Mai

Hier, Louna avait reçu ce message :

<< Après demain, passe par l'avenue principale, l'avenue Victor Hugo, quand tu rentreras du lycée à dix sept heures. >>

Alors qu'elle croyait sa journée excellente, tout allait de travers à présent. Elle ne mangeait presque plus tant la peur lui rongeait l'estomac... Que se passerait-il quand elle irait à l'école le lendemain ?

Nous étions le premier mai, donc Louna n'avait pas cours, mais elle ne voulut pas voir Léo ; que se passerait-il donc s'il la voyait si stressée ? Elle n'avait parlé de ces SMS à personne, et ne voulait inquiéter personne. Ed, par contre, était sorti avec ses amis et Lydia. Lorsqu'il revint, il fila dans sa chambre dont il ne sortit plus jusqu'au lendemain matin, se privant même de dîner. Que s'était-il passé ?

Le lendemain, quelque chose n'allait pas. Elle le sentait. Et dès qu'elle entra dans le lycée, tout le monde lui sauta dessus, lui demandant si c'était vrai. Louna ne comprit pas : de quoi parlaient ils ?

Puis elle comprit... Mais ne le croyait pas. C'était impossible, tout simplement ! Tout allait si bien, tout ! Pourquoi Ed aurait-il largué Lydia ?
Ça n'avait pas de sens... Rien n'avait de sens.

Lorsqu'elle avait réussi à coincer Ed, elle lui demanda d'un ton ferme et catégorique :

<< - Pourquoi tu l'as larguée ???

- Je sais pas... J'ai paniqué ! Mais je regrette, Louna, je regrette tellement... Qu'est ce que je fais ?

- Tu l'aimes ?

- Évidemment que je l'aime...

- Qu'est ce que tu attends pour le lui dire, alors ? >>

Et elle n'attendit pas sa réponse et partit, trop énervée pour continuer cette discussion.

Personne ne savait où était Lydia. Enfin, après une journée de stress, de crainte et d'incompréhension, la sonnerie de dix sept heures retentit. Tout le monde se dirigeait vers l'avenue principale, mais Louna s'arrêta, laissant passer les autres. Elle ne voulait pas passer par l'avenue principale...
Alors elle se dirigea vers une rue annexe, plus étroite mais où l'inconnu ne la trouverait pas.

Elle n'avait pas l'habitude de passer par là. Au départ, la rue était la continuité d'un petit parc, mais plus elle s'avançait, plus elle semblait s'engouffrer dans une rue sinistre et obscure, sans commencement ni fin... Quelle idée avait-elle eu de passer par là ? Enfin... Au moins, elle ne tomberait pas sur l'inconnu, se rassurait-elle avant de se cogner contre quelque chose.
Elle releva la tête. Ce n'était pas un poteau ou un mur contre lesquels elle s'était cognée, mais bel et bien quelqu'un. Quelqu'un qu'elle ne connaissait pas mais qui semblait particulièrement ravi de la voir. Elle était si surprise qu'elle n'avait pas le réflexe de fuir.
Puis derrière un pan de mur apparurent deux autres hommes, et tous devaient avoir l'âge de Ed, voire plus. L'homme contre qui elle s'était cognée lança à un des deux autres, affichant toujours un sourire ravi :

<< - Je t'avais bien dit, Jules, qu'elle passerait par là !

- J'avoue, c'était une bonne idée. >>

Puis ils reportèrent leur attention sur Louna et l'encerclèrent. Alors soudainement, plus aigu et plus fort que jamais, elle cria, ce qui lui valut une gifle. Elle tomba à genoux, se massant sa joue douloureuse, cherchant une issue mais sachant pertinemment qu'il n'y en avait pas. Les trois hommes s'agenouillèrent à sa hauteur, et le dénommé Jules approcha son visage, un sourire des plus terrifiants aux lèvres. Alors Louna entreprit d'hurler une seconde fois, mais l'homme derrière elle lui plaqua sa main contre sa bouche à la seconde où elle commença.

Elle sentit alors qu'on lui serrait fortement les poignets. Elle en aurait sûrement hurlé de douleur si elle pouvait parler...
Un des hommes se recula tandis qu'un autre avança vers Louna avec une corde. Elle se débattit frénétiquement, tentant de toutes ses forces de se libérer mais sans succès. Alors d'un mouvement rapide dans lequel elle plaça toute la puissance qu'elle était capable de produire, elle lui donna un grand coup de pied dans l'entrejambe, ce qui le fit lâcher la corde tant il avait mal...
Mais Louna était à bout, elle savait bien que c'était la fin.

Elle n'avait plus rien.

Soudain, elle sentit un soulagement au niveau de ses poignets ; l'homme qui lui tenait bouche et mains gisait au sol, sonné. C'est alors qu'elle l'appercut, se battant avec le dénommé Jules...

Mais qu'est ce que Léo faisait donc là ?

Tout ce qui s'était passé en l'espace de deux minutes n'avait aucun sens. Si des extraterrestres débarquaient pour envahir la Terre, Louna ne serait pas particulièrement étonnée. Elle souffrait encore de ses poignets douloureux mais en cas de forces majeures, il est étonnant de voir à quel point on récupère rapidement ses forces.

Et si Léo semblait bientôt pouvoir assommer Jules, l'homme à la corde se relevait, furieux. Elle se mit alors à courir comme elle n'avait encore jamais couru, jetant au passage tout ce qu'elle trouvait sur l'homme afin qu'il ralentisse sa course ; et brusquement, il s'arrêta, net. Elle en fut si surprise qu'elle s'arrêta elle aussi. Puis elle comprit...

Un policier (Louna se demandait bien pourquoi et comment il était venu là, mais il y était, c'était l'essentiel) pointait son arme vers lui ; alors Léo sut qu'il pouvait s'arrêter de se battre.

De tout ce qui se passa ensuite, elle ne vit rien. Elle était déconnectée de la réalité... Elle était si épuisée. À cet instant, elle se demanda si elle réussirait un jour à se remettre de ces événements ; en moins de cinq minutes, Louna avait failli se faire enlever, frapper et peut être même violer... Un câlin suffira t-il à l'aider à surmonter les évènements cette fois ?
Léo la surprit dans ses réflexions, en lui demandant :

<< - Ça va, Louna ?

- Oui... Merci, au fait. Comment tu as su que j'étais là ? T'étais pas censé être en cours ?

- Si. Mais j'étais assis contre la fenêtre et je t'ai vue hésiter à prendre le chemin habituel, ce que je n'ai pas trouvé normal... Et je te trouvais étrange ces temps-ci. Alors sans réfléchir à ce que je faisais, je suis sorti de la salle en courant, sans écouter ce que pouvait bien me dire le prof, et j'ai appelé la police. Et quand je commençais à douter, j'ai entendu ton cri, et j'ai su que j'avais bien fait. Et la suite... Tu la connais.

- Léo... C'est trop gentil, bafouilla Louna, émue aux larmes. Mais pourquoi tu as fait tout ça pour moi ?

- Parce que tu es plus que ma meilleure amie pour moi... Je t'aime, Louna, et c'est grâce à toi que je me suis remis de ma séparation. À présent, c'est toi que j'aime. Louna, tu veux sortir avec moi ? >>

Elle resta figée, bouche bée. À cet instant, le monde semblait s'écrouler sous ses pieds. C'était impossible... Juste... Impossible... Pourquoi... Léo... Comment ?
Alors que les évènements des plus atroces et innatendus s'enchaînaient, un autre encore survint : Ed.

Il arrivait, ni en marchant ni en courant, le genre de marche qu'on a lorsque l'on est très, très, très énervé. Ed se planta entre eux deux, bousculant sa sœur au passage qui finit les fesses douloureusement attéries sur le sol bétonné, mais il ne s'en formalisait pas. Il lança alors du ton le plus hargneux qu'il connaisse à Léo :

<< - Qu'est ce que tu fous là, toi ??? Pourquoi Louna a des bleus les poignets en sang ??? Je te préviens, si tu as touché à un seul cheveu de ma sœur, tu vas...

- ED ! supplia Louna. MAIS QU'EST CE QU'IL T'A FAIT À LA FIN ?

- C'est pas tes affaires, Louna ! répliqua t-il sur un ton hautain et dédaigneux.

- Si. Moi aussi j'aimerais comprendre, rétorqua Léo d'un ton sec. >>

Ed regarda tour à tour l'un, puis l'autre. En vérité, il ne savait pas quoi leur répondre ; il savait qu'il détestait Léo, mais pourquoi...?
Après quelques secondes de silence, Léo lança :

<< - C'est bien ce que je pensais. Mes affaires dans la mare, m'enfermer aux toilettes, me piquer la meuf, tout ça c'était sans raison... Franchement, je ne voulais pas te voir, vu que tu avais une mentalité d'enfant de trois ans. Tu es pathétique, Ed. Tu n'étais même pas là quand ta sœur avait besoin de toi.

- Me... Je... Louna n'a rien à faire là dedans, bredouilla t-il.

- Si, justement. Ça doit faire six ou sept mois que je suis son meilleur ami, mais tu t'intéresses si peu à elle que tu ne l'as pas compris.

- QUOI ??? Louna, je t'interdis de l'approcher ! Comment as tu pu...

- TA GUEULE !!!!!!! hurla Louna en se levant, si fort et avec tant de haine et de violence que tout le monde - même les policiers - se tut. Tu n'as rien à me dire, rien, tu comprends ??? Ça fait des mois qu'on est amis parce qu'on se cachait tous les deux de toi !!! Tu es un imbécile Ed, tu as fait souffrir des filles sans t'en rendre compte, même la première fille que tu aies jamais aimé ; tu as harcelé ce pauvre Léo qui était nouveau et n'avait rien demandé ; et enfin, tu ne m'as pas calculé une seule fois cette année !!! Et tu veux me faire la morale ??? Tu viens me dire que ce n'est pas mes affaires, tu viens engueuler Léo parce qu'il me parle ? Tu te rends compte que j'ai failli me faire enlever et très certainement violer et que si ça n'est pas le cas, c'est uniquement parce que Léo était là ? Tu es vraiment aveugle au point de ne pas avoir remarqué qu'il y a des policiers à deux mètres ??? Moi, Ed, j'ai tout fait pour toi. Je t'ai aidé, soigné, réconforté, conseillé, bref : j'ai été ta sœur. Pas une seule fois tu as été mon frère. La seule fois où j'ai cru que les choses s'arrangeaient, tu as brisé le cœur de mon meilleur ami juste pour te marrer. Alors vraiment, ta gueule. Je te hais Ed, et je ne veux plus jamais te voir. >>

Sur ce, elle flanqua une énorme claque à Ed qui lui laissa une grosse marque rouge sur la joue, et elle s'enfuit en courant, courant, courant.

Elle courait depuis des heures sûrement. Elle ne savait pas où elle était, mais qu'importe au final ? Elle était sur un pont, d'une dizaine de mètres au dessus d'un fleuve. Elle retira ses chaussures et monta sur la rambarde ; pour une fois, elle n'avait pas peur de tomber. Le presque enlèvement, la déclaration de Léo, sa relation avec Ed, tout ça s'arrêterait... Elle pencha la tête. Elle était debout sur la rambarde, au dessus d'une eau qui lui paraissait tout sauf accueillante.

Elle descendit de la rambarde, et étrangement ce fut à ce moment qu'elle prit conscience qu'elle aurait pu mourir...
Elle se laissa tomber en position assise sur le pont et ferma les yeux. Les problèmes lui semblent plus simples ainsi... Ed a peut-être pris conscience de tout ce qu'elle lui avait dit à présent ; et sinon, tant pis pour lui. Le véritable problème restait Léo.
L'aimait-elle ?
Elle ne le savait pas vraiment. Mais elle l'aimait plus qu'elle n'avait jamais aimé n'importe quel garçon et elle aimait passer du temps avec lui. Était ce suffisant pour être amoureux ?

Fatiguée de ces questions et la nuit tombée, elle s'endormit rapidement, sur le bois du pont.

L'avantage quand vous dormez dehors, c'est que vous vous réveillez rapidement à cause du soleil. Louna jeta un coup d'œil à son téléphone : 5h12 et une cinquantaine de messages. Elle ne voulut pas les lire immédiatement, et se décida à d'abord tenter de repérer où elle était. Après une vingtaine de minutes de marche, elle se rendit compte avec surprise qu'elle était tout près de la maison de sa cousine, Laeticia. Elle décida donc de se rendre chez elle, espérant rassasier son ventre qui gargouillait de façon inquiétante.
Malgré l'importance de la situation, elle releva quand même le fait qu'elle avait couru en quelques heures le trajet qu'elle mettait habituellement une heure et demie à traverser en voiture.

Si elle pouvait faire ça en course d'orientation, ce serait super.

Elle arriva devant la jolie maison bleue de sa cousine, qu'elle n'avait pas vu depuis plusieurs mois et qui lui manquait atrocement. Ce fut donc avec joie et une certaine excitation qu'elle frappa à la porte, trépignant d'impatience.
Une jeune fille encore à moitié endormie, les cheveux blonds complètement emmêlés, recouvrant ses yeux bleus creusés de cernes s'apprêta à demander de qui il s'agissait, quand elle vit Louna. Elle stoppa net, les yeux bien écarquillés, puis se mit à hurler :

<< - Lounaaaaaaaa ! Ça fait si longtemps !!!

- Salut, Laeticia ! Je dérange pas trop, j'espère ?

- En vérité, je me suis dis que si c'était pour me vendre un calendrier qu'on m'avait levé à cinq heures un samedi, j'aurais sûrement frappé le vendeur, mais c'est toi, et franchement là je suis capable de tout pardonner. >>

Elle lui sauta dans les bras en bafouillant un "trop gentil" puis elle entra. Le salon était spacieux et lumineux, comme à son souvenir. Enfin quelque chose qui n'a pas changé, pensa t-elle.
Alors que Louna avalait un bol de céréales et deux tartines, elle se mit à narrer toute son histoire à Laeticia, qui ne dormait plus le moins du monde. Elle raconta tout, de la rentrée aux événements de la veille, en passant par Dounia, la rencontre avec Léo, comment il est devenu son meilleur ami, la fête de Noël, la rupture avec Lydia, les regards et les messages inconnus et douteux, la bagarre de Ed, les conseils amoureux... Laeticia buvait ses paroles, à la fois fascinée par la vie mouvementée de sa cousine mais aussi attristée par tout les évènements qui la composent.

À la fin de son récit, Laeticia se leva et fit un câlin rempli de compassion à sa cousine, puis elle lui dit :

<< Ce qu'on va faire, c'est que je vais réveiller Romain, et comme il a eu son permis de conduire il y a quelques mois, il va te ramener chez toi, ok ? >>

Louna approuva d'un signe de tête. Romain, le frère de Laeticia, s'était toujours bien entendu avec elle, et elle fut soulagée que sa cousine aie pensé à cette solution aussi rapidement.
Pendant ce temps, elle sortit son téléphone pour consulter ses messages. Elle en avait reçu principalement de ses parents, d'Ed et de Léo. Elle ouvrit d'abord ceux de ses parents, qui s'inquiétaient énormément ; elle décida donc d'envoyer à sa mère, sachant qu'elle répondrait plus vite :

<< Je vais bien. Je serai de retour dans moins de deux heures. >>

Puis elle consulta les messages de Léo. À mesure qu'elle les lisait, elle écarquillait un peu plus les yeux ; il lui en avait envoyé une vingtaine qui ressemblaient tous à :

<< C'était tellement courageux de ta part de dire ça ! Mais les policiers te recherchent, ils ont besoin de ton témoignage. >>

<< Louna ? T'es où ? Tes parents sont arrivés et ils commencent à s'inquiéter...>>

<< Louna, s'il te plaît, dis moi qu'il ne t'es rien arrivé !!! >>

<< S'il te plaît Louna... >>

<< Je sens que je vais pleurer. >>

<< Ça y est, je pleure. Louna, je m'inquiète, s'il te plaît dis moi que tu vas bien ! >>

Louna se sentit rougir : toute cette attention, c'était si gentil ! Puis elle comprit, et pour la première fois depuis la rentrée, elle prit une décision qu'elle ne regrettait pas et dont elle était fière. Lorsque Romain descendit, elle lui sauta dans les bras, mais sans faire trop de bruit pour ne pas réveiller leurs parents. Il lui dit :

<< Qu'est ce que t'as changé ! Et t'es tellement grande, tu vas finir par me dépasser, attends c'est humiliant ça ! >>

Elle éclata de rire, puis ils montèrent dans la petite voiture grise de son cousin. Laeticia expliqua :

<< Normalement ça roule bien, donc on devrait être rentrés un peu avant neuf heures, et tu connais mes parents, ils ne sont pas matinaux, donc ils seront toujours en train de dormir quand on arrivera... Et au pire, on leur dira qu'on était sortis pour acheter un cadeau à une de mes potes dont c'est bientôt l'anniversaire. >>

Louna était fascinée par sa capacité d'improvisation légendaire. Durant le trajet, elle expliqua toute l'histoire à Romain ; cela lui faisait du bien d'en parler...
À 7h23, ils arrivèrent devant chez elle. Ils se dirent rapidement au revoir puis ses cousins repartirent aussitôt (personne ne devait impliquer en quoi que ce soit ses cousins dans l'histoire). Au moment de frapper à la porte, elle hésita : comment la recevrait-on ?

Heureusement, tout allait bien. Ses parents étaient fous de joie de la voir rentrer, et elle aussi était heureuse. Elle n'avait pas vu Ed, et c'était tant mieux ; elle n'en avait aucune envie.
Moins elle pensait à lui et mieux elle se portait !

Le surlendemain, elle alla au lycée, et malgré tout ce qui lui était arrivé, elle marchait la tête haute. Lorsqu'elle aperçu Léo, elle sut qu'il était temps qu'elle applique sa décision. Elle marchait donc d'un pas plus pressant et se planta devant lui. Lorsqu'il tourna la tête, il n'eut rien le temps de dire qu'immédiatement elle l'embrassa. Puis elle lui répondit, bien qu'avec trois jours de retard :

<< Oui. >>

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