Petit entretien privé

N'importe qui serait autant mal à l'aise que moi dans ce bureau. C'était ennuyeux. J'aurais dû y songer, qu'un acte aussi animé que le mien se succédait d'office de lourdes conséquences. J'étais là, sur un siège confortable, alors que j'aurais aimé ne pas y être - au même titre que ma culpabilité qui, elle, était absente. C'était exact, j'étais ravie d'avoir offert à Torrey ce bon bain gratuit dans le réfectoire.

- Ça va ? lui demanda mademoiselle Straffi.

- Oui mademoiselle, répondit-elle à ma droite. Heureusement que c'était tiède, et je pense qu'un tour aux toilettes suffirait à m'arranger.

Elle rejouait son numéro de martyre à la perfection. Et à cette occasion, c'était moi qui endossait pour elle le rôle de la méchante. Monsieur Grayson, derrière nous, attendait tel un rapace affamé d'avoir la permission d'attaquer. C'était lui, la cause essentielle de mon angoisse.

- Peut-on maintenant m'expliquer ce qui est arrivé ? redémarra la directrice.

- Je...

- Mademoiselle Straffi, fut coupée ma camarade blonde par lui, je ne sais pas pourquoi mais ces deux filles n'ont cessé de faire parler d'elles cette semaine.

- Ah je...

- Vous n'avez pas la parole mademoiselle Sonnray !

Il l'avait réduit à quia. Elle en fut troublée. Mademoiselle Straffi, du regard, lui imposa également de se taire puis se reconcentra sur monsieur Grayson :

- Continuez, lui dit-elle.

- Nous n'en sommes qu'au deuxième jour, après ces deux semaines de vacances, mais j'ai eu à interpeler à plusieurs reprises chacune d'elles. C'est insoutenable ! Le règlement comme vous le savez n'admet pas ce type de comportement. Mademoiselle Gardner et mademoiselle Sonnray vont devoir se ranger impérativement ! Ou sinon, je suggérerai qu'elles soient renvoyées de votre établissement.

C'était officiel, monsieur Grayson venait de me donner des motifs de regret. On ne m'avait jamais renvoyé d'une école, et je ne tenais pas à ce que l'institut Straffi soit le point de départ. Finalement, je n'étais plus si ravie d'avoir vidé ma tasse sur Torrey. « Je vois. » expira mademoiselle Straffi en nous observant elle et moi. Elle prit un registre, dont elle feuilleta soigneusement les pages.

- Vous savez ce que c'est mesdemoiselles ? nous questionna-t-elle rhétoriquement. C'est le bloc-notes où votre surveillant rédige toutes ses diverses remarques sur les élèves de ce pensionnat. C'est moi qui en ai eu l'idée, et à ce que je vois, rien que pour la période allant de samedi à aujourd'hui vous serez été citées trois fois si on compte cet incident.

- Trois fois ? m'étonnai-je.

- Vous pensiez..., que votre retard d'hier était passé inaperçu, mademoiselle Gardner ? indiqua monsieur Grayson, sur un ton qui présumait qu'il avait contribué à cette retranscription.

- Je dois vous annoncer que ce que je découvre ne m'enchante pas mesdemoiselles, reprit mademoiselle Straffi. Trois interpellations c'est largement suffisant pour vous alerter sur votre attitude. Mademoiselle Sonnray, faudrait-il vous rappelez combien votre père s'est appliqué à vous trouver un nouvel établissement ?

- Non mademoiselle Straffi, répondit-elle humblement.

- C'est regrettable qu'il n'ait pas pu vous offrir mieux qu'un..., que lui aviez-vous dit à votre arrivée, une maison de repos reconvertie en collège froid et glacial ?

Torrey fut aussi embarrassée que moi il y avait quelques secondes. On dirait qu'elle comptait à son actif une quantité de bourdes, liées à Septembre ou même avant.

- Je m'en excuse encore, bredouilla-t-elle en fixant ses jambes.

- Vous vous excusez de l'avoir dit, ou d'avoir été entendue ? fit mademoiselle Straffi en relisant le registre avec, pourtant, un discret sourire en coin. Alors, il y a eu d'abord un retard de plus d'une demi-heure au rassemblement d'hier pour mademoiselle Gardner, bien que je vous aie tous averti à votre retour ce week-end. Ensuite, toujours hier, un devoir non-remis pour mademoiselle Sonnray. Quelques jours plus tôt, vous avez toutes les deux obligé des élèves plus jeunes à transporter vos bagages, ce qui va à l'encontre de mon désir d'écarter toute forme d'intimidation de ce pensionnat. Et venant de vous, mademoiselle Sonnray, c'est particulièrement inattendu !

Pour moi ça n'aurait pas été étrange qu'elle le fasse. Et par rapport à cette réflexion, je jugeais qu'une Torrey intimidée était une preuve qu'il y avait une justice sur cette terre.

- S'il vous plait, mademoiselle la directrice, je pourrais parler un moment ? dit celle-ci.

- Allez-y, fut-elle pacifiquement autorisée à s'exprimer.

- Merci. À propos de l'incident de ce week-end je n'ai forcé aucun de ces deux garçons à prendre mes bagages, ce sont eux qui ont pensé à me rendre ce service. Et vu qu'à cet instant-là, ou il y a encore une heure, je n'avais aucun mauvais sentiment envers Bobbie Gardner je leur ai demandé, gentiment, de me remettre une de mes affaires pour qu'il puisse l'aider elle à la place avec une des siennes. Ces élèves ont agi de leur plein gré ! Et en ce qui concerne ce qui vient de se passer au réfectoire, vous noterez que je n'ai pas riposté. Ce qui veut donc dire que je ne devrais être ni dans cet endroit, ni dans ce registre, du moins pas au cours de l'intervalle de temps cité.

- Vos tentatives de défense ne sont plus si surprenantes vous savez ? se moqua notre surveillant.

- Il reste le devoir que vous avez ommis de faire ? dit sa supérieure à Torrey.

- Comme je l'ai dit hier à Monsieur Grayson, et j'aurais pu aller jusqu'à citer mademoiselle Gardner pour le confirmer si nous n'étions pas en froid maintenant, j'ai fait ce devoir à la bibliothèque ce samedi avec nos amis.

- Dans ce cas pourquoi il n'a pas été remis ?

- Oui, fit monsieur Grayson en allant à gauche de mademoiselle Straffi, dites-nous pourquoi mademoiselle Sonnray.

Il essayait apparemment de l'énerver pour la discréditer. Cependant, Torrey avait su garder son self-control. Elle devait avoir de l'expérience, dans l'art du cinéma.

- Je ne l'ai pas remis parce que jusqu'à ce matin encore je croyais l'avoir perdu, récapitulait-elle. Mais j'ai appris qu'en fait, en sortant de la bibliothèque, je l'avais mis sans m'en rendre compte dans le cahier d'un de mes amis.

- Vous mentez, réprouva monsieur Grayson, vous avez dû recopier son devoir puis inventer cette pitoyable excuse !

- Cet ami, Jude Nicholson, a aussi des lacunes en math. Lui et moi nous avons reçu l'aide d'une amie commune, on a travaillé ensemble et dans ces circonstances une telle erreur est tout à fait concevable. Si vous ne me croyez pas Bobbie était avec lui hier à l'infirmerie lorsqu'il a trouvé ma copie dans l'un de ses cahiers !

- Je te préviens, tu ferais mieux de ne plus prononcer mon nom ; fis-je avec désinvolture.

Elle ne sut refermer sa bouche, confondue et à la fois inconsciente du niveau de mon mépris envers elle. Elle voulait redorer son image ? Il ne fallait pas qu'elle compte sur moi.

- Attendez d'avoir la permission de parler mademoiselle Gardner, m'imposa mademoiselle Straffi tout en écrivant.

- Mademoiselle la directrice, éperonnait monsieur Grayson, de ce que je viens d'entendre en plus de ne pas l'avoir déposé il semblerait que mademoiselle Sonnray ait à l'instant reconnu elle-même avoir triché pour ce devoir.

- Quoi ? balbutia Torrey.

- Un devoir est un travail individuel, en le faisant avec d'autres élèves vous vous êtes donc rendue coupable de tricherie !

- Notre amie nous a simplement offert son aide à Jude et moi, et à mon sens d'ailleurs c'est au prof de math juger de cette histoire avant qu'elle ne figure dans ce registre.

- Je vous rappellerais que c'est à monsieur Grayson d'instaurer la discipline, paracheva mademoiselle Straffi en se redressant. Néanmoins vous n'avez pas tort, c'est à monsieur Stoud de juger s'il faudrait ou non vous punir.

Les traits de monsieur Grayson s'étaient durcis. Torrey avait gagné.

- Vous pouvez être fière de vous, refit celle qui parlait, vous avez réussi à vous racheter une nouvelle conduite Torrey Sonnray !

- Merci énormément mademoiselle, la gratifia-t-elle. Sans vouloir abuser je pourrais partir s'il vous plaît, étant donné que j'ai besoin de me nettoyer ?

- C'est tout a fait normal, allez-y !

- Merci, au revoir.

Elle hâta sa sortie, dévisagée par chacun d'entre nous.

- Qui aurait cru que la fille était aussi forte que le père en matière d'arguments ! évalua celle qui l'avait banchie. Maintenant à vous mademoiselle Gardner ; vous savez, je ne vous croyais pas capable d'en arriver là. Attaquer physiquement quelqu'un, qui plus est devant plusieurs témoins, est une faute grave. Quelques degrés de plus et votre camarade aurait pu finir sur un lit d'hôpital !

- Je sais madame...

- Mademoiselle la directrice ! me rudoya verbalement monsieur Grayson.

- Pardon, mademoiselle la directrice ! me corrigeai-je. Je sais que j'ai mal réagi en vidant ma tasse sur elle.

Dire son nom aurait sûrement éraillé mes cordes vocales, ça ne m'aurait pas étonnée.

- Vous avez de la chance, il y en a qui se sont faits renvoyer de leur école pour moins que ça ! me communiqua monsieur Grayson, en ignorant que j'avais saisi son allusion. Je serais vous je ferais en sorte de ne pas être mêlée à..., un genre d'individus en particulier.

- L'incident du samedi étant déconsidéré, renchérit mademoiselle Straffi, votre nom ne sera mentionné qu'aux dates d'hier et d'aujourd'hui dans ce registre. Tâchez de ne plus avoir à vous y retrouver désormais.

- Oui mademoiselle Straffi, répondis-je.

- Bien entendu, monsieur Grayson a le droit de vous sanctionner pour aujourd'hui.

- Évidemment, encaissai-je.

- Et avez-vous une idée à me soumettre monsieur Grayson ? le consulta-t-elle.

- J'ai pensé à..., priver mademoiselle Gardner du droit d'assister au bal de ce samedi.

Je crus que mes poumons me lâchaient. Il choisissait de me priver du bal, pour une fois que j'osais espérer avoir un cavalier. Dans ma tête, j'imaginais déjà la silhouette de la fille par laquelle Sean m'aurait remplacée.

- Vous ne parlez pas sérieusement monsieur Grayson ? s'inquiéta mademoiselle Straffi. Toutes nos élèves rêvent de ce bal de printemps, c'est trop cruel !

- C'est le meilleur moyen pour que cette jeune demoiselle sache mieux se tenir.

- Non, cherchez autre chose. En plus mademoiselle Sonnray n'a pas eu de séquelles physiques, et selon moi il faudrait atténuer la sanction de sa camarade !

- Mais mademoiselle..., l'implorait-il presque.

- Je promets de ne pas rejeter votre prochaine recommandation mais de grâce, je vous prie de ne pas vous vexer de mon refus à propos de celle-ci.

Monsieur Grayson eut l'air idiot. En m'apaisant, je mesurais la chance que nous aurions ratée si ça avait été lui le proviseur, et non mademoiselle Straffi.

- D'accord, reprit-il en me fixant sévèrement. J'accepte votre refus, mais en échange vous promettez de ne pas contester ma prochaine décision ?

- Je l'ai dit et je ne reviens que très rarement sur une parole donnée.

- Dans ce cas, si elle ne peut pas être privée de bal, je propose à ce qu'elle soit par contre consignée dans sa chambre demain.

- Demain ? répéta mademoiselle Straffi en se tournant vers lui, pour finalement se remettre à écrire cinq secondes après. Soit, c'est votre décision et j'ai fait une promesse.

- Merci pour votre soutien, fit-il. Avez vous une objection mademoiselle Gardner ?

- Non monsieur Grayson, le chagrinai-je car je savais qu'il prévoyait des regrets de ma part.

- Vous pouvez retourner à vos activités, me libéra mademoiselle Straffi, merci.

Je me levai avec politesse et je pris la porte. Dans le couloir, je poussai un soupir de soulagement. Être assignée à résidence ne me gênait pas tellement. C'était un plus, et je comptais en profiter avec joie. Optimiste, je m'orientai vers la gauche et aperçus Sean de dos. « Sean ! m'écriai-je. Sean ! » Il se retourna.

- Bobbie ? dit-il.

- Je savais que c'était toi Sean.

- On m'a raconté pour le réfectoire, je...

- On en reparlera. Sean, je voulais te donner ma réponse.

- Ta réponse ?

- Oui pour le bal, attestai-je, et c'est oui.

- Oui, se demandait-il vraisemblablement, tu pourrais être plus précise s'il te plaît ?

- Oui, j'accepte d'être ta cavalière pour le bal du samedi.

Sean sourit. C’était moi qui était à l’origine de ce sourire. J’étais comblée, et aussi, j’étais impatiente de voir la tête de ceux qui me dénigraient occasionnellement. Je ne voulais pas qu’il puisse penser que je prévoyais de refuser, et en inviter une autre. J’avais suffisamment pris mon temps, et j’avais fait mon choix : c’était Sean.

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