Chapitre 2

Un rictus mauvais planté sur le visage, Myra regarda le corps de Jorik. Du sang s’écoulait de sa gorge pour couler sur le sol et finir sa course dans les égouts. Après un dernier soubresaut, son corps cessa une bonne fois pour toute de bouger. D’un coup de pied, Myra retourna le cadavre et s’accroupit à ses côtés. Elle prit le poignard avec lequel elle l’avait égorgé et le lui planta dans le cœur. Derrière elle, Côme mima un haut-le-cœur

— C’était obligé, ça ? demanda-t-il en regardant l’hémoglobine couler de la nouvelle blessure. Je sais que tu dois revendiquer ton meurtre pour que ça ne redevienne pas comme avant mais quand même. Là, c’est glauque. Le sang sur ton visage quand tu arriveras dans la salle d’audience fera comprendre à tout le monde que c’est ton œuvre. Surtout que Joshua voudra savoir ce que tu as fait et qu’il s’assurera qu’assez de monde soit présent à ce moment-là pour faire passer la nouvelle. Franchement, c’est du gâchis de laisser une lame pareille sur un cadavre. Elles sont compliquées à se procurer, en plus.

Mais Myra avait arrêté de l’écouter quand il avait parlé de la salle d’audience. Elle jeta un rapide coup d'œil à la lune pour évaluer l’heure qu’il était avant de se relever en jurant.

— Et merde, je suis en retard. Josh va me tuer.

— Rectification, la contredit Côme, il va te passer un savon et c’est moi qui vais mourir parce que je t’ai laissé arriver en retard. Quelle mort terrible. Je suis trop jeune pour mériter ça. Tu voudras bien dire un mot en mon honneur pour mon enterrement ? Tu diras… que j’étais séduisant et que tu étais secrètement amoureuse de moi. Que je me trouvais dans tous tes rêves, souvent très peu vêtu. C’est bon pour toi ?

La jeune fille leva les yeux au ciel devant la fausse comédie de son meilleur ami.

— Arrête de faire l’imbécile et dépêche-toi. Plus tard on arrivera, plus tard on ira se coucher.

Comme pour prouver ses dires, Côme bailla. Il referma bien assez vite la bouche quand la puanteur métallique du sang quittant le cadavre atteignit ses narines. Il lança un regard meurtrier au corps sans vie, qui pâtit beaucoup trop odorant à son goût.

— Il pue, on le laisse ici ?

— Tu ne crois quand même pas qu’on va s’emmerder à l’enterrer ? répondit Myra. On n’a pas que ça à faire. Ses hommes de main s'occuperont de lui quand ils le retrouveront. Pour le moment, on doit rejoindre Joshua. Si on continue à traîner et qu'on le fait attendre trop longtemps, on va vraiment passer un mauvais quart d'heure.

— Dans tous les cas, on en sortira toujours en meilleur état que Jorik.

Après un dernier regard au corps en train de refroidir, Myra laissa échapper un éclat de rire en hochant la tête.

— Allez, viens.

Elle agrippa la barre d’une échelle menant au toit de la taverne et y grimpa, suivie par Côme qui regardait partout, sauf au-dessus de lui. 

La dernière fois qu’il avait levé la tête alors qu’elle montait devant lui, elle avait cru qu’il lorgnait son postérieur et l’avait gratifié d’un joli coup de pied dans le nez. Résultat des courses ? Côme avait fini avec le nez cassé alors qu’il regardait juste où se trouvait le prochain barreau parce qu’il avait peur de tomber. 

Myra l’aida à se hisser sur le toit avec précaution, la pluie ayant rendu les tuiles glissantes, et ils commencèrent à marcher en direction de la salle d’audience.

— Un jour, dit Côme, j’aimerais bien qu’on m’explique pourquoi vous tenez les doléances en plein milieu de la nuit. Sérieusement, pourquoi faire ça à minuit ? Les gens normaux dorment à l’heure-là. Bon, je sais que tu es tout sauf normale mais quand même.

Myra fléchit les jambes pour sauter sur la toiture d’en face et attendit que le brun la rejoigne pour répondre. Dans le bâtiment d’en-dessous, ils entendirent le propriétaire hurler après les garnements qui marchaient sur les toits.

— Justement, à cette heure-ci, il n’y a que les personnes qui ont de vrais problèmes qui viennent nous voir. C’est plutôt pas mal, même si en général je ne me couche pas avant trois heures du matin. Lorsque j’arrive à l’heure.

Un léger gémissement s’échappa de ses lèvres. Elle n’allait pas se coucher avant l’aube.

Environ toutes les deux semaines, Joshua organisait des séances de doléances nocturnes où les habitants de ce côté du mur allaient les voir, lui et Myra, pour parler de leur problème et essayer de trouver une solution. Ils en avaient pour presque trois heures à chaque fois et là, elle avait déjà, à vue de nez, une demi-heure de retard. Elle était aussi prête à parier qu’elle devrait rendre des comptes à Joshua sur la raison de son retard, ce qui pouvait prendre un moment s’il n’avait pas envie de coopérer.

Au bout d’une dizaine de minutes à déambuler sur les toits, ils arrivèrent devant la place de l’église. Celle-ci était noire de monde. La mâchoire de Myra s’en décrocha.

— Côme, dis-moi qu’ils sont tous là pour la prière d’une heure du matin et non pour venir me parler de leurs problèmes.

— La prière d’une heure du matin n’existe pas, Myra. Ferme la bouche, tu vas gober les mouches.

Il posa sa main sous le menton de la jeune fille pour lui faire fermer la bouche et elle bougea la tête, levant les yeux au ciel.

— Je m’en fiche que cette prière n’existe pas. Dis-moi qu’ils sont là pour ça.

— D’accord Myra. Oui, ne t’inquiète pas, ils sont tous là pour prier un dieu qui a poussé leurs parents à les abandonner quand ils étaient gosses.

Elle le gratifia d’un regard noir, bien qu’il n’ait pas totalement tort. L’église était là uniquement pour faire joli, plus personne n’allait à l’intérieur à part pour commettre des meurtres ou pour tenir des réunions secrètes pas si secrètes que ça. Côme haussa les épaules sous son regard améthyste, comme pour lui dire qu’il n’avait fait que ce qu’elle lui avait demandé. 

Elle retourna son attention sur l'attroupement au sol. Elle ne reconnut personne à cause de l'obscurité et de la pleine lune qui se trouvait dans son dos mais il y avait beaucoup plus de monde que d'habitude. Elle espérait que la moitié d'entre eux n'était que des accompagnateurs, mais elle en doutait. Il était presque une heure du matin. À cette heure tardive, même le meilleur des amis y réfléchirait à deux fois avant d'accompagner quelqu'un. Surtout que tout le monde savait que Myra était facilement irritable quand elle était fatiguée.

— On ne va jamais réussir à traverser la place, soupira Côme.

Myra était de son avis, cependant, il était hors de question qu’elle se batte pour traverser l’espace qui la séparait de son travail. C’était inenvisageable.

Les mains sur les hanches, elle siffla. Peu de personnes l’avaient entendue mais ceux qui avaient perçu le son se tournèrent vers elle. Quand ils reconnurent la silhouette qui se découpait sur la pleine lune, les cheveux noirs se balançant dans le vent et, pour ceux qui se tenaient le plus près, du sang plein le visage, ils firent circuler la nouvelle. Bientôt, tout le monde avait les yeux rivés sur Myra, se demandant à qui pouvait bien appartenir l’hémoglobine présente sur elle.

— Ou alors, tu peux attirer l’attention de tout le monde pour qu’on te voie et te laisse passer sans soucis, commenta Côme. C’est bien aussi.

— Pourquoi faire compliquer quand on peut faire simple ? sourit-elle.

Elle s’accroupit au bord du toit et, avec attention, se laissa tomber dans le vide. Elle attrapa la gouttière pour ne pas faire une chute de deux étages et la lâcha ensuite pour atterrir souplement cinq mètres plus bas. Les personnes s’écartèrent de l’endroit où elle venait de se poser, ayant sans doute remarqué l’éclat de ses poignards grâce à la lumière de la lune.

Ils en avaient maintenant la certitude, elle venait de tuer. Qui donc ? C’était la question que tout le monde se posait. 

Côme toucha le sol avec une roulade juste à côté d’elle et se releva, un sourire éclatant aux lèvres. Quelques pas plus loin, des soupirs venant des jeunes filles qui admiraient le jeune homme se firent entendre.

— Crâneur, marmonna Myra en le voyant lancer des clins d'œil aux filles éperdument amoureuses de lui.

— C’est ça d'être amie avec le plus beau gosse des deux côtés du mur réunis.

La seule réponse qu’il obtint fut un coup de coude dans les côtes. Des cris indignés s’élevèrent dans la foule contre celle qui venait d’attaquer le coup de foudre de plus de la plupart des filles de leur âge. Myra leva les yeux au ciel et s’avança en direction de la salle d’audience. Elle n’eut pas un mot à dire que les habitants s’écartaient sur son passage et celui de Côme. Ainsi, elle arriva devant les portes en quelques dizaines de secondes.

Un homme qu’elle connaissait extrêmement bien se tenait dans l'encadrement de la porte, les bras croisés sur la poitrine, attendant la jeune fille.

— Salut Josh, lança-t-elle gaiement. Désolée du retard, j’étais en train d’assassiner un homme.

Derrière elle, elle entendit un individu dire qu’elle devrait avoir honte de dire une chose pareille avec autant de légèreté. Elle lui décocha un regard noir, le mettant au défi de répéter sa phrase devant elle. Il baissa la tête et garda le silence. Avec un sourire satisfait, elle se faufila sous les jambes écartées de Joshua, son mètre quarante aidant grandement, et entra dans la pièce principale où les plaignants allaient bientôt arriver. Elle fut bientôt rejointe par Côme et Joshua. L'air serein que ce dernier affichait devant tout le monde laissa place à une expression contrariée. Il examina son visage plein de sang qu'elle n'avait même pas pris la peine de nettoyer et soupira.

— Qu'est-ce que tu as encore fait, Myra ?

Elle ne lui répondit pas tout de suite, s’amusant à le laisser s’imaginer des scénarios tous plus éloignés les uns que les autres de la réalité. Elle se dirigea vers sa chaise et se laissa tomber dessus, sortant un poignard de sa ceinture pour jouer avec.

— J’ai égorgé un enfoiré. Oui, il le méritait, oui j’avais des preuves de ses crimes et oui j’ai laissé ma marque sur le corps. De toute façon, même le plus imbécile des imbéciles comprendrait que c’est mon œuvre rien qu’en ayant vu mon visage ce soir. Bon, on commence ? J’aimerais me coucher avant six heures du matin, si tu n’y vois pas d’inconvénient.

L’indifférence de sa voix montra à Joshua qu’elle ne ressentait pas le moindre remords après son geste. Myra savait très bien qu’il allait lui faire subir un interrogatoire alors elle bailla exagérément pour y échapper. Le regard du vieil homme s'adoucit quand il vit que sa petite protégée était fatiguée. La jeune fille retint un sourire triomphant quand elle le regarda aller dire à ses hommes de laisser entrer les demandeurs. Ils vinrent en file indienne et le premier habitant hocha la tête à l’intention de Myra. Ils s’adressaient tous à la jeune fille, comme si Joshua n’était pas là.

Elle dut se retenir de souffler en reconnaissant le plaignant. Il venait se plaindre à chaque séance parce qu’il entendait sans cesse des bruits effrayants venant de la maison abandonnée à côté de celle où il habitait. Ce qu’il ne savait pas, c’est que cette bâtisse en ruines était la cachette de Myra quand elle voulait échapper à ses responsabilités ou à un Joshua trop protecteur. Seul Côme connaissait cet endroit et les bruits qu’entendait l’homme étaient les rires étouffés des deux adolescents.

— Bonjour, Georges, le salua Myra. Si vous venez encore pour les bruits de la maison abandonnée, nous ne pouvons rien faire de plus que la dernière fois que vous êtes venu.

Elle entendit Côme ricaner à côté d’elle et lui décocha un nouveau regard noir. Ils avaient décidé de moins s’y rendre pour arrêter de faire peur au vieillard mais c’était vraiment drôle de savoir que le rire de Côme l’effrayait.

— Non, ma petite Myra, je ne suis pas là pour ça. Je viens pour quelque chose d’encore plus important, dit-il en insistant bien sur le o de encore. Vois-tu ma chère, j’ai remarqué que les patrouilles de surveillance étaient de plus en plus nombreuses. J’ai même aperçu des gardes de notre côté sans aucune raison apparente alors que ça n’arrive jamais.

Partout dans la salle, des murmures s’élevèrent, affirmant les propos de l’homme. Il y avait tellement de bruit que Myra ne s’entendait même plus penser. Elle leva la main et un silence absolu envahit directement la salle.

— Combien d’entre vous sont là pour la même raison ? demanda-t-elle.

La quasi-totalité des personnes dans la pièce leva la main. Myra échangea un regard étonné avec Joshua. Les faits ne pouvaient pas être une simple impression si autant de personnes les constataient. Elle serra les dents. Si ce que toutes ces personnes prétendaient était vrai, alors les gardes étaient sûrement là pour elle. Elle allait bientôt avoir dix-huit ans. Selon les lois, elle pourrait réclamer le trône d’ici quelques semaines. Ils devaient vouloir l’éliminer pour que ça n’arrive pas. Côme se pencha à son oreille alors que tout le monde attendait la prise de mesure de la jeune fille.

— Je peux aller faire un tour vers le mur pour vérifier tout ça, proposa-t-il.

Elle hocha la tête. C’était comme ça que ça fonctionnait entre eux. Quand elle avait besoin de quelqu’un pour vérifier des faits, elle ne lui demandait pas d’y aller s’il ne se proposait pas. Elle ne l’obligeait à rien.

― Tu es sûr que ça ne te dérange pas ?

Il hocha la tête.

— Côme va enquêter sur cette histoire, trancha-t-elle. Maintenant, que toutes les personnes qui étaient venues pour cette raison rentrent chez elles. Faites passer le message dehors également. Si je reçois encore une personne qui vient pour ça alors que le problème est en cours de règlement, elle ira nettoyer le cadavre que j'ai laissé à l'autre bout de la ville. Et je vous assure qu’il n’est pas beau à voir.

La menace en fit blanchir plus d'un. La salle se vida alors à une vitesse ahurissante et il ne resta plus qu'une dizaine de personnes. Myra sourit en s'apercevant qu'au bout de quelques secondes, personne d'autre n'entrait dans la pièce. Ils étaient donc presque tous venus à cause des gardes. Avec un clin d'œil séducteur à l’assistance, Côme quitta la pièce également.

― Crâneur.

Satisfaite du peu de personnes qui avaient encore besoin de ses services, elle fit signe à la suivante d'avancer. Il s'agissait d'une femme qui semblait jeune, mais dont les mauvaises conditions de vie avaient vieilli le visage. Myra ne l’avait jamais vue.

— Qu’est-ce que je peux faire pour toi ? la questionna-t-elle.

— Ma fille. Elle a sept ans, commença la femme d’une voix terrifiée. Elle était sortie jouer avec ses amis. Quand elle est rentrée, elle avait la marque de Jorik sur le visage. Elle s’est fait avoir par ses beaux discours. Elle ne sait pas ce qui l’attend de l'autre côté du mur. Elle ne pourra pas revenir et je vais me retrouver seule avec sa jumelle, comme si nous étions de l’autre côté. Il faut…

Comme quelques minutes auparavant, Myra leva la main et la jeune femme se tut.

— Tu n’as aucun souci à te faire à ce sujet, dit-elle. Le sang sur mon visage lui appartient. J’ai enfin réussi à arrêter cette enflure et il n’arrivera rien à ta fille.

La jeune mère éclata en sanglots tellement elle était soulagée et sortit de la pièce en bénissant Myra. Les requêtes se multiplièrent pendant une bonne heure et demie jusqu’à ce qu’un événement vienne tout bouleverser.

Un des informateurs de Joshua entra en courant dans la pièce. La personne qui était en train de se plaindre protesta quand l'homme de main la bouscula. Myra reconnut Dan, l'un des hommes qui surveillaient le Mur en cachette la nuit pour s'assurer que personne n'entrait dans leurs quartiers. Il avait le visage rouge, était essoufflé et paraissait terrifié. Il posa un genou à terre devant Myra et se releva, évitant son regard.

Elle comprit que le soucis était grave.

— Myra… Sur le Mur... Un problème…

Il haletait, n'arrivant pas à faire une phrase correcte.

— J'avais compris qu'il y avait une complication toute seule, merci. Je ne suis pas idiote. Maintenant, tu veux bien me dire ce qui t'a fait courir au point d’avoir un niveau d’essoufflement rivalisant avec celui d’une mère en train d'accoucher ?

Son trait d'esprit attira quelques rires dans la foule mais Dan ne réagit pas. Il refusait toujours de la regarder dans les yeux.

— Côme patrouillait vers le mur sous tes ordres quand des gardes royaux ont débarqué et l'ont attrapé. On a essayé de le libérer mais ils étaient trop nombreux. On a pris cher. Ils ne le libéreront que si tu vas leur parler.

Elle n'avait même pas attendu qu'il finisse de parler pour se lever. Un poignard toujours dans la main, elle se dirigeait vers la sortie quand Joshua l'attrapa par le poignet.

— Tu n'iras pas, Myra.

— Je ne t'ai pas demandé la permission, Josh. Les doléances sont terminées pour cette nuit, annonça-t-elle. Dan, vers quelle partie du mur ?

— Les portes par lesquelles ils amènent les nouveaux alters.

Elle hocha la tête et se dégagea de la poigne de son père adoptif. Tout le monde s’écarta de son chemin lorsqu’ils la virent sortir comme une furie et la nouvelle de la capture de Côme se répandit rapidement. Alors que Myra mettait les pieds dehors, Joshua la regardait partir, les sourcils froncés. 

Elle était beaucoup trop attachée à Côme à son goût. Elle se mettait en danger pour lui et il détestait ça. Si elle revenait, il allait devoir discuter avec elle.

Dehors, la pluie avait recommencé à tomber. Ce qui n’empêchait pas Myra de courir pour rejoindre Côme. Elle filait sur les toits sans faire attention aux tuiles glissantes ou à celles qui ne tenaient pas bien et se détachaient à son passage. Elle manqua de tomber plusieurs fois et n’arriva au mur en un seul morceau que par miracle. Elle atteignit les portes bien plus vite que d’habitude, constatant avec effarement qu’elles étaient grandes ouvertes. C’était la première fois que cela arrivait, surtout au beau milieu de la nuit.

La pluie tombant dans ses yeux, la jeune fille s’essuya le visage du revers de la main pour essayer de mieux apercevoir ce qui se passait en bas. Ce faisant, elle essuya les derniers vestiges du sang de Jorik qui restaient sur elle. 

Une dizaine de gardes se trouvaient sur le sol, épée à la main. Ils ne cessaient de regarder autour d’eux, comme s’ils avaient peur de se trouver là. Au centre d’un regroupement de quatre soldats, elle aperçut Côme. Soupirant de soulagement en constatant qu’il avait l’air d’aller bien, assez en tout cas pour insulter les gardes, elle prit l’un de ses poignards. En voulant se déplacer pour créer une diversion, elle fit rouler un caillou au sol, qui tomba dur une plaque métallique. Elle jura. Qu’est-ce qu’un caillou faisait sur un toit et surtout, comment était-il arrivé là ?

Quand un homme regarda dans sa direction, elle se coucha à plat ventre sur les tuiles mouillées. Le cœur battant la chamade, elle attendit en silence.

— Chef, j’ai entendu du bruit venant du toit, dit le soldat.

— Moi aussi, renchérit un autre.

— Il pleut, bande d’imbéciles ! Vous voulez entendre quoi à part le bruit de la pluie ? Cette gamine ne va pas se déplacer sur les toits par un temps pareil ! Retournez surveiller la rue !

Myra sourit en entendant cette phrase. Elle releva la tête pour voir ce qu’il se passait quand son cœur loupa un battement. L’homme qui devait être l’officier commandant tenait son épée sous la gorge de Côme. Cependant, celui-ci gardait la tête haute, le regard fixé sur l’endroit où la pierre était tombée.

Il savait que c’était elle.

— La petite viendrait peut-être plus vite si on lui envoyait ta tête, dit-il à Côme. Tu n’es pas d’accord ?

Le brun se mit à rire. L’officier le prit pour un fou.

— Qu’est-ce qui te fait rire, gamin ?

— Elle va vous tuer. Tous. Sans exception.

Son sourire glacial fit frissonner quelques gardes alors que Myra se mordait la langue. Côme pouvait être très gentil, mais quand il souriait comme ça, c’était qu’il allait causer un bain de sang. C’était la raison qui avait poussé ses parents à le déclarer comme le mauvais alter. Il était souvent sujet à des crises de colère qui finissaient parfois en meurtre. Même Myra avait du mal à l’arrêter quand il était dans cet état. Mais même s’il était énervé à ce point, ils seraient toujours deux contre dix. Ils n’auraient aucune chance de gagner.

— Vous avez osé vous en prendre à son meilleur ami et le menacer de mort. On va vous détruire.

— On ? T’es attaché, petit. Tu ne vas rien faire du tout et elle non plus. C’est une princesse. Elle va se faire dessus en arrivant et va nous obéir bien sagement pour ne pas risquer la vie de son meilleur ami. On a tout prévu.

L’éclat de rire de Côme masqua le bruit indigné qui sortit des lèvres de Myra. Néanmoins, elle comprit ce qu’il essayait de faire. Il faisait autant de bruit pour lui permettre de commencer le travail sans se faire repérer. Avec une discrétion à toute épreuve, elle descendit du toit. Juste en dessous d’elle se trouvait un garde. Elle atterrit sans bruit derrière lui et lui trancha net la gorge. Un sourire mauvais aux lèvres, elle accompagna le corps dans sa chute et lui vola son poignard. Elle repoussa ses cheveux trempés derrière ses épaules et s’approcha d’un autre homme pendant que Côme continuait son cinéma.

— Elle va atterrir devant vous, comme un cadeau du ciel, et tous vous trancher la gorge, déclara-t-il. Mon moment préféré, c’est quand elle va attendre demain matin pour jeter vos corps de l’autre côté du Mur, devant tous les bourgeois que vous êtes censés protéger. Et les portes qui resteront grandes ouvertes seront le clou du spectacle.

Myra se rendit vite compte qu’elle ne pouvait pas avancer plus loin. Si elle faisait encore un pas, elle serait à la vue de tous. 

De plus, les gardes commençaient à froncer les sourcils devant l’attitude de leur prisonnier. Elle allait se faire localiser à cause de lui, s’il continuait. Elle devait trouver un moyen de lui faire comprendre qu’il devait se taire.

— Ferme là, vermine ou je te tranche la gorge, gronda l'officier.

Une ligne de sang apparut sur la gorge de Côme.

Myra vit rouge.

Personne ne touchait à son meilleur ami à part elle.

D’une main experte, elle lança le poignard volé à sa dernière victime. Il se ficha dans la poitrine de l’un des hommes qui surveillaient Côme. Alors que le futur mort regardait le couteau dans son cœur sans comprendre ce qu’il lui arrivait, tous les autres se tournèrent vers Myra. La lame n’avait même pas encore touché sa victime qu’elle avait déjà tué un troisième individu. L’officier ordonna à ses gardes de ne pas bouger et observa la petite chose d’un mètre quarante qui venait de tuer trois de ses soldats les plus expérimentés. Des cheveux noirs dégoulinant de pluie devant le visage, un sourire de tueuse…

— L’alter M de la princesse Luna, murmura-t-il en éloignant son épée de Côme et en la pointant vers elle. Suivez-nous sans faire d’histoire.

L’alter M ? C'était la première fois qu’elle entendait cette expression mais elle comprit assez facilement ce que ça voulait dire. Elle désignait les méchants alters. Myra jeta un rapide coup d'œil à Côme, qui était maintenant bâillonné. Il essayait de lui faire comprendre quelque chose mais elle ne voyait pas quoi.

— Je ne crois pas, non. Déjà, parce que j’ai un prénom et que tu ne l’as pas utilisé. Ensuite, parce que je ne suis pas l’alter de Luna, je suis sa sœur jumelle et pour finir, parce que j’ai autre chose de prévu. Vous tuer, libérer l’imbécile qui s’est laissé capturer, le tuer, et aller dormir. Peut-être manger un bout en chemin aussi, je commence à avoir faim.

— C’est ce qu’on verra.

Un insecte piqua Myra dans le cou. Elle n’y fit pas attention alors que Côme s’agitait et essayait d’enlever son bâillon. Un léger vertige l’étourdit. Elle secoua la tête et attrapa la pointe de l’un de ses poignards avec la main, prête à le lancer. Le vertige suivant s’accompagna d’un mal de tête. Ce n’était pas normal. Elle passa sa main dans son cou, là où elle avait senti la piqûre. Elle comprit alors contre quoi Côme essayait de la mettre en garde. Elle retira une seringue de la peau de son cou et tituba.

— Bande d’enfoirés, cracha-t-elle.

Un homme s’approcha d’elle et lui fit lâcher ses poignards alors qu’elle luttait contre les vertiges et le sommeil qui la gagnait. Il lui passa les mains derrière le dos. Juste à côté du petit couteau qu’elle gardait toujours à cet endroit. À peine consciente, elle l’attrapa, se retourna et lui trancha la gorge. Elle sourit alors que sa conscience l'abandonnait et qu’elle tombait, sa tête heurtant le sol à côté du corps inerte de l’homme qu’elle venait de tuer.

C’est trop con comme manière de mourir, pensa-t-elle avant de fermer les yeux.

La dernière chose qu’elle vit fut les yeux chargés de fureur et de peur de Côme.

La dernière chose qu’elle entendit était Côme, qui avait réussi à enlever son bâillon, hurlant son prénom.

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