Tendant sa main vers son verre de chardonnay, Roderik observait la lune claire éclairer son domaine avec toujours cette pointe de culpabilité au fond du cœur. Son secret à présent révélé, Roderik se sentait différent, à la fois libéré d'un poids et rongé par le regret d'avoir laissé les choses trop tarder. Luna n'était pas partie, elle n'avait pas fui et pour ces deux raisons il n'avait plus le choix que d'affronter son problème. Il ne pouvait pas avoir d'enfant et bien qu'il existait des moyens pour en avoir, ce qui lui déchirait le cœur fut de ne pas pouvoir donner à cette femme la joie de porter un enfant.

Très vite, Roderik se rendit compte qu'il se plongeait dans un futur si bien esquissé qu'il en venait à se demander s'il ne tombait pas fou. Il se projetait bien trop loin dans l'avenir sans se soucier du présent. La perte de temps, conclut-il avec amertume. Il avait perdu trop de temps et cette émotion qu'il ressentait à ses côtés faisait de lui un homme différent. Un homme capable du pire comme du meilleur. Mais une question taraudait son esprit sans cesse depuis qu'elle avait laissé entendre que sa stérilité ne lui causait aucun soucis.

Luna était-elle guidée par ses sentiments envers lui pour lui assurer de tels propos ?

Prenait-elle vraiment conscience des choses ? Inquiet, Roderik se mit à faire les cents pas dans la grande salle à manger avant que sa silhouette lui apparaisse soudainement...comme la réponse à toutes ses questions.

- Vas-tu me laisser seule encore longtemps ? Demanda-t-elle le visage fermé.

Roderik lui lança un regard incrédule avant de jeter un coup d'œil à la pendule. À force de réfléchir il en avait perdu la notion du temps.

Une bouffe de désir s'emparait de lui chaque fois qu'il la voyait. Il perdait l'esprit et toutes pensées cohérentes quittaient son esprit comme si elle avait le pouvoir de les faire taire d'un simple regard. À force de la regarder, il se demandait s'il devait en vouloir à Luke de l'avoir fait entrer dans sa vie ou bien le remercier.

- Je suis désolé, j'ai perdu la notion du temps, s'excusa-t-il en terminant son verre de vin.

- Ta mère semblait déconnectée de la réalité en quittant le manoir est-ce que tout va bien ?

Sous les crépitements du feu, Roderik soutenait le regard de sa belle sans trop savoir quoi lui répondre.

- Elle inquiète pour cet article, rien d'autre.

- Est-ce que je vais avoir des ennuis ? S'enquit-elle en avançant d'un pas maladroit.

- Non, tu n'auras pas d'ennuis, je gère la situation.

Elle se mordit la lèvre en agitant vaguement sa tête.

- Est-ce...est-ce que je peux faire quelque chose ?

Roderik serra les mâchoires avant d'incliner sa tête.

- Oui, ne plus me craindre pour commencer, murmura-t-il en s'approchant pour poser ses mains sur ses épaules ; Tu me sembles bouleversée Luna, je n'aime pas ça.

Elle lui esquissa un vague sourire qui confirma ses craintes.

- Je pense que c'est légitime Roderik, commença-t-elle en se détachant de lui pour se retourner ; J'en veux énormément à Luke d'avoir été si odieux, j'ai la désagréable sensation qu'il a réussi à tout gâcher.

Roderik la regarda pensivement avant de rapidement réaliser qu'il devait reprendre le contrôle de la situation. Elle avait quelque peu raison. Leur week-end passé au cottage semblait si loin.

- Il n'a rien gâché, hormis le fait qu'il a tenté de te faire fuir.

- Mais je suis là, lui fit-elle remarquer en se retournant enfin.

Roderik demeura impassible, observant attentivement les lueurs dans ses yeux, mais que cherchait-il ? Un mensonge ? Une vérité ?

- Tu es là en effet, je ne peux que le constater.

Elle plongea à son tour son regard dans le sien. Très vite, Roderik constata avec regret qu'elle tentait d'obtenir quelque chose de lui.

Il rompit l'espace qui les séparait et prit sa main glacée dans la sienne.

- De quoi as-tu peur ? S'enquit-il d'une voix tendue.

Il pensait qu'elle mettrait un temps infini à lui répondre et pourtant ;

- Que les choses soient différentes, d'ailleurs j'ai l'horrible impression que c'est déjà le cas ! Ton regard est fermé et j'ignore quoi en penser.

Elle se trompait et il voulut lui répondre mais elle leva sa main pour le couper dans son élan.

- Je sais que ça ne fait que quelques semaines que nous nous connaissons et c'est un peu trop rapide pour tenir de tels propos, bon sang je ne sais plus quoi penser.

- Alors cessons de penser Luna, proposa-t-il d'une voix rauque.

Ses grands yeux verts se posèrent enfin sur lui.

- Prenons ce que la vie nous donne, ajouta-t-il en prenant la décision la plus égoïste de toute sa vie.

Luna sentit ses tempes devenir affreusement douleur à mesure que son pouls s'affolait. Il semblait sincère et elle ne sut comment réagir.

- Tu penses vraiment ce que tu dis Roderik ? Après tout ce qu'il s'est passé aujourd'hui ?

Il la regarda avec gravité ce qui la fit frissonner de la tête aux pieds.

- Je n'ai jamais été aussi sérieux de toute ma vie, déclara-t-il se penchant pour couvrir ses lèvres d'un baiser solennel.

Il s'écarta un instant pour contempler ses yeux, les pouces pressés sur ses pommettes.

Il captura de nouveau ses lèvres avec une urgence absolue. Luna ne put y résister plus longtemps. Son cœur martelait toujours ses tempes, peut-être de peur que tout cela prenne fin comme ça aurait pu l'être ce soir.

- Je suis vraiment désolé d'avoir agi comme je l'ai fait Luna, murmura-t-il contre ses lèvres, le visage tordue de tristesse.

Il marqua une pause dans laquelle Luna posa sa main sur sa joue, déchirée de le voir ainsi si triste. Elle avait l'impression de le découvrir chaque jour un peu plus, elle avait cette chance unique qu'il se dévoile ainsi à elle.

- Je n'ai pas l'habitude de retenir une femme quand celle-ci m'échappe, j'ai été trop dur avec toi ce soir.

- Tu essayais simplement de te protéger, lui dit-elle en secouant des épaules en faisant mine d'être indifférente à sa froideur qui pourtant, lui avait fait froid dans le dos.

- Non, j'essayais de te protéger, rectifia-t-il en se redressant de toute sa hauteur ; Et à présent je vais devoir te protéger de la presse.

Il se passa une main dans les cheveux en couvrant son regard d'une expression grave et impénétrable. Pour dire vrai, Luna préférait cette facette de lui que de devoir affronter cette tristesse qu'elle avait pu lire dans son regard.

- Je ne pense pas qu'ils aient eu le temps de me voir Roderik.

- Détrompe-toi sur-le-champ, ils t'ont vu.

Il se retourna, une main dans la poche de son pantalon, se frottant la barbe pensivement.

- Je ne risque pas grand-chose à mon humble avis, ils finiront par oublier cette affaire, ne t'inquiète pas ce n'est l'affaire que de quelques jours, ensuite je me montrerais prudente.

Il s'arrêta de marcher comme un fauve en cage pour la considérer avec amusement.

- Quoi ? Qu'ai-je dit ?

- Tu sembles ignorer à qui tu as affaire Luna, mais je dois reconnaitre que c'est un régal de te voir ainsi sûre de pouvoir leur échapper.

Luna fit mine d'être vexée et esquissa une petite moue.

- Ravie de constater que tu n'as pas perdu ton horrible sens de l'humour !

Il lui sourit, enfin, le même sourire qu'il lui avait donné trois jours auparavant...quand tout lui semblait plus éclairci malgré cette brume au-dessus du lac qu'elle n'oublierait probablement jamais.

Oui, Luna donnerait tout ce qu'elle a de plus précieux pour y retourner.

Ne serait-ce qu'un instant.