Ça tourne...

Sous le soleil de plomb, en plein été, il est difficile d'avoir envie de faire quoi que ce soit. J'ai enfin une journée de libre, mais les magasins sont tous fermés, puisque nous sommes dimanche. En revanche, le cinéma s'avère être le meilleur endroit pour profiter de la fraîcheur. Je poireaute dans la file depuis une bonne dizaine de minutes, sous le regard insistant de mon frère et sa femme qui ont trouvé « génial » d'aller au cinéma en famille. On sait très bien pourquoi mon frère n'a pas hésité à me suivre, mais pour ce qui est de Tess, je me pose encore des questions. J'avoue que j'aimais bien nos sorties avant. Quand j'emmenais... mon ex avec nous. Bordel, j'ai toujours du mal à penser à elle sans avoir la poitrine comprimée. Comment est-ce possible? Pourquoi suis-je autant attaché à elle? J'aimerais ne l'avoir jamais connu.

— Bonjour! lance plus fort le type derrière le guichet.

Je sors de ma rêverie, ou plutôt de mon cauchemar et m'avance pour acheter les tickets.
A mon grand soulagement, Tess n'a pas insisté pour aller voir une comédie romantique de merde. Je n'ai eu aucun mal à la convaincre d'aller plutôt voir un film d'action. Je pense qu'elle a compris que je n'aurais pas survécu à de la romance.
Mes tickets en main, je traverse le hall pour rejoindre mes acolytes. Ma belle sœur, fidèle à elle-même et à ses envies de femme enceinte, tiens un énorme pot de pop corn et un sachet de M&M's dans ses mains alors que Drew me tend un paquet de chips.

— N'espère même pas, je lance à Tess alors qu'elle lorgne dessus.

Sa moue boudeuse m'arrache un sourire. Je n'arrive pas à rester acariâtres quand elle est là. C'est bien la seule femme qui ne m'ait presque pas déçu. J'avoue que lorsqu'elle a quitté mon frère, même s'ils n'aiment pas dire qu'ils étaient séparés, j'étais vraiment remonté contre elle. Mais elle s'est bien rattrapée. Alors, j'ai fini par lui pardonner.

— De toute façon, le sel me donne des maux d'estomac, ronchonne-t-elle en s'avançant vers la salle de projection.

— T'es sûre que ce n'est pas plutôt tous les trucs que t'avale qui font ça?

Haussant une épaule, elle prend une poignée de pop corn qu'elle fourre dans sa bouche.

— Décidément, je vais finir par croire que tu me suis, lance soudain une voix devenue familière.

Je me retourne juste avant d'entrer dans la salle pour voir Willow et deux mecs s'approcher. L'un semble ennuyé tandis que l'autre m'observe avec insistance. Willow porte une robe aujourd'hui, ce qui lui va à ravir, mais je vais bien me garder de le lui dire. Le décolleté met en valeur sa poitrine, qui doit en faire loucher plus d'un, moi y compris, alors que le tissu moutarde la couvre jusqu'aux pieds.

— Je crois plutôt que c'est toi qui me suis, je réplique en croisant les bras. Je vais finir par croire que je t'obsède.

— Oh! T'aimerais bien!

Son rire est contagieux, m'arrachant un maigre sourire. A côté d'elle, le type qui ne cesse de me dévisager s'éclaircit la voix. Willow semble soudain se souvenir de leur présence.

— Oh, Kyle, je te présente Alec et Boyd. Nous travaillons dans la même caserne.

Alec, grand brun à la peau foncée, me tend la main. Je la serre en essayant de ne pas grimacer. Soit il n'est pas au courant de sa force, soit il essaye de passer un message. Quant à Boyd, toujours aussi ennuyé, il lève simplement la main pour me saluer de loin avant de la passer dans ses cheveux blond qui lui donnent un air trop innocent pour l'expression agacé de son visage.

— Bon on peut y aller? J'ai vraiment pas envie de croiser sa route, ronchonne ce dernier en passant à côté de moi pour entrer dans la salle.

Alec le suit, et pendant une seconde, je vois un éclair de peine traverser le regard de Willow. Je fronce les sourcils.

— Vous êtes un peu dans la même situation tous les deux. Vous devriez bien vous entendre.

Je regarde les deux hommes passer devant nous et entrer dans la salle.

— Je ne crois pas, non.

— Tu veux te joindre à nous, quand même ?

Je hausse une épaule et la suis dans la salle encore éclairée. Mon frère me lance un regard impatient puis fronce les sourcils en voyant Willow.

— Ouais, je vais m'assoir avec vous.

Drew ne semble pas contrarié par cette idée, à mon plus grand étonnement. J'ai même l'impression qu'il est content. Tess lui dit quelque chose et il m'oublie totalement pour se tourner vers elle en souriant plus largement avant de lui rouler une pelle digne d'une amende pour atteinte à la pudeur. Sérieusement ! Faut qu'ils se calment !

A côté de moi, ma nouvelle... je ne sais pas trop quoi, tourne son visage rond dans ma direction et m'adresse un large sourire.

— Alors ?

Je fronce les sourcils.

— Alors quoi ?

Elle fait la moue puis hausse les épaules.

— Où en est ce plan d'avenir, cher Kyle ?

Il me faut un moment pour comprendre de quoi elle parle. La nuit que nous avons passée ensemble, à parler visiblement, est encore très floue dans mon esprit. A vrai dire, je ne m'en souviens vraiment pas. Le noir complet. Comme si quelqu'un avait éteint la lumière et effacé l'enregistrement.

— Ma proposition tient toujours, tu sais, insiste Willow. Je suis sûre que t'as le tempérament qu'il faut pour être pompier. Et t'as déjà la belle gueule qui va avec.

— Je vais à l'université. Je n'ai pas le choix.

— Pourquoi ? Ce n'est pas incompatible.

Je soupire, me demandant si je dois vraiment lui en parler. Après tout, je ne la connais pas. Ma vie et ma relation avec mon frère ne la regarde pas. Pourtant, elle me donne envie de me confier et ça, je ne suis pas certain de l'apprécier.
Les lumières dans la salle baissent soudain jusqu'à s'éteindre et il ne reste plus que l'écran géant pour nous éclairer, accompagné d'une musique d'entrée tonitruante. Sauvé par le gong ! Me concentrant sur l'écran, j'ignore totalement le regard insistant de Willow et m'apprête à passer les deux heures suivantes à m'efforcer de ne penser a plus rien d'autre qu'aux types se tapant dessus devant la caméra.
Mais c'était sans compter sur la détermination de ma voisine. Après tout de même plusieurs minutes, elle se penche vers moi, pose une main sur mon genou et le tapote.

— Si tu veux, on s'éclipse discrètement pour aller au café d'à côté.

Je lève les yeux au ciel avant de lui répondre :

— Je ne suis pas une gonzesse qui a besoin de parler de ses sentiments. Tu veux tout savoir, mais je n'ai pas l'intention de te raconter ma vie.

— Tu l'as déjà fait, crétin. Je veux connaître les changements depuis notre dernière séance de papotage entre gonzesses.

Je grogne et l'ignore pour le reste du film. De toute façon, rien n'a changé. J'irais à l'université le mois prochain, j'essayerai de trouver une voie qui me plaît, et peut-être que je tenterais d'arranger les choses avec mon meilleur ami. Mais pour l'instant, tout ce que je veux, c'est respirer. J'ai l'impression de vivre en apnée depuis des mois, peut-être même des années, sans m'en rendre compte. Ma vie me semble si pitoyable en cet instant que je n'ai qu'une seule envie, c'est de rentrer à la maison et me foutre en l'air pour le reste de la soirée. Alcool, drogue, je ne dirais non à rien, si seulement je n'étais pas surveillé de si près.

Lorsque la séance se termine, je laisse la plupart des gens sortir avant de me lever. La foule traîne des pieds dans le hall avant de rejoindre la chaleur écrasante de la journée. Je me poste dans un coin avec Willow et ses collègues, attendant que mon frère et Tess sortent à leur tour. La petite femme de Drew ressemble à un ballon sur pied quand elle émerge enfin de la salle, sa main posée sur son ventre, le visage contrarié. Immédiatement, une angoisse indomptable remonte dans ma gorge et j'attends avec appréhension qu'elle arrive jusqu'à moi. Mais lorsque je vois Drew sortir à son tour, mort de rire, je parviens à me détendre.

— WoW ! Elle est sur le point d'accoucher, marmonne Willow les yeux écarquillés en regardant ma belle-sœur.

— Je ne suis pas d'humeur à assister un accouchement d'urgence, ronchonne Alec.

— Elle a encore quelques semaines à attendre, leur dis-je d'un air nonchalant.

En vérité, je crois que la perspective de rencontrer ce bébé est la seule chose qui m'enthousiasme encore ces derniers temps.

— On va manger une glace, tu viens avec nous ? propose la pompier avec ce petit air qui laisse entendre qu'elle a vraiment envie que je les rejoigne.

Je me tourne vers Drew qui s'approche en me lançant un regard d'avertissement. Je n'ai visiblement pas récupéré sa confiance.

— Je passe mon tour.

Drew arrive juste au moment où Willow me dit au revoir. Ses hanches se balancent délicatement sous ses pas, faisant danser sa robe autour de ses pieds. C'est vraiment une très belle femme. Pourquoi n'ai-je pas couché avec elle cette nuit-là ? C'est un mystère.

— Tu t'es fait de nouveaux amis ? me demande Tess.

Son regard fier de maman me déstabilise. Je n'ai pas connu ma mère assez longtemps pour me souvenir de ce genre de détails. Tess est bien trop jeune pour jouer ce rôle, pourtant, l'amour qu'elle me porte me trouble à chaque fois.

— C'est juste une emmerdeuse, je réplique sur la défensive.

La futur maman plisse les paupières, curieuse, mais ne dit rien.
Sans attendre, je me mets en marche pour retrouver la voiture. Si je n'ai pas le droit de sortir, j'aime autant rester seul dans ma chambre ou le jardin à broyer du noir. Mais alors que nous sortons du cinema, sur le trottoir d'en face, une silhouette attire mon regard.
Mince, fatiguée, soutenue par Iris, elle s'arrête une instant, une main sur la bouche. Elle n'a vraiment pas l'air bien.

— C'est Sarah ? m'interroge Tess.

— Peu importe.

Je veux détourner mon regard. M'en aller. Mais je suis comme hypnotisé. Qu'est-ce qui peut bien lui arriver ? Jake apparaît à son tour, sortant du restaurant en face du cinéma. Il les rejoint au pas de course, un sachet entre les mains. Iris frotte doucement le dos de Sarah, lui disant quelque mot d'un regard compatissant. Et alors que je m'apprête à m'en aller, Sarah se redresse, tourne la tête vers moi, et le léger sourire qui commençait à apparaître sur ses lèvres se fige et disparaît. Je reste figé, le souffle coupé. Comme un criminel pris sur le fait. Les trois personnes qui partageaient chaque minute de ma vie, les seuls qui parvenaient à me rendre heureux, me regardent maintenant avec un mélange d'inquiétude, d'étonnement et de crainte. Qu'est-ce qui nous est arrivé, bordel ?

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