Point de chute
Mon cœur ne veut pas se calmer. Les mains dans les cheveux, je tourne en rond dans le couloir sans parvenir à me poser. Je ne sais même pas comment je suis arrivé ici. L'appel de Tess m'a tellement terrifié que tout n'est plus qu'un brouillard. Je déteste cet hôpital, je déteste ce sentiment d'impuissance et la mort qui flotte dans ces couloirs trop clairs.
— Kyle ?
Tess s'approche, les yeux rouges, la peur plus grande que jamais dans ses yeux. Est-ce qu'elle survivra ? Est-ce qu'elle sera capable d'avancer comme elle me l'a dit si mon frère venait à partir ? Je n'y crois pas. Aucun de nous n'y parviendra.
Sans un mot, je passe mes bras autour d'elle et la ramène contre moi avec force. Son visage se presse contre mon épaule et son corps tremble entre mes bras, mais aucun son ne s'échappe de sa bouche.
— Redis-moi ce qu'il s'est passé.
Ses bras s'enroulent autour de ma taille et ma belle-sœur prend une grande inspiration tremblante avant de parler d'une voix si faible et apeurée que je la reconnais à peine.
— Le moniteur cardiaque s'est emballé. Et une autre machine s'est mise à sonner. Drew a... je suis certaine qu'il a serré les poings. Mais le personnel est arrivé tellement vite et m'a fait sortir de la chambre si rapidement... Kyle, s'il part, je...
Mes bras se ressent autour d'elle, parce que je ne veux pas l'entendre le dire. Je ne veux pas avoir à supporter ça. Quand ma mère est morte, j'étais le plus jeune, je n'étais qu'un enfant, j'ai à peine compris ce qu'il se passait et ce vide m'a rongé toute ma vie. Comment surmonter ça maintenant ? Être abandonné encore une fois, creuser un peu plus ce vide dans ma poitrine ? Je ne peux pas l'envisager.
— J'ai trouvé une place tout au fond du parking, soupire Sarah en arrivant dans le couloir.
Je pivote au son de sa voix, sans lâcher Tess qui renifle contre mon épaule.
Sarah est pâle et essoufflée, et lorsqu'elle nous voit Tess et moi enlacés, ses pas ralentissent et ses yeux se remplissent de larmes. Une main sur la poitrine et s'arrête à quelques pas de nous.
— Est-ce qu'il... ?
Je secoue la tête avant qu'elle ne termine sa phrase. Avec un soupir de soulagement, Sarah passe une main dans ses cheveux courts et s'adosse au mur comme si ses forces venaient de la quitter.
— Madame Jacobs ?
Tess se tend contre moi et prend une seconde avant de s'éloigner pour faire face au médecin. Tout son corps tremble et sa main s'enroule autour de la mienne. J'ai la tête qui tourne sous l'effet de la peur, mais je serre sa main et celle de Sarah qui se glisse à côté de moi. Elle s'accroche à mon bras, comme si j'étais capable de gérer l'impact. Elle ne sait pas que sans elle, je serais déjà à terre.
— Votre époux est sorti du coma, annonce le médecin avec une pointe de sourire que j'ai du mal à interpréter.
— Il... il est...
Sarah serre mon bras alors que Tess fait un pas hésitant vers le médecin qui hoche la tête et sourit à nouveau.
— Il se repose pour l'instant, mais une infirmière viendra vous chercher dans quelques minutes pour aller le voir. Une personne à la fois.
Il ajoute ses derniers mots en jetant un œil dans ma direction mais je suis loin de vouloir m'en offenser. Drew est réveillé et c'est l'essentiel.
— Est-ce qu'il... il va bien ?
La voix douce de Sarah s'élève à peine à côté de moi, mais le médecin lui sourit poliment.
— Nous avons des tests à faire pour le savoir, mais nous devons attendre qu'il se repose. Nous en saurons plus dans quelques jours.
J'ai l'impression d'être hors de mon corps. Tess se retourne et me prend dans ses bras, mais je reste figé, incapable d'encaisser. Le soulagement est tellement fort que je ne sais pas comment le gérer. Mes jambes faiblissent, mes genoux lâchent et si Tess et Sarah ne me tenaient pas aussi fort, je me serais effondré au sol. Une larme roule sur ma joue, puis une autre et mon corps se met à trembler alors que je serre ma belle-sœur et mon ange aussi fort que mes muscles me le permettent.
— Tu vas le voir en premier, souffle Tess en prenant mon visage entre ses mains.
— Non, bien sûr que non. T'es sa femme, tu...
Elle tapote ma joue et secoue la tête pour m'empêcher de continuer. Son regard brille de joie et de soulagement. Je me demande si elle aussi a du mal à réaliser qu'il s'est enfin réveillé.
— T'es son frère, tu n'as connu que lui toute ta vie. J'ai vu ta souffrance, Kyle, souffle-t-elle alors que les larmes inondent ses joues. Et je ne me pardonnerai pas de te voir agoniser une seconde de plus.
Je n'ai pas le temps de lui répondre, de riposter. Une infirmière arrive et propose à Tess de l'emmener voir Drew, mais elle s'écarte et la main de Sarah dans mon dos me pousse en avant. Je ne me retourne pas. Je sais que je ferais marche arrière et obligerais Tess à y aller même si je dois la porter moi-même. Mais quelques chose au fond de mon estomac m'en empêche. Quelques chose de cruel et froid dans ma poitrine m'oblige à avancer.
La chambre est silencieuse mais l'atmosphère pesante qui y régnait s'est évaporée. Mon corps est parcouru de frissons en trouvant mon frère dans ce lit, les yeux clos. Il est bien trop pâle et raide pour paraître en vie, mais sa poitrine se soulève assez régulièrement pour le prouver.
Le pas hésitant, j'approche une chaise de son lit et m'assoit sans le quitter des yeux. Je n'ai jamais eu la chance de dire au revoir à ma mère. Son cercueil était fermé le jour de son enterrement et évidemment, Matthew n'a jamais voulu que je sois présent à l'hôpital. Que je la vois une dernière fois. Trouver Drew ainsi, avoir passé autant de temps avec lui alors qu'il était dans le coma m'a laissé plus d'une opportunité pour lui dire au revoir. Mais malgré ça, je ne l'ai pas fait. Par peur, par lâcheté ou simplement parce que je refusais de l'envisager. Mais je me rend compte maintenant que ça n'aurait rien changé. Il aurait été là malgré tout. Dans mes souvenirs, mon cœur, le regard de Rose, les sourires de Tess.
— Merci.
Le mot résonne dans un souffle alors que j'enroule mes mains autour de la sienne. Ses doigts se contractent et ses yeux s'ouvrent lentement, avec difficulté.
— Pas la peine de parler, c'est à mon tour pour une fois.
Ses sourcils se froncent et pendant quelques secondes il explore mon visage comme s'il ne me reconnaissait pas.
— Kyle.
Sa voix est aussi rauque que celle d'un rockeur qui a trop fumé et résonne d'une note d'espoir ou de soulagement.
— Salut frangin.
Ses doigts se serrent un peu plus autour des miens et un léger sourire étire ses lèvres.
— Je sais que je ne suis pas celui que t'aurais voulu voir à ton réveil, mais ta femme est assez persuasive.
Il sourit plus largement et observe la chambre d'un regard circulaire avant de revenir vers moi en constant qu'il n'y a personne d'autre.
— T'as une sale tête.
Il rit mais le mouvement le fait grogner de douleur alors qu'il porte sa main à ses côtes.
— Tu m'as fait peur, tu sais ? T'es la seule famille que j'ai, je t'en voudrais à mort si tu me laisse tomber.
Il serre encore ma main, probablement parce que parler est trop douloureux. Mais je n'ai pas besoin de ses mots pour comprendre à son regard qu'il est désolé.
— Je suis heureux de te voir en vie. Et j'ai hâte de pouvoir t'énerver de nouveau.
Il roule des yeux. Je suis sûr qu'il a hâte lui aussi de me botter les fesses. Mais cette joie de le voir sourire à un goût amer de regret. Je serre sa main, me rappelant de ma joie quand je lui tenais la main après l'école, quand nous rentrions tous les trois à la maison, lui, maman et moi. C'était des instants parfaits, des instants que je ne voudrais jamais oublier mais qui s'effacent petit à petit en grandissant.
— Je suis désolé pour tout ce que je t'ai fait subir toutes ces années.
L'étonnement dans son regard laisse rapidement place à de la compassion.
— Ce n'est pas contre toi que j'étais en colère toutes ces années. Je sais que tu faisais tout pour que j'ai la meilleure vie possible et je suis conscient d'avoir tout fait pour la gâcher. Et malgré ça, t'as réussi à me sauver. Encore et encore. Je suis désolé. Tu mérites de te reposer maintenant. Il m'a fallut détruire la chapelle mais j'ai compris.
Ses yeux s'écarquillent et sa bouche s'ouvre mais je secoue la tête avant qu'il ne prononce un mot.
— Ne t'en fais pas. J'ai tout réglé. Je vais continué à vivre avec vous un moment vue la somme que j'ai donné à l'hôpital, mais je sais que tu t'ennuierais sans moi de toute façon.
Mon clin d'œil lui fait secouer la tête mais son sourire en dit long sur son soulagement. Il n'est certainement pas aussi grand que le mien.
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