Chapitre 25: Mensonges

Quelques petits bruits discrets suffisent à me tirer de mon sommeil. Lorsque j'ouvre les yeux, je réalise que je me suis endormie sur le sofa d'Alex. Un sourire vient se dessiner sur mes lèvres. Alex. Ce garçon que j'aime tant. Je redresse un peu la tête et réalise qu'il est justement là, assis sur le sofa, à me fixer de ses magnifiques yeux bleus.

- Tu m'observais dans mon sommeil? m'amusé-je en me frottant les yeux.

- T'as quelque chose contre ça?

- Oui: c'est vraiment flippant. Arrête ça.

- Je te fais peur, maintenant?

- Ah, la ferme.

Alex éclate de rire alors que je me redresse. J'ai les cheveux ébouriffés et les yeux un peu gonflés. Pourtant, je me sens très reposée. Alex et moi avons parlé très tard hier soir. Je suppose que je me suis endormie sur lui alors qu'il me parlait. Je me demande si Anna et les autres se sont inquiétés pour moi, hier soir. Oh, et puis, où est l'importance? J'ai récupéré hier soir le temps que je n'ai pas pu passer avec Alex récemment. Et ça, j'en suis vraiment satisfaite. La seule chose qui me trouble, c'est que je pense aussi à Fabien... Il n'y a pas qu'Alex dans ma vie. Je ne peux pas oublier cela.

- Tu veux manger quelque chose? me demande Alex en me tirant de ma torpeur.

- N-non, ça va aller, merci, refusé-je, un peu confuse.

Alors qu'il part en direction de la cuisine, je remarque une vieille guitare qui semble se cacher derrière son bureau de travail. Je m'en approche et la soulève de terre. Puis tout me revient: il m'avait bien dit, lorsqu'on s'est parlé au téléphone pour la première fois il y a une semaine, qu'il jouait de la guitare. Je souris avec admiration. J'aimerais bien jouer d'un instrument de musique. Bon, d'accord, j'ai joué de la flûte à l'école primaire, mais ça ne vaut pas. Je rêve parfois d'apprendre le piano, la guitare, le violon, la batterie, ou même la trompette, pourquoi pas. J'envie aussi les filles qui ont une magnifique voix et qui chantent lors des événements scolaires. Toute l'attention est toujours axée sur elle, tous les sujets de conversations. Parfois, je trouve cela plutôt injuste le chant soit toujours la sorte "d'instrument" qui impressionne toujours le plus. Je suppose que c'est parce que cela provient de nous et non d'un objet. Enfin bref. Allez savoir.

- Alex? l'appelé-je, la guitare toujours dans les bras.

Il réapparaît avec une assiette de pains et un pot de Nutella dans les mains. Il les dépose sur la table du salon.

- Que fais-tu avec ma guitare? m'interroge-t-il en s'approchant de moi.

- Tu... tu voudrais me jouer quelque chose? lui demandé-je timidement.

Il me fait un petit sourire en coin tout simplement adorable.

- Tu ne te moqueras pas trop de moi si je suis hyper mauvais? dit-il en prenant l'instrument de musique.

- Je suis certaine que tu es vraiment bon, alors arrête de raconter des bêtises, rigolé-je avec un peu plus d'assurance.

- Tu l'auras voulu.

Alex se tire un petit banc et s'y installe avec sa guitare. Je m'assieds sur le sol en indien juste devant, toutes oreilles pour lui. Il commence ensuite à jouer une série de doux accords qu'il enchaîne. Je souris; je reconnais cette mélodie. C'est celle de Take me to Church de Hozier.

Je suis toute simplement émerveillée par ses mains habilles qui enchaînent accords après accords avec une précision fantastique. Je ne pensais pas qu'Alex avait le moindre talent en musique.

Il interprète ainsi la chanson entière, sans la moindre erreur ou fausse note. Je suis plus qu'impressionnée: je suis tout simplement bouche-bée. Après qu'il ait effectué le dernier accord, je souffle:

- Alex, tu ne m'avais jamais dit que tu étais aussi talentueux en musique! C'était magnifique, crois-moi.

- Mon père n'aimait pas que je fasse de la musique, soupire-t-il simplement. J'ai appris à jouer seul et je devais le faire en secret. Tu es donc la première à me dire que j'ai un quelconque talent. Merci.

- Il y a un club de musique, à l'école. Tu iras t'y inscrire aujourd'hui même. C'est un ordre.

- Je verrai bien, rit-il doucement.

- Mais, dis-moi... Pourquoi cette chanson? lui demandé-je après quelques instants.

Il hausse les épaules.

- Je l'ignore, pour être franc. Elle m'interpelle. Il y a quelque chose avec le message qu'elle passe qui me fait sentir... je ne sais pas... concerné? Je veux dire, elle a une signification vraiment négative et tout, mais...

- Je vois, dis-je doucement. Les chansons n'ont pas à être tous très heureuse, tu sais. Et puis, tu étais excellent.

Je vois aussi qu'Alex commence à être terriblement blême et qu'il doit probablement sortir bientôt dehors prendre un peu de soleil. Je consulte ma montre. Il est six heures du matin. Il n'a pas nécessairement besoin de remonter à la surface maintenant, mais je l'incite tout de même à y aller après quelques moments.

- Tu commences à manquer de soleil, commenté-je. Allez, file. De toute façon, je dois me rendre au Toit avant que tout le monde ne soit réveillé.

- Ouais, t'as probablement raison. Bonne journée dans ce cas.

- Bonne journée.

Alex me serre longuement dans ses bras. Il me murmure un petit "Je t'aime" à l'oreille avant de m'embrasser le dessus de la tête et de partir en courant vers l'autre bout de la ville, là où il y a l'arche, le seul accès vers la surface.

Je le regarde s'éloigner avec un léger pincement au coeur. Je voudrais tant pouvoir me lancer à ses trousses, le suivre vers la surface, sentir les rayons du soleil sur ma peau et les flocons neige sur mon nez. Pouvoir respirer l'air frisquet d'automne et me laisser caresser par les brises de l'hiver qui s'approche. Et dire qu'il y a un peu plus d'une semaine, je me plaignais que je détestais le mois de novembre, que je n'aimais pas avoir le rhume, et d'autres enfantillages du genre. Maintenant, je paillerais cher pour simplement avoir à reporter l'écharpe multicolore de ma grand-mère... Je ne suis pas faite pour vivre confinée sous terre.

C'est le coeur un peu lourd que je me rends au Toit, les pieds traînants et le moral à plat. J'ai la chanson Take me to Church prise dans la tête, ce qui n'est pas une mauvaise chose, remarquez. Il jouait si bien! 

Lorsque j'aboutis au Toit, il est six heures et demi. J'ouvre discrètement la porte ronde qui mène du côté des filles et entre dans la salle commune. Les lumières sont éteintes et c'est le calme plat. Je soupire de soulagement: les autres dorment toujours, heureusement! Mais je sais pertinemment que le test est à huit heures et que les autres ne vont pas tarder à se réveiller. Je file en silence vers la chambre que je partage avec Anna pour y prendre des vêtements propres pour aujourd'hui. Par contre, en entrant dans la chambre, je constate qu'Anna n'y est pas. Je n'ai pas le temps d'en être surprise.

- Qu'est-ce que tu fais là? s'exclame quelqu'un dans mon dos.

Je crois pendant un instant d'on s'adresse à moi, mais je comprends que j'avais tort. Je saisis mes vêtements et sors doucement de la chambre. Je vois, à quelques mètres dans la salle commune, Daphné. Elle. Je me sens bouillir de colère rien qu'à sa vue. Puis je remarque la fille près d'elle. Anna. Anna? Mais qu'est-ce qu'elle fait là?

- Je voudrais te poser la même question, se défend Daphné en fixant Anna avec surprise, mais sans la moindre haine ou colère, pourtant.

- Va tout de suite te coucher, Daph! chuchote Anna avec énervement. S'ils te voyaient traîner avec moi...!

- On s'en fiche, non? T'auras qu'à leur dire que je t'aidais à la retrouver...

- Je n'étais pas censée parler de ça à personne, même pas à toi. Tu as renoncé à prendre part à tout ça. Ils me gronderaient solidement. Ils ne me le pardonneraient pas, et je n'ose même pas songer à ce qu'ils pourraient me faire...

- S'ils sont donc aussi sévères et cruels qu'ils en ont l'air?

- C'est interdit de dire ça! hurle subitement Anna.

Un silence troublé suit son cri. Mais que se passe-t-il? Je n'y tiens plus: je marche d'un pas assuré vers elles et feint de n'avoir rien entendu de leur conversation. Anna et Daphné me considèrent avec des yeux gros comme des soucoupes.

- Bon matin, Anna, souris-je en me forçant d'avoir l'air normale. Qu'est-ce que tu fiches avec Daphné, bon sang?

- Oh, Jenn! s'écrit Anna d'un ton un peu trop joyeux et en me serrant dans ses bras un peu trop fort. Je suis si contente de voir que tu vas bien!

- Tu me cherchais?

- Oui, je m'inquiétais pour toi.

Je sens que c'est plus que ça. Anna me cherchait pour une autre raison, j'en suis sûre. Est-ce c'est ce qu'elle était justement entrain de faire avant que Daphné ne la rejoigne? Probablement. Je commence à trouver toute cette affaire étrange. Néanmoins, je décide de continuer à jouer la fille innocente qui n'a rien vu ni entendu.

- Ça ne servait à rien de t'affoler, ris-je avec un léger malaise dans la voix. Maintenant, je vais aller m'habiller...

- Tu vas t'habiller alors que tu es déjà habillée? râle Daphné alors que j'ai le dos tourné.

- Je porte mes vêtements d'hier, lancé-je depuis le couloir qui mène aux salles de bain. Bien sûre que je vais les changer pour des vêtements propres.

- Tu portes...? Quoi?

Les deux autres filles n'y comprennent plus rien. Elles ne savent pas où j'ai bien pu passer la nuit, et c'est très bien comme ça. Je me change très rapidement avant de revenir à la salle commune. Je suis vraiment troublée. Que faisaient Anna avec cette peste? De quoi parlaient-elles? De moi? Et que redoutait donc Anna?

Une fois sortie des toilettes, je vois que Daphné n'est plus là, mais qu'Anna est toujours assise sur un sofa, l'air grave et songeuse. Je m'approche d'elle et lui pose la question la plus subtile et une de celles dont je souhaite le plus en connaître la réponse.

- Anna... Que faisais-tu avec Daphné, avant que je n'arrive dans la salle commune? Vous sembliez être... en désaccord sur certains points.

- Jenn, je suis désolée, mais ce n'était tout simplement pas de tes affaires, réplique-t-elle durement sans lever les yeux vers moi.

- Je t'en pris, Anna, réponds-moi, dis-je doucement en m'approchant d'elle. Qu'est-ce qui se passe? Et ne me réponds pas "rien". Tu es ma meilleure copine ici et je te connais suffisamment pour savoir qu'il y a un truc qui cloche.

Je vois une larme couler le long de sa joue sous les lentilles de ses grandes lunettes. Je m'approche encore un peu d'elle. Elle semble souffrir, garder un secret qu'elle ne peut me révéler.

- Je suis désolée, murmure-t-elle avant de se lever et de quitter la pièce.

Elle claque la porte de notre chambre dans son dos. Je suis troublée. Que me cache Anna ainsi? Je suis tentée de la suivre, mais je ne le fais pas. Je demeure assise seule sur le sofa rouge, à réfléchir à tout ce qu'il vient de se produire.

À peine trente secondes plus tard, j'entends des pas qui se rapproche d'ici en provenance du couloir des chambres. Je crois pendant quelques secondes que c'est Anna qui revient, mais je réalise que c'est en fait Amé. Ses cheveux frisés noirs attachés dans un chignon et ses yeux violets moqueurs teintés d'inquiétude, elle s'approche de moi et me lance:

- J'ai entendu des filles se disputer... Anna et une autre... C'était toi?

Je lui souris avec le plus d'assurance possible pour la rassurer.

- Non, elle parlait avec Daphné.

- Qu'est-ce qu'Anna fichait avec cette pute? s'écrit-elle.

- Moins fort... les autres dorment. (Je baisse encore un peu plus la voix alors qu'Amé vient me rejoindre sur le sofa.) Je ne sais pas moi non plus, et ça m'inquiète.

- Ça semblait sérieux, leur conversation?

- On peut dire ça.

- Jenn, qu'est-ce qu'il y a.

Ce n'était même pas une question. Ça doit se voir dans mon visage. Ma peur, mon tourment. Je suis soudainement tentée de tout lui raconter sur les derniers évènements, lui dire la vérité sur moi. Lui dire un truc du genre: "Je vais peut être éventuellement me faire tuer par le dirigeant de cette cité, mais ça faut pas s'inquiéter. Ah oui! Et je suis censée diriger une sorte de rebellion où je dois unir deux peuples opposés - oui, je sais, débile, mais on s'en fiche - et là, je sais qu'il y a une sorte de traîtresse parmie les Nouveaux. Qui m'a attaqué hier. Cool, non? Et puis là y'a Anna, ma meilleure ami, qui faisait des trucs bizarres avec Daphné, ma pire ennemie. N'est-ce pas merveilleux?"

Mais je me tais et me contente de dire:

- Je... je t'en parlerai plus tard, peut être.

- Ouais, OK, répond Amé avec une pointe d'irritation dans la voix.

Puis, elle s'éloigne vers les chambres pour réveiller les autres. Je sais qu'elle se doute que je ne lui en parle jamais, mais je m'en fiche. J'ai juste besoin d'être seule, présentement... Je file dans la "réserve secrète de bouffe" m'emparer d'une pomme et d'une brioche à la cannelle avant de m'enfermer dans les cabines des toilettes. Seule. Je lâche un soupir. Enfin.

Les minutes passent, et on finit par venir nous chercher pour le quatrième test. Je me sens très nerveuse, tous les événements de ce matin ont eu pour effet de me déstabiliser énormément. Je me sens moins en confiance, en ce moment. Je me sens à nouveau comme "l'ancienne Jenn", et je déteste cela. Je dois me ressaisir. Je n'ai plus droit à l'erreur dans ce test-ci ou celui de demain. Je dois être parfaite. Sans le moindre défaut. Impeccable sur tous les angles.

Car si j'échoue un autre test,...

... j'échoue tout.

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En média: La version originale de Take me to church <3


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