par toi-même !

- Et toi tu t'appelles comment ? me demande Paul.

- Jonathan, mais vous pouvez m'appeler Jo.

Je ferai mieux de me faire des alliés et ces deux-là sont parfaits, ce Yakov par contre... Je ne vais pas tenter le diable. Au moins il ne les a pas montés contre moi.

- Alors Jo, t'as fait quoi pour atterrir ici ? s'enquière Lou.

- Parce qu'il faut une raison ?

- On a tous plus ou moins déjà eu à faire à Richard. Paul me fait un clin d'œil.

- Disons que je lui devais un service..., je dis prudemment.

- Ça doit être un gros service pour accepter ce genre de mission. Yakov nous interrompt puis s'assoit sur le bord d'un siège en sirotant son verre au liquide ambré.

- On ne t'as rien demandé le rabat-joie ! s'exclame Lou qui croise les bras. Si Jo ne veut pas parler, ça le regarde.

- Ou alors c'est qu'il cache quelque chose, crache Yakov.

- Comme nous tous. Bon et si on allait se reposer un peu ? propose Paul pour apaiser tout le monde.

Nous nous dirigeons tous vers nos sièges respectifs alors que je sens le regard perçant de Yakov dans mon dos. Il se méfie de moi et si je ne le convaincs pas rapidement que je suis de son côté, je sens qu'il va m'attirer des ennuis.

Je n'arrive pas à dormir contrairement à mes camarades qui sont plus que bruyants. Etrangement, leurs ronflements me bercent et m'apaisent, je me sens moins seule et perdue. Même s'ils sont rustres, je sais qu'au moins deux d'entre eux ne me détestent pas. En ce qui concerne le brun, dont je ne connais toujours pas le nom, je pense qu'il vaut mieux que je reste aussi loin de lui que possible. Après tout, étant le chef de notre équipe, il peut très bien avoir des contacts avec Richard et lui rapporter que Jonathan ne se prête pas au jeu. Je dois faire attention et ne pas éveiller ses soupçons. Je vois quelque chose bouger dans ma périphérie alors j'incline la tête pour regarder qui passe.

Le brun se tient debout à quelques rangées de moi. Il est de dos et regarde une feuille avec attention donc il ne peut pas me voir. Ses épaules sont larges et son tee-shirt moulant noir laisse apparaitre une musculature discrète. J'imagine que ses longues mains ont dû tuer de nombreuses personnes et que ses jambes fines et galbées ont dû parcourir de nombreux kilomètres. Sans le connaitre je peux deviner qu'il a déjà combattu aux quelques cicatrices qui ornes ses bras et le bas de sa joue. Cet homme est dangereux et captivant à la fois, comme un fauve que l'on voudrait admirer de loin. Il peut vous dévorer à tout moment, et vous avez conscience de sa dangerosité mais vous voulez approcher de plus en plus près. 

Et sans le vouloir c'est ce que je fais. Alors que je m'incline légèrement vers l'avant pour l'observer d'avantage, mon siège émet un son désapprobateur et l'intéressé se retourne dans ma direction. Les sourcils sombres qui encadrent ses yeux sont plissés et il me regarde de loin. Comme une biche devant les phares d'une voiture, je ne bouge pas et j'attends. J'attends quoi ? Je ne sais pas mais ce doit être de l'instinct de survie face à ce prédateur. Il commence à faire un pas dans la direction en se tenant à un siège à sa portée mais une voix masculine dans le micro me sauve.

- Veuillez rattachez votre ceinture, nous arrivons à destination.

Il obéit et part s'assoir, ne me prêtant plus attention pour l'instant. Je boucle ma ceinture en inspirant à nouveau de l'air. Je n'avais pas remarqué que j'avais cessé de respirer tellement j'avais peur.

Notre sac en toile sur le dos, nous descendons de l'appareil en file indienne, en suivant de près notre chef. Un bruit assourdissant me surprend. Devant nos airs ébahis, nous avons le droit à une petite explication du chef.

- Nous allons emprunter des hélicoptères pour nous rendre à la base. Elle se trouve à une dizaine de kilomètres de Bawiti, au Sud du Caire.

Il est obligé de hurler car les hélices couvrent sa voix.

- Mais il n'y a rien là-bas à part du sable, renchéri Lou.

- Ce n'est pas tout à fait exact. Nous allons dans une base connue par peu de personnes. Tu ne la trouveras pas sur une carte. Assez avec les questions, on est déjà en retard.

Le brun nous tourne le dos et se dirige vers un des hélicoptères en se baissant jusqu'à atteindre l'avant de l'appareil. Les gars et moi nous regardons un instant puis sans attendre une seconde de plus, nous courrons vers les machines. C'est la première fois que je prends un hélicoptère et c'est très déstabilisant. A la fois grisant et effrayant. Les portières restent ouvertes alors que nous volons et cela ne me rassure pas du tout. Nous devons mettre un casque pour étouffer le bruit. Lou me lance un sourire, et cela me rassure un peu. Je fais l'erreur de tourner la tête vers mon voisin qui me lance un regard meurtrier avant de m'ignorer. Je regarde dehors, et j'inspire l'air frais du matin, le vent fouettant mon visage. Si j'avais encore mes cheveux longs, ils voleraient dans tous les sens, tels des flammes noires dansantes.

Une étendue de sable s'offre à nous mais je peux voir, très loin devant moi des pyramides. Elles pointent majestueusement leur sommet en direction du ciel. Je m'autorise à émettre un sourire sincère pour la première fois depuis que j'ai quitté ma famille. 

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