Nouveau départ
Je tire sur cette toge stupide dont le col essaye de m'étrangler, alors que je remonte l'allée centrale pour m'installer dans les rangs des étudiants. Voilà une année de terminée. Voilà que le lycée est terminé. Et en plus de ça, c'est mon anniversaire. J'aurais préféré le passer dans mon lit à dormir ou dans la salle de sport à taper sur tout ce qui est à disposition.
— Regarde là-bas, mec, me souffle Jake.
Mon seul véritable ami ici est un type afro-américain, qui n'a pas un poil sur le caillou mais tient une forme d'enfer. Nous allons souvent à la salle de sport ensemble, moi pour me défouler, lui pour parfaire sa forme physique et réussir les sélections d'entrer à l'école de pompiers.
— Si c'est Sarah que tu comptes me montrer, je te pète les deux bras, je grogne sans me retourner.
Nous nous glissons dans la rangé qui nous est réservée et avançons jusqu'à nos places.
— Faut que tu tournes la page, Kyle. Ça fait quoi ? Presque quatre mois ?
— Tu comptes ? je m'étonne avec peu d'enthousiasme.
Retirant mon chapeau, je me frotte les cheveux, détestant un peu plus ce jour. Pourtant, mon frère et sa femme ont tout fait pour que ce soit un jour parfait pour moi. Tess m'a préparé des pancakes aux myrtilles, elle s'est assurée que tout soit en ordre pour que je sois vêtu convenablement. Mon frère m'a rabâché je ne sais combien de fois qu'il est fier de moi, ce qui m'a beaucoup touché... les six premières fois, ensuite c'est devenu lourd. Ils m'ont dit que des surprises m'attendent aujourd'hui, mais j'ignore si c'était une sorte de présage philosophique ou s'ils ont vraiment prévu des trucs pour moi. Peu importe. De toute façon, je ne suis pas d'humeur.
— Salut les garçons ! s'exclame Iris la petite amie de Jake.
Ce dernier se lève et la prend dans ses bras pour lui accorder un baiser à la limite de la décence, un peu comme Drew et Tess quand ils pensent que je ne les vois pas. Cette idée me faire rire. J'ai beau les taquiner avec ça, j'aime voir mon frère heureux. Et Tess est une femme géniale, un mélange entre une sœur et une mère pour moi.
— Comment tu vas, Kyle ?
Je lève les yeux vers Iris qui se penche pour déposer un baiser sur ma joue. La brune latino aux grands yeux de biches, remonte ses lunettes sur son nez et pose une main sur la courbure généreuse de sa hanche.
— J'aimerais que cette journée se termine au plus vite, je marmonne.
Elle me bouscule en faisant un bruit de bulle qui éclate avec sa bouche alors que Jake se marre.
— Tu sais que depuis le temps que tu es dans cet état, je peux définitivement dire que tu es en dépression. Je vais bientôt te forcer à aller voir un psy.
Je hausse les épaules et lui adresse un regard malicieux.
— Je n'ai qu'à attendre quelques années que tu aies ton diplôme et je viendrais te voir.
Elle tapote ma joue avec un large sourire.
— Marché conclu. Bon, je vous laisse, je vais retrouver ma place. A tout à l'heure, Bébé.
Mes amis se roulent encore une pelle puis Iris s'éloigne. Je ne peux m'empêcher de la suivre du regard alors qu'elle avance jusqu'au premier rang pour s'assoir à quelques places seulement de Sarah. Même si je ne vois pas son visage, je sais que c'est elle. Ses épaules sont un peu voutées, elle regarde ses mains sans doute, tordant ses doigts dans tous les sens parce qu'elle est nerveuse.
— Tu comptes avoir cette attitude toutes les vacances ?
Je ne détourne même pas mon regard pour lui répondre.
— C'est possible.
— Putain, je savais que j'aurais pas dû te demander de venir avec moi.
— Et tu serais partie avec qui à ton foutu camping ?
— Seul. Un arbre serait de meilleure compagnie que toi.
Je lui adresse un regard entendu et quand je me tourne à nouveau vers Sarah, je ne peux plus la voir. Les rangs qui nous séparaient se sont complétés, m'empêchant de l'admirer un peu plus.
Je sais que je suis lamentable, et je me déteste pour ça, mais je ne peux pas m'en empêcher, c'est plus fort que moi, il faut que je la regarde, que je sache qu'elle va bien, qu'elle est heureuse et d'un autre côté, j'aimerais qu'elle souffre, qu'elle soit aussi malheureuse que les pierres pour m'avoir brisé le cœur.
La remise des diplômes a été aussi longue et ennuyeuse que je m'y attendais. Je me dirige avec Jake et Iris vers les tonnelles disposées de l'autre côté du gymnase, où nous attendent nos familles et quelques rafraichissements. Tout ce dont j'ai envie c'est de rentrer à la maison et commencer à emballer quelques affaires pour ces quelques semaines de camping avec Jake. Mais c'est sans compter sur ma famille. Les deux personnes qui comptent le plus pour moi maintenant. Enfin, deux et demi si on compte l'occupant. C'est le surnom que j'ai donné au bébé qu'ils vont avoir, parce qu'on ne sait pas si c'est une fille ou un garçon. Tess affirme que ça sera un garçon, mais mon frère ne croira rien avant d'en être certain. Ce qui ne risque pas d'arriver avant la naissance puisqu'ils ont décidé de garder le suspense jusqu'à la fin. Ça a le don de me rendre dingue parfois.
— Viens-là mon fils ! s'exclame ma belle-sœur en me prenant dans ses bras.
Elle aime me taquiner de la sorte depuis quelques temps. Je la laisse faire, parce que de toute façon elle ne me laisse pas le choix. Son ventre rond se colle contre moi et ses bras m'entourent comme un étau. Et soudain, je l'entends renifler.
— Oh non. Ne me dis pas que tu pleures, je soupire sans la relâcher pour ne pas le constater moi-même.
— Si, elle gémit en reniflant à nouveau.
Je m'écarte pour regarder son visage un peu plus rond qu'avant, ses joues et ses yeux rougis mais un large sourire sur ses lèvres.
— Je suis si fière de toi, Kyle.
— Merci.
Je me surprends à sourire en lui répondant, juste avant que mon frère ne m'accorde une accolade.
— Ne me dis pas que tu vas pleurer aussi, je gronde avant de le relâcher.
Il me donne une tape derrière la tête et éclate de rire. En me tournant vers Tess, je vois qu'elle écrase Jake et Iris dans ses bras, qui semblent tout deux apprécier l'attention. Elle leur dit quelque chose et ils hochent la tête avant de s'éloigner.
— Tiens, prends un verre, me dit Drew, ensuite nous avons quelques chose à te montrer.
— Vous avez ramené toutes mes affaires dans un appartement pour vous débarrasser de moi ?
Tess me frappe le bras assez fort pour que j'ai mal, mais je ne dis rien.
— Arrête de faire l'imbécile. Tu pars à l'université dans à peine un mois.
Et elle se remet à pleurer. Sérieusement, ce bébé a un effet effrayant sur cette femme.
— Arrête de pleurer, ma puce, il ne sera qu'à une heure de route.
Tess se blottit dans les bras de mon frère, cachant son visage contre sa chemise.
— Kyle ?
Je sens un long frisson passer tout le long de mon dos en entendant la voix claire et mélodieuse de Sarah. Ne sachant pas vraiment comment me sentir, je me tourne vers elle en serrant mon verre trop fort.
— Sarah.
Elle n'est pas aussi rayonnante que je le voudrais. Ses beaux yeux marron évitent mon regard alors qu'elle se mordille la lèvre.
— Je voulais juste te féliciter, elle souffle d'une petite voix.
J'ai envie de passer mes mains dans ses cheveux d'un châtain plus clairs qu'avant. Enrouler une mèche autour de mon doigt. La prendre dans mes bras. Retrouver le contact de son corps, de ses lèvres. J'ai envie de sentir sa chaleur contre ma peau. Je l'observe sans dire un mot, sans avoir aucune réaction parce que je suis sous le choc de la revoir si près de moi. Depuis qu'elle m'a quitté, elle ne m'a pas adressé la parole. Je la regardais de loin, parce qu'après avoir essayé plusieurs fois de lui faire changer d'avis, elle m'avait ordonné de ne plus venir la voir, de ne plus l'approcher. Et je l'ai fait. Comme un con, j'ai arrêté de la supplier, de lui envoyer des messages auxquelles de toute façon elle ne répondait jamais. Elle a même arrêté de travaillé au café. Pourquoi est-ce qu'elle vient me parler aujourd'hui ?
— Bon, eh bien, bonne chance. Pour la suite, elle souffle en baissant les yeux avant de tourner les talons et de partir vers ses parents.
Je reste figé à la regarder s'éloigner, le cœur battant trop fort, tous mes muscles contractés de rage ou de peur, je ne sais pas. Est-ce la dernière fois que je la verrais ? Etait-ce un adieu ? J'ai l'impression de mourir à petit feu depuis quelques mois. Etait-ce le coup de grâce ?
— Tu viens Kyle ?
Je sursaute en sentant la main de mon frère sur mon épaule. Sarah n'est même plus dans mon champ de vision. Me tournant vers Drew, je laisse tomber mon verre vide sur la table la plus proche.
— On peut y aller maintenant ? je demande froidement.
Tess et mon frère me regardent d'un air inquiet.
— Ça va aller ? demande ma belle-sœur d'une petite voix.
— Je veux juste rentrer, je soupire en prenant les devants.
Je ne dis pas un mot pendant tout le trajet jusqu'à la maison. Je ne me focalise sur rien, essayant de faire divaguer mon esprit au maximum. Comme un zombie, je sors de la voiture, ma toge sur le bras et mon chapeau de diplômé dans la main. J'entre dans la maison sans attendre et gravi les marches pour me jeter dans ma chambre. La colère me monte au visage alors que la photo de Sarah tombe de ma table de chevet quand je claque la porte. Je la ramasse et sans lui accorder un regard, je la balance contre le mur, me délectant du bruit caractéristique du verre qui se brise et du cadre qui craque.
— Kyle ? crie Tess depuis le couloir.
— Tout va bien ! je réponds avec rage. Tout va parfaitement bien, je répète plus bas.
Deux coups résonnent contre la porte juste avant qu'elle ne s'ouvre et c'est mon frère qui entre. Sans un mot, il regarde le mur puis le cadre et les morceaux de verre au sol. Il s'approche et ramasse la photo avant de froncer les sourcils.
— Tu pars en vacances dans deux jours et tu seras à l'université à la rentrée. Cette fille ne vaut pas la peine que tu te morfondes depuis si longtemps.
— Dois-je te rappeler dans quel état tu étais après que Tess t'ai quitté ?
— C'était différent. Nous étions mariés. Et elle ne m'a pas quitté parce qu'elle n'avait pas confiance en moi.
— Je ne lui ai jamais donné le moindre doute. Elle n'avait aucune raison de penser que je la trompais.
— C'était peut-être une excuse pour ne pas te dire qu'elle voulait simplement te quitter.
— Tu crois qu'elle a arrêté de m'aimer comme ça ? Du jour au lendemain ?
Il secoue la tête, puis hausse les épaules.
— Je n'en sais rien. C'est avec elle que tu devrais avoir cette discussion. Tout ce que je peux te dire, c'est que si au bout de quatre mois elle n'est toujours pas revenue, c'est qu'elle n'en a pas envie.
— Elle est venue me parler tout à l'heure.
— J'ai vu. Et j'ai aussi vu que tu ne lui as pas répondu. Peut-être que toi non plus tu ne veux plus d'elle.
Passant mes deux mains sur mon visage et dans mes cheveux, j'essaye de comprendre ce qu'il se passe. Pourquoi je ne peux pas l'oublier ? Pourquoi ça fait si mal ? Quelle est la putain de procédure pour arrêter de l'avoir dans ma tête ?
— Viens, j'ai peut-être quelque chose qui va te remonter le moral.
— Je n'ai pas l'âge de boire, je marmonne les mains sur les hanches.
J'ai l'impression de n'avoir plus aucune force. Mon frère rit et tapote mon épaule avant de me pousser vers le couloir.
— Je ne compte pas te faire boire mais t'offrir un cadeau.
Nous descendons les escaliers et au lieu d'aller au salon, Drew me demande de le suivre dehors. Tess est déjà là, à côté du garage, un morceau de ruban rouge dans la main. En nous entendant, elle se tourne brusquement et cache le ruban derrière son dos. Perplexe, je fronce les sourcils en m'approchant.
— Avant que tu ne sautes de joie, il y a certaines règles à respecter, elle me prévient en pointant un doigt menaçant vers moi.
— De quoi tu parles ?
Elle ignore ma question et poursuit.
— Ce cadeau n'est pas supposé te tuer, alors tu as plutôt intérêt à suivre les consignes. Compris ?
Toujours perdu, je hoche la tête.
— Dis-le, elle insiste.
— J'ai compris, mais tu ne m'as même pas dit quelles sont les règles.
— Regarde d'abord ce que c'est, intervient mon frère. Ensuite, elle te fera son cours de sécurité.
Tess lui adresse un regard noir et sort sa main qu'elle cachait encore derrière son dos. J'ouvre la main et elle laisse tomber le ruban dans ma paume. Je comprends alors qu'il est attaché à des clés.
— Merde ! Une voiture ?! je m'exclame les yeux exorbités.
— Pas exactement, chantonne Tess en s'écartant pour me laisser approcher du garage.
Quand mes yeux se posent sur l'engin, j'en perds le souffle.
— Non ! Putain de merde ! Mais...
Je me tourne vers mon frère, je ne trouve plus mes mots. Ce n'est pas une voiture qu'ils m'offrent, mais l'ancienne moto de mon frère. Je croyais qu'il l'avait vendu quand nous avons déménagés. Je l'admirais sur cet engin et rêvais d'avoir le même sans jamais le lui dire.
— Comment tu as su ?
Un large sourire éclaire le visage de mon frère alors que Tess a de nouveau les larmes aux yeux.
— Je suis ton frère, je te connais mieux que tu ne le crois.
— Mais je croyais que tu l'avais vendu.
Il hausse une épaule.
— J'avais demandé à un ami de la vendre pour moi mais j'ai changé d'avis après quelques mois ici. Il me l'a un peu retapée et me l'a envoyé il y a deux jours.
— Oh putain ! T'es génial !
A son plus grand étonnement, et au mien aussi, je lui saute au cou et le serre dans mes bras comme je ne l'ai pas fait depuis que notre père est allé en prison et que Drew a décidé de s'occuper de moi.
— Joyeux anniversaire, petit frère, il souffle avant de me relâcher.
Si je ne le connaissais pas, je pourrais croire qu'il est sur le point de pleurer.
— Et moi j'ai mis le flot dessus, insiste Tess en écartant les bras pour avoir droit elle aussi à un câlin.
Eclatant de rire, je le serre contre moi et dépose un baiser sur sa joue.
— Maintenant, les consignes, elle déclare en s'écartant, me reprenant la clé des mains.
Peu importe, il faut d'abord que je vois cette bécane de plus près. M'approchant, je passe mes mains sur le siège de cuir noir, plus lisse et moins abîmé qu'en mon souvenir. La carrosserie a été repeinte, le noir et le rouge sont beaucoup plus vifs, sans aucune égratignure. Les jantes chromées reluisent avec force et contrastent avec la sobriété de la moto.
— Elle est juste parfaite, je m'enthousiasme.
— Je suis content qu'elle te plaise.
— Maintenant tu m'écoute, jeune homme, intervient Tess.
Je me tourne vers elle, sachant qu'elle ne va pas lâcher l'affaire.
— Pas d'alcool, pas de conduite sans casque, pas d'excès de vitesse, ni de cabrioles. Aucun passager s'il n'a pas un casque lui aussi. Tu dois toujours porter une tenue adaptée pour rouler. Tu dois me promettre d'être extrêmement prudent. Et il est formellement interdit d'avoir le moindre accident. Compris ?
Je me retiens d'éclater de rire et hoche la tête.
— Compris. Je ne ferais rien de stupide, je te le promets.
Je la prends encore une fois dans mes bras et récupère la clé. J'enlève avec soin le nœud accroché sur l'avant et attrape le casque.
— Qu'est-ce que tu fais ?
— Je vais l'essayer.
— Tu n'as pas une tenue adaptée, elle proteste.
Je vois mon frère passer un bras autour d'elle pour la retenir quand elle s'approche.
— Je vais juste l'essayer dans le quartier, cinq minutes.
J'enfile le casque sous le regard amusé et fier de mon frère.
— Laisse-le faire, ma puce, il souffle juste avant que je ne démarre la moto.
Le ronronnement couvre tous les sons alors que Tess sursaute en posant une main sur son ventre. Je ris, pour une fois depuis longtemps, je ris de joie, me sentant d'un seul coup plus libre et léger. Drew me fait un signe de la main, m'enjoignant à prendre la route, alors je ne me prive pas. Avec un niveau d'enthousiasme que je ne pensais plus atteindre un jour, je m'élance sur le bitume. C'est une nouvelle liberté qui s'offre à moi et surtout un nouveau départ.
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