Partie 2

L'air dehors me parut irrespirable. Une chape de plomb sur la poitrine, les jambes en guimauve, je suivis ma sœur. Au loin le tonnerre grondait. Elle rejoignit un groupe d'amies à moi, toutes de noir vêtues, chacune une rose blanche à la main. Céline était adossée contre un mur, une cigarette aux lèvres. Assises sur un muret, Sabrina et Aurore papotaient, tandis que Nadège s'agitait au téléphone.

— Vous êtes prêtes les filles ? demanda ma sœur.

Céline écrasa son mégot du bout du pied.

— On est prêtes depuis vingt minutes, nous ! dit-elle.

Ma sœur ne releva pas et nous prîmes la direction du canal. En terrasse, les serveurs s'affairaient en prévision du coup de feu de midi. Les classiques brasseries et restaurants italiens côtoyaient les nouveaux arrivants, devant lesquels une foule de personnes faisaient déjà le pied de grue : soul food en direct du sud des Etats-Unis, Bao inspirés de la gastronomie chinoise, ou encore cuisine fusion aux accents méditerranéens.

Des jeunes étaient posés sur les quais, des joggers essoufflés passèrent devant un couple de personnes âgées assises sur un banc. Je me souviens m'être demandée s'ils étaient mariés depuis longtemps ou s'ils s'étaient rencontrés récemment, peut-être via un site de rencontre, à l'initiative de leurs petits-enfants.

— C'est triste quand même, déplora Aurore. Rien ne sera plus comme avant...

— C'est la vie, répliqua Sabrina en grattant l'arrière du crâne. Un jour ça sera ton tour, t'inquiète.

Aurore la poussa de l'épaule.

— Arrête...

— Moi, elle ne me manquera pas, ajouta ma sœur. Je vais enfin pouvoir récupérer sa chambre...

Un grand sourire s'étala sur son visage.

— T'abuses, dit Aurore, c'est ta sœur quand même.

— Justement, répondit Lina. Bon débarras.

Je secouai la tête, blessée. Je comprenais qu'elles m'en veuillent. Depuis mon retour d'Angleterre nous n'étions plus du tout en phase. Un mur imperceptible s'était dressé entre nous. Nous ne pouvions pas le voir, mais nous pouvions toutes sentir la distance qu'il avait installée. Il y avait le groupe, et il y avait moi. Derrière une vitre sans tain, je les voyais évoluer, sortir, rire. Sans moi.

Au bout de cinq minutes, elles s'arrêtèrent sur une petite place, devant un mur recouvert de street art. La phrase "C'est quand le bonheur ?" était taguée en plein milieu. Je me demandai pourquoi elles s'étaient arrêtées là lorsque Sabrina prit la parole.

— Bon les filles, quelqu'un a préparé quelques mots ?

Aurore haussa les épaules.

— Ok, je commence alors, enchaîna Sabrina. Juliette était...c'était...une super fille, dit-elle en se raclant la gorge. Toujours de bonne composition, lumineuse. Je me souviens de la première fois où on s'est rencontrées. C'était devant l'amphi de civilisation anglaise. Elle avait un...

— C'est nase comme anecdote, coupa Céline. Moi j'étais là, lorsqu'elle a rencontré Pierre. Personne n'aurait pensé qu'ils se seraient plu ces deux-là. Mais ils ne sont plus quittés après cette soirée karaoké. On aurait dit deux aimants. Et nous voilà, un an après leur rencontre...

— Nous perdons une amie chère, soupira Aurore en déposant sa rose au sol.

Les autres l'imitèrent en silence. Au bout d'une minute, comme personne ne sembla vouloir reprendre la parole, Sabrina sortit de son sac cinq couronnes de fleurs rose pâle ainsi qu'une couronne de fleurs blanches. Elle lança également un sachet en plastique à Céline.

— Tu t'en occupes ? lui demanda-t-elle.

Céline hocha la tête. Elle glissa sa couronne de fleurs dans ses cheveux, puis se mit à gonfler des ballons rouges en forme de cœur. Une fois coiffées, les autres vinrent lui prêter main forte. Nadège, elle, remit du rouge à lèvres. Elle plissa les yeux et pinça la bouche, puis ses lèvres émirent un léger "pop". L'air satisfait, elle rangea son miroir dans son sac à main.

— Ah mince, vous avez déjà fini les filles, dit-elle sans faire mine d'être désolée.

Ma sœur leva les yeux au ciel et sortit de son sac une enceinte portable. Les premières notes de Single ladies de Beyonce retentirent à plein volume. Cessant enfin de m'ignorer, elles se retournèrent toutes vers moi au même moment.

— Juliette Reynaud est morte, longue vie à Juliette Morin !

Elles se jetèrent sur moi pour m'embrasser et mettre dans mes cheveux la couronne de fleurs blanches.

— Je ne m'appelle pas encore Morin, répondis-je.

— Ouais, ouais. C'est pour la formule quoi, rétorqua Sabrina. Le thème de ton enterrement de vie de jeune fille, c'est les sept péchés capitaux ! Allez, on commence par l'orgueil : on va tourner un clip dont tu seras la star !

J'essuyai une larme qui menaçait de ruiner mon maquillage.

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