Chapitre 21
Cela fait une bonne heure que je suis dans mon lit, à me tourner et me retourner dans tous les sens. Ce que m’a raconté Pye est absolument fou, mais j’ai envie d’y croire. Mais je crois aussi que même si je le voulais, mon esprit d’humaine n’est pas capable de comprendre ce genre de choses. J’ai vraiment l’impression que ma tête va exploser. Je me retourne une nouvelle fois, enfouie ma tête dans mon oreiller et hurle une petite seconde. Je reste dans cette position pendant quelques minutes avant que mon téléphone n’émette un bruit vif. Je l’attrape et le déverrouille pour découvrir un message d’Harry.
« Comment vas-tu ? »
Je souris malgré moi. Même si on se connait à peine, j’ai l’impression qu’il arrive toujours au moment où j’en ai le plus besoin.
« Tu as besoin de parler de ce qu’il s’est passé tout à l’heure ? » me demande t’il.
L’espace d’une seconde, j’ai envie de me confier à lui, mais j’ai peur qu’il me prenne pour une folle de croire à cette histoire.
« Non, tout va bien, rassure-toi. »
« Tu es sûre ? Je suis en bas de chez toi, si tu veux qu’on discute. »
Quoi ?! Je me lève et me précipite à ma fenêtre, pour voir Harry, assis sur sa voiture sous le lampadaire en bas de chez moi, me faire signe. Je ne peux m’empêcher de lâcher un rire bref, avant de me diriger vers ma porte. Une fois dehors, je rejoins mon ami et m’assied à côté de lui sur la voiture.
—Salut, me lance t’il.
—Salut. Qu’est-ce-que tu fais là ?
—Je me suis dit que ça te ferai du bien de voir du monde. Tu avais l’air assez stressée au bar tout à l’heure, alors j’ai décidé de venir te faire une petite surprise, et du coup…
Sans finir sa phrase, il se lève, se dirige vers son coffre et reviens avec deux petites bouteilles de bières. Je lâche un petit rire en attrapant la bouteille et en la plaquant contre la sienne.
— Tu essayes souvent de me faire boire j’ai l’impression.
— Tu n’as pas l’air de trop m’en vouloir pour ça, il me semble. Et puis, tu s l’air d’en avoir besoin. Mais si tu préfères, j’ai du Thé Glacé ?
Il retourne vers le coffre et me montre la bouteille. Je ris en secouant la tête.
— La bière c’est parfait. Merci.
—De rien, Tchin !
—Tchin.
Je bois une gorgée et mon regard se perd derrière l’arbre où l’homme aux yeux rouges est le plus souvent apparu et je lâche un frisson. Si ce que m’a dit Pye est vrai, il s’agirait de Hadès, le Roi des Enfers. C’est complètement fou. Et puis, si c’est vrai, est-ce que Hadès aurait vraiment que ça à faire de courir et effrayer une humaine ? Ça semble complètement illogique !
—Tu sais, me dis Harry avec un air légèrement gêné. J’aimerai te parler de quelque chose. A propos de Pye.
Je tourne la tête vers lui et l’observe une seconde. Il regarde fixement le sol, en faisant tourner sa bouteille dans sa main.
—Je t’écoute.
—Si je te dis ça, c’est pour toi, parce que… Je t’apprécie beaucoup.
Je sens mes joues commencer à me brûler une petite seconde, et je détourne le regard.
— Quand on était petits, on était très proches, avec Pye. On habitait seulement à quelques pâtés de maisons l’un de l’autre, on allait à l’école ensemble, on passait nos après-midis et nos week-ends ensemble… On était presque inséparables.
Je l’écoute attentivement, imaginant Harry et Pye enfants, comme deux meilleurs amis. Cette image me plait, bien que je me demande ce qu’il s’est passé pour qu’ils en soient arrivés là.
—Lorsque l’on a eu treize ans, il a rencontré une fille. Et il en est tombé amoureux.
Malgré moi, mon cœur se serre, et cache mon mal-être dans une gorgée d’alcool.
—Elle s’appelait Lise. Même à l’âge de treize ans, il était très attaché à elle. Mais un jour, alors qu’elle était avec ses parents, ils ont eu un accident de voiture. Les trois sont morts sur le coup.
Je me fige une seconde. Déjà pour un adulte, ce genre d’événement est difficile à vivre, alors pour un ado de treize ans, ça a dû être insupportable.
—C’est horrible… je lâche.
Harry reste silencieux une seconde, avant de prendre une gorgée de bière.
—Il n’a jamais été le même après ça. Il s’est renfermé sur lui-même pendant des semaines entières. Je ne le voyais presque plus. Il était devenu l’ombre de lui-même.
J’entends dans sa voix que de parler de cet évènement le blesse. En même temps, en plus de son cousin, Pye était son meilleur ami. Le voir se renfermer sur lui-même a dû être très dur à vivre pour un enfant aussi jeune.
—Et puis un jour, il est revenu au collège, comme si rien ne s’était passé. Quand je suis allé le voir, il avait l’air le plus heureux du monde. Je lui ai demandé comment ça allait, et il m’a répondu qu’il allait parfaitement bien, et qu’il avait trouvé le moyen de ramener Lise à la vie.
—La ramener à la vie ?
Il acquiesça silencieusement avant de porter une nouvelle fois le goulot à sa bouche.
—Il m’a dit qu’il avait découvert qu’en réalité, il était le fils de Zeus, et qu’il avait trouvé le moyen de jeter un sort à l’esprit de Lise, afin de la ramener dans le monde des vivants.
Je me fige, impatiente de connaitre la fin de l’histoire.
— Pensant à un jeu, continue t’il. J’en ai parlé à mes parents. Forcément, les choses ont mal tourné. Les parents de Pye l’ont emmené voir un pédopsychiatre. Ils ont alors découvert qu’il avait un trouble de l’identité, déclenché suite au choc de l’accident de Lise. Il est alors devenu très violent, et il a commencé à perdre la tête. Ses parents ont alors pris la difficile décision de l’envoyer en hôpital psychiatrique.
Je retiens mon souffle. Cette histoire est si difficile à entendre, j’ai du mal à imaginer ce que Pye à du ressentir. Enfermé si jeune !
— Il en est ressorti qu’il y a deux ans. Et dès qu’il a eu 18 ans, il a fui ses parents pour se rendre en France. Je ne sais pas par quel moyen il a réussi à quitter les Etats-Unis, vu qu’il y était encore majeur, mais il a refait sa vie directement ici, comme si rien ne s’était passé. Comme si les cinq ans qu’il avait passé en hôpital n’avaient jamais existé.
J’attrape une nouvelle fois ma bouteille pour la porter à ma bouche. Cette histoire est folle. Complètement folle.
—Et pourquoi tu me racontes tout ça ?
Il semble hésiter un instant, comme s’il ne savait pas s’il devait m’en parler ou non.
— Je sais que tu es proche de lui, et je sais que tu l’apprécie beaucoup plus qu’un ami. Mais, je t’apprécie, et en tant qu’ami je me devais te prévenir.
Il tourne la tête vers moi et nos yeux se croisent.
— Si Lise était encore en vie, elle te ressemblerait comme deux gouttes d’eau.
J’ai l’impression que mon cœur tombe au fond de mon ventre et mon souffle se coupe.
—Ça expliquerai… je bégaye. Qu’il s’intéresse à moi, c’est ça ?
—Exactement. Et je ne sais pas si pendant son séjour, il a réussi à passer à autre chose. Il a perdu cinq ans de sa vie, presque toute son adolescence, et j’ai peur qu’il ait repris sa vie où elle s’était arrêtée. Et qu’il te voit comme la Lise qu’il a connu.
Je baisse la tête et me concentre à nouveau sur ma bouteille de bière. Et bien qu’elle soit à un peu plus de la moitié, je la bois cul sec.
—Oulah, doucement ! me dit-il en récupérant la bouteille des mains. Si j’avais su que cela te ferai cet effet, je ne t’aurai rien dit.
—Ne t’en fait pas pour moi, je lui réponds. Il fallait juste que j’assimile toute cette histoire.
Alors, tout ce que m’a raconté Pye dans la journée n’était que dans son imagination ? En fait, ses « sentiments » qu’il dit avoir pour moi, sont en fait dirigés vers quelqu’un d’autre ? Vers Lise ? Je me sens bête d’y avoir cru. Et bête d’avoir pu penser une petite seconde que ce qu’il m’a dit tout à l’heure aurai pu être vrai.
—Je suis désolé de t’avoir dit tout ça, mais tu es une femme exceptionnelle, me dit-il en m’attirant doucement dans ses bras. Et tu as le droit de le savoir. Et maintenant, c’est à toi de prendre la décision de ce que tu veux faire.
Il finit de m’attirer vers lui et je mets ma tête dans son cou, ferme les yeux un instant.
—Merci. Merci d’être là pour moi.
—C’est normal.
Sur ces mots, il dépose un baiser sur mon front. Je lève le regard et mes yeux croisent la lune. Je pense qu’il est temps que je rentre chez moi, et réfléchir à tête reposée.
—Il est temps que je rentre, je dis.
—Bien sûr, excuse-moi de te retenir aussi tard.
Je m’éloigne une petite seconde pour lui faire face, et la proximité de son visage me trouble une seconde. Ses lèvres s’entrouvrent, et le reflet de la lune dans ses yeux les font briller d’une manière étrange. Je retiens mon souffle une seconde, mais je reprends mes esprits et m’éloigne soudainement.
—Je vais y aller. Merci pour la bière.
Je lui fais un signe et remonte jusqu’à chez moi, le cœur battant. Je croise mon père dans le salon, qui me demande si ça va, et je lui réponds rapidement avant de m’enfermer dans ma chambre. Contre la porte, mon esprit fonctionne à 100 à l’heure. Si tout ce que m’a raconté Harry est la vérité, alors je dois me méfier de Pye. Pourtant, il avait l’air tellement sincère… Alors… qui dois-je croire ?
J’ai très mal dormi cette nuit. Toute la journée, je réussi à ignorer Pye malgré ses insistances. Quand il me demande ce qu’il y a, je lui dis que j’ai besoin de réfléchir sur notre relation, sur tout ce qui arrive en ce moment. Je n’arrive pas à me résoudre à croire l’un ou l’autre des deux cousins. Je fais vraiment finir par devenir cinglée !
— Tu vas bien ? Me demande Harry en s’asseyant au bar alors que j’essuie un verre.
— Bien-sûr, pourquoi ?
— Ça fait bien dix bonnes minutes que tu essuies le même verre.
Je baisse les yeux pour me rendre compte qu’il a raison. Je soupire en le posant sur le bar.
— Il était très sale, tu sais ?
—Eh, m’interrompt-il. Tu peux te confier à moi, si tu veux, tu sais.
Je lève les yeux vers lui, et hésite. Sachant qu’il est au centre de mes interrogations, je ne me vois pas vraiment lui en parler.
—Tout va bien, ne t’en fais pas. Dis-moi plutôt comment ça se fait que je te vois tous les soirs au bar ? Tu es alcoolique ? A ton âge, ce serai dommage.
Il esquisse un sourire tandis que je lui sers sa bière habituelle et me fixe de ses yeux sombres.
—En fait, il y a quelqu’un que j’apprécie beaucoup au bar. Je ne viens pas pour l’alcool, mais pour voir cette personne.
Je me fige une seconde, avant de baisser les yeux sans réussir à retenir un sourire. Bien que j’aie des sentiments pour Pye, je ne peux nier le fait qu’Harry me plait. C’est fou quand même : il y a quelques semaines, je me faisais rejeter par mon meilleur ami, et aujourd’hui, deux cousins s’intéressent à moi.
—Ah oui ? Je dis en faisant genre de chercher autour de nous alors qu’à part deux clients à une table plus loin, le bar est vide. Et où est cette personne ? Je suis sûre que c’est Martine. J’ai remarqué vos petits regards en coin.
J’indique une des deux femmes d’âge mur assises à la table de derrière et Harry lâche un petit rire.
— Zut alors, moi qui croyais être discret.
Il me fait un clin d’œil et je ris à mon tour.
—Non, plus sérieusement, il reprend. Elle est juste en face de moi. Je dois reconnaître que tu me plais beaucoup, Eli.
Je détourne le regard, un sourire collé au visage. Contrairement à Pye, Harry n’hésite pas à être direct avec moi, et je dois avouer que ça me plait beaucoup. Et surtout, je crois que ça me touche. Avec toutes ces histoires en ce moment, me faire draguer par Harry est comme une bouffée d’air frais. En 18 ans d’existence, personne ne m’a jamais fait me sentir autant attirante que Harry ces derniers jours.
—Ah oui ?
—Oui.
Il arbore un air sérieux, et je sens mon cœur se serrer une seconde dans ma poitrine.
—Tu sais, ajoute-t-il en se concentrant à nouveau sur sa bière. Je n’attends pas de réponse de ta part. Je sais que Pye te plait, je ne suis pas dupe, et je sais que tu ne me connais pas plus que ça. Bien évidemment, quel que soit ton choix final, je l’accepterai. Mais j’aimerai vraiment tenter ma chance, alors, si tu l’accepte, j’aimerai t’inviter à boire un verre, un soir. Pas ce soir, bien sûr, pas en pleine semaine, je ne voudrais pas te déconcentrer pour tes cours. Mais pourquoi pas vendredi, ou samedi ?
Je le regarde une seconde et je me rends compte que bien qu’il n’ait que quatre ans de plus que moi, il est très mature, et j’avoue que ça me plait.
—Vendredi, ce sera parfait, je ne travaille pas.
Son visage s’illumine et il se lève.
— Génial ! Euh, si ça te va, je viendrais te chercher chez toi ! Et si tu veux on pourrait aller au restaurant, ou si c’est trop formel on pourrait juste…
J’éclate de rire et l’interrompt :
— Ne te prend pas la tête, et on verra sur le moment, d’accord ?
Il acquiesce avant de se rassoir. Il reste encore une petite dizaine de minutes avant de s’en aller. Peu de temps après, je termine mon service et rentre chez moi.
— Tiens, me dit mon père lorsqu’il me voit arriver. Tu m’as l’air de très bonne humeur !
— On peut dire ça !
— Qu’est-ce qu’il t’arrive ?
J’hésite une seconde à lui en parler, vu qu’il y a quelques jours seulement il me voyait avec Pye, et puis je me dis que c’est mon père, et que je peux me confier à lui.
— Tu m’offres un thé ?
Il me sourit en se rendant dans la cuisine tandis que je m’installe dans le salon, et il revient quelques minutes après avec deux tasses. Il s’installe à côté de moi et je lui raconte tout ce qu’il s’est passé ces derniers jours, en omettant l’histoire racontée par Pye et son passé selon Harry, mais uniquement avec leur comportement à chacun. Mon père m’écoute attentivement, en silence, et vu son regard je peux m’attendre à ce qu’il va me dire. Mais étonnement, sa réponse n’est pas celle à laquelle je pensais.
—Tu sais, ma fille, me dit-il avec un air sérieux. Tu es une jolie fille. Il est normal que tu plaises aux garçons, et tant que tu fais attention à toi, tu peux fréquenter qui tu veux Pye est un gars bien, c’est vrai, mais qu’il n’est pas capable d’assumer les sentiments qu’il ressent pour toi, tu n’as pas à t’empêcher de côtoyer quelqu’un qui te plait et qui, lui, n’a pas peur de te dire que tu lui plais. Tu as 18 ans, tu es libre de faire tes choix, ma fille. Et si tu es plus heureuse en côtoyant Harry, alors vas-y, fonce.
Il me sourit et je me glisse dans ses bras. Mon père est incroyablement compréhensif.
—Merci.
—C’est normal, ma fille. Je t’aime.
—Moi aussi, je t’aime.
Nous passons le reste de la soirée devant la télévision, à regarder une série télévisée après avoir commandé des pizzas. J’avoue que la présence de mon frère me manque. Ma mère aussi, bien évidement. Se retrouver une seule soirée, en famille. Mais je sais que c’est impossible. Je suis sûre que ma mère aurait adoré Pye. Et elle aurait adoré Harry aussi. On aurait surement passé des soirées à discuter, à rigoler. Mais je ne connaitrais jamais ça, même si mon père est parfait dans son rôle.
C’est en regardant la dernière photo de famille que je possède, que je m’endors le soir.
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