Chapitre 1

Le soleil se couchait sur les montagnes des Pyrénées et colorait le ciel d'orange et de rose. Quelques étoiles commençaient à apparaître, dépassant des sommets épineux. La chaleur de la journée passée se dissipait peu à peu et laissait place à une brise rafraîchissante en cette soirée d'été.

Un spectacle hors du temps, dont Lily ne profita malheureusement pas. Elle n'avait d'yeux que pour la jeune femme assise face à elle. Maud. La belle Maud, droite et fière sur sa chaise en bois, était concentrée sur sa part de tarte aux myrtilles. Elle ne remarquait pas Lily qui l'observait, fumant une cigarette.

Elle se souvenait encore de leur rencontre, lors de leur dernière année de licence de journalisme. Lily s'était rendue à une soirée étudiante ouverte à tous les élèves de l'université. Maud y était également. Elle l'avait vue pour la première fois micro à la main, chantant comme si c'était la dernière fois. Ne se concentrant même plus sur les paroles de Back In Black affichées sur l'écran, elle grattait des cordes invisibles et secouait la tête à se la décrocher. Lily, se tordant de rire à la vue de la scène, décida, sur un coup de tête, de la rejoindre. Elle connaissait toutes les paroles et ne voulait pas qu'elle s'amuse ainsi sans elle, la plus grande amatrice de rock de tous les temps ! Les deux rockeuses improvisées chantèrent et crièrent toute la nuit.

Depuis, elles ne s'étaient plus jamais séparées. Depuis, Lily n'avait cessé d'admirer son assurance, de sourire lorsqu'elle la voyait, de frissonner lorsqu'elle la touchait. Depuis, elle n'avait jamais cessé de l'aimer.

Lily vit que Maud venait de finir sa tarte, l'assiette étant plus nette encore qu'avant de lui avoir été servie.

— C'était délicieux !

Maud leva sa tête rougie par le soleil, un sourire radieux sur le visage. Sourire qui s'évapora face au silence de Lily.

— Ça va ? T'es pas très loquace ce soir.

Lily hocha la tête, ne souhaitant pas l'inquiéter.

— Je me disais juste que... la vue est splendide, répondit-elle sans conviction, désignant les villages de la vallée qui paraissaient minuscules.

Son amie fronça les sourcils ; elle n'était pas dupe.

— Allez Lily, dis-moi ce qui ne va pas, insista-elle en lui prenant la main gauche, celle qui ne tenait pas la cigarette.

Lily hésita. Elle ne pouvait pas lui avouer qu'elle l'aimait ! Elle ne savait même pas si Maud aimait les femmes... Et puis, comment pourrait-elle l'aimer, elle ? Maud méritait mieux, et cette pensée ne faisait que se confirmer à mesure qu'elle contemplait ses douces mains pâles qui la caressaient avec tendresse.

— Je suis simplement fatiguée par la marche, tu sais bien que c'est moi qui en souffre le plus, mentit-elle en retirant sa main et en jetant son mégot dans le cendrier en verre. Mais ne t'inquiètes pas, je peux supporter le reste du voyage !

Les deux jeunes femmes, en plus du rock, s'étaient trouvées une autre passion commune : l'air de la montagne. Maud étant sportive, elle avait insisté pour qu'elles traversent les sentiers escarpés sur une semaine. Tous les soirs, elles s'arrêtaient donc dans des refuges.

Leur logement du jour, l'auberge de La Vieille Marmotte, était plutôt mignon, fait entièrement de bois, comme un chalet ou une ancienne ferme. Des guirlandes lumineuses étaient accrochées un peu partout, créant une atmosphère chaleureuse mais attirant les moustiques, ennemis jurés de Lily. Le parfum du fromage chaud, provenant des cuisines, emplissait la terrasse bondée. Coincée entre deux sommets, le refuge offrait une vue imprenable sur la vallée. Au loin, des chèvres se promenaient et broutaient dans leur enclos.

Maud ouvrit la bouche pour répliquer mais s'arrêta net. Elle resta silencieuse, concentrée sur autre chose, puis fixa Lily de ses yeux rieurs.

— Tu entends ? demanda-t-elle simplement à son amie.

Lily tendit l'oreille et reconnut les premières notes d'une mélodie qu'elle connaissait bien : Hound Dog, d'Elvis Presley.

— Oui. C'est notre chanson, affirma-t-elle en souriant sincèrement.

Ce morceau de rock légendaire les a accompagnées lors de leurs révisions pour les partiels de fin d'année. Pendant un mois entier, les deux amies étaient restées chez Lily, qui louait un appartement seule, à écouter cette musique en boucle. Elles avaient passé leur temps à rédiger des fiches, réciter leurs cours, et, bien entendu, à discuter et chanter dès que l'ennui les prenait - ce qui arrivait très souvent.

Maud se leva de sa chaise, et, s'approchant de son amie, lui tendit la main solennellement :

— Que diriez-vous d'une danse, ma chère Lily ?

La jeune femme, ne s'attendant pas à cette proposition, ne sut comment réagir. Ses joues s'empourprèrent. Devait-elle accepter ? L'idée de danser avec Maud lui plaisait bien, mais elle ne savait pas faire deux pas sans tomber. Elle avait vu son amie danser, et elle ne pourrait atteindre ne serait-ce qu'un dixième de son niveau, ce qui la refroidit. Et puis, elle devait se l'avouer, être aussi intime avec elle devant tant d'inconnus ne la rassurait pas forcément...

Toutes les tables de l'auberge étaient occupées par des randonneurs de tout âge, qui discutaient autour de bières, barquettes de frites ou raclettes. La musique ne parvenait à couvrir tout le brouhaha que causaient ces amoureux de la nature. Un couple et leurs deux enfants jouaient aux cartes, les jeunes frères se chamaillant car l'un d'entre eux ne faisait que tricher. Un retraité, probablement veuf au vu de l'anneau qui ornait son annulaire gauche, discutait avec un couple du même âge, attiré par son saint-bernard. Mais personne ne semblait prêter attention aux jeunes femmes.

— Moi, je ne dis pas non. Mais mes pieds, eux, ne sont pas du même avis... tenta Lily avec humour.

Elle fit une grimace exagérée et leva son pied droit, chaussé d'une tong, mettant en lumière les nombreuses cloques et la rougeur de ses orteils encore endoloris par la journée de marche.

Toutefois, elle se doutait que Maud n'allait pas abandonner si facilement. Cette hypothèse devint bien vite une certitude lorsque son amie leva les yeux au ciel et prit la main de Lily. Elle ne lui laissait pas le choix : elle allait devoir s'y coller.

— Attends ! l'interpella Lily une dernière fois. Pas devant tout le monde...

Maud attira son amie à elle et posa les mains sur ses épaules, les yeux ancrés dans les siens.

— Ne te soucie pas de ça, je suis là, tu sais. Et puis, tu n'as pas grand chose à faire, laisse-moi te guider et tout ira bien. Tu seras peut-être même acclamée par la foule ! "Lily ! Lily ! Lily !" claironna-t-elle.

— Chut ! Pas si fort, réprimanda la concernée en rigolant.

Après un sourire encourageant et une petite tape dans le dos, elle se sentit mieux. Maud l'entraîna au milieu de la terrasse, remuant déjà les épaules avec énergie.

— Prête ? demanda-t-elle.

Lily attacha ses cheveux bouclés et déclara :

— Allons-y.

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