Encore huit jours

Je marchais dans le couloir de mon immeuble, traînant derrière moi mes valises. Prendre le bus jusqu'à la maison avait toujours été pénible pour moi. Au moins, j'étais de retour. Je récupérai ma clef dans la poche du bermuda que je portais, avec mon débardeur et ma veste en jean, une fois que je fus devant l'appartement. Après l'avoir fait tourner dans la serrure, j'ouvris la porte et appuyai directement sur l'interrupteur qui se situait à sa gauche. « Enfin je suis chez moi ! » soufflai-je, plus apaisée que je ne l'aurais imaginé. Ce n'était pas le grand chalet dans lequel j'avais passé ces huit derniers jours, mais c'était chez moi. Le salon, la cuisine à sa droite,... Tout cet espace m'avait manqué durant quatre mois, depuis mon départ pour la pension à la fin des vacances de noël.

Vingt-deux heures trente, j'étais allongée dans mon lit et recouverte d'un drap. Cependant, même si j’étais plus qu’éreintée, je n'étais pas sur le point de m'endormir. Il fallait que je puisse parler à quelqu'un, ce quelqu'un qui aurait dû être avec moi mais qui n'en avait pas eu l'opportunité, malheureusement. Je pris ma tablette tactile, rangée dans mon tiroir car je ne l'emmenais jamais avec moi à l'internat, et lui passai comme prévu un appel vidéo.

- Salut papa ! entamai-je dès que son visage s'afficha sur l'écran.

- Salut ma chérie, me rendit-il en ayant l'air content de me voir, ça fait un bon bout de temps que j'attends ton appel ?

- Je sais, oui, mais il fallait que je me prépare quelque chose à diner et que j'aère l'appart. On dirait que t'oublies souvent de le faire quand tu passes par ici !

- Hé, oh, je te signale que mon dernier retour date d'il y a au moins deux mois, en deux mois tout peut arriver !

Nous avions ri tous les deux, au même moment. Ça m'avait manqué, tout comme ses traits qui manifestaient qu'il était encore assez jeune et heureux d'être en vie, malgré les difficultés qu'il avait eu à endurer suite à son travail et à sa vie personnelle. « Ça alors, s'extasia-t-il, on dirait que tu as encore grandi ! Tiens-toi droite que je puisse voir ça d'un peu plus près. » Je me redressai sur-le-champ, le nez en l'air, essayant de toutes mes forces de garder mon sérieux face à une situation aussi loufoque. « Ma parole, tu es devenue une vraie jeune fille ! On ne devrait plus t'appeler Bobbie désormais. » J'éclatai de rire, flattée, nettoyant mon œil à l'aide de mon index.

- Alors, comment s'est passée cette semaine avec tes amis ?

- C'était plutôt bien, répondis-je. On s'est amusés comme des fous presque tous les jours, même si nous aurions tous aimé que Felicity ne soit pas obligée de rentrer chez elle suite à ce qui lui est arrivé.

- Felicity c’est la fille qui vous a invités ? fit-il, perdu.

- Non papa, elle c'est Torrey. Felicity c'est elle ma meilleure amie, celle que j'ai connue dans mon ancien pensionnat et que j'ai retrouvée cette année à Straffi.

- Ah, et qui est Torrey au fait ? Je ne pense pas t'avoir déjà entendue parler d'elle avant aujourd'hui.

- Mais si papa !

- Ah mais non !

- Mais si !

- Mais non !

- Mais si !

- Mais non !

- Mais si !

Fâchée, je le vis se moquer de moi. Il savait parfaitement que j'avais horreur de ce petit manège dans lequel il adorait m'entraîner depuis ma naissance, si possible.

- Tu peux bouder autant que tu veux Bobbie, mais je reste convaincu que c'est la première fois de toute ma vie que j'entends ce prénom sortir de ta bouche. Je me rappelle de Felicity évidemment, de Jude, et même de Dan puisqu'il faut l'avouer, il est assez discret, mais jamais ma fille tu n'as parlé d'une certaine Torrey dans l'une de nos nombreuses conversations, aussi vieilles soient-elles.

- Mais si papa, insistai-je, tu ne te souviens pas ? Notre compagne de chambre.

- Ah oui, se réveilla finalement sa mémoire, celle qui avait été choquée d'apprendre qu'il n'y avait pas de salle de bain dans les chambres ? L'ennemie des douches communes ?

- Oui papa, raffermis-je en regrettant cette description que je lui avais faite d’elle, c'est celle-là.

- Et vous êtes amies ?

- Oui, enfin si on veut vu qu'elle et Felicity ont très vite accroché au départ et que c'est un peu grâce à elle qu'on a connu les garçons. J'étais donc obligée de compter avec elle, même si j'admets que...

- Pardon ma chérie, m'interrompit-il, mais on me signale tout de suite que nous devons renoncer à ce nouveau campement. On se parlera après hein ?

- Bien sûr papa ; balbutiai-je, à la fois déçue et inquiète, comme à chaque fois qu'il prononçait ce genre de phrase. Ne perds pas une minute !

- Cool ! Je t'aime Bobbie.

- Je t'aime aussi papa.

Il disparut de l'écran de ma tablette, ce qui ramena ce sentiment de solitude que je tentais de refouler au plus profond de mon être. Chacun de nos appels avait le même effet sur moi, il me faisait ressentir davantage l'absence de mon père. On aurait pu croire que ça n'en valait pas la peine, puisqu'au bout du compte, il n'y avait rien de plus déprimant que nos au revoir ; toutefois, il y avait également les retrouvailles. Ces moments où je revoyais le visage de cet homme gai et bien portant. Et rien que la perspective d'avoir l'occasion de les revivre à nouveau me réjouissait immédiatement. Je parlais à papa et c'était déjà énorme, car beaucoup n'avaient pas cette chance : avoir des parents et surtout, pouvoir échanger avec eux en toute confiance. À cette dernière pensée s'associa l'image de quelqu'un. Quelqu’un qui était presque dans la situation inverse. Je regardai mon cahier rose, qui dépassait de mon sac, et me remémorait alors ce lundi-là...

« Torrey, ânonnait ma voix derrière la porte de sa chambre tandis que je toquais. Torrey, tu es là ? » Ça faisait un quart d'heure que la partie de Volley-ball était terminée, et que nous étions tous montés nous débarbouiller. Logiquement, elle aurait dû redescendre en même temps que nous. Je frappai encore, mais n'obtins toujours aucune autorisation. Je décidai d'y mettre un peu plus d'énergie et c'était là que la porte s'entrouvrit, preuve incontestable qu'elle était loin d'être fermée. Surprise, j'hésitai entre rester à ma place ou pénétrer dans ce lieu, afin de m'assurer qu'il était bel et bien désert. Le second choix me parut être le meilleur.

Je traversai l'embrasure et ne découvris, effectivement, personne à l'intérieur. J'eus l'intention d'aller vers ce que je pensais être la salle de bain, mais je fis demi-tour en fin de compte. Soudain, je fus bouleversée par ce qui me semblait être l'un des plus grands outrages à mon égard. Les nerfs à vif, le cœur battant, je fixai ce bureau comme si c'était lui le coupable et non pas sa propriétaire. « Elle a volé mon cahier ! » m'indignai-je. Je fonçais sur le pupitre, prête à me saisir de l'objet. Mais mes doigts l'avaient à peine caressé qu'il bascula et atterrit sur le tapis. Les feuilles ayant tourné, j'étais alors tombée sur une page qui ne me paraissait pas familière, que ce soit pour le contenu ou pour l'écriture en elle-même. Je commençai donc une lecture presque instinctive du texte, titré « Souvenir indélébile » :


« Tout est parti d'une scène
Vue une nuit d'avril.
Je la revois, cette scène :
Souvenir indélébile.

Tu profites de cette scène
Qui me rend si facile.
Sage-femme d'une nouvelle peine,
Cette nuit où mes milles

Ignorances disparaissent.
Tu me désires sans cesse ;
Ton regard le dit
Quand le mien te supplie.

Un jour, pleine de tristesse,
J'ai découvert que naissent
Des sentiments qui
Jamais plus ne quitteront ma vie. »


Je prenais conscience après chacun de ces mots que ce n'était pas mon cahier. Torrey n'avait pas menti en disant qu'on avait le même. Était-ce elle l'auteure de ce curieux poème ? Intriguée, j'entrepris d'en lire un autre lorsque le bruit de la porte me paralysa. Aussitôt, je pivotai sur mes talons et la vis derrière moi. Torrey, les yeux littéralement posés sur moi, venait de me surprendre avec son cahier rose dans les mains. « Torrey, m'écriai-je. C'est dingue, je ne t'ai pas entendu entrer ! » Si cinq minutes plus tôt j'étais en colère, là, j'étais nerveuse. J'avais eu une réaction un tantinet violente deux jours auparavant. Je craignais qu'il en soit de même pour la sienne, étant donné que les rôles étaient inversés.

- Le..., bafouillai-je tandis qu'elle avançait. La porte était ouverte et je...

- Tu as cru que c'était le tien, paracheva-t-elle calmement, je comprends.

- Ah bon ?

- Oui ! Tu as pensé que c'était ton cahier, tu es tombée sur l'un des textes, et tu as voulu le lire. Je ne t'en veux pas, rassure-toi. Ce n'est pas pour ça que je vais d'un coup souhaiter me passer de toi en espérant que ça me fasse des vacances !

J'étais médusée par ces paroles.

- Tu m'as donc entendue avant-hier ? concluai-je. Oh Torrey je suis confuse, si tu savais comme je regrette ce que j'ai dit ce jour-là sur toi et sur ta famille ! C'est pareil aussi pour ce que j'ai dit à Dan hier à l'hôpital, je ne...

- C'est celui-ci mon préféré comme par hasard ; me coupa-t-elle la parole, pour la deuxième fois, en passant son doigt sur la feuille où était écrit le texte en question.

J'ignorais si elle avait compris que j'étais en train de m'excuser. Mais je me tus carrément, me contentant de lire ce qu'elle se mit pourtant à réciter, rêveuse :


« Il m'arrive de croire que rien n'est différent
De ton côté, que tu penses à moi souvent.
Qu'après maintes et maintes réflexions, elle te prend :
L'envie d'être près de moi bien plus longtemps.

Dans ces idées que je me fais quelques fois,
Je me dis que tu le vis comme un combat,
Que tu te dis, quand tu es seul et tout bas :
« Si tu n'étais pas toi » ; malheureusement je suis moi. »


Elle avait semblée transportée par ce « Si tu n'étais pas toi » qu'elle avait déclamé. Comme si ce huitain était un portail vers une époque qui n'avait aucun lien direct avec notre présent. « Il est moins bien écrit que les autres mais tant pis, je l'aime quand même. », me dit-elle. Elle tourna la page. « Y croire encore, lut-elle avant d'ajouter, le préféré de Lola. » Ayant obtenu d'une certaine façon sa permission au moment où elle était arrivée, je m'autorisai à lire à voix-haute les lignes que j'avais sous les yeux, vu que ma voisine le faisait cette fois en silence :


« Cela n'a servi à rien ;
Je continue d'y croire encore.
Ma tête dit à mon cœur : « Tout va bien »
Mais il lui répond « Tu as tort ».

Haïr ce sentiment-là,
Se dire « L'enfer doit être ainsi »,
Et faire comme si tu n'existais pas
Pour ravoir un peu de répit.

À l'inverse de ces autres,
L'espoir me fait mourir.
Je me doutais qu'une autre
Avait été, c'est pire

Cependant de savoir
Qu'en ce désir secret
Il ne faudrait plus croire
Et le faire sans arrêt. »


Les doigts de Torrey avaient tremblé à plusieurs reprises durant ma lecture. J'avais trouvé ça curieux. Ayant terminé, je lui posai la question de la manière la plus calme que je pouvais : « Qui est Lola ? ». Elle contemplait encore le cahier. Mon regard, lui, était rivé sur elle. Un sourire signala sa présence sur ses lèvres, le fameux sourire, naturellement. « La seule figure maternelle que j'ai eu. » répondit-elle aisément. Et devinant que ceci aurait soulevé une autre interrogation de ma part, elle estima qu'il valait mieux me raconter tout depuis le début...

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top