Frères
— T'es certain que ça suffit ? me demande encore une fois Tess alors que je pose la dernière salade dans le réfrigérateur.
J'essaye de fermer la porte mais suis obligé de pousser et entend un craquement sinistre avant qu'elle ne se ferme.
— Ça dépend, lui dis-je en me retournant comme si de rien n'était. T'as invité tout le quartier ou toute la ville ?
Son regard sévère ne parvient pas à rester sombre très longtemps. Avec un soupir, elle passe ses mains dans ses cheveux sombres et regarde tout autour d'elle. La cuisine est pleine de nourriture, des gâteaux et des boissons trônent sur les comptoirs et tout ce qui devait être au frais y est tant bien que mal. J'ai sorti tous les seaux possibles pour y mettre des glaçons afin que les boissons restent fraîches. Il n'y a pas beaucoup d'invités prévus, juste les amis, mais Tess est plus stressée qu'un un chihuahua sous cocaïne.
— Tu ferais bien de te calmer.
Je pose mes mains sur ses épaules et commence à les masser pour libérer un peu de tension. Son corps ne se détend pas, mais au moins j'aurais essayé.
— Les premiers invités sont là ! annonce Sarah depuis le salon.
Elle passe dans le couloir et m'adresse un large sourire, ses cheveux courts en une couette sur le haut de sa tête. Elle y a même accroché un petit flot rose, assorti à sa robe et son maillot de bain. Elle est tellement sexy même avec ce truc stupide sur la tête.
— Aïe ! s'exclame Tess en bondissant en avant alors que mes doigts s'enfoncent involontairement dans ses épaules.
J'essaye d'effacer mon air coupable et plonge mes poings dans les poches de mon short avant que quelqu'un ne remarque qu'il est soudainement un peu plus serré.
— Rose ne va pas tarder à se réveiller et je dois aller chercher Drew dans quelques minutes.
Je secoue la tête et attrape les clés avant elle.
— Je vais chercher Drew. Toi tu t'occupes des invités.
Ses paupières se plissent, suspicieuses.
— T'as promis de faire un effort pour te socialiser pendant cette fête.
Son index accusateur me fait sourire mais je le repousse du révère de la main et attrape ses épaules.
— Je te promets que je ne ferai aucun scandale et que je discuterai poliment avec les invités. Mais t'es bien trop nerveuse et t'as besoin de tes amis pour calmer tes nerfs avant de faire paniquer mon frère. Donc tu vas rester là, laisser les autres s'occuper de toi et tu retrouveras très vite ton mari.
Son sourire tremblant est à deux doigts de se transformer en larme. Hors de question que je laisse ça arriver.
— Bonjour ! s'exclame Sophia, la meilleure amie de Tess en arrivant dans la cuisine avec un énorme plat de cupcakes.
— Je me casse !
Avant qu'on me demande de trouver une place dans un frigo pour un plat de plus, je m'échappe de la cuisine et fonce vers la porte d'entrée pour retrouver la voiture. Mais en chemin, Sarah m'intercepte d'un ton accusateur.
— Où est-ce que tu crois t'enfuir comme ça ?
Elle me barre la route, les bras croisés, le regard sévère. Je gronde et pose mes mains sur ses hanches pour l'attirer à moi. Quand elle me regarde comme ça, j'ai envie de la soulever contre le premier mur venu et m'enfoncer en elle jusqu'à ce que ses lèvres ne soient plus que capables de me supplier.
— Je vais chercher Drew. Tess est trop stressée pour prendre le volant.
— Et tu veux t'enfuir pour ne pas avoir à faire la conversation ?
Elle me connaît si bien. Avec une grande inspiration de soulagement, je pose mon front contre le sien et sourit quand ses bras s'enroulent autour de mon cou.
— Tu veux m'accompagner ?
— Et laisser Tess se noyer dans ses préparatifs ? Non, je veux me rendre utile pour qu'elle m'apprécie.
Du bout des doigts, je passe une mèche de cheveux derrière son oreille mais elle est trop courte pour y rester.
— Tu l'as déjà dans la poche, mon ange. Que veux-tu faire de plus ?
Son regard quitte le mien un instant, ses joues plus rouges.
— Je veux qu'ils oublient à quel point je t'ai fait souffrir.
Mes yeux roulent vers le ciel. Je n'arrive pas à croire que c'est à moi maintenant de la rassurer alors que je suis le pire de nous deux. Son visage entre mes mains, je pose mes lèvres contre les siennes et gronde quand Sarah m'embrasse en retour, sa langue avide de la mienne. Emporté par le désir, je remarque que j'ai avancé que lorsque son corps percute la porte d'entrée. Un gémissement lui échappe mais je l'avale déjà avec mon grognement de plaisir quand ses doigts plongent dans mes cheveux.
— Va-t-en...
Sa plainte met un moment à parvenir à mes oreilles. Contre ses lèvres, je ris alors que ses doigts tirent sur mes cheveux.
— Ne t'attends pas à fermer l'œil cette nuit.
Mon avertissement la fait gronder et ses dents capturent ma lèvre pour la mordre avant de la relâcher dans un soupir résigné.
— Tu dois aller chercher ton frère.
Elle essaye de se convaincre elle-même plus que moi. Mais à force de persévérance, je finis par rassembler le courage de m'éloigner d'elle et m'enfuis jusqu'à la voiture.
— Tess a préparé une fête, pas vrai ? demande Drew en s'installant sur le siège passager.
— Je n'ai rien dit.
Pas la peine de nier, mais il est hors de question qu'il m'accuse d'avoir vendu la mèche. Ma belle-sœur s'est donné tellement de mal pour que tout soit parfait que je refuse d'être le gars qui a tout gâché.
— Fais semblant d'être surpris en arrivant.
Drew ricane en secouant la tête.
— Elle ne m'écoute jamais. Je lui ai dit que je ne voulais pas d'une grande fête.
— Pas de grande fête pour le retour de son héros ? Tu demandes l'impossible.
Mon rire se joint au sien, mais l'amusement se dissipe très vite dans son regard. Mon frère n'a jamais été avide de recevoir des honneurs. Le maire a proposé de leur décerner une médaille à lui et son coéquipier, mais mon frère n'est pas emballé par l'idée. Ce n'est que pour permettre à Palmer d'avoir sa médaille qu'il n'a pas refusé.
— Tu devrais accepter les compliments de temps en temps, ça fait du bien à l'ego.
— Pour avoir le melon comme toi ? me taquine-t-il en fourrant ses doigts dans mes cheveux pour les ébouriffer.
Mes mains sur le volant, je ne peux rien faire d'autre que grogner pour me défendre.
— Je suis sérieux, Drew. Tout ce que tu fais te paraît normal, mais crois-moi, peu de gens sont près à se sacrifier comme toi.
— Je ne me suis pas sacrifié. J'étais juste au mauvais endroit au mauvais moment.
Mon regard noir se tourne vers lui et l'empêche de continuer à se trouver des excuses.
— Des articles au sujet de la fusillade sont sortis pendant ton coma. Le maire était menacé et c'est pour ça que vous étiez sur l'estrade. T'as rien dit parce que c'était confidentiel, mais ça ne change rien au fait que tu t'es sacrifié pour faire ton job.
Mon frère passe une main dans ses cheveux et grogne, agacé.
— Tess le sait ?
La crainte dans sa voix me fait détourner le regard de la route un instant. La culpabilité. Voilà ce qui assombrit son regard depuis son réveil.
— Elle ne t'en veut pas. C'est ta femme, tu devrais savoir qu'elle te pardonnerais tout, même si tu déclenchais la fin du monde.
Son soupir, un mélange de soulagement et de bonheur, résonne en moi. Je sais ce que c'est. Je connais ce sentiment qui nous submerge, impossible à identifier, quand la personne qu'on aime semble bien trop parfaite pour être avec nous.
— Si ce n'est pas maman qui l'a mise sur ma route, alors les dieux doivent vraiment m'avoir à la bonne.
Je hoche la tête, partageant son sentiment. Il m'a fallut un moment pour accepter qu'une personne aussi parfaite que Sarah soit à moi. Et aujourd'hui encore il m'arrive de me dire que je ne la mérite pas. Mais je sais que je peux la rendre heureuse. Et la voir rire, se fondre contre moi, chercher le réconfort dans mes bras me conforte dans l'idée que même si je ne suis pas assez bien pour elle, je peux la rendre heureuse. Et je me battrai jusqu'au bout pour la garder auprès de moi. Qu'elle ait été mise sur ma route par ma mère me semble trop utopique et porte trop d'espoir. Comment envisager qu'elle y soit pour quelque chose quand je la déteste encore pour m'avoir abandonné ?
— Tu crois qu'elle ferait ça si elle en était capable ? Faire en sorte que tu rencontres Tess et moi Sarah ?
— J'en suis certain.
La conviction dans sa voix me fait serrer les lèvres mais mes pensées ne peuvent plus être gardées pour moi-même. Ma voix est morne et teintée de reproche quand je parle à nouveau :
— Une façon de se faire pardonner pour nous avoir abandonnés ?
Il presse ses lèvres et m'accorde un regard désolé que j'ai à peine le temps de capter du coin de l'œil.
— Elle n'a jamais voulu nous abandonner. J'ai beau lui en vouloir pour ne pas avoir réussi à partir, à nous sortir de cet enfer, je sais qu'elle n'a jamais voulu ça.
Je reste un instant muet face à son aveux. J'ai toujours pensé qu'il la voyait comme une martyre, un être parfait tombée au combat entre les mains d'un criminel démoniaque. Il a fait tellement pour les femmes battues, pour aider les femmes à se battre et à sortir de l'enfer. C'est si étrange de l'entendre dire autre chose que du bien de notre mère que je ne suis même pas sûr d'avoir bien entendu.
— Tu lui en veux ?
Drew passe une main dans ses cheveux et détourne le regard un instant, regardant passer les maisons de la banlieue derrière la vitre, sans les voir.
— J'ai été en colère pendant longtemps. Mais je ne voulais pas que tu portes cette colère avec moi. Je voulais que le peu de souvenirs qu'il te reste d'elle soit heureux et que tu te sentes aimé. Mais oui, je lui en veux toujours un peu aujourd'hui. Je crois que ce sentiment ne partira jamais totalement.
Je gare la voiture devant le garage, mais garde les mains sur le volant, le regard fixé devant moi. Je sais que je dois sortir et amener Drew à sa fête surprise, mais je n'arrive pas à reprendre mes esprits. À côté de moi, mon frère reste silencieux, faisant tourner son alliance autour de son annulaire d'un air pensif.
— Tess ne va pas tarder à venir te chercher.
Il sourit.
— Je sais. Mais je ne sors pas de cette voiture avant d'être sûr que mon petit frère va bien.
Je passe une main dans mes cheveux mais me trouve incapable de lui répondre. Je ne sais plus si je vais bien, si je dois encore lutter contre quelque chose, si je dois me laisser porter et voir où tout ça me mènera.
— Je suis perdu. Je... j'ai toujours cru que tu l'admirai, que tu la vénérais. Je...
Sa main se pose sur mon épaule et la serre doucement. Mon regard se tourne enfin vers le sien, sans aucune trace de remord, de regret ou de doute.
— Je l'aime. Même si elle n'a pas réussi à nous sauver. Même si elle est resté. Je lui en veux mais je l'aime. Ce n'est pas incompatible. C'est justement parce que je l'aime que je peux avancer sans me laisser ronger par son absence. Et t'as le droit de l'aimer aussi. Même si tu la détestes pour ce qu'elle a fait. Si tu ne l'aimais pas, tu ne lui en voudrais pas.
Je hoche le menton, laissant ses paroles résonner dans mon esprit sans vouloir y accorder trop de réflexion. Cette journée est la sienne, Tess s'est donnée tellement de mal, et je ne veux tout simplement pas gâcher ces instants en me plongeant dans une autre séance de réflexion. Je le ferais chez ma psy.
— Allons-y avant que ta femme vienne nous chercher.
Drew sourit, avec bien plus de bonheur cette fois, son regard semble avoir trouvé sa réponse dans le mien.
— Allons affronter ça ensemble, souffle-t-il avant de lâcher mon épaule et de sortir de la voiture.
Je le suis, sans hésitation, sans appréhension. Pour la première fois depuis très longtemps, je ne me sens pas minable à côté de lui. Presque son égal. Son frère.
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