El sol también se pone
Un long moment, bien trop long peut-être, j'étais restée effarée. Oui, l'entendre de la bouche de Felicity m'avait contrariée, mais ceci n'excluait pas le fait qu'au fond je pouvais partager son point de vue. Jamais je n'aurais pu penser que quelqu'un m'inviterait à ce bal, et encore moins ce quelqu'un que j'avais en face de moi.
- Tu me proposes à moi de t'accompagner au bal de printemps ? reformulai-je.
- Oui Bobbie, ça… Ça parrait si étonnant que ça ?
- Non ce n'est pas ça... En fait si, il y a aussi un peu de ça, mais j'ai librement le droit de me poser des questions à vrai dire, tu ne trouves pas ?
Il s’inquiéta.
- Des question comme…
- Pourquoi moi ? Je veux dire les filles, ce n'est pas vraiment ce qui manque ici au pensionnat.
Sean se racla la gorge, environ trois secondes, avant de reprendre la parole :
- C'est nécessaire que je puisse te répondre Bobbie ?
- Eh bien, il y a toujours une raison derrière chacune de nos actions, contrairement à ce qu'on peut prétendre !
Mes mots l'avaient vraisemblablement impressionné. « Ouais ! inspira-t-il, pour se donner du courage. Si tu veux tout savoir c'est que, euh…, comment le dire sans passer pour un crâneur ? En fait oui, les filles sont nombreuses ici mais elles sont généralement..., futiles, tu comprends ce que je veux dire ? J'ai peur de m'ennuyer si je choisissais l'une d'entre elles au hasard. Toi par contre, tu fais partie de celles que je prends au sérieux, et je me disais que tu accepterais éventuellement d'aller au bal avec moi ! » Ce que je vivais était totalement soudain et inattendu. Sean et moi ? Au bal de printemps ? C'était extraordinaire, et le mot était faible.
- Laisse-moi le temps d'y réfléchir Sean ; déclarai-je, puisqu'il fallait quand même s'abstenir de trop flatter son égo.
- C'est comme tu veux Bobbie, approuva-t-il. Mais j'aimerais essayer de te prouver que tu peux avoir une totale confiance en moi, et valoriser également ma candidature de cavalier.
- Comment ça ? lui demandai-je, déroutée.
- Viens voir.
Loin d'être sereine, je m'étais pourtant rapprochée de lui. Il se positionna juste à côté de moi, plaçant son téléphone entre nous. D'un geste du doigt, il y fit apparaître sa galerie, sélectionna la photo de Torrey et Dan, puis la supprima de cette série d'images à laquelle elle appartenait encore une minute plus tôt. « Comme ça tu sauras que tout ce que tu pourras me dire restera entre nous, attesta-t-il avec un sourire. À plus Bobbie ! » Sean reprit son chemin, après m'avoir chamboulée plus d'une fois en moins d'un quart d'heure. Ce qui est certain, c'est que courir ne m'aurait pas autant essoufflée que cet échange l'avait fait.
J'avais finalement rejoint les autres dans l'amphithéâtre, en retard de plus de trente minutes, mais indifférente à cela. Une drôle de béatitude avait envahi mon être, une gaieté que même mes lèvres ne réussissaient à cacher suffisamment. Quand mademoiselle Straffi - blonde platine d’une cinquantaine d’années coiffée d'un chignon et habillée d'un très chic tailleur bleu céruléen – eut fini de donner ses multiples exhortations, tout le monde se mit à vider les lieux. De mon côté, je cherchais surtout à éviter de croiser monsieur Grayson et de subir une énième décadence notoire. Par chance il était encore à l'estrade, et nous en train de sortir de l’amphithéâtre.
- Bobbie, s’engagea Dan en me regardant, on pourrait savoir ce qui t'a pris autant de temps aujourd’hui, si ce n'est pas indiscret ?
- Mais non tu n’es pas indiscret, assurai-je. Ce qu’il y a c’est qu’aujourd’hui eh bien, il y avait foule dans les douches, tu vois ?
- Ah oui, et je suppose que les garçons manqués dans ton genre font toujours preuve de galanterie envers leurs compères féminines ? développa celle qui était entre Torrey et moi.
- Pas du tout, c'est juste que je ne voulais pas me frotter à ces… Demoiselles féroces. Leurs griffes ont beau être manicurées, elles sont encore capables de causer des dégats irréparables quand elles le veulent.
- Tu veux dire que tu es incapable de te défendre, toi, la fille d'un militaire ?
- Vous pensez quoi, que mon père et moi nous passons nos vacances au milieu des bombes ou dans un camps de la base peut-être ?
- Ça se voit que tu n’es pas un petit être sans défense Bobbie, la compléta celui qui était à ma gauche.
- Dan a tout à fait raison, reprit-elle. En plus, il n'y a qu'à voir tes bras musclés et les yeux que tu fais quand un truc te met en rogne, une vraie guerrière !
Ils riaient tous à mes dépends, quoique Torrey avait l'air plus spontanée que les deux taquins qui m'entouraient. Je me retins de les regarder de travers ; ça n'aurait fait qu'encourager leurs éclats et exposer au grand jour les miens, me faisant ainsi perdre toute crédibilité. Je choisis donc de faire semblant de bouder.
- Pourtant c'est vrai que les filles ne sont pas très sympas dans ces moments, enchérit la blonde. Je me rappellerai toujours de celle qui m'a presque fait un croche-patte un matin comme celui-ci pour m'empêcher d'entrer dans l'une des cabines !
- Te concernant ce n'est pas surprenant, mademoiselle la douillette !
- Felie, on ne t'a jamais dit que tu te comportais parfois comme une vraie chipie ?
- Je suis juste sincère ! s'innocenta celle-ci.
- C'est ça ! dis-je, saisissant l'occasion parfaite pour l'embêter à mon tour. Alors j'aimerais continuer à recevoir chacune de vos remarques mais j'ai un cours de math et je ne souhaiterais pas être la retardataire de service, à nouveau.
- Moi non plus ! s'exclama Torrey en me suivant.
Comme nous l'avions présagé, la sonnerie tinta dans tous les couloirs de l'école et chacun d'entre nous s’en était allé dans sa propre salle de cours.
•••
D'abord il y avait eu un gémissement. Un gémissement qui n'aurait pas pu passer inaperçu auprès de la moitié de la classe, ou n'étaient-ce que mes oreilles qui l'avaient entendu. C'était ce que j'avais cru avant cette plainte, une plainte qui provoqua des retournements de têtes et des regards interrogatifs qui ne m'étonnaient que très peu. Puis il y avait eu des bruits sourds, comme une succession de frottement ou de glissement qu'on aurait pu identifier même sans avoir hérité d'une ouïe surentrainée. Ensuite il y eut un soupir, le soupir qui démontre clairement qu'on voudrait que quelqu'un nous demande s'il y a quelque chose qui cloche ou si nous sommes à la recherche d'une esgourde compatissante. Décidément, Torrey avait le chic pour faire en sorte qu’on ne se préoccupe que de ses petits soucis de princesse à la gomme.
- Il y a un problème ? intervint alors une de nos camarades, « l'esgourde compatissante ».
- Je ne sais plus où j'ai mis mon devoir de math ! geignit-elle.
- Ton devoir de math ?
- Oui, je l'ai fait avant-hier et là on dirait qu'il a disparu, ça n'a pas de sens !
La fille la considérait calmement. Elle semblait avoir des doutes.
- Qu’est-ce qu’il y a ? lui dit celle qui avait dû finir par les sentir elle aussi.
- Bein à moi tu peux me le dire Torrey ? l'appâta l’autre, sur un ton doux et amicale.
- Mais te dire quoi au juste ?
- Que tu as oublié de faire ton devoir, ce ne serait pas la première fois que ça t'arrive. Si je ne me trompe pas ce serait d'ailleurs la cinquième fois depuis la rentrée de Septembre !
- Premièrement ce ne serait pas la cinquième, mais la troisième fois que j'aurais oublié de faire un devoir. Deuxièmement je n'ai rien nié les fois précédentes, pourquoi le ferai-je maintenant ?
- Je ne sais pas, pour que personne ne te colle l'étiquette de la grosse flemmarde de la classe !
- Je ne suis pas une menteuse et je sais assumer les conséquences de mes actes ! Je reconnais qu'il m'était sorti de la tête pendant ces deux semaines de vacances, mais on me l'a rappelé ce samedi et j'ai passé trois heures et quinze minutes à travailler dessus avec Felicity et Jude, j'ai fait ce devoir.
- Si ça peut t'aider à avoir la conscience tranquille...
- Je te dis que j’ai fait ce devoir, tu m’entends ? protesta Torrey.
- Pour ce qui est de la classe c'est le cas mademoiselle Sonnray, affirma le prof de Math.
Nous la considérions avec stupéfaction, bien avant qu’il ne s'ingère dans leur débat et qu'il ne la tétanise. Elle croyait sûrement qu'elle s'était montrée discrète, mais la réalité l'avait frappée en pleine figure.
- Pardonnez-moi monsieur, s'excusait-elle, j'ai...
- Je suis ravi d'apprendre que vous avez pris l'initiative de vous mettre enfin au travail, bien que je déteste être dérangé en plein cours.
- Ça ne se reproduira plus, je vous le promets.
- Si vous le dites. Je peux voir au moins ce que vous avez fait ?
- Ce que j'ai fait ?
- Sur votre devoir, rajouta l’instructeur.
Torrey parut tendue. Quelqu'un toqua à cet instant et, la porte étant ouverte, notre professeur n'avait fait qu'un banal tour sur lui-même avant d'apercevoir monsieur Grayson et de lui permettre d'entrer.
- Vous êtez occupé professeur ?
- Accordez-moi ne fut-ce que quelques secondes monsieur Grayson, j'ai besoin de vérifier si mademoiselle Sonnray s'est surpassée ou si au moins, elle a réussi à se placer au dessus de la moyenne dans mon cours.
L’angoisse de Torrey avait été rehaussée. Je la plaignais !
- Mademoiselle Sonnray ? réitéra le surveillant, sceptique.
- Oui oui, je l'ai observée depuis le tout début et je sens que c’est une élève intelligente, même si elle est loin d'être la plus studieuse.
- À votre place j'éviterai de me faire des illusions à son sujet !
- Et moi à la vôtre j'éviterai de la sous-estimer ; fit le prof, un sourire empli de fierté pour son élève. Et puis de toutes les façons, son devoir nous permettra de nous départager, et je suis persuadé d’avoir raison.
- Et je peux vous le confirmer monsieur, enchérit gaiement Torrey, c’est un devoir qui mériterait au moins un B plus !
- Oh, il ne nous reste plus qu'à le voir de nos propres yeux !
- Je suis d'accord avec M. Stoud. Montrez-nous donc ce... Chef-d'œuvre de mathématique !
- Ce serait avec plaisir messieurs, répondit-elle encore avant de frileusement ajouter, il y a juste un tout petit souci…, concernant ce devoir, il…
- Inutile de nous en dire davantage, l’arrêta monsieur Grayson, vous avez oublié de le faire ?
Nul ne pouvait manquer une miette de ce qui se passait à ce moment précis.
- Eh bien je vous félicite, vous voilà à votre cinquième oubli et ceci en seulement six mois.
- Alors je tiens à préciser que ce ne serait pas mon cinquième, mais mon troisième oubli monsieur Grayson et…
- Plus un mot mademoiselle Sonnray ! hurla celui-ci. Si j'étais vous je me tiendrais à carreau, ou vous avez peut-être oublié, en plus de votre devoir, que votre réputation vous précède ? Et ne parlons pas de votre dossier scolaire qui est tout, sauf irréprochable !
Torrey ne passait jamais inaperçue mais d'habitude, ce n'était pas pour ce genre de raisons que tous les yeux se posaient sur elle.
- Calmez-vous monsieur Grayson, intervint le professeur. Elle n'en est pas à son premier coup d'essai, je l'ai bien compris, mais on pourrait simplement lui accorder le bénéfice du doute et mettre ça sur le dos de ces deux semaines de vacances ? Vous savez qu'avec les jeunes, les oublis sont assez fréquents dès qu'on parle de détente !
- Mais monsieur Stoud, relançait son interlocuteur, vous n'allez tout de même pas passer à côté de ce type de fautes ? Je vous signale que cette élève n’a pas fait son devoir et qu’elle vient de se servir du mensonge pour nous tromper vous et moi, comme si nous pourrions croire à sa stupide histoire abracadabrantesque !
- Je n'ai pas menti, se défendit Torrey, j'ai vraiment fait ce devoir. Ce qu'il y a c'est que je n'arrive plus du tout à le retrouver !
- Foutaise !
- Je vous dis la vérité ! s’exclama-t-elle. Vous voyez vous-même que toutes mes affaires sont étalées sur ce pupitre ? Je cherche désespérément ce devoir, je savais qu'il était important que je le fasse parce qu'il m'aurait aidée à remonter ma moyenne !
- Ne nous prenez pas pour des ignorants mademoiselle et même si ce que vous dites est vrai, ça nous prouve alors à quel point vous n'avez aucune considération pour vos études ! Vous n'êtes qu'une inconsciente, une fille qui n'a aucun sens des responsabilités, une fainéante, et il faudrait que vous appreniez à suivre les instructions qu'on vous impose.
Il examina à la loupe tout ce qui se trouvait sur sa table et lorsque je le vis détailler son cahier rose, le cahier qu'elle m'avait permis de parcourir le matin où je m'étais introduite dans sa chambre, je fus saisie d'une drôle d'inquiétude.
- Donnez-moi ce cahier !
- Quoi ? fit-elle, estomaquée.
- Je vous ai dit de me donner ce cahier, ordonna-t-il, je vous le confisque.
- Je vous en prie monsieur, j'y tiens beaucoup.
- Ne m'obligez pas à vous le prendre de force mademoiselle, donnez-le-moi !
Mais Torrey n'obéit pas, continuant de l'implorer du regard pour lui faire changer d'avis. Cependant, monsieur Grayson n'était pas de ceux qui se laissent attendrir : il lui arracha brutalement le cahier, étonnant même notre professeur, et prit la première feuille.
- Rendez-moi ce cahier, supplia-t-elle, c'est personnel.
- Si c'était personnel vous ne l'auriez pas apporté en classe ! répondit-il en parcourant les lignes de ce qui me parut être Souvenir indélébile, puisque c'était ça le premier texte.
- Je vous en prie monsieur Grayson !
- Monsieur Grayson ; soupira le prof, exaspéré par cette interruption prolongée.
- Alors c'est à ça que vous passez votre temps libre ? reprit monsieur Grayson après sa lecture. Vous écrivez des poèmes sur vos premières expériences immorales ? C'est intolérable !
Tout le monde était abasourdi. Je ne comprenais pas pourquoi il envenimait la situation. Elle n'avait pas à s'expliquer devant nous tous sur ce qui était retranscrit sur ces pages.
- C'est privé ce genre de choses, releva monsieur Stoud, que ce soit ou non une élève vous n'avez pas le droit de vous conduire de cette façon !
- Mademoiselle Straffi m'a chargé de veiller à ce que toutes les règles de cette école soient respectées, par son attitude, mademoiselle Sonnray met en péril non seulement les mœurs mais aussi la réputation des élèves de notre établissement. En ma qualité de surveillant, il est donc compréhensible que j'agisse en conséquence...
Et là, je fus tout aussi consternée que révolté : monsieur Grayson, sous les yeux de Torrey, déchira le cahier. Ce cahier, qui renfermait les textes de celle qui était sa principale figure maternelle, elle le vit transformé en un tas de confettis. Son jolie minois s'était littéralement décomposé. Ses lèvres s'étaient ouvertes, nonobstant le tremblement qui avait pris possession d'elles. Je savais combien elle chérissait ces feuilles, qu'elles représentaient tellement pour elle. C'était le seul véritable souvenir qui lui restait de la femme qui l'avait élevée, et qu'elle n'avait plus revue depuis le jour où elle lui avait suggéré de partir. Personne ne pouvait savoir ce qui se passait en elle à cet instant, moi y comprise. Torrey baissa la tête, fuyant le sourire sadique du surveillant ainsi que le regard désolé du prof de Math. « Vous venez monsieur Stoud ? N'oubliez pas que j'avais un message à vous transmettre. » Il le devança dix secondes plus tard et, sans rien dire, monsieur Stoud le suivit sagement.
Le calme qu'il y avait eu pendant ce quart d'heure disparut aussitôt. Chuchotements, insultes, rires étouffés, Torrey était raillée par la majorité de nos camarades. « Quelle nunuche ! » disait une voix, « Ce n'est rien de plus qu'un pseudo journal à la noix quand même ! » ajoutait une autre, « Torrey l'a bien cherché, elle n'avait qu'à faire son devoir au lieu de se la péter comme d'habitude ! », « Qu’est-ce qu'elle en fait trop celle-là ! »... C'en était trop. Son niveau d'endurance en avait pris un sacré coup et pour la première fois, je la vis jeter l'éponge. Elle rangea ses affaires, précipitamment, et sortit de la salle. Tout avait commencé avec ce devoir, qu'elle avait pourtant fait, que j'avais refusé de travailler avec elle, et ça c'était fini par la destruction d'une relique qu'elle affectionnait autant que ce passé qui était le sien, mais qu'elle n'était peut-être même plus certaine de posséder.
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top