Prologue

Enfermée dans les cachots depuis trois jours, la petite princesse faisait passer le temps en s’amusant avec deux cailloux, tout en soupirant. Pourquoi sa maman et sa sœur jumelle ne venaient-elles pas la voir ? Avait-elle fait une bêtise ? Elle savait que oui.

Alors qu’elle jouait à la poupée avec sa cadette, les gardes étaient venus la chercher dans sa chambre et l’avaient emmenée sans cérémonie par les couloirs réservés aux domestiques. Frissonnant en repensant aux regards méchants dont elle avait été victime, la fillette leva ses petits yeux violets vers la minuscule fenêtre de sa cellule. La lumière peinait à pénétrer dans la pièce à cause des barreaux. 

La nuit dernière, de la pluie s’était infiltrée à travers ceux-ci. La petite s’était mise en dessous pour essayer de se laver au mieux. Cela n’avait pas fonctionné. Elle était toute sale, ce qui ne seyait guère à une princesse. Sa robe d’anniversaire bleue était pleine de boue, la couturière n’arriverait jamais à rattraper les dégâts. Mais ce n’est pas ce qui la dérangeait le plus. Les robes n’avaient jamais été sa tasse de thé, de toute façon. 

La faim tirailla son ventre quand elle se leva, lasse de jouer avec ses pierres. S’apprêtant à se lever une nouvelle fois pour exiger qu’on lui ouvre, elle entendit le loquet se déverrouiller. Lorsqu’elle reconnut sa mère, un sourire éclaira son joli visage tout poussiéreux. Peut-être s’était-elle trompée sur la raison de sa captivité soudaine ? La fillette s'élança dans les bras de sa génitrice mais l'un des gardes l'attrapa par le coude, l'empêchant ainsi de la rejoindre. L’enfant le fusilla avec un regard meurtrie et celui-ci déglutit.

— Lâchez-moi, dit-elle sèchement.

Sa voix enfantine lui sembla rauque. Cela fait des heures qu’elle n’avait pas bu.

L’homme évitait de croiser ses prunelles, comme s’il était effrayé par ce petit bout de chou. Il se tourna vers la souveraine du royaume qui, elle aussi, fuyait le regard de sa fille, mais pas pour les mêmes raisons. La reine savait que ce jour finirait par arriver et elle s’y était préparée. Cela faisait déjà plusieurs mois qu’elle savait laquelle de ses enfants envoyer à la mort. Ce n’était plus qu’une formalité à exécuter, sans qu’elle n’en ressente quoi que ce soit.

— Emmenez-la, ordonna la dirigeante d’un ton dur.

La petite fille se tourna vers celle qui lui avait donné la vie, comprenant que son intuition était vraie. Mais il y avait erreur. Ce devait être à sa sœur cadette, née quelques minutes plus tôt, de se trouver à sa place.

— Mère, que se passe-t-il ?

Pour la première fois depuis qu’elle était descendue dans les cachots sombres du palais, l’épouse du roi s’autorisa à regarder son aînée, née plusieurs minutes avant sa sœur. 

La fillette avait les cheveux filasses et le visage crasseux, cause de sa détention, pourtant, cela n’enlevait rien à sa beauté. Même à travers l’expression triste qui étirait ses traits, une étincelle dangereuse brillait au fond de ses yeux, n’annonçant rien de bon pour l’avenir. C’était ce qui l’avait menée à la mort. La mère s’agenouilla devant sa fille et posa une main sur sa joue sale, dans un semblant de réconfort.

— Tu vas partir en voyage, ma chérie, un voyage sans retour, murmura-t-elle d’une voix dure avant de se relever. Vous savez ce que vous avez à faire, messieurs.

— Vous n’assistez pas à la mise à mort, Majesté ?

La fillette n’eut aucune réaction. On lui reprochait de ne pas être sa sœur. D’être la plus méchante des jumelles héritières alors que ce n’était pas le cas. Elle serra ses petits poings en regardant sa mère. Le scénario que son petit cerveau d’enfant refusait de voir était en train de se réaliser. Mais la femme qui l’avait mise au monde se trompait. Ça ne pouvait pas être elle.

— Pourquoi ? s’écria-t-elle. Pourquoi moi ?

À présent, la reine ne faisait plus semblant d'être triste. Elle lança à sa fille un regard meurtrier, assez semblable à celui que le garde avait reçu plus tôt.

— Tu as failli tuer ta sœur !

— Elle est tombée toute seule ! s’exclama la petite.

Pourquoi personne ne voulait la croire ? Même si elle n’avait que cinq ans, elle comprit très vite pourquoi. Ils avaient décidé que c’était elle, la jumelle maléfique de la fratrie. Que c’était elle qui devait mourir. Ainsi allait la vie dans leur royaume. Quoi qu’elle fasse pour leur prouver le contraire, il était trop tard. Rien ne changerait.

Et son père n’était même pas venu pour un dernier au revoir…

La petite fille se débattit pour essayer de libérer son bras de l’emprise du soldat. Elle ne voulait pas mourir uniquement parce que ses parents avaient décidé qu’elle était moins méritante que sa sœur, surtout qu’ils se trompaient. Ses pupilles tombèrent sur l'entrejambe de l’homme. Elle se souvint qu’une fois, pendant qu’elle assistait en douce à l’entraînement des gardes, l'un d'eux avait perdu après s’être pris un coup à cet endroit. Elle cessa de se défendre et, de sa main libre, donna un coup de poing dans les parties génitales de l’individu.

Dans un cri de douleur, il la lâcha. Elle en profita pour prendre la fuite.

Les cheveux fouettant ses joues, elle se mit à courir à travers les couloirs mal éclairés, ne sachant où aller. Derrière elle, sa mère ordonnait aux gardes de poursuivre sa fille alors que le blessé gémissait de douleur. 

Pendant que la princesse surveillait ses arrières pour s’assurer de ne pas être suivie, une porte dérobée s’ouvrit sans qu’elle ne la voie, inondant le couloir de lumière. 

Elle s’y cogna, tombant sur le sol poussiéreux.

Un inconnu apparut dans son champ de vision et, effrayée à l'idée qu’il fasse partie des renforts, elle recula, à quatre pattes dans la poussière.

— Princesse ? l’interpella le nouvel arrivant. Suivez-moi, je vais vous sortir de là.

Méfiante, elle se releva lentement. Effrayée, elle analysait la situation. Il ne pouvait pas s’agir d’un garde, il ne portait pas l’uniforme officiel du château. Ses cheveux étaient longs, coupés n’importe comment, comme s’il n’avait pas les moyens d’aller chez le barbier. Il avait la peau sale et quand il lui tendit la main pour qu’elle le suive, elle vit de la terre sous ses ongles. Jamais un homme de son père n’aurait eu le droit d’exercer dans un tel état. Cela ne la réconforta pas pour autant.

— Qui êtes-vous ? questionna la fillette.

— Ta seule chance de survivre, répondit-il. Un groupe de gardes t’attend en haut des escaliers que tu t'apprêtais sûrement à monter. Si tu ne me suis pas, tu meurs.

— Et comment je peux savoir que vous n’allez pas me tuer aussi ?

L’inconnu sourit alors que des bruits de pas se rapprochaient d’eux.

— Tu ne peux pas. Soit tu me fais confiance, soit tu meurs.

Lorsqu’elle entendit la voix de son père se joindre à la mêlée des cris de ses poursuivants, des larmes lui montèrent aux yeux. 

Elle avait toujours été sa fille préférée…

Elle croyait qu’il l’aimait.

La fillette regarda cet homme qu’elle ne connaissait pas et qui prétendait vouloir lui sauver la vie et en déduisit qu’elle n’avait rien à perdre. Elle lui prit la main.

— Comment tu t’appelles ?

Tout le monde savait que l’une des princesses allait disparaître pour toujours et que cela se déroulerait le jour-même, mais personne ne savait laquelle. Les rumeurs n’avaient pas été jusqu’à dévoiler son identité.

— Myra, lui apprit la jeune fille, la voix quelque peu tremblante.

— Et moi, c’est Joshua, répondit-il en souriant.

Il la guida par la porte dérobée et, ils sortirent du palais. Il était évident que la fillette n’arriverait pas à marcher plus longtemps, alors il la porta.

***

Après quelques heures de marche, Joshua laissa enfin la princesse descendre de son dos. Elle mit pied à terre et s'agrippa à la veste de son sauveur en observant le paysage.

— Où on est ? le questionna-t-elle.

Elle détailla les rues sales devant elle, le haut de sa robe remonté sur le nez pour essayer de camoufler l’odeur nauséabonde qui régnait dans les quartiers pauvres, si différents de ceux où elle vivait et où elle ne s’était jamais aventurée. Devant elle gisait un tas d’ordures. Un peu plus loin, du sang s’écoulait dans les caniveaux. Elle frémit devant ce spectacle.

— Dans ton nouveau chez-toi. Bienvenue dans les quartiers des alters, princesse des bas-fonds

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