Chapitre 20 : La séparation
Lorsque Léna ouvrit les yeux le lendemain, réveillée par du bruit au rez-de-chaussée, le soleil était à peine levé. Étincelle dormait encore allongée sur elle. Elle se frotta les yeux afin de se réveiller. « Quels sont donc ces bruits ? » se demanda-t-elle. La petite poussa gentiment Étincelle et entreprit de se préparer rapidement, remettant ses vêtements plutôt que sa robe de nuit. Sa dragonne finit par se réveiller et lui envoya une image mentale d'elles deux en train de jouer.
- Pas maintenant, Étincelle, pardon. Va voler un peu, je te retrouve tout à l'heure.
La dragonne lui envoya un « oui » télépathique puis sortit par la fenêtre. Léna descendit alors dans la salle de la taverne. Ne voyant personne, elle fut un peu surprise et égarée, s'approchant d'une fenêtre. Gradguer et Annaria étaient en train de seller un cheval et de le préparer. Elle se souvenait bien que Gradguer devait partir. Elle lui en voulait, mais elle était également triste, notamment à cause de sa propre réaction de la veille. À sa plus grande surprise, elle vit le veilleur s'approcher et embrasser la barde.
- Ça alors !
Elle ne put retenir son cri de surprise. Jamais elle n'aurait pensé que, malgré leur proximité, le veilleur taciturne et froid puisse aimer la barde joyeuse et aussi vive que chaleureuse.
- Alors, p'tite ! T'es enfin levée ? Va les voir, écoute, ton...
Léna sursauta encore une fois et se tourna vers le nain qui venait de lui faire peur.
- Mon quoi ?
Il haussa les épaules et sembla se renfrogner du fait qu'elle l'ait coupé.
- Rien. Bref, pourquoi tu veux pas aller les voir ? Gradguer s'en va bientôt.
- Non.
Le nain soupira. Voilà que cette jeune humaine se refermait à nouveau. Les enfants humains mettaient décidément du temps à se rendre compte de leurs erreurs et de ce qui importait vraiment. Sans compter qu'ils mûrissaient lentement. Après tout, qu'est-ce que ça lui faisait, ce n'était pas lui son père... Il haussa les épaules.
- Comme tu veux, mais reste pas à rien faire, c'est pas bon pour le moral. Viens m'aider à préparer la mangeaille pour lui.
Elle baissa la tête, un peu honteuse, mais le suivit tout de même pour l'aider, et ils descendirent dans la cave. La cave voûtée en pierre servait de réserve. Ici, des tonneaux de vin et de bière reposaient dans une fraîcheur constante. Des étagères en bois stockaient des provisions de longue durée, des fromages affinés et des jambons suspendus. C'était également là que le nain gardait son trésor le plus précieux : une collection de bouteilles de liqueur de nain, chaque gorgée était, d'après ses dires, un concentré de savoir-faire ancestral. Grâce au nain qui faisait régulièrement des plaisanteries sur différents aliments, elle reprit sa bonne humeur et bientôt la cave résonna de leurs rires.
Dehors, Gradguer et Annaria préparaient le seul cheval de l'auberge, qui servait aux courriers, que le nain lui avait prêté le matin même. Ils discutaient en même temps.
- Je sais que tu dois partir, mais fais attention à toi, hein ?
- Oui, je te l'ai dit hier, je te promets de faire attention.
Le veilleur s'approcha et l'embrassa tendrement. La barde, à nouveau inquiète, avait passé une nuit d'amour avec son homme et voyait enfin l'amour qu'elle lui portait depuis toujours être récompensé. Voyant son désarroi, il s'approcha d'elle. Son gambison et son manteau de cuir étaient usés, mais son épée, elle, était encore parfaitement affûtée. En levant la tête, elle vit dans ses yeux si beaux et particuliers une lueur chatoyer.
- Anna. Il lui prit la taille. Quand je reviendrai, je te promets, nous...
Il se racla la gorge. Les yeux de la femme se détachèrent des siens et elle sourit.
- Quand tu reviendras, nous verrons.
- Très bien...
Il resta près d'elle un moment puis retourna vers la taverne afin de prendre les provisions. Il entendit les deux autres plaisanter et attendit donc que le nain remonte de lui-même afin de ne pas les déranger. Léna avait besoin de s'amuser.
Après quelques minutes, il entendit une voix crier à l'extérieur.
- Maître Agrir ! C'est le messager ! Je suis arrivé, désolé de vous déranger.
Comme le nain était dans la cave, le veilleur décida de descendre afin de lui apporter la nouvelle. Il le croisa d'ailleurs dans les escaliers et lui transmit l'information. Pourtant, le nain lui répondit, étonné, en grommelant qu'il n'attendait rien ni personne. Ils entendirent à nouveau le messager.
- Je suis désolé, maître nain, je sais que vous êtes avec des invités, mais c'est urgent, que l'un d'entre eux vienne récupérer mon colis si vous êtes occupé !
Le nain allait avancer, mais Gradguer le stoppa, soucieux.
- C'est étrange, vous avez dit que vous n'attendiez rien. De plus, comment sait-il que vous avez des invités, que nous sommes là...
Il s'arrêta et ses yeux s'ouvrirent en grand. Le nain mit quelques secondes, puis se tourna également vers lui. Anna !
Le nain, par précaution, alla chercher la jeune fille tandis que le guerrier s'approcha d'une fenêtre pour observer l'extérieur. Il vit Annaria être hissée par deux hommes habillés de noir sur un autre cheval.
- Anna !
Cette fois-ci, il hurla son nom avant de sortir violemment de la taverne, l'épée en main. À peine eut-il mis un pied dehors que trois carreaux d'arbalète fusèrent vers lui. Si les deux premiers se plantèrent dans la porte, le troisième s'enfonça dans son épaule, lui causant immédiatement une douleur fulgurante. Pourtant, mû par la rage, il continua à avancer vers les trois arbalétriers qui étaient placés devant le cheval. Sous ses yeux, il vit les deux hommes, qui tenaient fermement son amour et l'avaient bâillonnée, monter sur des chevaux avec la barde et filer à bride abattue. Juste avant que les chevaux ne se mettent à galoper, le regard de l'homme se planta dans les yeux terrifiés et larmoyants d'Anna.
Ses yeux virèrent immédiatement au rouge et il fonça sur les trois hommes restants qui avaient finalement dégainé des armes de poing. Quelques minutes après, il laissa derrière lui les trois corps mutilés pour se précipiter à la suite des chevaux.
Mais soudain Étincelle se posa devant lui et sauta autour de lui, l'empêchant d'avancer.
- Dégage de là !
Gradguer, le cœur serré et la haine au regard, lui envoya un coup de pied. Pourtant, la jeune dragonne revint et lui sauta dessus pour le faire tomber. Elle n'y parvint pas, mais elle le sortit de sa frénésie meurtrière.
- Qu'as-tu, bon sang, Étincelle !
Pour une fois, Étincelle lui envoya directement une image. La sensation de se connecter à l'esprit de la dragonne était très particulière. Pourtant, il ne put y réfléchir, car l'image qu'elle lui envoya était celle d'une quinzaine d'hommes en noir qui se dirigeaient vers la taverne. S'il continuait, il allait tomber dans leur embuscade. Aussitôt après, Étincelle se retira de son esprit. Il se pencha et la prit dans ses bras avant de courir dans l'autre sens pour prévenir la jeune fille et le nain.
- Merci, Étincelle, merci...
Lorsqu'il déboula dans la taverne, Agrir manqua de se jeter sur lui, hache en main.
- Bordel ! Mais qu'est-ce que tu fous, putain !
Le veilleur, essoufflé, laissa la dragonne rejoindre les bras de Léna avant d'entreprendre de fermer la porte et de la verrouiller, puis de faire de même avec les volets des fenêtres.
- Anna a été capturée. Une quinzaine d'hommes viennent vers nous, c'est elle, il pointa la dragonne, qui les a vus. Ils seront là d'ici peu. Léna, viens, on doit fuir.
Alors que la petite était terrifiée et que les larmes lui montaient aux yeux, le nain lui serra la main et se plaça devant elle.
- Je viens avec elle !
Le veilleur, sincèrement surpris, le regarda, interloqué.
- Mais pourquoi ? Cette taverne brûlera si on te voit avec nous. Tu ne nous dois rien, pourquoi fais-tu cela ? Si tu nous aides, tu vas souffrir !
Le nain lui répondit d'une voix étrangement triste et énigmatique.
- Parce que je me suis attaché à cette petite, et qu'ils sont quinze, et toi seul, mon vieux, tu te feras tuer. Sortons par le tunnel de la cave, il est caché et sécurisé. Pour ce qui est de cette maison et de ma présence ici, ça importe peu. Tant pis. Vivre, c'est souffrir ; survivre, c'est donner un sens à sa souffrance, mon gars. Ce n'est pas pareil.
Le veilleur prit quelques instants pour réfléchir avant de répondre, sûr de lui.
- Très bien, alors vous allez fuir tous les deux. Agrir, tu veilleras sur elle. Passez par le tunnel, je vais les retarder et tenir cette maison. Ici, j'ai mes chances. Pas de discussions. Prenez des provisions, puis partez. Partez loin, et vite. Je vous retrouverai.
Le nain resta un instant à regarder le guerrier. Puis il hocha lentement la tête.
- D'accord, mon gars, d'accord. Je la protégerai, je le jure.
- Comment ça, d'accord ! Non, tu viens avec nous !
Léna repoussa le nain et vint serrer le veilleur. Les larmes coulaient en un flot ininterrompu sur ses joues rougies.
- Non ! Je ne veux pas te perdre, pas comme Annaria ! Je peux t'aider.
Il se mit à genoux devant elle et la serra contre lui.
- Léna... S'ils ne meurent pas, ils nous traqueront. Je dois les attendre ici, brouiller les pistes, leur faire peur, gagner du temps... Je dois retrouver Anna, elle est en vie. Elle a été emmenée, je dois la sortir de là parce que...
- Parce que tu l'aimes...
Il lui caressa la tête, le cœur lourd. Son cœur se serrait de tristesse, de crainte et d'amour. Cette petite était sa fille, qu'importe son passé et même le sien, il était son père depuis qu'il l'avait recueillie. Il la protégerait, il lui ramènerait Anna. Dût-il en mourir, il sauverait ses deux amours. Une larme coula pour la première fois depuis plusieurs années le long de sa joue et se perdit dans la masse de cheveux blonds qu'il caressait.
- Oui, je l'aime. Comme je t'aime. C'est pour ça que tu dois vivre et fuir.
Léna regardait Gradguer avec des yeux implorants, cherchant une solution qui n'impliquerait pas de le laisser derrière. Gradguer, armé et déterminé, se tenait devant elle, son regard empreint de tristesse et de résolution.
- Je ne peux pas te laisser ici, Gradguer. Tu vas te faire tuer !
- Écoute-moi, Léna. Ta vie est plus importante que tout le reste. Tu dois vivre, pour toi et pour tous ceux qui comptent sur toi. Va, vite. Je serai toujours avec toi, d'une manière ou d'une autre.
Elle le regarda dans les yeux avant de fondre complètement en larmes.
- Je t'aime... père... je t'aime.
- Partez.
Le nain arracha Léna des bras du veilleur. Il était trop petit pour la porter, mais sinon, il l'aurait fait. Il l'emmena avec lui après un dernier signe de tête au guerrier. Léna recula à contrecœur, ses yeux ne quittant pas ceux de Gradguer. Elle savait qu'il faisait cela par amour, même si elle ignorait la profondeur de ce lien. Avec un dernier regard empreint de tristesse et de gratitude, elle s'en fut, son cœur lourd de chagrin.
Léna courait à travers la forêt, les larmes brouillant sa vision, mais elle savait qu'elle devait continuer. La maison derrière elle était désormais le champ de bataille de Gradguer, un homme qu'elle venait de voir pleurer, elle venait de comprendre à quel point il tenait à elle. La douleur de la séparation était écrasante, mais la promesse faite à Gradguer lui donnait la force de continuer.
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