Chapitre 12 : Une ville mouvementée
La jeune fille fit signe à son dragon de rester caché derrière les rochers un peu plus loin dans la forêt. Elle ajouta à ses signes la parole afin d'être certaine que son dragon l'écoute. Puis, après l'avoir vu se faufiler, elle sortit elle aussi de la forêt et se dirigea vers la ville.
Elle y entra sans difficulté en se faufilant parmi les badauds et en suivant une charrette. Cette prudence était néanmoins inutile, car des deux gardes qui protégeaient la porte, l'un dormait et l'autre discutait avec un beau garçon et ne semblait pas attentif à ce qui se passait autour de lui. La petite cité-État était moins grande et prestigieuse que Daret ; elle était particulièrement axée sur l'accueil des voyageurs et la préparation des expéditions vers le désert du Hadrac, plus au sud, ce qui expliquait le nombre impressionnant d'auberges à l'intérieur de la cité.
Elle se faufila donc dans la cité et commença son exploration. Elle marcha un moment dans la ville, essayant d'attirer le moins de regards possible.
Elle n'était pas venue ici sans but ; il lui fallait une tunique, car ses vêtements actuels ne cachaient plus rien et avec l'hiver approchant, elle risquait de prendre froid. De même, ses chaussures étaient si endommagées qu'elle marchait pieds nus. Elle était particulièrement dégoûtée de cela. Elle avait certes laissé derrière elle sa vie de princesse, mais elle ne voulait quand même pas ressembler à une mendiante. Il lui restait un soupçon de dignité. Elle aimerait aussi trouver une arme, une dague au moins. Il lui faudrait évidemment voler ce dont elle avait besoin, mais elle espérait ensuite trouver un travail pour un temps afin de régler honorablement ses dettes.
Elle savait que son dragon, avec lequel elle pouvait « converser » par la pensée grâce à des images, des impressions et des sentiments, n'était pas d'accord avec cela ; il ne comprenait pas encore, malgré ses explications, le principe de paiement.
Encore fallait-il qu'elle soit proche de lui afin de lui parler. Elle fut tirée de ses pensées par une voix grave.
- Hep ! Petite. Bouge de là !
Elle se tourna vers l'homme qui lui parlait. C'était un gros paysan dont le crâne chauve brillait à cause de la sueur. L'homme tirait une lourde charrette remplie de légumes et de sacs de grain et elle était sur sa route.
Elle se décala prestement sans faire d'histoire, même si elle n'avait pas apprécié le ton de l'homme. Elle arriva bientôt à la place de la cité où de nombreux étals étaient encore présents.
Elle fureta un moment et réussit discrètement à prendre une pile de vêtements à l'insu du vendeur qui discutait avec un groupe de femmes. Elle courut se mettre à l'abri dans une ruelle.
Son larcin consistait en une robe verte de haute couture aux bords dentelés et brodés de délicats motifs dorés, un haut de chausses en tissu léger parfait pour le voyage et deux chemises à corsets.
Elle voulut se changer avec les chausses et une chemise et rendre le reste, mais elle s'arrêta dans son geste. Elle n'allait tout de même pas se changer ainsi au milieu de cette rue. Qui plus est, elle trouvait dommage de laisser une si belle robe derrière elle. Ayant peur d'être découverte, elle cacha ses prises sous un tas de vieux paniers, puis se rendit à nouveau sur le marché. Ses pas et son intention la menèrent jusqu'à un établissement de tannage, sentant fort le cuir et les produits de tannerie.
Elle repéra ce qu'elle cherchait : un beau petit sac de cuir qu'elle pourrait porter. Mais le tanneur, un homme de petite taille aux cheveux et à la barbe noire bien fournie, lui sourit chaleureusement.
- Salutation, jeune fille, tu cherches quelque chose de particulier pour tes parents ? Ou tu veux juste regarder ?
La jeune fille prit soudainement conscience que voler ainsi allait à l'encontre de ce qu'on lui avait enseigné. L'homme l'accueillait chaleureusement et ne paraissait pas mauvais. Elle regrettait de vouloir le voler. Elle répondit tout de même d'une petite voix.
- Bonjour monsieur, je... j'aime beaucoup ce sac.
Elle pointa du doigt l'élément tout en parlant. L'homme lui répondit avec un grand sourire et un petit rire s'échappa de sa gorge.
- Ah très bien, pour ton papa l'explorateur je suppose ? Il coûte 4 pièces d'or tu comprends ?
Voyant que la jeune fille ne répondait pas, il arrêta de rire et se pencha vers elle.
- Comment t'appelles-tu ? Tout va bien ?
La jeune fille hésita, mais elle répondit finalement, cachant qu'elle était l'ancienne princesse de Daret.
- Je me nomme Léna. Je m'excuse monsieur, j'aurais besoin de ce sac mais je n'ai rien.
L'homme se redressa et se gratta le menton. Il semblait peiné par l'état de la jeune fille, surtout si elle était seule. Il fit donc un geste de la main et tendit le sac à la jeune fille.
- Je ne peux pas faire plus, jeune fille, mais je souhaite de tout cœur que la chance t'accompagne, que Stror et Uitu te gardent, ou tous autres dieux.
La jeune fille se confondit en remerciements, récupéra le sac et repartit chercher ses vêtements. Ils étaient toujours bien pliés et cachés sous les paniers ; elle les saisit et commença à se diriger avant de sortir de la cité.
Elle se passerait de dague ou quoi que ce soit d'autre, elle se sentait déjà bien trop mal. Elle sortit de la ville alors que la nuit tombait et recouvrait monts et forêts de sa chape noirâtre. Elle se rendit vers l'endroit où Étincelle l'attendait.
Elle était assise sur un rocher, ses écailles carmines scintillantes sous la lune. Elle leva la tête et Léna sentit qu'elle lui transmettait la satisfaction de la voir revenir et l'entendit dire « Ami Léna » par la pensée. Elle sourit en entendant les deux seuls mots que sa jeune dragonne savait articuler.
Elle s'assit donc à côté d'elle.
- Va chasser, Étincelle, s'il te plaît. Je suis triste et épuisée, j'aimerais manger quelque chose de chaud, je vais me changer et faire un feu.
La créature utilisa ses ailes pour faire un bond joyeux qui la propulsa en haut d'un arbre et elle disparut sans perdre de temps dans les branches des arbres. Elle fit ce qu'elle avait dit à sa dragonne et bientôt un petit feu crépitait, et les lueurs jaunes et oranges des flammes éclairaient en tremblant le visage de la jeune Léna, assombri par les pensées de son passé qu'elle ressassait.
Elle imaginait le visage de celui qui avait détruit sa vie, de petits yeux cruels, une bouche d'où sortait une langue de serpent sifflant malédiction et mensonge ; elle imaginait quelqu'un de banal, quelqu'un qu'elle pourrait tuer... Elle voulait sa mort.
Sa dragonne rentra avec une jeune biche à laquelle elle avait tordu le cou en lui tombant dessus depuis les frondaisons. Lorsque Léna reçut l'image par la pensée, cela la sortit de ses réflexions et un beau sourire illumina son visage.
- Tu devrais t'entraîner davantage à voler. Tu pourrais alors nous emmener à travers le monde quand tu seras grande.
Elle joignit à la parole les gestes en battant des ailes, puis elle lui transmit des images du ciel.
- Nous pourrions aller où nous voulons, je trouverai quelqu'un pour m'apprendre la magie et nous découvririons le vaste monde au-delà de l'ancien continent.
Étincelle lâcha sa proie et s'amusa à sauter autour de la jeune fille en produisant un bruit rauque qui était sa manière de rire. Léna l'attrapa et la souleva difficilement, sa dragonne s'accrocha alors à sa tête et se mit à battre des ailes. En éclatant d'un grand rire, l'ancienne princesse se mit à courir pour simuler un vol.
- Allez, vole ! Regarde, tu peux le faire !
Toutes deux finirent par arrêter leur jeu, commençant à fatiguer. La créature lécha à plusieurs reprises le visage de sa maîtresse et amie avant que celle-ci ne commence à découper la biche avec l'aide de sa dragonne qui utilisait ses griffes. Elles mangèrent puis la nuit, apportant ses étoiles et son sombre ciel, elles s'endormirent, fatiguées mais heureuses, sous la lune.
Le lendemain, Léna attendit que son amie soit elle aussi réveillée pour s'affairer, car elle avait pris une décision.
- Hep ma belle, nous allons partir un peu. Je veux traverser les montagnes, aller au nord. Cela nous fera de l'entraînement et le nord est plus développé. J'ai entendu plusieurs hommes parler avec admiration de l'Eredor, d'accord ?
Le dragon pencha la tête sur le côté et lui transmit une vague de questionnement et d'excitation joyeuse. Sa jeune maîtresse lui gratta le menton en continuant à lui expliquer ses raisons d'une voix posée mais pensive.
- Cela va nous permettre de nous renforcer un peu. Je veux aller en Eredor, apprendre à manier l'épée et en trouver une, je veux me venger... Tu comprends ? Mais je suis trop jeune et faible, toi-même tu n'es pas prête à m'aider et je ne veux pas que tu sois blessée. Cette aventure résoudra plusieurs de ces remarques...
Bien qu'elle lui fit d'abord comprendre qu'elle était blessée qu'elle la considère sans défense elle finit par lui transmettre une vague de soutien et de compréhension. La jeune fille lui sourit.
- Tu es désormais ma seule amie... Nous deviendrons plus fortes ensemble et je me vengerai de ceux qui ont tué mon père.
La dragonne sauta autour d'elle en poussant de petits cris aigus tandis qu'elle rassemblait ses rares affaires avant de partir.
Elles commencèrent leur ascension qui durant plusieurs heures ne présenta aucune difficulté. Puis lors d'une pause, Étincelle se mit subitement à s'hérisser et courber le dos en battant de la queue.
Léna tenta bien de la calmer mais la jeune créature se mit à courir vers un pan rocheux s'arrêtant juste pour que son amie la retrouve et repartait alors aussitôt.
- Tu veux que je te suive hein ? Très bien.
En la suivant, elle arriva devant une arche de pierre moussue qui encadrait l'entrée de quelque chose construit dans la roche. Elle frissonna devant cette surprise incongrue et inquiétante mais fut obligée d'y entrer à la suite de sa compagne. Elle parcourut quelques mètres dans la pénombre presque totale du lieu froid et inconnu avant d'arriver dans une grande salle légèrement éclairée où une femme, à genoux, caressait la tête d'Étincelle. La femme se redressa lorsqu'elle rentra dans la pièce et courba la tête pour la saluer.
- Bienvenue à toi, Dragonnier, je suis prophétesse. Je t'attendais ma fille...
Au cœur de la salle vide, l'écho de cette phrase prit vie comme un fantôme sonore. Chaque son, chaque souffle, chaque pas de la femme qui tournait autour d'elle, se propageait à travers l'immensité du silence, rebondissant sur les murs nus avec une délicatesse troublante. Les bruits timides prenaient une nouvelle dimension, évoquant un dialogue secret entre les ombres et les résonances. Les échos, semblables à des vagabonds sonores, erraient sans contrainte, révélant la vacuité de l'espace tout en amplifiant la solitude qui imprégnait la pièce presque déserte.
Chaque note répétée devenait une mémoire fugace, s'entrelaçant avec l'absence palpable, créant une symphonie silencieuse qui habitait les murs dénudés. La prophétesse en elle-même était une petite femme d'une quarantaine d'années à la peau presque blafarde et aux yeux bleus profonds.
Ses cheveux blonds tirant vers le blanc étaient coupés de manière presque garçonne et ainsi assez courts.
Son antre mystique était une salle enveloppée de voiles délicats, tissés de fils d'or et d'argent, suspendus comme des rideaux éthérés. La lueur tamisée d'une myriade de petites chandelles aux flammes dansantes avec les ombres créait une atmosphère envoûtante où le temps semblait suspendu. Les murs, ornés de parchemins anciens, révélaient les échos des prophéties passées, tandis que des étagères de bois sombre abritaient des grimoires antiques, reliques de sagesse accumulée au fil des âges.
Les senteurs enivrantes d'encens rares se mêlaient au parfum délicat des herbes séchées, créant un bouquet mystique qui imprégnait l'air. Au centre de la salle, un autel de pierre émergeait comme un autel sacré, gravé de symboles énigmatiques et surmonté d'une boule de cristal lustré.
La jeune fille resta figée d'hébétude. Elle ne savait que répondre et si ce qu'elle voyait autour d'elle était réel ou non. Elle se frotta les yeux pour vérifier qu'elle ne rêvait pas. La petite dragonne quitta les jambes de la prophétesse pour venir se coller contre celles de Léna. Alors qu'elle reprenait ses esprits, elle n'eut le temps de prononcer un mot car les yeux de la femme s'éclairèrent sporadiquement d'une lueur cuivrée. Sa voix était sourde comme sortant du fond des âges.
- On tentera de se servir de toi, ô fille convoitée. Un homme te traque et ce n'est que lorsque tu auras retrouvé les tiens puis les étoiles de la vie que la mort viendra te sauver. Seule une présence aimée pourra alors te faire revenir.
Les paroles prophétiques résonnèrent lentement, comme un coup de tonnerre annonciateur de malheur, dans la salle.
- Que ? comment ?
La fille se couvrit la bouche de ses mains en faisant un pas vers l'arrière et sa gorge se serra. Qui était cette femme ? Sa mère avait quitté le château de son père lorsqu'elle n'avait que cinq ans. Pouvait-elle vraiment être cette femme ? Ou était-elle juste folle et appelait tous ceux qu'elle croisait ainsi ?
Puis elle prit conscience des paroles lourdes de sens sur son futur. Elle s'évanouit alors sous le choc de ces révélations et la fatigue accumulée depuis trop longtemps.
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