Chapitre V : Une mère

Une intense volonté de tuer s'emparait de mon être, ma soif de sang comprimait mon cœur et mon esprit. Mes désirs les plus malsains et enfouis revenaient à la surface pour répandre la discorde. Tout devenait incontrôlable.

Tue-les tous.

Quelles émotions pouvaient passer au travers des yeux d'une personne prête à être égorgée? Comment réagirait-elle? Me suplierait-elle, essaierait-elle de se battre? Quel bruit ferait mon couteau si je le plongeais dans la chair d'un monstre?Dans quelle position rendrait-elle son dernier soupir? Quel goût aurait son âme? Je voulais répondre à ces questions, du plus profond de mon être. Tuer, cela paraissait si amusant ! Je pourrais alors envie me sentir vivante, avoir le pouvoir de vie et de mort sur chacun.

Tue-les... Ils ne méritent que ça.

Sentir leur corps s'éteindre dans mes bras, le cadavre se raidir... Les voir payer, une bonne fois pour toutes. Certes, ce serait exquis !

Heureuse de te l'entendre dire, ma chère Frisk !

Mes mains dégoulinaient de sang, je me sentais si forte, si puissante. Maître de moi-même et au-dessus des autres. Rien ne pouvait plus m'arrêter, et encore moins une stupide notion telle que la morale. Je m'en fichais bien, que tout le monde meurt. S'il fallait que je les tue un par un pour accéder au bonheur, alors leur vie n'avaient aucune importance. C'est la vraie liberté, non?

« Frisk... Qu'est-ce qui te prend? »

À qui appartenait cette voix? Ce n'était ni cette fille, ni Nathanaël, ni Toriel. Quelqu'un d'autre? Elle me semblait si familière, si apaisante...

« C'est vraiment ça que tu veux? Tuer des monstres? Ne vaut-il mieux pas être blessé plutôt que de blesser les autres? As-tu oublié tout ce que je t'ai appris? »

Ne l'écoute pas Frisk! Dans ce monde, c'est tuer ou être tué !

« Tu m'avais promis de toujours rester l'enfant que j'ai connu... Tu ne peux pas effacer la vie de Toriel, de Croâpaud et de tous les autres comme cela... Je t'en prie, Frisk, résiste. Elle est en train de prendre possession de toi sans que tu t'en rendes compte. Tu bascules déjà ! »

Frisk, ne me rends pas la tâche plus difficile... C'en était presque fini de toi.

Je commençais à reprendre conscience, suffisamment pour comprendre que cette femme avait raison : elle contrôlait déjà mon esprit, et sans son intervention j'aurais probablement déjà tué quelqu'un pour de vrai... Je sentais toujours les idées avariés et répugnantes du démon se fracasser dans mon crâne, mais le vacarme devenait plus sourd. Je reprenais lentement le contrôle.

Je devais l'extraire de mon esprit, une fois de plus. Ma vie ainsi que ma santé mentale en dépendaient, ou je risquais de me transformer en tueuse en série dans très peu de temps.

« Repousse-la ! Tu as une mission à accomplir, Frisk ! Tu es le futur des humains et des monstres ! »

La voix se faisait plus directe, encourageante, presque suppliante. Elle appartenait à la femme qui m'avait conseillé en rêve avant ma chute dans l'Underground, j'en mettrais ma main à couper. Je voulais avoir confiance en elle, croire qu'un avenir était possible. Que j'étais capable de sauver les monstres, comme elle me l'avait dit plus tôt... Mais avec ce démon hurlant dans mon crâne, difficile de se concentrer.

« Qui que vous soyez, sortez de mon esprit et allez posséder quelqu'un d'autre ! », hurlai-je.

C'est impossible Frisk. C'est toi que je veux. Toi seule est pleine de détermination, tu es irremplaçable.

« Prends garde, Frisk ! Ne baisse pas les bras ! »

Ma vue se brouilla, une fois de plus. J'étais désormais plongée dans le noir le plus complet. Je voulais paraître forte, mais je ne pouvais m'empêcher de trembler de peur. Et si cette fille réussissait à prendre définitivement le contrôle de moi, comme elle l'avait fait quelques instants plus tôt? Sans cette femme pour m'aider, je n'avais pas les armes nécessaires pour reprendre le dessus...

« Frisk, ma petite... Je serais toujours là pour guider tes choix et t'aider quand tu en auras besoin. Mais si tu veux survivre, il faudra que ta détermination soit à toute épreuve. »

Ces mots se voulaient aussi doux que possible, pourtant ma situation demeurait des plus angoissantes. Je sentais mon rythme cardiaque ralentir, mais je savais que j'étais bien loin d'être au bout de mes peines.

« Comment puis-je vaincre cette fille ? », demandai-je, espérant de tout mon cœur que l'autre voix puisse m'aider.

Tu ne pourras jamais me vaincre, idiote. Je suis déjà en toi. Quoique tu fasses, je serais toujours reliée à ton corps, à ton âme, comme un boulet à un prisonnier.

« Il existe toujours un moyen d'empêcher un méchant de nuire! Dans tous les livres, dans toutes les séries, dans les films, c'est pareil! Tu ne feras pas exception, un jour je viendrai à bout de toi! »

Le rire glaçant du démon résonna dans cet univers froid et sans lumière. Un rire de folle à lier, malfaisant, mais aigu comme celui d'une enfant. Quel âge pouvait-elle avoir?

Me détruire? Tu es bien naïve. Je vais t'avouer quelque chose, petite idiote. Je suis déjà morte.

Un petit cri s'échappa immédiatement de ma gorge.

Morte? Je parlais à un fantôme? Un fichu fantôme? Rien que d'y penser, je voulais hurler, m'enfuir, et peu importe si je n'avais aucun repère. Il fallait que je parte, maintenant.

Et à partir d'aujourd'hui, que tu le veuilles ou non, je serai ton pire cauchemar.

Dans ces ténèbres insondables apparurent une paire d'yeux rouges. Rouge comme le sang, rouge comme la haine, rouge comme la mort.

Des yeux rouges plus terrifiants encore que tout ce qu'elle m'avait déjà donné à voir. Plus que Nathanaël, que les fantômes, que l'obscurité, que tous ces cris de douleur. Des yeux rouges qui ne signifiaient qu'une chose : ma vie allait devenir un enfer.

La lumière revint immédiatement. Plus d'yeux rouges, plus de voix effrayantes, plus d'ombres, plus de sang sur mes mains. Mais je ne pouvais pas m'arrêter de convulser, prise de pulsions incontrôlables. Mes hurlements stridents fendaient l'air comme des lames, ils m'écorchaient moi-même les oreilles. Quand s'arrêterait enfin ma souffrance?

« Frisk, je sais que tu pourras dépasser cette épreuve. Je crois en toi de toutes mes forces. Tant que tu restes déterminée, cette fillette ne viendra jamais à bout de toi. »

Je voulais lui poser des questions. Lui demander son nom, savoir ce qui nous reliait, comment elle pouvait me connaître. En apprendre plus sur ce démon, sur l'Underground, sur tout le reste... Mais mes mots restaient coincés dans ma gorge, bloqués par une force invisible.

« Ma toute petite, n'aie pas peur de l'Underground et de tous les montres qui le peuplent. Si tu sais leur ouvrir ton cœur, personne n'arrivera à te blesser. Ils peuvent tous devenir tes amis, alors tâche de faire les bons choix... J'ai confiance en toi, ne répète pas mes erreurs... Je t'aime, ne l'oublie jamais. »

Elle se tut, et j'en déduis qu'elle avait disparu comme l'autre fille. Cris et tremblements ne cessaient pas. N'avait-elle pas dit qu'elle m'aiderait? Pouvais-je vraiment lui faire confiance, rien qu'à l'entente de sa voix? Flowey aussi avait eu l'air gentil au premier abord, mais la vérité avait été bien plus douloureuse. En serait-il de même pour cette femme, qui se présentait comme mon guide? Je ne savais plus quoi penser. Je sentais toujours ces yeux rouges posés sur moi, aiguisés comme des flèches, ils m'avaient transpercé le cœur. Arriverais-je à les effacer de ma mémoire? Quand les reverrai-je ?

« Mon enfant ! »

Je vis Toriel débouler dans la cuisine, alertée par mes gémissements. Un mélange de peur et d'inquiétude tordait son visage auparavant aussi doux que son pelage.

« Oh mon dieu, qu'est-ce qu'il t'arrive ? »

J'aurais aimé pouvoir lui répondre, mais mon corps en avait décidé autrement. Je perdais le contrôle, mes poumons se remplissaient d'un liquide inconnu qui m'empêchait de respirer, mon champ de vision s'assombrissait et diminuait.

« Chut... Ça va aller. Tout va bien, Frisk. Respire. Respire. »

Ses bras vinrent s'enrouler autour de ma taille et de mes jambes, je me sentis décoller du sol. Plus les secondes passaient, plus je paniquais. Je commençai à manquer d'air, tout tournait autour de moi. J'haletai, cherchant désespérément mon souffle. Je n'arrivais plus à respirer, mes poumons brûlaient comme le plus ardent des charbons.

Mon esprit se détachait peu à peu de mon corps, tout me paraissait si... loin.

~~~~~~~~~~~~~~

Je rouvris brusquement les yeux. Je mis quelques instants à m'habituer à l'obscurité baignant la chambre. J'avais été couchée dans un lit douillet et enroulée dans une couverture. La pièce était seulement éclairée par la faible lumière qui s'infiltrait sous la porte close. Je me levai maladroitement et me dirigeai lentement vers celle-ci. Ma tête tournait encore un peu et mes pensées étaient embrouillées par tous ces évènements, mais il fallait que je retrouve Toriel.

Je sortis en refermant la porte derrière moi et marchai à travers le couloir. La luminosité ambiante me picotait légèrement les yeux. Je portais toujours mon pull et mon short, mais mes chaussettes hautes ainsi que mes bottines avaient dû être posées ailleurs. Je remarquai aussitôt les bandages blancs qui couraient sur chacun de mes membres, traçant comme des chemins morbides sur ma peau pâle. Certains étaient tachés de sang, et cette simple vision me donnait la nausée. Le parquet craquait sous mes pieds nus, difficile d'être moins discrète.

« Toriel ? Vous êtes là ? »

Je passai devant un escalier qui descendait probablement au sous-sol mais l'ignorai et continuai ma route. J'arrivai enfin dans le salon, où la femme-chèvre était en train de lire un épais livre au coin de la cheminée.

« Oh, Frisk, tu es réveillée ? Ma pauvre petite, est-ce que tu vas mieux ? »

Elle ferma à la hâte son livre et se leva. Un large sourire lui barrait le visage, et pourtant quelque chose semblait la déranger. Peut-être que mon arrivée à l'improviste l'avait irrité? Elle avait dû me soigner, me laisser salir ses draps... Toriel avait fait tant pour moi alors que je ne pouvais rien faire en retour... Je ne voulais vraiment pas m'imposer ou l'embêter d'une quelconque manière... Je lui étais déjà si redevable.

« Oui, je crois que ça va. Je suis juste un peu perdue. »

Elle s'avança vers moi avant de me caresser les cheveux avec affection. C'était un peu étrange mais ce geste banal me fit énormément de bien. J'avais l'impression d'être la plus banale des enfants, de pouvoir partager ma douleur avec elle, d'un simple regard. L'esprit de ma mère semblait s'être incarné en elle. En un sens, cela m'apparaissait comme un véritable soulagement.

« Merci infiniment de vous être occupée de moi, de m'avoir soignée, de l'hospitalité... Et... », j'hésitai quelques secondes. « Désolée de vous avoir inquiétée. Je ne sais vraiment pas ce qui s'est passé.
- Ne t'excuse pas voyons, tu n'y es pour rien. Et tu peux me tutoyer. Je ne suis plus toute jeune, mais ce sera plus facile comme ça, n'est-ce pas? »

J'acquiesçai d'un hochement de tête. Toriel me fit asseoir dans l'unique fauteuil d'un geste tendre, avant de déposer une couverture toute douce sur mes épaules. Je me laissais faire sans rien dire, relâchant quelque peu la pression sur mes frêles épaules.

« Est-ce que tu préfères un thé ou un chocolat chaud ?
- Thé, s'il te plaît. »

Elle partit en cuisine et revint quelques secondes plus tard, plaçant la tasse de thé au creux de mes mains. Sa chaleur se répandait le long de mes doigts, m'apaisant graduellement.

« Frisk, tu n'as peut-être pas envie d'en parler maintenant mais j'ose tout de même te poser la question : comment es-tu arrivée ici ?
- Mon petit copain a rompu avec moi la veille de ma chute, et je ne l'ai toujours pas digéré... », commençai-je.
« Tu as tenté de te suicider ? », s'étrangla-t-elle, l'inquiétude contractant son visage.
« Quoi?! Non, jamais de la vie !
- Tu me rassures. », soupira-y-elle. « L'un des enfants que j'ai hébergé par le passé avait plongé dans le cratère du mont Ebott pour mettre fin à ses jours, alors...
- J'aimais et j'aime toujours profondément ce garçon, mais jamais je n'irais mettre ma vie en danger juste parce qu'il m'a fait souffrir ! Ce serait complètement inconscient et stupide !
- Je suis heureuse de te l'entendre dire. Comment s'appelait-il?
- Nathanaël. On se connaissait depuis des années, mais j'ai toujours pensé que mes sentiments n'étaient pas réciproques. Le fait que nous ayons formé un couple quelques mois relève du miracle. Mais ce n'est pas vraiment important. Je me suis enfuie de mon lycée pour rejoindre le sommet du Mont Ebott. J'y allais souvent avec mes parents par le passé, c'est l'un des endroits qui me tient le plus à cœur. Je me suis reposée là quelques heures, et en voulant récupérer ma bouteille d'eau, j'ai glissé et je suis tombée dans le trou...
- Ta maladresse a bien failli te coûter la vie.
- Je sais. Sur le coup, j'ai eu vraiment peur. Je ne pensais pas m'en sortir vivante! Tout ça à cause de cet idiot.
- Tu le détestes ?
- Non, je n'y arrive pas... Je ne peux pas détester celui que j'ai aimé pendant de si longues années. Disons juste que c'est assez blessant d'être traitée d'imbécile et d'être humiliée par une personne en qui on avait si confiance. Rien que d'y repenser, j'ai envie de pleurer. »

Un petit rire nerveux s'échappa d'entre mes lèvres. Je bus une première gorgée de thé qui me brûla la langue. Je soupirai un instant avant de reprendre la parole.

« Mon père va également beaucoup s'inquiéter, et je n'ai aucun moyen de le contacter. Mon téléphone est resté dans mon sac de cours...
- Je ne peux rien y faire, je suis désolée.
- J'aurais tout de même une question...
- Oui ?
- Tu m'as dit tout à l'heure qu'il était impossible aux monstres de quitter l'Underground à cause de cette barrière. Alors techniquement, un humain devrait en être capable, non?
- Techniquement, oui. Mais le roi t'en empêchera.
- Le roi?
- L'underground est dirigé par un roi du nom d'Asgore. Autrefois c'était un être plein de bonne volonté, très doux et aimable... Mais à force d'être enfermé sous terre, il s'est abandonné au désespoir, et sa haine pour la race humaine n'a fait que croître... Il a appris qu'en récupérant des âmes humaines, on pourrait utiliser leur pouvoir pour briser la barrière...
- Récupérer des âmes humaines? Mais...
- Asgore a tué tous les humains qui ont fait l'erreur d'arriver dans l'Underground. Ceux qui ont osé sortir de ces ruines ont péri sous son trident ou à cause de la garde royale. »

Ma vie ne m'avait jamais paru aussi précieuse, mais aussi fragile que du papier. Je voyais le visage de Toriel s'assombrir sous un voile de tristesse.

« S'il te plaît, Frisk... N'essaie pas de partir, ou tu subiras le même sort...
- Combien faut-il d'âmes humaines pour acheter votre liberté?
- Sept.
- Et combien en avez-vous déjà ?
- Six. »

Je m'étranglai presque de surprise. Six humains étaient morts dans l'Underground ? Et j'étais la dernière sur la liste ? C'était tout bonnement terrifiant. Pas étonnant que Toriel m'ait demandé de faire attention aux monstres. J'étais la clé qui leur ouvrirait la porte vers la liberté. Il leur suffirait de m'ôter la vie pour rejoindre la surface, cela justifiait presque le fait qu'ils veuillent tous me tuer !

« Pourquoi n'as-tu pas essayé de me voler mon âme ? Ne tiens-tu pas à t'enfuir d'ici ?
- Bien sûr, je serais très heureuse de revoir la lumière du jour. Mais jamais je n'échangerais cette liberté contre la vie de quelqu'un, que ce soit un monstre ou un humain. Chaque âme est précieuse, et aucune raison ne peut légitimer le fait de tuer quelqu'un. Alors, je préfère attendre ici que l'on trouve une meilleure solution, même si cela doit prendre des années. Et puis, je commence à m'habituer à ma vie ici. Ce n'est pas toujours facile, mais on s'y fait, tu sais.
- Toriel... Je ne voudrais pas te blesser mais... Je vais être obligée de rejoindre la surface pour retrouver mon père. Je ne peux pas le laisser seul, tu comprends?
- Frisk, tu tiens donc si peu à ta vie? Tu veux allonger la liste des morts?
- Non, tu te méprends. J'aime la vie, malgré toutes ces épreuves qui me barrent la route... Mon père a besoin de moi. Il ne pourra pas supporter ma disparition. Si j'essaie de quitter l'Underground, il faudra forcément que je me batte contre le roi, et je perdrais peut-être la vie... Mais au moins j'aurais essayé de rejoindre mon père. En restant ici à attendre que le temps passe, je ne serais que passive de ma propre existence. Je dois poursuivre ma route et remonter à la surface, peu importe les obstacles qui me bloqueront le chemin. »

J'étais pleinement déterminée, même si la peur grignotait les cellules de mon cerveau. J'adressai un franc sourire à la femme-chèvre, qui ne me le rendit qu'à moitié. J'avais bien perçu son soupir. Un mélange d'inquiétude, de colère et d'affection émanait de son être.

« Je considérerai ta proposition une fois que tu seras remise sur pieds. Tu es bien trop faible pour quitter les ruines pour l'instant... Tu risquerais de mourir avant même de rejoindre le roi! En attendant, je t'accueille sous mon toit. C'est assez modeste mais j'essaierai de répondre à tes besoins. Bienvenue chez toi, mon enfant !
- Vraiment? Je ne sais pas quoi dire... Pourquoi es-tu aussi gentille avec moi alors que ma race a tué tant des tiens?
- Si je n'aidais pas de pauvres petites brebis égarées comme toi, je ne pourrais plus me regarder dans un miroir! », elle pouffa de rire, plaçant ses doigts devant sa bouche avec une infinie grâce. « Je n'aime pas vraiment lorsque l'on met des étiquettes sur les gens. Humain, monstre, gentil, méchant... C'est toujours trop caricatural, tu comprends? Avant d'être humaine, avant d'être une jeune fille, tu es un être possédant une âme qui t'est propre. Finalement, le reste n'est qu'une enveloppe corporelle. Ce qui compte, c'est ce qu'il y a de caché en toi. Toute la beauté de l'existence est de faire grandir cette force, et de la faire découvrir aux autres, comme des rayons de soleil. Moi, j'ai décidé d'aider autrui, peu importe sa nature. Je sème des graines de gentillesse en espérant qu'elles fleuriront dans le cœur de ceux qui ont abandonné tout espoir... En espérant que ces fleurs grandissent même au-delà de l'Underground.
- Toriel... Tu es encore plus exceptionnelle que ce que j'aurais cru. »

Des rires sincères se répercutaient sur les parois des murs. Alors que cette atmosphère maternelle me berçait graduellement, je me fis la réflexion que les monstres étaient bien plus humains que nous. Nous, hommes, nous entretuons pour de stupides histoires de richesse et de ressources, toujours en quête de plus de pouvoir. La valeur de l'être humain ne semble plus intéresser personne, nos sociétés sont dirigées par le pouvoir de l'argent, encore et toujours. Nous pensons progresser, rendre notre vie plus simple, mais nous ne faisons que précipiter notre chute. Les inégalités grandissent, le nombre de victimes de la folie humaine augmente de jours en jours... Ne sommes-nous pas les vrais monstres dans cette histoire?

« Ma mère se serait très bien entendue avec toi. Vous êtes toutes les deux très intelligentes. », ajoutai-je.
« Quel genre de femme est-elle ?
- Mes souvenirs sont un peu flous, cela fait dix ans qu'elle nous a quitté, mon père et moi. Elle tenait la bibliothèque de notre petite ville. C'était une femme pleine de bonté et de générosité, elle se mettait toujours de côté au profit des autres. C'était la plus belle femme que je n'ai jamais vu, on aurait dit un ange toujours voilé de lumière. La vie n'a pas toujours été facile pour elle mais ma mère n'a jamais perdu son sourire. Elle m'a donné tout l'amour dont un enfant a besoin pour s'épanouir, jusqu'à la fin.
- Ta maman est morte ?
- Je ne sais pas. Un soir, elle n'est pas rentrée du travail... Mon père l'a cherchée toute la nuit, mais elle n'est plus revenue. On n'a jamais su ce qu'il lui était arrivé. Si elle s'était enfuie, si on l'avait enlevée, si elle était morte... Dans ce genre de situation, il n'est pas facile de faire son deuil, tu comprends ? »

Pour toute réponse, elle hocha la tête. Son regard divaguait dans mes cheveux en bataille, glissait le long de mes épaules, remontant jusqu'à ma nuque. Son corps était là, mais elle semblait comme absente, très loin d'ici. Dans une autre dimension.

« Comment s'appelait-elle?
- Elena. »

Ce fut presque imperceptible mais ses épaules tressautèrent. L'espace d'un instant, tous les traits de son visage s'étaient tordus en une moue que je n'expliquais pas. Elle pensait sûrement que je n'avais pas remarqué son changement d'expression, et se revêtit de son sourire de dents blanches.

« Cela signifie les "éclats du soleil", n'est-ce pas? C'est un très beau prénom. », répliqua-t-elle, les paupières closes.
« Elle était notre soleil à nous. Mais même le plus beau des astres est condamné à disparaître un jour. Depuis nous vivons dans les ténèbres, privés de sa lumière.
- Et pourtant, tu restes si forte...
- Je ne me considère pas comme forte. J'ai mes faiblesses et des centaines de défauts, et j'ai souvent tendance à pleurer pour rien. Disons juste que, de temps à autre... », j'hésitai un peu, ayant du mal à trouver les mots justes. « J'ai comme l'impression que ma mère est toujours là, auprès de moi, sans que je puisse la voir. Elle me donne envie de toujours me battre, de me dépasser, même quand tout est si difficile...
- L'amour d'une mère ne disparaît jamais...
- Vous avez eu des enfants, Toriel?
- Oui. De très beaux enfants. », répondit-elle à la hâte, fuyant aussitôt mon regard.

Elle baissa la tête un peu précipitamment et reprit aussitôt la parole, évitant ma question.

« Si tu allais prendre une douche, Frisk? En attendant, je vais préparer le dîner.
- Le dîner? Il est déjà si tard?
- Tu as dormi longtemps, je pensais que tu ne te réveillerais qu'au petit matin.
- Je suis une vraie marmotte!», ris-je. « Merci beaucoup, vraiment. Je ne veux pas te déranger...
- Ce n'est rien voyons. Ça me fait plaisir d'avoir un peu de compagnie, de temps en temps. Viens, je vais te montrer la salle de bain. »

Je me levai et lui emboitai le pas. J'avais presque envie de lui attraper la main. Avec elle, rien ne semblait pouvoir m'arriver. Cependant, la femme-chèvre restait très mystérieuse. Pourquoi ne m'avait-elle pas parlé davantage de ses enfants? Où étaient-ils? Elle avait dit être assez âgée, alors quels âges avaient-ils? Pourquoi l'entente du prénom de ma mère l'avait-il perturbée? Toriel avait sûrement dû connaître quelqu'un du même nom par le passé, mais sa réaction demeurait des plus étranges. Elle me cachait forcément quelque chose, et il me fallait des réponses à mes questions. Ma curiosité maladive finirait par m'attirer des ennuis mais on ne se change pas en un jour, n'est-ce pas?

Mon hôte poussa une porte jaune, soit comme la quasi-totalité du couloir, et je découvris une grande salle de bain, jaune également.

« Je t'ai sorti des vêtements, je les ai posé sur le panier en osier. », qu'elle me désigna. « Tu as du shampoing et du gel douche, serviette et gant... Si jamais il te manque quelque chose, appelle-moi, d'accord?
- Oui, bien sûr.
- Je te laisse tranquille alors. Bonne douche. Ah, j'oubliais! J'ai laissé des bandages dans le petit meuble sous le lavabo, pour que tu puisses les remplacer après ta toilette. Je me suis permis de ne pas te soigner au niveau de la poitrine, l'hémorragie s'était arrêtée lorsque que tu avais mangé tes biscuits et je voulais te laisser ton intimité... Pense tout de même à désinfecter tout cela.
- Très bien, merci beaucoup. »

Je m'engouffrai dans la pièce et refermai la porte derrière moi. Une légère odeur proche de celle de la lavande et de savon infiltra mes narines, cela me changeait des toilettes du lycée. Tout était si propre et bien rangé... Décidément, Toriel devait être un peu maniaque.

Je retirai mon short, ainsi que mon pull. Alors simplement vêtue d'un débardeur noir et de mes sous-vêtements, je commençai à dérouler les bandages qui recouvraient la majeure partie de mon corps, laissant apparaître des plaies rougeâtres. La vue du sang m'avait toujours dégoûtée, et cette fois-ci n'y faisait pas exception. Ces bleus et ces cicatrices sur mon corps... La douleur avait disparu depuis quelques heures déjà, mais les traces de coup mettraient des semaines à s'effacer, comme pour me rappeler que ma vie ne tenait plus qu'à un fil. Que d'un instant à l'autre, mon âme pouvait rejoindre celles des six autres humains tombés. Que tout pouvait basculer, au moindre faux pas. Avec le battement d'ailes d'un papillon, on peut créer une tornade.

Ceci fait, je retirai mes derniers vêtements. J'eus le malheur de regarder, l'espace de quelques secondes, le miroir situé au dessus du lavabo me faisant face. Ce que j'y vis rouvrit en moi les vannes de la terreur. Toute cette peur liquide se déversait dans mes poumons, dans mon cœur, dans chaque veine de mon corps. Je sentais les ténèbres lentement s'emparer de moi, comme des vapeurs d'alcool.

À l'endroit où reposait mon coeur, une minuscule tache noire était apparue. Plus je la regardais plus j'avais l'impression qu'elle bougeait. Comme si l'ombre grignotait d'infimes parties de ma peau, lentement mais sûrement. Cela ne voulait dire qu'une chose.

La fille aux yeux rouges avait déjà pris  le contrôle.

Et lorsque cette tache aurait gagné tout mon être, il n'y aurait plus de retour en arrière possible.

Mon temps était désormais compté.

___________________________

Bonjour à tous! Ce chapitre aura mis plus de temps à pointer le bout de son nez, mais il est bien plus long que les autres (4300 mots contre environ 3000  en général). Peut-être que j'aurais dû le couper en deux mais j'ai finalement préféré ce format-ci. D'autant plus que j'ai un examen très important en philo (je passe le concours général pour ceux qui connaissent) dans 15 jours et que je vais essayer de plus me concentrer sur ma philo que sur l'écriture au cours des prochains jours, ahah x). Le prochain chapitre arrivera donc dans un petit moment. (C'était le racontage de vie dont tout le monde se fout.)
Frisk se retrouve dans une position délicate. Le fantôme aux yeux rouges (j'espère que vous avez tous compris de qui il pouvait s'agir...) a déjà commencer à posséder son corps. Combien de temps lui reste-t-il avant de sombrer dans les abysses? Que cache Toriel derrière ses expressions dissimulées? Quels mystères notre jeune humaine devra-t-elle résoudre? Qu'est devenue Elena?
Vous le saurez en lisant la suite!

Sur ce,

Restez
D-É-T-E-R-M-I-N-É-S
~

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