Le temps file et les aiguilles tricotent
"C'est vraiment trop nul." S'écria Donald avec une moue un peu dégoûtée.
"Qu'est-ce qui nul cette fois-ci?" Lui demanda Sylvie.
"Ton dicton de grands-mères. C'est juste nul."
"Ben non. C'est drôle."
"Sérieusement? Le temps file et les aiguilles tricotent. sincèrement ça prend juste une grand-mère pour sortir quelque chose comme ça! Ça ne veut rien dire."
"Ben justement! C'était une grand-mère! Et moi je trouve que ça veut tout dire. Ca veut dire que le temps passe pis... c'est ça. Le temps passe."
"Ca ne veut rien dire. Ce n'est même pas une phrase, c'est juste du bruit pour remplir le silence."
"Moi je ne trouve pas. Je les aimais ses phrases moi. C'est correct de remplir le vide des fois."
Sylvie se pencha vers l'étang où elle trempait les pieds, y plongea la main et en laissa couler l'eau en la remontant doucement. Elle se mit à le faire à répétition, hypnotisée. Donald qui lui tournait légèrement le dos, avait gardé ses souliers et les avaient posés sur la bordure de ciment. Il ramassa une poignée de graviers qu'il lança méthodiquement dans l'eau en regardant les ronds concentriques qui s'y formaient.
Il jeta un coup d'oeil autour de lui. La petite fontaine au milieu du parc offrait à la fois soulagement et souffrance. Placée au centre d'une clairière et éloignée des arbres elle était en plein soleil, sans l'ombre d'une ombre. Mais malgré tout, l'eau qui y coulait était fraîche, du moins momentanément.
Après un certain temps, il fut interrompu dans ses réflexions par quelques gouttes de sueur qui lui coulèrent du front au menton. Il plongea à son tour la main dans l'eau et s'aspergea le visage avec un soupir de soulagement. Il porta la main devant ses yeux et regarda le ciel, ébloui par le soleil de plomb.
"Il fait vraiment chaud encore aujourd'hui."
"Oui c'est vrai."
Après une seconde, Sylvie se redressa, joviale et excitée, comme sur le coup d'une illumination.
"Je veux de l'air climatisé."
"Quoi?"
"Je veux de l'air climatisé!"
"Oui, c'est certain. On veut tous ça dans ce temps là. Surtout après plusieurs jours..."
"Non. Je veux de l'air climatisé."
"Oui j'ai compris! Mais je n'en ai même pas moi même."
"Ok." Elle ferma les yeux et pencha la tête vers l'arrière, pensive. "Je veux de l'air climatisé. Et un bain. Et un lit confortable. À l'air climatisé, le lit."
"Quoi?"
"Laisse faire le lunch! Mais avoue que je t'ai donné du bon matériel depuis quelques semaines. Tu laisses faire le lunch habituel et tu me payes l'hôtel! Avec la clim et un bain."
"Je ne peux pas te laisser dans une chambre d'hôtel. Ça va être à mon nom. Si tu fais des conneries ça va aller sur ma facture!"
"Ça, c'est ton problème. Je t'ai dit mon prix!"
Sylvie se tourna vers Donald.
"Au pire, tu reste pour la nuit. Doit bien y avoir un divan ou un fauteuil non?"
*****************
Donald faisait les cent pas devant le commerce depuis déjà un certain temps. Attendre une femme. Une sensation qu'il n'avait pas ressentie depuis très longtemps.
Après avoir déclaré marché conclu sur la demande de Sylvie au sujet de la nuit au frais, une série de nouvelles demandes collatérales avait surgit. Un peu comme un barrage qui commence à céder, Donald avait accepté. Il avait donc laissé la jeune femme devant ce magasin avec quelques billets de vingt pour la liste d'emplettes qu'elle avait dit avoir besoin tant qu'à avoir l'opportunité de faire un brin de toilette lors de son passage dans la chambre d'hôtel. Il pensait toujours malgré tout que son argument était valable, les chambres d'hôtel avait déjà tout ce qu'on avait besoin et gratuitement. Ou du moins inclus dans le prix de la chambre.
Et Donald faisait les cent pas. Il se baladait sous l'auvent du commerce qui lui offrait un brin d'ombre sous ce soleil de plomb. Il regardait également avidement le banc installé sur le large trottoir. Un potentiel havre de repos où il crevait d'envie d'aller poser son postérieur afin de donner une pause à ses jambes lasses de sa promenade forcée. Il avait plus tôt tenté l'expérience mais ce fut très bref, le banc étant cruellement placé en plein soleil.
Il sursauta vivement lorsque l'on frappa vigoureusement dans la vitrine du magasin juste derrière lui. Il se retourna non surpris de voir la jeune itinérante gesticuler de l'autre côté. Un agent de sécurité ne l'aurait pas surpris outre mesure non plus en bout de ligne.
Elle secouait la poignée de billets d'une main et branlait l'index de l'autre main avec une moue suppliante.
Donald, bien qu'il ait instantanément compris qu'il lui manquait de l'argent pour payer ses achats, opta selon son habitude pour la feinte de non compréhension. Une attitude qui de façon générale exaspérait ses interlocuteurs mais qui lui donnait satisfaction. Dans ce cas ci de l'argent allait sortir de ses poches et il lui importait que l'autre personne n'en tire pas trop de plaisir.
Sylvie atteignit plutôt rapidement un niveau d'exaspération assez élevé, les poings sur les hanches et le regard furibond. Donald abdiqua rapidement et alla la rejoindre à l'intérieur, la main dans la poche.
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Donald avait réorganisé la chambre d'hôtel pour accommoder son amie en orientant le petit bureau et sa chaise vers la fenêtre, s'assurant ainsi de tourner le dos à l'ensemble de la pièce. Un fauteuil, plutôt confortable en apparence, avait également été approché de la table en prévision de sa nuit de sommeil lorsqu'il aurait terminé sa soirée de rédaction. Il avait de nombreuses pages à corriger de son roman inspiré, vaguement, des récits de la jeune femme. Il savait qu'il en avait pour une bonne partie de la soirée sinon de la nuit. Il avait par hasard commencé ses corrections par un passage plutôt torride pour se rendre compte de son malaise à se laisser aller et de ses réactions physiques qui auraient pu rapidement devenir apparentes. Il avança un peu plus loin dans son texte dans une section plus décente quoique un peu plus ennuyante.
Un craquement de porte retentit derrière lui et le tira de sa concentration. Il allait se retourner quand il se souvint des paroles d'avertissement de Sylvie juste avant d'entrer dans la salle de bain.
Si tu te retournes, tu sais pas ce qui peut t'arriver...
Donald ne voulait pas prendre de chance avec sa capricieuse amie, il se figea avant de trop se retourner et se remit au travail. Il entendit un bruissement de sac de plastique, puis la porte se refermer.
Il lui fallut un certain temps avant de prendre conscience du bruit plus intense d'eau et d'éclaboussures qui venait de la salle de bain. Il remarqua alors sur sa gauche la ligne lumineuse sur le mur indiquant que la porte n'était pas complètement fermée.
Il passa un bon moment immobile à scruter cette ligne verticale et intrigante se demandant si un ombrage lui révélerait quelques formes qu'il n'était pas sensé voir.
Les splish et les slash cessèrent après un instant. Le visage de Donald vira au rouge et sa respiration devint très rapide réalisant que peut être Sylvie avait vu la porte entrouverte et dans un moment de panique il se remit frénétiquement à taper au clavier de son ordinateur. Les bruits provenant du bain reprirent alors et il se calma un peu, ralentissant, il s'efforça de se remettre au travail de façon sérieuse et se laissa une note mentale de repasser sur ce bout de texte pour s'assurer qu'il ne restait plus de "gdhhrhhgjfjjd" ni de "gkitiiguiititoooe".
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Il y avait eu maints bruits provenant de la salle de bain. Il y avait eu plusieurs remplissages de bain, quelques fois de chasse d'eau et brièvement la douche. Malgré tout Donald avait réussi à se concentrer sur son travail et l'histoire de Sherry prenait forme. Lâchement inspiré des récits de Sylvie et fortement de ses fantasmes sur la caissière du Café du coin, les chapitres se suivaient avec des aventures rocambolesques et un fil conducteur extrêmement ténu, si existant. Mais il y aurait du temps pour arranger tout ça.
"Hum! Hum!"
Donald se figea. Il en était venu à oublier où il était tellement il était concentré. Il allait se retourner, machinalement, lorsque le tout lui revint. Sylvie, la chambre d'hôtel, la consigne ou menace reliée au fait de se retourner. Il tourna légèrement la tête, seulement pour mettre l'emphase sur le fait qu'il avait entendu.
"Oui? Tout va bien?"
Il prêta l'oreille. Le bain était en train de se vider et en était dans les dernières gouttes. La lumière de la salle bain n'était plus sur le mur à sa droite, soit éteinte, soit la porte était fermée.
"Hum. Hum!"
Donald se retourna un peu exaspéré afin de savoir de quoi il en retournait.
Sylvie était installée dans le grand lit blanc. Le drap remonté jusqu'aux épaules. Mais son dos était complètement dégagé... ainsi que ses fesses. Ses cuisses étaient sous les couvertures.
Donald fit demi-tour pour faire face à nouveau à son ordinateur portatif.
"Oh désolé!" Dit-il.
"Hum. Humm!!!" Entendit-il à nouveau, avec plus d'insistance cette fois.
Il se retourna et jeta à nouveau un regard vers le lit.
Sylvie était toujours dans la même position mais sa main se glissa derrière elle et tapota le matelas derrière elle. Donald ne bougeant toujours pas, elle refit le geste avec plus d'amplitude.
Donald se leva, le coeur battant dangereusement. Il fit un pas vers le lit, arrêta et passa une main dans sa maigre chevelure. Sylvie reprit son mouvement d'invitation sur la place libre à ses côtés. Il entreprit de déboutonner sa chemise et la laissa tomber sur le fauteuil qui devait l'accueillir pour la nuit. Il défit sa ceinture et retira son pantalon. Le peu de grâce avec laquelle il accomplit ce geste lui fit apprécier que la femme lui tourne le dos. Une fois assis sur le bord du lit il termina par les chaussettes qu'il lança dans la direction générale du bureau. Puis, il s'inséra dans les couvertures, auprès de Sylvie.
Il remonta la couverture sur eux et s'approcha encore un peu plus d'elle. Sylvie passa un bras derrière elle et l'attira à lui.
"J'ai un vide et il a besoin d'être comblé un peu là..."
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Donald fut tiré du sommeil par le soleil qui s'infiltrait par les rideaux mal tirés à la fenêtre de leur chambre d'hôtel. Il émergeait d'un rêve où Claire lui avait offert son corps. Alors qu'il sortait un peu plus des brumes du sommeil, il laissa promener sa main sur le corps de la femme à ses côtés. Les hanches osseuses qu'il trouva à la place des formes rondes et souples de la Claire de son imagination ne le troublèrent pas immédiatement mais lorsque sa main plongea dans la fourche de la jeune femme il ne put retenir sa surprise d'y trouver une masse de poils pubiens large et ébouriffée alors que ses doigts n'avaient touché que la douceur de la peau quelques instants avant dans son songe.
Il se souvint alors de l'endroit où il était et des événements de la veille. Il se propulsa hors du lit rapidement et attrapa ses vêtements qu'il enfila en vitesse. Son cerveau tournant à plein vitesse mais par bonds chaotiques, incapable d'une réflexion cohérente. Il venait de partager le lit d'une itinérante, une mendiante. D'une fille qui avait tout perdu et plus rien à perdre. En était-il descendu si bas dans ses choix?
"Quoi? Qu'est-ce qu'il y a?"
"Rien, rien. Mais on n'aurait pas dû faire ça... On aurait dû garder une distance entre nous. Comme pour le travail... Et en plus, moi, avec une fille comme toi... Ça ne peut pas marcher..."
"Ça veut dire quoi...? Une fille comme moi?"
"Rien, rien... Oublie ça. Allez, je dois y aller. Je crois qu'on devrait mettre un frein à nos entretiens pour un bout. Ça serait mieux."
"Oh..." Fut tout ce qui sortit comme son de Sylvie.
Donald plia son ordinateur, l'enfourna dans son sac et, prenant son manteau, se dirigea vers la porte. Il revint sur ses pas et déposa quelques billets sur la table.
"Tiens, pour le taxi..."
Son regard croisa celui de Sylvie, déjà rougi par les larmes, et s'en détourna rapidement. Il sortit de l'hôtel et rentra chez lui.
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Il passa la journée à tourner en rond dans son appartement, incapable de poser un jugement final sur les événements de la nuit. Tantôt se justifiant de sa réaction de panique et de dégoût, tantôt se justifiant de s'être laisser à aller à coucher avec Sylvie.
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