Un pas...

Le petit reniflement me fait lever les yeux. Je cesse de tortiller mes doigts et croise le regard embrumé de larme de madame Weber, ma psy.

— Vous avez une grande force de volonté, Kyle.

Elle essuie son nez avec un mouchoir tiré de la boîte qu'elle a posée à côté de moi au début de la séance. Les dents serrées, je lui accorde un vague sourire et attend qu'elle se reprenne. Lui raconter toute mon histoire a été bien plus long que je ne le pensais. Plus épuisant aussi. Replonger dans tous ces souvenirs m'a vidé de mes forces.

— Est-ce pour elle que vous souhaitez devenir pompier ?

Je secoue la tête, puis hoche le menton et passe mes mains dans mes cheveux en soupirant.

— Pas seulement pour elle. Je veux aider, me sentir utile.

— Et quand elle sera en rémission ? Vous devrez la laisser et aller affronter des dangers qui peuvent vous coûter la vie.

Je sais tout ça. Pourquoi est-ce qu'elle s'obstine à me le répéter ?

— Je ne suis pas suicidaire. C'est un métier d'être pompier et nous sommes formés à tout ça. Il y a des risques, oui. Mais comme dans beaucoup d'autres professions. Je ne vois pas ça comme un obstacle mais plutôt comme une force. Je ferai tout pour qu'elle n'ai pas à vivre ce que j'ai vécu. Et c'est sans doute ce qui m'évitera de prendre des risques inconsidérés. Je ne veux pas être un héros à tout prix, je veux juste... aider. Et peut-être éviter à d'autres personnes de vivre ce que j'ai vécu.

Ma psy me fixe un instant, sans exprimer la moindre émotion, le moindre accord. Je ne sais pas si je viens de la convaincre ou la dissuader de valider mon dossier. Avec un soupir, je passe encore mes mains dans mes cheveux, les coudes sur les genoux, essayant de me demander ce que je pourrais bien faire d'autre si elle ne veux pas valider mon inscription.

— Votre maturité est récente mais rassurante. J'aimerai tout de même continuer ces séances avec vous.

Je relève la tête et plisse les paupières, soupçonneux.

— C'est une obligation ?

Son sourire aimable est à la limite de la moquerie.

— Non, Kyle. Votre dossier est déjà validé, annonce-t-elle en pointant son bureau où ils trône depuis le début de la séance. L'académie vous permet toutefois de bénéficier d'un suivi psychologique entièrement pris en charge.

— Je n'ai pas encore eu de missions traumatisantes.

Madame Weber lève les yeux au ciel et secoue la tête.

— Personne n'a dit que ce suivi n'était fait que pour ça. Avant d'avoir à rebâtir tout un immeuble, parfois il suffit de faire quelques consolidations pour qu'il ne s'effondre pas à la première secousse.

Je me laisse aller au fond du fauteuil et réfléchit à ses mots. Mon pied tressaute d'impatience et d'excitation à l'idée que mon dossier soit enfin validé. Mais je sais que ma
psy ne va pas me laisser partir aussi facilement et j'avoue que... ce qu'elle dit est plutôt logique.

— Ça a du sens.

Elle sourit, avec une pointe de condescendance, ce qui m'amuse à mon tour. La sonnette de son timer retentit pour annoncer la fin de notre séance et alors que je me lève d'un bond, prêt à m'enfuir, madame Weber pose sa main sur mon dossier pour m'empêcher de le prendre et croise mon regard.

— Même si ce n'est pas avec moi, n'hésitez pas à continuer.

J'arrache mon dossier sous sa main, m'amusant de la voir surprise par mon geste et lui offre mon sourire le plus condescendant.

— Vous m'avez convaincu il y a 5 minutes déjà, madame Weber. A dans trois semaines !

Je m'échappe de son bureau avant qu'elle ne puisse répliquer et me précipite vers la sortie du bâtiment. J'ai déjà du retard pour la séance de chimio de Sarah, mais je l'avais prévenue. À vrai dire, je voulais annuler ma séance avec la psy, ce qui aurait repoussé la validation de mon dossier, mais elle a catégoriquement refusé. Alors me voilà à courir à travers le site hospitalier, mon dossier sous le bras pour retrouver le bâtiment où Sarah suit son traitement.

Je suis essoufflé en arrivant dans la salle et attrape le visage de Sarah avant même qu'elle se rende compte que je suis là. Mes lèvres se pose sur les siennes, terriblement froides, et un grognement frustré m'échappe.

— Kyle ? Ne me dis pas que tu t'es enfui du bureau de ta psy.

Son regard sévère me fait rire malgré son air si fatigué et son visage si pâle. Elle en est à son avant-dernière séance et elle avait raison, elle a de moins en moins de force. Son teint est plus proche de la mort que jamais et chaque fois que je pose les yeux sur elle, j'ai du mal à repousser la peur qui me tord les tripes.

— Non, je viens de terminer. Mon dossier est validé.

— C'est génial !

Elle lève les bras au ciel, faisant retomber la couverture qui la réchauffait. Je m'empresse de la remettre en place, et sursaute quand sa main glacée s'accroche à mon poignet. Ses yeux sont si fatigués.

— T'as réussi à dormir cette nuit ?

Elle hausse une épaule et glisse ses doigts entre les miens. Ses parents ont voulu qu'elle soit suivie par le meilleur oncologue de la région, une chance pour moi, son traitement est ainsi fait à l'hôpital juste à côté du campus. Mais je n'attend pas toutes les trois semaines pour la voir. Chaque week-end, je rentre chez mon frère, passe quelques heures avec ma nièce, puis autant de temps que possible avec Sarah. Elle a refusé que je fasse la route tous les jours juste pour passer une heure avec elle chaque soir. Alors je me contente de ces moments trop courts et des innombrables messages que je lui envoi chaque jour. Je me soule moi-même. Me souvenant que j'avais juré un jour que je ne deviendras pas ce genre de type.

— Tu devrais dormir, mon ange. Ne reste pas réveillée juste pour moi.

Son rire éclate comme une petit bulle de savon mais n'atteint pas son regard.

— J'ai trop froid.

Mes sourcils se froncent et mon regard circulaire dans la pièce ne repère aucune autre couverture libre. Les trois autres patients ont presque terminés si j'en crois le niveau de liquide dans leur poche de chimio. Je me déshabillerait bien pour lui donner ce que je porte, mais je doute que ce soit utile.

— Plan B.

Je la soulève avant même qu'elle n'entame un geste et m'installe sur son fauteuil, la laissant se blottir contre moi. Son corps est si léger. Si fragile. Mes lèvres se pressent contre son bonnet, mes bras l'entourent pour la réchauffer. Je me délecte de la sensation de son corps contre le mien. L'avoir dans mes bras est si bon. Son visage de blottit dans mon cou, son soupir d'aise soulage mon cœur.

— T'es le meilleur petit-ami de la planète, tu sais ?

— De l'univers, tu veux dire !

Elle glousse et passe ses mains glacées sous mon t-shirt pour les poser contre mon ventre. J'ai l'impression que mon cœur tombe au font de ma cage thoracique, mais je refuse de lui montrer mes doutes et mes peurs. Alors, comme j'en ai pris l'habitude, j'attrape son livre et commence à le lire pour elle, en espérant que cette fois il n'y ai pas une scène de cul. Non pas que ça me gêne de le lire à voix haute, mais il y a quand même trois autres personnes dans la pièce aujourd'hui et elles nous regardent toutes avec un mélange de compassion et d'amusement. J'ai même l'impression que l'homme en face vient de m'adresser un clin d'œil.

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