Chapitre 3 : Un drôle de souvenir
Ils firent halte au soir venu et attachèrent leurs montures à un arbre avant de manger un morceau rapidement. Gradguer se leva alors.
Il aspira une bouffée d'air glacé et tira son épée de son fourreau. Dans la nuit noire comme l'encre, la lame de l'épée avait un éclat d'un argenté irridescent. La meilleure arme qu'un guerrier pouvait espérer manier était indubitablement l'épée, et pourtant il la traitait avec autant d'aversion que de vénération. Il se souvenait des paroles de son maitre lorsque pour la première fois sa paume se posa sur l'acier froid.
« Est-ce l'épée qui donne du pouvoir à un homme ? Ou est-ce l'homme qui donne du pouvoir à l'épée ? L'homme manie l'épée, l'accorde et la fait chanter, mais c'est l'épée qui chante et son auditoire est la mort. A chaque note l'auditoire applaudit et prend un ami par le bras. Alors toujours fait attention, on peut vite avoir envie d'en jouer à toute instant mais un instrument use toujours les doigts de son porteur. »
Tenant le fourreau de sa main libre, il reprit les enchaînements familiers sous l'œil attentif de son mentor. Avancer, couper, parer, tourner. Avancer à nouveau, en garde, taille, un pas en arrière, estoc. Bloquer, balancer, se fendre puis se reculer en garde levée.
Il bougeait sans y penser, l'esprit limpide et vide telle la mer un jour sans nuage et sans vent.
Il s'entraina ainsi une dizaine de minutes, son maître le corrigeant parfois sur la position de son pied gauche ou sa garde haute parfois trop basse. Une fois son entrainement terminé, il partit se coucher. Cela devint sa routine du soir durant ces quelques jours de voyage.
Au matin du deuxième jour il se réveilla tôt. La grisaille matinale étendait encore ses bras de brume sur le campement. Il frissonna, il était tôt, et il faisait froid.
Il se leva en se frottant les bras. Il fit quelques pas en marchant en rond, espérant se réchauffer, en prenant garde à ne pas réveiller son maître.
Son maître ronflait paisiblement, il était vieux, plus vieux que Gradguer ne le serait jamais. Il secoua la tête.
Son maître aimait sa vie, entraîner de jeunes garçons ; entraîner les jeunes filles était réservé aux veilleuses, manger, boire, servir la cause... Il mourra un jour dans son lit. A cette pensée il frissonna à nouveau, cette fois par crainte de ce jour. Il aimait son mentor et ne voulait pas le voir partir.
Gradguer lui, se battait pour vivre, accomplissant contrat sur contrat depuis cinq ans pour subsister. Il mourrait un jour, lame en main probablement, au cours d'une mission. Il n'aspirait à rien, ne voulait rien. C'en était fini de cela.
Il s'adossa à un arbre l'air morose. Ses yeux se voilèrent et prirent une teinte sombre tandis que ses pensées l'emmenaient vers ses souvenirs.
Une belle et jeune femme en robe blanche se tenait là près d'un chapiteau rouge. Gradguer était face à elle et l'observait.
Sa taille fine et ses bras nus lui donnaient une impression de fragilité, sa robe blanche cachant son corps faisait d'elle une belle rose blanche. Ses cheveux bruns encadraient son visage....
Gradguer ne parvenait à distinguer ses traits, il les avait oubliés, cela avait demandé bien du travail...
- Gradou ? Tu vas bientôt partir n'est-ce pas ?
- Oui, sire Lame porte bien son nom, il est pressé de faire parler le fer. Et comme les veilleurs m'ont ordonné de l'aider je combattrai pour lui.
- Alors vas mon aimé, et reviens vite et en bonne santé...
Gradguer sourit et tourna les talons. Il revêtit son tabard rouge afin que ses amis sachent qu'il était des leurs.
Il piétina la neige, à la fois pressé et tendu par la bataille qui s'approchait.
Plus loin, les tentes noires contrastaient sur le tapis nacré. Les étendards claquaient au vent. Il allait se retourner pour ordonner à son amour Uli de s'éloigner du lieu du combat mais les tambours et les trompettes sonnèrent à ce moment.
Le baron Lame du haut de son destrier caparaçonné d'argent haranguait ses hommes à se mettre en formation.
Et au milieu de ces soldats... un homme vêtu d'une longue robe noire ourlée de pourpre, dont le capuchon baissé révélait des cheveux d'un blond si clair qu'ils en étaient presque blancs. Sur la poitrine de sa robe était brodé un symbole doré, un blason: dans la partie supérieure, une couronne avec des rayons sortant des pointes. Puis une fasce, qui divisait l'écu en deux, et dessous, un basilic. Le magicien de sire Lame.
Gradguer et le reste de l'avant garde se mirent en marche tandis que le gros des troupes suivies des archers se rangeait en formations compactes.
Les troupes ennemies, comme les leurs, marchaient, tachant de prendre par le flanc les troupes ennemies, mais bientôt les hommes comprirent que le terrain était trop ouvert pour un piège. Aussi les hommes des deux camps foncèrent les uns sur les autres en hurlant leur détermination.
Gradguer se battait en tournoyant les yeux tantôt rouges tantôt verts. Il frappait avec force puis virevoltait.
Il frappa d'estoc et son épée transperça un homme de part en part sans tenir compte de son gambison de cuir. Voyant deux autres adversaires aux tabards noirs se précipiter vers lui, il roula et se redressa derrière eux.
Son premier coup de taille entama le flanc du premier qui trembla et recula. Le second frappa mais Gradguer para en montant sa garde.
Il glissa entre eux et décala la lame du premier avant de retourner son épée et la placer contre la gorge du soldat. Il tourna autour de lui pour faire face à son second adversaire. Celui-ci, déstabilisé par la manœuvre du veilleur ne réagit pas avant d'entendre le cri de son collègue qui, étouffé par le sang de sa gorge tranchée lors du mouvement du veilleur s'effondra dans un gargouillis.
Mais celui-ci bien trop rapide décapita l'homme qui avait baissé sa garde. Les deux corps s'effondrèrent de concert dans des gerbes de sang coulant à gros bouillons.
Gradguer continua sa route en laissant un sillon sanglant dans les troupes ennemies. Il allait prêter main forte à ses camarades lorsque c'était possible et abattait impitoyablement leur adversaire d'un coup dans le dos.
Le reste de ses souvenirs étaient les mêmes. Passées les premières minutes, la bataille ne fut plus qu'une succession de violents affrontements.
Au bout de deux heures, peut-être trois, Gradguer se rendit compte que plus aucun homme en noir ne se tenait à ses côtés.
Son bras fatigué laissa pendre son épée. Il se ramassa sur lui-même et reprit son souffle. Puis, traînant les pieds, il retourna vers le chapiteau de commandement. Son cœur se calma progressivement tandis que l'adrénaline descendait progressivement.
Il rencontra d'autres hommes de seigneur Lame sur la route. Certains vomissaient, d'autres avaient le regard hagard ou vague et les paupières lourdes de fatigue ou de peur.
Son pied heurta un casque qui roula jusqu'à un homme en noir. Il se crispa et manqua un battement de cœur. Un homme avait réussi à aller si loin dans leur ligne ? Il leva les yeux et aperçut plusieurs autres cadavres noir immobile dans la neige non loin du chapiteau de commandement.
Uli ! Pensa-t-il à voix haute. Il courut vers la colline en enjambant les morts gisants pèle mêle sur sa route. Il chercha son amour des yeux tandis que ses yeux perdaient leur couleur carmin pour une teinte sombre tandis que l'angoisse lui serrait la gorge et le cœur.
Puis il la vit, belle, sa peau pâle luisait dans la neige. Elle souriait là semblant l'attendre, allongée et inerte par terre.
Il tomba à genoux devant elle et la prit dans ses bras. Des larmes coulaient lentement le long de ses joues puis finissaient dans sa barbe. Il se pencha et ne put s'empêcher de lui donner un ultime baiser mouillé de larmes.
Il entendit un homme approcher.
- Mon gars je te plains, je t'ai vu là-bas, tu as fait des miracles, tu es plus doué avec une lame que beaucoup ici, ce n'est pas juste qu'un de ses bâtards l'ai tuée.
Gradguer se leva lentement et tourna son visage vers l'imprudent. Celui-ci eut un mouvement de surprise et recula en voyant le visage crispé par la haine et la teinte létale des yeux de son interlocuteur. Il leva les mains en guise d'excuse et détala.
Pas juste ? Pas juste ! Il n'y avait aucune justice ! C'était de la faute en premier lieu des veilleurs ! Il lui avait ordonné de venir ici et Uli l'avait suivie ne voulant pas le laisser seul. Ensuite la faute incombait à ces seigneurs belligérants qui se battaient sans raison.
Soudain il sentit une lame se poser sur sa gorge. Il rouvrit les yeux et se redressa subitement.
« Heureusement ce n'est que moi hein ? »
Son mentor souriait. Gradguer lâcha un grognement râleur avant de se mettre à préparer sa monture pour reprendre le voyage.
Dernière son sourire le vieux maître était rempli de tristesse. Il savait à quel démon était soumis son ancien élève.
Il soupira avant de se préparer lui aussi. Et tout deux reprirent la route en silence.
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