Éclipse
Il y a sept ans que je la rencontrais pour la première fois.
Moi, petite boule rousse, abandonnée là par une mère fuyant les coups de feu de l'homme, elle, tout juste devenue femme, goûtant ses rares instants de solitude et de paix avant de retourner en enfer.
Mais ça, je ne le savais pas encore, tout comme je ne savais pas que ce visage rond, aux yeux mi-noisette, mi-miel d'acacia, encadré par un carré brun et blond, deviendrait le seul que j'eus hâte de revoir chaque jour... Ce qui comptait pour moi, nourrisson affamé, demeurait le lait et l'eau qu'elle m'apportait chaque jour, la chaleur de ses bras réconfortants, la douce voix, un peu aiguë sur les bords...
Annie, modèle de douceur et de patience, figure de mère pour moi, Lixy, renard abandonné. Annie, qui passa ses journées à se battre pour ma survie, Annie qui me nourrissait, me réchauffait, jouait avec moi, au mépris de sa propre vie.
Annie.
Annie, qui ne s'appelait pas Annie, d'ailleurs. C'était le surnom qu' "on" lui donnait, pour couper son prénom, trop long, trop inhabituel. Anne- ... ? Je ne me souvenais plus du reste, tout ce dont je me remémorais, était que son prénom symbolisait l'innocence, la pureté et la naïveté. Mais ma mémoire de renardeau ne me permettait pas de tout retenir, aussi, l'appelais-je Annie, tout simplement.
Annie, avec son énergie, sa figure rieuse, ses tenues qui cachaient toujours ses bras et ses jambes, longues jupes de tissu coloré, salopettes de couleur vive, qui masquaient toujours sa peau que je devinais légèrement hâlée sans trop savoir pourquoi. Son carré de cheveux bruns et blonds fouetté par le vent, le joli petit ruban orange qui dansait avec eux, ses beaux yeux brun-dorés emplis de larmes de joie et d'amusement lorsque le jeu nous prenaient et que je me jetais sur elle pour la mordiller de mes petites dents...
Annie, qui semblait toujours triste et inquiète avant de me rejoindre. À ce moment-là, son visage s'éclairait, et elle me serrait dans ses bras tandis que je la gratifiais de coups de langue...
Aurais-je dû comprendre ?
Bien sûr que oui.
Chaque fois qu'elle me cachait lorsqu'elle entendait du bruit dans notre petit jardin secret.
Ses vêtements longs, que j'avais déchirés un jour lors d'un jeu trop brutal, révélant des taches bleues et violettes, que, du haut de mes deux ans, je n'avais pas su interpréter.
Ce regard triste et inquiet lorsqu'elle me chuchotait :
« Je dois partir... » , et qu'elle se dirigeait vers la petite maison, tout au bout du chemin.
Aurais-je dû comprendre ?
Bien sûr que oui, mais comment imaginer un instant que tous les êtres humains n'étaient pas comme Annie, remplis de joie et de douceur ? J'en étais incapable, et c'est ce qui l'a perdue...
Jamais je n'oublierai, ce moment, si terrible, où, alors que je l'attendais tranquillement, elle est arrivée, boitant, les vêtements déchirés.
Et ce sang, ce sang, qui ruisselait de sont front, sur ses bras aux taches violettes et bleues, cette odeur suffocante de fer, ses blessures, comme si du verre l'avait entaillée. Et surtout, surtout, les larmes de douleur et de peine dans ses yeux d'acacia qui ne m'avaient jamais montré que de la joie...
******************
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top