Chapitre 10 : Tout fini et tout commence

Les jours suivants, Annaria fut surprise du changement d'ambiance. Gradguer était sombre et tourmenté et parlait peu. Durant trois jours, la même routine se déroula : Gradguer se levait et se soignait, ils avançaient vers Tirem et s'arrêtaient pour manger, puis repartaient. Lorsque la nuit tombait, ils s'arrêtaient, le veilleur tenait absolument à s'entraîner et très souvent sa séance s'arrêtait sur un cri de douleur causé par sa blessure et Annaria le soignait alors. Tout cela se déroulait principalement dans le silence ou sous la douce musique et les chants de la barde. Elle se demandait pourquoi il agissait ainsi, elle en était peinée. Etait-ce a cause de ses démonstrations à leurs retrouvailles qu'il reprenait de la distance ? Elle ne saurait le dire.

C'est au terme de ces trois jours qu'ils arrivèrent en début de soirée à un petit village. Les montures étaient fatiguées par le trajet dans les collines rocailleuses qu'ils avaient traversées. Le veilleur se tourna alors vers son amie.

- Nous allons dormir ici, à la taverne. J'ai aussi vu une herboriste et j'irai donc la voir pour soigner définitivement ces maudites blessures.

Elle hocha la tête avant de répondre.

- D'accord, je vais voir si je peux chanter dans la taverne pour nous avoir une chambre, nous nous y retrouverons. Et Grad...

Il l'a coupa rapidement avant de tourner les talons.

- Nous nous retrouverons tout à l'heure Anna.

Ils se séparèrent et tandis qu'Anna allait penaude dans la taverne, l'homme alla se soigner auprès de la vendeuse de plantes du village.

La jeune femme rentra dans l'auberge et parla rapidement au tavernier, elle lui prit aussi une chambre en lui promettant de chanter pour ces clients demain. Le tavernier, un homme d'embonpoint mais des plus polie accepta et n'insista pas voyant que la femme semblait songeuse.

Celle-ci monta et entra dans sa chambre. Elle y déposa rapidement ses quelques affaires puis partie se nettoyer rapidement dans la petite salle d'eau. L'eau coulant sur son corps lui remonta un peu le moral en l'apaisant. Elle décida ensuite de s'occuper de ses beaux cheveux qui avaient bien souffert durant ces derniers jours. Ce soin familier termina de la réconforter. Elle aimait brosser ses cheveux tous comme sa mère les lui brossaient dans sa toute tendre enfance...

Lorsque le veilleur sortit, la nuit était déjà haute dans le ciel. Il allait se rendre à la taverne quand il vit un attroupement de gens non loin à la sortie du village. Intrigué, il s'y dirigea. Un petit tumulus de terre se dressait non loin d'un cimetière. Il frissonna sous le froid du vent et de la soirée.

De nombreuses personnes étaient regroupées et se recueillaient autour d'un tumulus.

Il s'approcha et l'une des personnes présentes dû se rendre compte de son désarroi et s'approcha amicalement.

- Salutations, voyageur ! Vous cherchez quelque chose ?

Il le salua d'un signe de tête.

- J'espère que je n'interromps rien, j'étais simplement curieux de votre regroupement.

- Je vois, ne vous inquiétez pas, nous avons juste pour habitude de prier ici dans le village. Il s'agit de la carcasse d'un dragon bleu qui est enterrée ici. Il n'était pas agressif et est mort ici simplement, de vieillesse probablement ou de maladie. C'est devenu une tradition de pleurer nos morts qui n'ont pas pu être enterrés ici.

Le veilleur se frotta le menton, ce n'était pas forcément idiot. Il serra la main de l'homme qui lui parlait et se présenta.

- Enchanté, je m'appelle Gradguer.

- De même, Bredom, je suis forgeron.

Il lui serra aussi la main.

- Vous priez vous aussi ? Alandre ou l'Eredrism ? N'y voyez aucunes malices, une simple demande.

Bredom mit quelque temps pour répondre.

- Je pense simplement à mon fils, mais je ne crois en aucun dieu.

- Mes excuses, je ne voulais pas.

Le silence prit place dans la nuit. Il allait rebrousser chemin mais sa nouvelle connaissance continua.

- On lui a donné le prénom du père de sa mère, mon aîné, mon seul fils, il y a quelques hivers de ça, il s'est piqué de rejoindre les rangs des soldats d'Eredor. Ça a toujours été une tête de mule, celui-là. On croyait que, grâce à ça, il s'en sortirait bien, mais... il a filé sans nous informer, et on n'a plus eu de nouvelles durant plusieurs années. Deux soldats sont passés bien plus tard pour nous dire qu'ils avaient combattu à ses côtés contre les troupes de l'empire lors d'une escarmouche sans importance, sur ma vie ! T'imagines ça, toi ?

Bredom secoua la tête et renifla avant de poursuivre :

- Que des soldats disent eux-mêmes qu'un de leur camarade est mort pour rien, belle preuve que les dirigeants n'en n'ont rien à faire de ceux qui meurent pour eux, même par patriotisme. C'est pas croyable... Bref, les hommes qui sont venus, ils étaient fourbus par le voyage et las des batailles. Enfin bref, ils m'ont annoncé, eh ben, ils m'ont expliqué qu'Ervo était avec eux quand les troupes de l'Empire ont donné la charge, et alors...

La poitrine de Bredom se souleva et s'abaissa plusieurs fois. Puis le forgeron contempla les étoiles, et, bien que Gradguer ne voulût pas voir, il tourna la tête vers lui et décela le scintillement argenté des larmes dans ses yeux.

- C'est drôle, hein ? Pendant toute leur enfance, on se donne du mal pour nourrir et vêtir un enfant. On prend soin de lui. Tous les quatre matins, on lui évite de se faire mal sur je ne sais quoi. Mais on ne peut pas le protéger de lui-même. Ervo, lui... il voulait s'impliquer dans quelque chose de grand, je pense. Il voulait se trouver une cause à défendre, et c'est sûr que ce n'est pas à la forge, ni avec moi son père, qu'il l'aurait trouvée... Il a toujours été cabochard.

Il secoua la tête et un sourire de dépit apparut sur son visage.

- Je n'ai jamais vu son corps. Je n'aurais pas cru, mais c'est ça le plus dur. Sans corps, on ne peut pas faire ses adieux convenablement.

Il désigna le tumulus d'un geste de la main.

- Alors, il faudra que je me contente de la dépouille, si jamais ça arrive un jour jusqu'à moi...

Il avait la bouche et la gorge si sèches que parler était difficile.

- Ainsi va le monde, les gens meurent, et ce n'est pas la tristesse qui arrangera les choses, mais merci quand même, étranger.

- Mes condoléances, finit-il par dire.

Sans quitter les étoiles des yeux, le forgeron ajouta :

- Si tu veux, ça peut aider de vider son sac. Et si tu n'en as pas envie, c'est bien aussi. Parler, parler pour ne pas pleurer. Ma mère m'a toujours dit que la communication, c'était important. Elle n'avait pas tort, ça aide à se sentir mieux de parler, c'est important, ça aide d'avoir quelqu'un, j'ai une chance d'avoir ma femme, mais un aventurier comme vous n'a peut-être pas autant de chance, sans vous offenser.

L'intimité qu'offraient les ombres du crépuscule délia la langue de Gradguer, lui donna le sentiment qu'il pouvait aborder des sujets qui, d'ordinaire, étaient trop pénibles à évoquer. Mais il avait conscience qu'il s'agissait là d'une impression erronée d'anonymat, aussi choisit-il ses mots avec le plus grand soin :

- J'ai perdu... Une personne que j'aimais. Tuée par les hommes d'un seigneur dont j'ai oublié le nom.

- Ah, mince, c'est un coup dur, pour sûr. D'aucuns diraient pas aussi dur que ce que d'autres ont subi.

Maillet cessa de regarder le ciel.

- Moi, mon avis, c'est que toute douleur est égale. Tout le monde a le droit à la sienne, tiens. Ça serait bizarre de dire qu'une douleur est moins pénible qu'une autre sans savoir ce que les autres endurent. Je ne sais pas si c'est clair, ce que je dis.

- Ça l'est.

Ils restèrent tous deux silencieux un petit moment avant que Bredom se tourne à nouveau vers le veilleur.

- Tu sais, je pense que c'est ça l'amour. On a toujours besoin de quelqu'un avec soi. C'est une des parties de l'amour je pense, peut-être pas d'autant d'importance pour tout le monde mais quand même. Peu importe la forme qu'il prend, l'amour sert à ça, c'est une forme de garantie que tu auras toujours quelqu'un avec toi, et quelqu'un qui compte pour toi. Que ce soit l'amour d'un enfant pour ses parents, de frère l'un pour l'autre ou d'une personne envers la personne qu'il aime, quelle qu'elle soit, et avec laquelle il veut justement passer sa vie. T'en penses quoi ?

Gradguer resta pensif, cet homme n'avait pas l'air d'être un grand sage déguisé ou qui que ce soit d'important, c'était un homme du commun et pourtant ce qu'il disait sonnait plus juste que ce que beaucoup de penseurs avançaient. Il avait peut-être raison, sur toute la ligne, ces mots raisonnaient en tous cas dans son esprit.

Bredom eut un grommellement amusé, hocha la tête, et le surprit en lui donnant une tape sur l'épaule.

- Tu m'as l'air d'un gars qui veut être seul, alors je vais te ficher la paix, mais si tu changes d'avis, je suis par là-bas.

Le forgeron fit le tour du tumulus, et ne fut bientôt plus qu'une silhouette noire à l'autre bout. En réalité, Gradguer eut envie de le rappeler, il était dans ces pensées et c'était la seule raison de son silence. Mais il se reprit et après encore quelques secondes, il enfourna ses mains dans son manteau et retourna à l'auberge pensif.

L'ambiance y était chaleureuse mais Gradguer n'en avait cure.

- Tavernier ! Une jeune barde est venue il y a peu, elle vous a pris une chambre ?

- Oui-da, la numéro un. Il vous faut autre chose ?

Il fit signe que non et monta. Anna n'avait pris qu'une chambre heureusement, pas la peine de payer pour plus.

Au moment d'entrer, il hésita. « J'espère qu'elle ne dort pas ». Puis il rentra à pas feutrés. Anna était là, assise sur le lit en se brossant les cheveux. Il rentra et se dirigea vers elle sans pour autant qu'elle ne réagisse.

- Anna, je suis désolé.

Elle se retourna et le regarda avec surprise. L'homme lui prit la main et la regarda dans les yeux.

- Anna, pardonne-moi, j'ai été odieux avec toi, surtout... Surtout que je t'aime Anna. Je t'aime et j'ai peur. Ma vie est loin d'être tranquille, mais je ne peux la changer, je ne veux pas te perdre non plus, je tiens trop à toi, je ne veux pas refaire la même erreur.

Alors qu'elle affichait premièrement une surprise non feinte, elle finit par éclater de rire.

Gradguer eut alors un mouvement de recul et sentit son cœur se serrer. Mais lorsqu'il se recula, son amie le saisit par le cou et l'embrassa. Lorsqu'ils se séparèrent, l'homme affichait toujours son air sévère habituel mais maintenant ses yeux et son visage étaient illuminés d'un bonheur qui l'avait déserté depuis longtemps.

Annaria semblait illuminée de l'intérieur et riait de joie, toute pression quittant son corps.

- Je t'aime aussi Grad, nous resterons ensemble quoi qu'il arrive, je n'ai pas peur de t'aider...

Elle vint le serrer dans ses bras et il respira profondément s'imprégnant de son parfum.

- Je te protègerais, mais par pitié, ne te met pas en danger.

Elle prit sa tête dans ses mains et le regarda dans les yeux.

- Je ne fuirais pas si tu es en danger, mais je n'ai aucune crainte.

Dans la chambre baignée par la douce lueur d'une lampe à huile, les deux amants s'allongèrent cote à cote. Les rideaux de lin blancs dansaient légèrement avec la brise qui s'infiltrait par la fenêtre entrouverte. Le parfum des fleurs sauvages embaumait la pièce, créant une atmosphère envoûtante. Ils se regardaient avec tendresse, leurs yeux se perdant dans le reflet de l'autre. Lentement, leurs mains se cherchèrent et se trouvèrent, s'entrelaçant avec une douceur infinie. Ils s'approchaient l'un de l'autre, leurs lèvres se frôlant à peine dans un baiser timide, mais empreint d'une passion brûlante. Leurs souffles se mêlaient, chauds et irréguliers, tandis qu'ils s'abandonnaient l'un à l'autre, explorant chaque parcelle de peau avec une délicatesse exquise. Le temps semblait suspendu dans cette chambre. Et dans ce cocon d'intimité, ils se perdirent, se découvrant et se redécouvrant dans une étreinte tendre et sincère.

Le lendemain ils reprirent la route dans une ambiance bien meilleure pour une route qui leur prendrait près de quinze jours en s'arrêtant à Hedrath et ensuite en passant près de la forteresse de Limte.


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