Une fille sans histoire
Le matin était ensoleillé et Donald marchait d'un pas enjoué et énergique malgré une dose de noeuds à l'estomac. Un premier matin au boulot? C'était le sentiment qu'il s'auto diagnostiquait. Ce matin, il commençait une nouvelle aventure et il n'en tenait qu'à lui de mener à bien son entreprise. Une part de son angoisse provenait des souvenirs plutôt catastrophiques de ses débuts en journalisme à sa sortie du collège. Il était, du moins à l'époque, incapable de conduire une entrevue. Trop désordonné pour diriger son interlocuteur dans une suite de questions réponses utiles et trop brouillon pour en retenir quelque chose quand par magie ce dernier lui donnait, malgré lui, du bon matériel.
Ce matin il allait devoir faire mieux. Il allait devoir extirper une histoire à une jeune femme plutôt non coopérative. L'investissement n'était pas majeur, un lunch à l'occasion, mais le risque était non négligeable. Un retour à la case départ. Pas de roman.
À mesure de son trajet, il saluait distraitement les nombreux passants qui lui souriaient ce matin. Sauf lorsqu'il s'agissait d'une jolie dame. Alors il prenait le temps de retourner la politesse sans négliger d'effort. Mais il plongeait à nouveau dans ses pensées très rapidement. Et sans même s'en rendre compte il était au comptoir du café du coin prêt à passer sa commande.
"Bonjour. Qu'est ce qu'on vous sert aujourd'hui? Pas de toasts à la confiture aux fraises j'imagine, vu que vous en avez déjà eu au déjeuner. Ou aux framboises?" Puis Claire pointa sa propre joue d'un air très amusée.
Donald prit une des serviettes sur le comptoir près de la caisse et essuya tant bien que mal la traînée rouge sur sa joue.
"Ce sera deux sandwichs au jambon s'il vous plaît. Pour emporter."
"C'est pour vous et votre amie? C'est bien ça." Lui lança Diane à peine visible de l'autre côté du comptoir.
"Oui, euh non. En fait c'est pour elle mais ce n'est pas mon amie."
"Oui oui. C'est pas grave, c'était seulement pour faire la conversation vous savez." Puis après un instant elle apporta les deux sandwichs dans un sac papier.
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À sa sortie, Donald ne vit pas la jeune femme parmi les autres mendiants du coin. Il assuma qu'il la trouverait comme entendu au point de rendez-vous. Il replaça le sac de son ordinateur portatif sur son épaule, traversa l'intersection et se mit à la recherche la demoiselle. Cindy. Elle se nommait Cindy se souvint-il.
Il jeta un oeil derrière chaque arbre et bosquet en chemin vers le lieu de leur rencontre de la veille car il n'avait pas vraiment souvenir duquel il s'agissait. Heureusement il l'a trouva adossée face au soleil, les bras posés sur les cuisses et les yeux fermés. Une bouteille d'eau en plastique à demi remplie était posée à ses pieds. Ses vêtements, identiques à la veille, auraient pu laisser croire qu'elle n'avait jamais bougé de là.
"Bonjour Cindy."
La jeune fille ouvrit légèrement une paupière puis la referma.
"Ya pas de Cindy ici. Bonne journée."
"Heu... Tu te souviens de moi? Hier. On disait qu'on se verrait aujourd'hui. Tu sais pour mon roman..."
"Oui je me souviens de toi David."
"Je m'appelle pas David... Je m'appelle Donald."
"Je sais. Et moi je m'appelle pas Cindy."
"Ha! Mais tu aurais dû le dire!"
"Tu m'as pas demandé."
"Ok... Ok... Je suis désolé. Je suis pas très bon dans ça...Sylvie! Ça me revient!"
Puis Donald se laissa tomber contre l'arbre où il n'y avait pas de Cindy et sortit son ordinateur pour le poser sur ses genoux.
"Ça te dérange si on se déplace du côté où il y a de l'ombre? Avec le soleil je vois pas mon écran..."
Et il se décala légèrement vers sa gauche, s'éloignant de la jeune femme. Cette dernière se cala dans sa position et leva le nez vers le soleil.
"Oui, ça me dérange. Je reste ici. Je profite du soleil. On sait pas combien de temps ça va durer encore..."
"Bon, selon les dernières prévisions ça devrait durer encore quelques milliards d'années. Ensuite je sais plus trop. C'est censé devenir une supernova je crois. Donc t'as encore le temps d'en profiter."
"Hé, t'es un comique toi."
Un sourire craqua légèrement ses joues.
"Je bouge pas de là. Toi tu fais comme tu veux. Et le truc dans le sac sent bon, je veux ma part." Ajouta-t-elle la main tendue.
"Ouais... Ça va faire un peu étrange non? chacun de son côté de l'arbre..."
"C'est DÉJÀ étrange."
"Ok, t'as gagné. Voilà ton sandwich mais commence à me raconter. Je sais pas, commence par t'es qui, d'où tu viens..."
"Je m'appelle Sylvie Perreau, je viens de Saint Augustin de Badace... Mais exactement c'est quoi ton idée, c'est quoi ton projet?" Et elle croqua à pleines dents dans le sandwich.
Les doigts de Donald s'arrêtèrent, il leva la tête du clavier et demanda.
"Un D et un C j'imagine?"
"Pardon?"
"Badace, ça s'écrit comment? Avec un seul D et avec un C?"
"Ben là c'est toi l'écrivain. Je sais pas moi."
"Ok c'est pas grave, je chercherai. C'est dans quel coin ça?"
"C'est loin et profond. Tu sais là où le vent tourne parce que c'est rendu trop loin? Et bien tu continues encore un bout."
"Ouais ok. Je vais faire avec ça. Continue."
"Ton plan? C'est quoi? Que je sache ce que tu veux savoir."
"Bon, au fond c'est comme Shérazade..."
"Je suis jamais allée là."
"Où ça?"
"Chez Rasade."
"C'est pas une place c'est une fille."
"Ok. Je suis quand même jamais allée, je la connais pas."
"T'as pas besoin d'aller nulle part! Laisse-moi finir! Donc, c'est dans un conte, Shérazade était une servante prisonnière d'un roi. Et elle devait raconter une histoire chaque soir sinon le roi la tuait. Une histoire nouvelle, pas la même plusieurs fois."
"Ok c'est intéressant. Pour me convaincre d'embarquer dans ton affaire tu me racontes l'histoire d'une fille qui s'est fait tuer par un roi débile et sadique parce que ses histoires étaient plates."
"Non! La fille n'est pas morte!"
"Elle est toujours vivante?"
"C'est une histoire et ça se passait il y a longtemps."
"Donc elle est morte."
"Si ça te fait plaisir, oui elle est morte."
"Non ça ne me fait pas plaisir! Pour qui tu me prends?"
Donald frotta ses yeux, un brin fatigué.
"Je faisais la comparaison car si tu me racontes quelque chose, je t'apporte un lunch. C'est juste pour ça. Maintenant continues s'il te plaît. Ton histoire."
"Oui oui. Ok! Bon comme je disais, je m'appelle Sylvie..."
"Oui! Tu l'as déjà dit tantôt ça! Et tu viens de loin ou même un peu après! Ensuite...!"
"Oui je sais que je l'ai dit mais clairement ça peut pas faire de tords si je le répète encore quelques fois. Non? David."
Donald acquiesça de la tête et lui fit signe de continuer.
"J'ai été élevée par ma grand-mère. Ma mère était plutôt du genre bohème pour être poli. Le peu de temps où elle a été présente j'ai pas accumulé beaucoup de bon souvenirs disons. Ça fait que ma grand-mère ça a été comme ma mère. Comme ma mère mais en mieux. C'était aussi ma meilleure amie. Quand elle est décédée, j'ai tout laissé et je suis partie pour la grande ville."
"Ok, pis maintenant tu fais quoi?"
"Je réponds aux questions d'un type un peu étrange en échange de sandwichs un peu ordinaires."
"Ouais ok. Je tirerai pas grand chose de toi aujourd'hui je crois." Et il referma son ordinateur portable. "Pour ce qui est du sandwich, et bien on est loin du filet mignon avec ce que tu m'as raconté aujourd'hui. Penses y. Essaie de trouver pour la prochaine fois. Et ne critique pas trop mes choix culinaires."
Donald replaça son portable dans le sac et se leva.
"Bon, allez bonne journée."
"Bonne journée", lui répondit elle. Puis elle referma les yeux, toujours le visage au soleil.
*****************
La nuit était tombée sur la ville. Une nuit sans nuages et sans étoiles. Malgré toutes ces années en ville, Sylvie avait conservé le réflexe de les chercher du regard. C'était pire ici dans ce parc où les projecteurs illuminaient fortement l'endroit. Le groupe s'était réuni comme à l'habitude à Leur place. Certains étaient assis sur un bas muret, les autres à même le sol herbeux et fraîchement coupé. C'était là qu'ils se retrouvaient le soir venu. Le muret était assez loin de la rue ou des logements du coin pour qu'ils puissent y être tranquilles pour faire ce qu'ils avaient envie de faire ou de ne pas faire. Tous assis autour d'un rien central comme des campeurs sans feu de camp.
"Je crois que mes lunchs gratuits ne dureront pas longtemps. Il veut que je lui raconte des histoires mais m'arrive jamais rien..."
"T'as qu'à raconter la fois où on est allé au chalet près du lac!"
"J'étais pas là"
"Ha."
"Je sais. C'est ça que je dis."
"Ben il le sait pas lui que t'étais pas avec nous."
"Ok, mais je la connais même pas cette histoire-là."
"C'est Zac. Il avait su qu'un chalet était libre pendant plusieurs jours. Et que c'était assez reclus que les voisins se voyaient pas vraiment et ne se connaissaient pas vraiment. Genre, une main en l'air pour dire bonjour au loin et ça passerait comme une lettre à la poste."
"Non, c'était pas Zac. C'était Pusher Bob qui avait eu le tuyau par un client qui travaillait dans un resto. Le patron partait souvent en voyage et il allait plus vraiment à son chalet. Il avait demandé au type d'aller chercher quelque chose pour le resto. Le mec avait fait faire un double de la clé avant de la remettre et il se gâtait en visites discrètes. Il avait donné la clé pour compenser Pusher Bob sur une affaire qui avait pas tourné comme prévue."
"Pis vous autres? Comment vous vous êtes ramassés invités?"
"Zac était ami avec Bob et lui a proposé d'amener des filles s'il l'invitait. Les filles ont été solidaires et voulaient pas y aller sans nous. Méchant party. T'as pas idée."
"Ouais je commence à avoir une idée là..."
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Donald prit une feuille blanche du bac de l'imprimante, en fit une boule et la lança à l'autre bout de la pièce. Le geste le rapprochait de ses idoles qui avaient pour la plupart utilisé principalement la machine à écrire pour créer leurs œuvres. Il se les imaginait au comble de la frustration devant un manque d'inspiration arracher la page amorcée contenant les mots fautifs et la transformer en projectile de rage. Pour sa part, une fois la boule de papier lancée il devait ensuite effacer son texte de l'ordinateur. Geste ô combien moins satisfaisant.
Une fois que ce fut fait il fit craquer ses doigts et se pencha à nouveau sur le clavier, prêt pour une autre tentative.
Sylvie naquit loin de la ville. Là où le tourne et merde! Merde! Merde!
Encore nul. Trop nul. Avec une rime inutile en partant.
Une nouvelle boule vola. Et les caractères furent effacés.
Née d'une mère absente, Sylvie fut élevée par une grand-mère attentionnée qui ne sut pas la préparer à la vie après sa mort. N'importe quoi.
Nouvelle boule. Écran vide.
Donald trouvait de plus en plus que cette jeune fille était très peu inspirante. Il posa ses joues dans ses mains dans un découragement envahissant. Sa main droite resta légèrement collée. La confiture! Il avait passé la journée avec son trait de confiture sur la joue. Ceci lui ramena en mémoire la charmante Claire. Elle, elle était inspirante. Il ferma les yeux. Les yeux de la jeune fille lui revinrent en tête. Bleus comme un ciel clair d'été. Et s'il se servait de Claire comme muse. À la place de Sylvie...
Ses yeux bleus s'ouvrirent sur le monde aux confins de la civilisation. Dès le départ ils firent compétition au ciel d'été déjà d'un bleu d'une pureté fascinante, grandement dû au fait qu'aucun vent ne poussait de nuage vers cette lointaine contrée.
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