Exténuantes retrouvailles

Encore une fois, j'avais dû prendre le bus. Straffi n'était pas la porte à côté, même si le trajet avait été moins long que celui du chalet des Sonnray jusqu'à mon immeuble. Pourquoi n'existait-il pas de voies aériennes entre ces deux lieux ? Ça m'aurait énormément facilité la tâche. L'avantage dans tout ça, c'était de revoir mes amis : Felicity, Dan, Jude et... Torrey !

La virée s'était achevée à quelques pas de la grille pour moi. Je descendis du bus et jetai un regard vers cet endroit qui me hérissait les poils fréquemment. « Straffi, nous revoilà ! » pensai-je en m'y gouvernant presqu'à contre cœur. Ce cœur, pourtant, qui commença à battre à l'intérieur de moi lorsque je vis celui vers qui devaient impérativement se diriger les pensionnaires : Sean. J'avais oublié que c'était inévitable que je tombe sur lui, et que je me mette à lorgner chaque détail de son visage toujours aussi charismatique, et ce même quand il souriait. Je sentis subitement qu'il faisait chaud, et apparemment il n'y avait pas que moi qui avait cette impression, puisque Sean lui-même porta une bouteille d'eau jusqu'au bout de ses lèvres. Je savais que je me condamnerais pour ça, même si j'ignorais encore à quel point, mais je vivais consciemment l'un des premiers réels moments les plus torrides de toute mon existence. Il fallait toutefois avancer, et je craignais d'en être incapable. J'étais donc là, comme la dernière des imbéciles, les baskets collés sur le talus et ce stupide cœur qui continuait de battre et de battre tel un tam-tam. Si toutes les filles avaient déjà vécu ce genre de situations au moins une fois dans leur vie, j'aurais bien aimé savoir à cet instant-là comment elles avaient toujours fait pour s'en sortir.

« Oh, Bobbie ! » m'appela quelqu'un. Je fis un tour sur moi-même et remerciai en silence le destin. Jamais je n'avais été aussi heureuse de tomber sur elle depuis que j'avais fait sa connaissance.

- J'ai tout de suite vu que c'était toi, s'écria Torrey en s'approchant, bonjour !

- Bonjour, lui répétai-je. Tu..., tu viens d'arriver toi aussi ?

- Qui, moi ? Oh non, ça fait longtemps que Rod m'a déposée pour ensuite repartir à la maison ! Je prenais juste des nouvelles de..., certains de mes amis.

Elle me fit un sourire après avoir parlé. Dans ma tête, j'essayais de garder à l'esprit la promesse que je me suis faite, la semaine précédente. Entre chercher à apprécier une personne et le faire réellement, le chemin était beaucoup plus long qu'on le croyait.

- Nous revoilà avec l'uniforme hein ? relança-t-elle.

- Oui effectivement, soupirai-je.

- Je vois que ça te fait bizarre à toi aussi ?

- Au moins j'ai mes baskets !

- Ouais et moi mes serre-têtes !

J'aurais plutôt parié sur ses jupes courtes mais bon, je riais finalement en même temps qu'elle. Pourquoi était-ce si compliqué d'apprécier Torrey ?

- On y va ? fis-je, rejouant la carte de la gentillesse.

- Bien sûr, répondit-elle. Tu voudrais peut-être un coup de main pour tes affaires ?

- Ce n'est pas si lourd que ça quand même !

- Non non non non, ce ne serait pas sympa de ma part de ne pas laisser les autres profiter des nombreux avantages dont je dispose.

- Des..., nombreux avantages ? murmurai-je, désorientée.

Elle pivota sur ses talons avant de crier « Les garçons », et deux petites frimousses se manifestèrent avec, dans leurs poignes, ses valises à elle. « Bobbie, laisse-moi te présenter Cameron et Gif. » J'avais automatiquement relevé les sourcils.

- Gif ? répétai-je encore. Comme dans... GIF ?

- Ne ris pas s'il te plait, m'avertit-elle à voix basse et en me regardant droit dans les yeux. Pour lui ce surnom fait plutôt cool et tu sais à quel point on est susceptible à cet âge-là ?

Elle avait beau se montrer bienveillante, je savais que sa mise en garde signifiait qu'elle devait elle-même se tordre de rire dans le fond, à chaque fois qu'elle récitait cet acronyme dans sa tête. Mais j'avais obéi, m'abstenant de vexer le garçon en question.

- L'un de vous ne pourrait pas me donner l'une de mes valises pour l'aider à porter ses affaires, leur dit Torrey quand ils furent plus près, elle vient de loin !

- Mais Torrey, protestais-je, c'est mal ce que tu fais !

- Mais non puisque ce sont eux-mêmes qui se sont proposés ; ils sont toujours prêts à tout pour m'aider. Allez, donne un de tes sacs Bobbie !

Pour la deuxième fois en moins d'une minute je l'écoutai, tendant un de mes sacs à celui qui portait des lunettes. « Merci Cameron, dénota-t-elle en reprenant l’une de ses valises. N'est-il pas serviable, et mignon en plus ? » Je n'avais même pas fait une heure à ses côtés que j'avais déjà droit au premier compliment à outrance, même si je réalisai en fin de compte qu'elle n'avait pas tout à fait tort à propos du jeune Cameron.

- S'il est comme ça à seulement quatorze ans, ajouta-t-elle quand il s'éloigna, je lui prédis une très longue carrière de séducteur dans le future !

- Qui sont ces deux-là au juste ? lui demandai-je.

- Ils sont frères. Au début de l'année j'ai repéré un petit groupe de jeunes qui semblaient guetter chacun de mes aller-retour et je trouvais ça adorable ! Alors un jour j'ai décidé d'aller leur dire bonjour et petit à petit, une sorte de lien s'est formé entre eux et moi.

- Je vois.

Intérieurement, je vérifiai dans mes souvenirs si j'avais eu à rencontrer quelqu'un d'aussi étrange qu'elle et dès le départ, la réponse paraissait évidente : elle était la seule. Torrey suivit les deux membres de son fan-club après mes dernières paroles et je marchai sur ses pas, direction la grille d'entrée de ce gigantesque établissement. Mais qui disait grille d'entrée disait également devoir faire face au président des élèves. Je n'étais pas seule ; cependant, aucune présence n'aurait pu m'empêcher d'avoir les joues en feu et la ridicule envie de sourire niaisement lorsque Sean me fixa, exposant la moitié de ses dents à la manière de tous ces types qu'on voyait sur les panneaux publicitaires et qui devenaient, aussitôt, le fantasme de la majorité des filles.

- Bonjour Bobbie, démarra-t-il.

- Bonjour Sea...

- C'est ça bonjour, m'interrompit Torrey tout à coup. Nos valises sont déjà à l'intérieur donc, on peut passer ou tu n'en as pas encore terminé avec les formules de politesse ?

J'étais choquée. Torrey n'avait jamais été aussi désagréable avec qui que ce soit, mise à part la mémorable Kay quelques semaines plus tôt. Était-ce ce vrai visage que je la soupçonnais d'avoir depuis tout ce temps qui s'affichait enfin ?

- Euh..., bredouillait Sean avec embarras étant donné que nous n'étions pas que nous trois, c'est que... Il faudrait d'abord que je puisse avoir vos noms pour les cocher sur la liste, c'est monsieur Grayson qui m'a chargé de le faire.

- Si ce n'est que ça, répliqua-t-elle sardoniquement, et bein qu'est-ce que t'attends pour le faire ? Elle c'est Gardner, Bobbie Gardner. Quant à moi au fait, je crois que tout le monde sait comment je m'appelle !

Elle me tira contre ma volonté et fonça vers la grille, risquant de bousculer Sean au passage ainsi que les trois ou quatre élèves qui étaient à ses côtés. Mon avis du moment était qu'elle méritait d'avoir une bonne excuse pour expliquer sa conduite, comme le fait qu'ils soient sortis ensemble, ou qu'elle puisse être dans le même bouleversement que moi et qu'elle ait simplement perdu tous ses moyens - je m'apercevais soudain qu'aucune de ces deux suppositions n'avait pour but de m'enchanter. Excepté ces cas, il n'y avait qu'un seul adjectif qui aurait pu lui être attribué suite à son comportement et ce n'était pas « gentille », malgré la première et la dernière lettre que ce mot avait en commun avec celui auquel je pensais car celui-ci avait pour lettre du milieu un a, un r, et un c. Torrey ne l'aurait pas volé selon moi.

« Non mais tu y crois toi ? poursuivait-elle tandis que nous dépassions un peu plus le seuil de l'école. Comme si on n'avait pas perdu assez de temps comme ça ! » Je la jaugeais sévèrement du coin de l'œil et pourtant, un drôle de pressentiment me poussa à changer l'itinéraire de mon champ de vision. De façon presque simultanée, mes jambes et celles de Torrey cessèrent tout mouvement, démotivées par la découverte de leurs maîtresses. « Monsieur Grayson ! » m'exclamai-je en fixant l'homme ridé aux cheveux grisonnant, celui qui était la raison principale de l'aversion qu'éprouvaient la majorité d'entre nous vis-à-vis de l'institut.

- À peine arrivée et déjà en train de faire parler de vous mademoiselle Sonnray ? démarra-t-il en s'adressant à ma compagne de route.

- Mais..., tremblotait celle-ci, monsieur Grayson je... Je n'ai rien fait de...

- J'ai l'impression que ceci vous appartient n'est-ce pas ?

Il se décala légèrement et pointa nos affaires à toutes les deux, reposant aux pieds des jeunes admirateurs de Torrey, qui nous regardaient avec un air désolé.

- Mais, voulut-elle se justifier, ils ont cherché à m'aider et...

- Arrêtez de jouer les vedettes mademoiselle Sonnray ! fit-il en avançant son visage près du sien, pour ensuite orienter ses yeux vers moi. Et vous êtes avec mademoiselle Gardner en plus, ça ne devrait pas me surprendre !

Il nous toisa à peu près trois secondes puis déclara, en guise d'ultime avertissement : « Portez vous-même ces valises ! Je ne veux voir personne d'autre, et surtout pas ces messieurs, vous offrir de l'aide mesdemoiselles. » Et il repartit, ne nous laissant que les persifflages de ceux pour qui nous avions été une sorte de divertissement. On s'inclina, pour reprendre nos bagages, en ignorant les quelques messes basses autour de nous.

- Ne nous en veux pas Torrey !

- Ce n'est pas grave Gif, signifia-t-elle afin de les déculpabiliser, et à très bientôt !

Dès qu'ils s'écartèrent, trois têtes familières se dévoilèrent derrière eux. Trois têtes qui nous observaient, et qui nous avaient énormément manqué. Oubliant radicalement notre humiliation, Torrey se dépêcha de les rejoindre en même temps que moi, enthousiastes comme si ça faisait plus d'un an que nous n'avions plus revu Jude, Dan et devant eux, notre chère et irremplaçable Felicity.

- Quelle entrée ! exprima cette dernière avec un large sourire.

- C'est bon toi ne commence pas, fulminai-je.

- Ouais, et viens plutôt nous prendre dans tes bras !

Elle écouta Torrey et nous enlaça au même moment.

- Incroyable ! s'exclama Dan, Bobbie Gardner accepte les câlins maintenant ?

- Disons que je fais une exception encore une fois ! répliquai-je, en sortant de cette étreinte amicale, avec une insolence qui l'amusa comme d'habitude.

- Dis juste que tu en veux un toi aussi ! insinua Torrey.

- Bon d'accord, je reconnais que je suis un tout petit peu jaloux.

- De toute façon je comptais vous en faire un à vous aussi les garçons !

Il avait suffi de trois pas pour que ses bras se soient retrouvés autour de leur cou respectif, l'image nous faisant sourire sans le moindre effort.

- Aïe ! geignit Jude en la repoussant. Pas trop fort s'il te plait, tu ne vois pas que je suis malade ?

- Mon Dieu c'est vrai que tu portes une écharpe, remarqua-t-elle, qu'est-ce que tu as ?

- Rien, seulement que monsieur a trop passé son temps à la piscine ces huit jours ! annonça Dan.

- C'est ça moque-toi Dan ! se crispa Jude, excédé.

- A-ah mais je t'avais prévenu et tu as dit que tu ne risquais rien, que c'était le printemps. Voilà le résultat !

Felicity et moi on se mit à rire avec lui.

- Vous n'êtes pas sympa vous savez ? fit Torrey, prévenante. Peut-être qu'un bisou magique t'aidera à guérir !

- Éloigne-toi tout de suite où il risque de t'arriver malheur, avisa l'affligé.

- Tu n'oserais quand même pas me faire du mal ?

- Et si j'étais contagieux, tu y as pensé ?

- Je suis prête à courir le risque pour toi Judy !

Nous n'avions même pas fait dix minutes qu'il y en avait déjà qui jouaient les idiots. Mais curieusement, nos deux clowns n'avaient pas l'air d’avoir créé l'hilarité générale. Jamais Felicity n'avait paru aussi contrariée qu'à cet instant et si j'étais Torrey, j'aurais entrevu les limites à ne pas franchir avec certains garçons.

Assise en tailleur sur mon lit et un cahier ouvert devant moi, j'étais seule dans la chambre, complètement dans les nuages. Mes affaires étaient rangées, mon bureau occupé, et j'étais parée à affronter cette rentrée qui me faisait toutefois soupirer, en particulier lorsque je me revoyais habillée de cet uniforme.

- Bobbie, débarquait Torrey en coup de vent, tu n'aurais pas vu Felicity par hasard ?

- Elle est à la bibliothèque avec Jude, débitai-je promptement, pour le devoir de math.

- On avait un devoir en math ?

- Si à remettre lundi, mais il l'avait oublié.

- Et il n'y a pas que lui on dirait !

Nerveuse, elle était sur le point de repasser la porte, mais elle revint finalement à moi : « Hey, ça t'ennuyerait qu'on le travaille ensemble toi et moi ? Je ne suis pas vraiment bonne en math et ça a toujours été le cas. » L'idée de me retrouver avec elle ne me plaisait pas tellement. Je l'avais assez entendue et j'étais fatiguée. J'avais promis de ne pas me montrer intransigeante, mais c'en était trop pour moi.

- C'est que..., racontais-je dans le but de la faire partir, moi non plus je ne le suis pas.

- Je suis certaine que tu dois être bien meilleure que moi !

- Non non je t'assure !

- Mais si puisqu'il n'y a pas pire que moi dans cette matière ! insistait-elle.

- Tu te trompes Torrey, et en plus je..., je ne retrouve plus ma copie tu vois ?

En le disant, je refermais doucement mon cahier, dissimulant ce devoir dont elle me parlait. Pourtant, Torrey n'était pas aveugle et, malgré les apparences, elle n'était pas stupide non plus. Je sentis qu'elle avait compris, et sa mine déconfite ne servit qu'à y apporter une confirmation. « D'accord je..., déclarait-elle, je vais voir si les autres accepterons que je puisse me joindre à eux. » Elle traversa la chambre jusqu'à ce qu'elle repéra son sac et décida d'en sortir tout ce dont elle avait besoin. J'avais cru qu'elle quittait enfin la pièce mais elle s'arrêta encore à quelques centimètres de la porte. « Je ne comprends pas, me dit-elle, j'ai tout fait pour que le courant puisse passer entre nous et j'étais même persuadée d'avoir réussi après tout ce temps alors que c'est tout le contraire. Qu'est-ce que tu me reproches au juste ? » Je demeurais calme, prise au dépourvue par la question qui m'était posée. « Dis-le moi, reprit-elle, qu'est-ce qui fait que tu ne puisses pas supporter à ce point ma présence ? » Et à cette question, il n'y avait qu'une réponse qui m'était venue à l'esprit. Une que j'aurais peut-être dû me contenir d'articuler car elle ne comprenait certes pas beaucoup de mots, mais l'effet qu'elle avait eu n'était pas celui que j'avais escompté : « Je ne sais pas. » Torrey eut l'air statufiée, glacée. Mais elle ne tarda pas à reprendre tous ses moyens et, libérant une mince quantité de souffle, elle précisa : « Au moins, je peux te remercier de ne pas m'avoir menti avec un « Je ne te déteste pas » comme l'aurait fait la plupart des gens ! » Elle évacua finalement les lieux, m'ayant offert la possibilité de me rendre compte de l'aveu que j'avais fait inconsciemment : par euphémisme, j'avais reconnu que je ne la portais pas du tout dans mon cœur, quelque chose que j'ignorais moi-même étonnamment.

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