La constante du pendu
Les paroles de son oncle Joe lui revenaient en tête constamment depuis quelques jours. Peu importait la tâche dans laquelle il tentait de plonger, cette phrase revenait. Et à chaque fois, un vent de panique s'emparait de lui. "Une fois pendu, un pendu reste toujours un pendu. Même si tu le décroches, ça reste un pendu. Pendu un jour, pendu toujours."
Son oncle, à la fois plein de la sagesse du peuple, et à la fois plein de sa sottise, lui avait en quelque sorte servi de mentor pendant une période dans sa jeunesse alors qu'il avait un emploi d'été comme commis à la quincaillerie du personnage.
Cet endroit était un reflet étrange de notre société, composé de passionnés de rénovation et autres domaines connexes et d'étudiants de passage cherchant à gagner un peu d'argent pendant leurs études. Les premiers ne voulant pas être ailleurs, les seconds n'attendaient que d'être ailleurs. Et il y avait la troisième catégorie, ceux qui étaient là parce qu'ils ne pouvaient pas vraiment être ailleurs. Et pour eux de toutes façons, cet ailleurs était toujours pareil, toujours le mauvais endroit.
Du haut de ses vingt ans Donald recommandait souvent à son oncle qui il devrait garder comme employés et qui il devrait mettre à la porte. Sans bien sûr avoir reçu quelques demandes d'assistance sur ce sujet de la part de son oncle. D'ailleurs, à sa surprise constante son oncle ne suivait jamais ses recommandations. Si bien que la troupe d'employés était souvent bien peu performante dû à certains éléments mal informés et peu motivés.
Un soir alors qu'il ne restait qu'eux deux dans le magasin Donald s'était laissé emporter et avait demandé à son oncle pourquoi il gardait autant d'imbéciles sous ses ordres.
"Pendu un jour, pendu toujours. Lui avait simplement répondu son oncle, plongé dans ses pensées."
"Quoi? C'est quoi le lien?"
"Si je les mets à la porte et qu'on les retrouve pendus le lendemain, tu crois qu'on va faire quoi? Les réembaucher?"
"Ben là! Ils n'iront pas se pendre quand même!"
"Ça, Donald, tu le sais pas. Tu ne le sais jamais. Mais ce que tu sais c'est que la vie est rarement simple pour certaines personnes. Leur quart de travail est pas toujours facile, c'est parfois même infernal, mais, tu sais, parfois même ça, c'est une pause paradisiaque comparé à ce qu'ils vivent hors de mes murs. Alors c'est pour ça que je les tolère même si ce n'est pas toujours super."
"Ouais, je ne suis pas convaincu mais en bout de ligne c'est toi décide..."
"Tu sais quand tu décides de tendre la main à quelqu'un qui glisse dans un précipice et que c'est ta main qui le retient, c'est un peu ta responsabilité si tu le lâches et qu'il meurt non?"
"Tu exagères... Ce n'est pas si pire que ça..."
Donald avait lâché prise sur le sujet, convaincu que son oncle s'en faisait trop et devrait juste les mettre dehors. Ce n'est que plusieurs années après, lors d'une réunion de famille qu'il avait appris la suite de l'histoire. Son oncle avait effectivement mis à pied un jeune homme troublé et non performant, pour apprendre son décès le lendemain. Un frisson avait parcouru l'échine de Donald ce soir là et, rétrospectivement, avait un peu mieux accepté le style de gestion de son oncle Joe.
Aussi Donald tournait en rond inquiet. Il avait en quelque sorte tendu la main à cette jeune femme, à Sylvie. Pour son propre intérêt mais elle y trouvait elle aussi son compte. Et là il l'abandonnait platement.
C'était décidé, aujourd'hui il irait la retrouver, il reprendrait les entretiens et tout ça et... peut-être le reste aussi. Après tout une fois le choc passé, il avait pris conscience qu'il était quand même bien avec elle. Ils passaient de bons moments. Et sa période de célibat longue et forcée démontrait sans doute qu'il n'était pas un premier choix pour la plupart des gens lui non plus.
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La journée était encore chaude et humide et Donald s'était réfugié à l'intérieur du Café du coin. Sans son ordinateur portatif cette fois, il contemplait simplement la fenêtre avec son café, guettant l'arrivée de Sylvie au coin de la rue où l'avait vu le plus souvent.
"Un réchaud?" dit une voix derrière lui.
"Pardon?" Il se retourna pour voir Diane avec le pot de café à la main.
"Vous voulez que je remplisse votre tasse pour réchauffer un peu votre café?"
"Oh, non merci."
"Vous ne travaillez pas aujourd'hui? C'est rare qu'on ne vous voit pas plonger dans votre écran. Vous êtes en congé?"
Donald n'avait ni l'envie, ni la concentration pour ce dialogue pour lui futile. Il répondit distraitement:
"Non, Oui, oui c'est ça." Et il reporta son attention sur le coin de la rue de l'autre côté de la vitre.
Il n'entendit pas Diane repartir vers les autres tables.
"D'accord comme vous le voulez..."
Après un temps, il vit parmi le groupe de jeunes qui mendiaient devant lui l'un des itinérants qu'il avait déjà vu en compagnie de Sylvie. Il scruta le groupe un instant pour vérifier qu'elle n'y était pas, elle n'y était pas. Donald poursuivit son attente quelque temps mais alors que le groupe ramassait ses effets pour repartir il ne savait où il se décida à aller demander où il pourrait trouver son amie.
"Attendez! Attendez!" Cria-t-il courant derrière eux.
Il les rejoignit rapidement et alors qu'il reprenait son souffle, l'un des jeunes mendiants revint vers lui, incertain de ce qu'il voulait et son verre de carton tendu, prêt à recevoir son don.
"Vous savez où je peux trouver Sylvie, j'aimerais lui parler."
"Qui? Je connais pas de Sylvie." Lui répondit-il avant de se retourner pour poursuivre son chemin.
Le jeune homme que Donald avait reconnu lui demanda, le pointant du doigt:
"Hé! Vous êtes pas le gars là? L'écrivain ou je sais pas quoi?"
"Oui! Oui, c'est ça c'est moi!"
Le jeune homme froissa son gobelet de carton vide pour en faire une boule et lui lança au visage.
"Ha! C'est toi ça! Il paraît qu'elle était fâchée après toi cette semaine..."
Donald l'interrompit:
"Oui! Je sais mais là je voulais arranger ça..."
"Tu n'auras pas besoin de rien arranger pauvre con! Il paraît qu'elle a volé tout le stock de Pusher Bob et qu'elle se serait poussée en disant qu'avec ça elle avait assez de dope pour s'en aller rejoindre sa grand-mère et qu'on ne la retrouverait jamais!"
Donald, estomaqué, ne sut quoi répondre et ne répondit pas. Sa tête tournait et sa poitrine se serra. Il se posa sur le banc à proximité pour reprendre ses esprits.
"Allez laisse-le. Viens. On se pousse." Entendit-il vaguement au travers de ses brumes de confusion.
*****************
Donald rentra chez lui et se laissa tomber sur le canapé, la tête entre les mains. Il avait retiré sa main et le précipice avait fait une victime. Non, lui, Donald avait fait une victime. Il était la main et il avait lâché prise.
Après de longues minutes, rongé par le dégoût et la culpabilité, il se leva et se dirigea vers son ordinateur, il ouvrit le dossier contenant son roman. Il effaça le tout. Il ne pourrait continuer ce travail. Pas sans Sylvie. Et pas après tout ça.
FIN
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