Chapitre 21: Logique illogique
- Jenn! Jenn, réveille-toi!
Ce sont les cris hystériques de Tess qui me tirent de mon sommeil. Elle se tient devant mon lit, le journal dans les mains. Elle joue frénétiquement dans ses cheveux brun caramel, qui sont tirés en une queue de cheval haute. Je me frotte un peu les yeux et me lève de mon lit.
- Quoi? Qu'est-ce qu'il y a? marmonné-je en tentant de dissimuler ma fatigue.
- Lis ça, répond-elle en me tendant le journal.
Rien qu'à la vue du titre du journal, je sens ma fatigue s'envoler. J'entame la lecture de l'article qui fait la première page.
« Hier, 13 novembre, le peuple alteran a répété sa tradition annuelle qu'est celle d'aller admirer les Nouveaux au deuxième test. Par contre, une des concurrentes a su se distinguer de toutes celles que nous avons connu auparavant. Il s'agit de Jennifer Akson, une Nouvelle qui a eu ses dix-sept ans et demi il y a une semaine exactement. La jeune fille semble détenir des pouvoirs hors du commun, comme une force bien supérieure à la moyenne, par exemple. Bien que le Conseil ainsi que plusieurs dirigeants de notre communauté le nient, pourrait-on ici avoir affaire à la personne mentionnée dans l'ancestrale prophétie de l'Aube? Serait-ce la fin de nos problèmes ou le début de d'autres? Parce que nous ne sommes pas sans savoir que le Conseil a l'intention de déclarer la guerre à l'autre peuple (celui des Étamiens) à court terme. La suite à lire demain dans le prochain numéro. »
Je relis l'article plusieurs fois en boucle, tout simplement ahurie. Je ne réalise pas que ma bouche est entrouverte jusqu'au moment où Tess prend la parole.
- T'en penses quoi? me demande-t-elle avec appréhension.
- C'est... je ne sais pas. Je suppose que c'est bien, cet article.
- C'est "bien"? Alors, tu es d'accord avec ce qu'il dit?
Je hoche faiblement la tête pour faire comprendre à Tess que, oui, je suis bien la sorte "d'élue". Ça me fait tout drôle de dire cela, comme ça, comme si c'était tout ce qu'il y avait de plus normal...
Tess demeure quelques instants en silence, à me considérer avec de grands yeux ronds.
- Vraiment? s'étonne-t-elle. Je veux dire, je te croirais, si tu me disais que tu étais la personne énoncée dans ces vieux textes, avec tes pouvoirs et tout, mais...
- ... ça fait un peu bizarre, complété-je en souriant faiblement. Je sais.
Nous n'échangeons pas d'autres paroles.
Nous nous dirigeons à la salle commune pour prendre le petit-déjeuner. Je m'installe avec Jess et Tess dans le salon pour manger. Je n'ai même pas pris la première bouchée de mon croissant au Nutella qu'Amé et Anna me rejoignent, affolée.
- Jenn, il faut que tu lises ça! s'écrit Amé en me tendant un magazine.
- J'ai déjà lu un article à mon sujet, ce matin... soupiré-je. Je n'ai pas besoin d'en voir un autre.
- C'est important, reprend Anna en me regardant avec gravité. L'article que Tess avait trouvé tout à l'heure était simplement un reportage, mais dans ce magazine, c'est une chronique. L'auteur y donne son avis à fond.
- Ah? Et la chronique est d'avis positif ou négatif sur moi? m'enquiers-je en saisissant le magazine.
- Disons seulement que la femme qui l'a rédigé ne t'apprécie pas particulièrement, soupire Anna.
Je ne l'écoute déjà plus. J'ai déjà commencé ma lecture. Je suis complètement sidérée par la chronique que je suis entrain de lire.
« Vous avez déjà probablement entendu la nouvelle: la fameuse prophétie à laquelle nous avons tous cessé de croire il y a une centaine d'année serait en train de se réaliser. Une certaine Jennifer Akson serait sa supposée réalisatrice. Mais avez-vous simplement vu cette fillette de près? Premièrement, elle est minuscule, maigre, timide: elle n'a pas du tout la tête d'une dirigeante de guerre. Ce serait bête de croire à toutes les sottises qu'on nous lance à son sujet. Deuxièmement, ai-je vraiment besoin d'exprimer à quel point je trouve cette prophétie idiote? Réunir notre peuple à celui de nos ennemis, nos contraires? C'est de la pure foutaise. Nous sommes complètement en paix et le Conseil est un système politique qui fonctionne à merveille. Je ne vois pas en quoi nous aurions besoin d'être "libérés". De plus, une guerre inévitable s'annonce. Le Conseil a annoncé que les dirigeants d'Étamiert les narguent, et qu'ils leur brûlent de commencer la guerre à ce moment même. Même une grande prophétie ne pourrait stopper cela. Sans oublier le chaos que cela sèmerait si des citoyens alterans commenceraient réellement à croire aux sottises de la prophétie. Notre peuple se diviserait en deux: les pour et les contre. Une moitié du peuple pour le Conseil, l'autre pour la petite imposteur. Non seulement on n'arrêterait aucune guerre, mais on en démarrait une autre! Alors soyez raisonnables, chers lecteurs, et ne tombez pas dans le panneau. Cessez de croire à ce conte pour enfant.
Selena Sparks, chroniqueuse. »
- C'est la chronique la plus idiote que j'ai lue de toute ma vie! me révolté-je en balançant le magazine à travers à pièce.
- Sans parler que ce magazine est le plus lu d'Alteran, maugréé Amé. Oh, et puis merde, Jenn. Ta réputation est vraiment foutue. Et toi aussi.
- Merci, Amé, lancé-je sarcastiquement. Tu me remontes vraiment le moral, là.
- Cette chroniqueuse est une vraie garce! couine Jess et allant chercher la revue. Elle t'a traitée de fillette maigrichonne!
- Oh mon dieu! Elle te décrit comme si tu étais la fille la plus laide qui soit! renchérit Tess d'un ton hystérique.
- Vous n'êtes pas sérieuses, là? marmonne Amé avec perplexité.
- Mais oui! répondent les deux filles en coeur. Pourquoi?
- Jenn est en train de vivre un réel cauchemar où elle doit gérer le fait qu'elle doit sauver notre monde mais qu'elle doit aussi survivre aux tests, et vous tout ce que vous remarquez de cet article, c'est qu'elle s'est fait juger sur son apparence? s'exclame Amé. Vous me découragez, les filles.
Je récupère le magazine des mains de Jess, alors que les quatre filles s'obstinent. Je le relis encore et encore en faisant des cercles à travers le salon. Je suis révoltée. Comment peut-on rédiger un article aussi stupide? Je finis par chiffonner le magazine et le jeter dans la poubelle. Je n'ai plus jamais envie d'en entendre parler.
Après que nous ayons mangé et nous soyons habillés en noir, nous quittons tous le Toit, tous les Nouveaux ensemble. Je me demande quel sera le troisième test. Une chose est sûre: je vais l'échouer. Je le sais d'avance. Le Conseil n'a pas l'intention de me laisser réussir celui-là non plus. Enfin bref. Où est l'importance, au fond? Je ne sais même pas ce que je vais faire, dans deux jours, quand ce sera finit. Que deux jours, et trois en comptant aujourd'hui... C'est très bientôt! Je ne vais pas simplement me fondre dans la communauté et exécuter le métier auquel le Conseil m'aura étiqueté, une fois les tests finis. J'ignore ce que je ferai. Il n'existe donc aucun manuel d'instruction, du genre "Comment survivre lorsqu'on est censé réunir deux peuples ennemis ensemble alors qu'on seulement dix-sept ans et qu'on doit d'abord passer des tests vraiment difficiles auxquels nos dirigeants nous font échouer peu importe nos résultats"? Parce que j'achèterais ce volume volontiers. Enfin, si quelqu'un d'autre vivait dans la même situation que moi et écrivait ce bouquin. Parce que, à ce que je sache, je suis la seule au monde qui vit un truc aussi débile.
Nous marchons jusqu'à un grand bâtiment en pierre qui se dresse au beau milieu de la cité. Il pointe très haut vers le plafond en dôme qui recouvre la ville, au point qu'on pourrait croire qu'il y touche. Je fronce les sourcils.
- Qu'est-ce que c'est que ce bâtiment énorme? me demandé-je plus à moi-même qu'aux autres.
- L'École, avec un "É" majuscule, me répond Fabien en un murmure. C'est là qu'étudient les jeunes alterans Natifs qui ont entre quatre et dix-sept ans. Tu sais, nous, les Nouveaux, nous sommes testés sur une période de cinq jours. Eh bien, eux, ils ont treize ans pour être jugés.
- La chance...! dis-je sarcastiquement. Non mais si tu veux mon avis, toute cette façon de faire ne fait aucun sens. Je me sens comme une bête de laboratoire que l'on teste pour évaluer ses caractéristiques. Je déteste que le Conseil tente d'avoir du pouvoir sur tout: la façon de penser des habitants, leur avenir, leur mode de vie.
- Que veux-tu? C'est déjà mieux que de n'avoir aucuns dirigeants du tout. Arrête de penser comme ça, veux-tu? Ça ne mène à rien, ce genre de réflexion.
Je ne réponds pas. Il a raison, mais d'un autre côté, je trouve que la façon dont ce système fonctionne est injuste. Les enfants qui apprennent et étudient là, ils ne pourront pas choisir quel métier ils pourront exercer, plus tard. Ils vont se faire étiqueter à une profession. Ils ne prennent aucune décision sur leur propre communauté: tout est fait par le Conseil. Cette façon de faire était juste il y a cinq cent ans, mais nous ne sommes plus au Moyen Âge! La démocratie, les Alterans ont-ils simplement idée de ce que c'est? Savent-ils seulement qu'il existe, juste au-dessus de leurs têtes, une communauté où les gens sont autonomes, et n'ont pas à dépendre d'un groupe de dirigeants qui leur apprend à haïr un peuple opposé?
Je tente de chasser ces pensées de mon esprit. Je dois me concentrer sur le Test qui m'attend.
Nous pénétrons dans l'École et nous retrouvons dans l'immense réception. C'est un lieu somptueux, avec tapis en velours violets, mur de marbre blanc, et un imposant luminaire en cristal qui illumine la pièce d'une éclatante lumière dorée. C'est un endroit très lumineux, contrairement à la bibliothèque, le centre d'entraînement ou aux autres bâtiments d'Alteran que j'ai vu. Au point où j'en suis aveuglée, et que mes yeux ont besoin de plusieurs secondes pour s'adapter à la clarté de l'endroit. Atenas fait son traditionnel discours sur les tests et tout, puis laisse la parole à une grande femme aux cheveux noirs et courts. Je reconnais cette personne...
Madame Night?
J'avais complètement oublié cette dame! C'est elle qui se trouvait dehors avec Alex, ce matin-là... Ça me fait tout drôle de la voir sans ses lunettes de soleil. Mes doutes sont donc confirmés. Elle est alteranne. Mais je ne sais toujours pas ce qu'elle faisait à l'école avec Alex, dehors, l'autre matin. Je devrai lui demander ce soir lorsqu'il rentrera de l'école.
- Bienvenue, Nouveaux et Nouvelles, à ce troisième test, annonce Madame Night de sa voix mélodieuse. Je suis enseignante ici, à l'École. C'est un honneur pour nous de recevoir chaque année les Nouveaux pour le troisième test, qui est en fait un test de logique. On testera vos réactions face à différentes situations pour mettre à l'épreuve votre intelligence. Le test ne durera que l'avant-midi, comme votre premier test qui était, si je me souviens bien, le test d'obéissance. Sans attendre d'avantage, dirigeons-nous vers les salles où les tests auront lieu.
Je suis complètement sonnée. Un test d'intelligence? Ce serait vraiment embarrassant de l'échouer. Je vais tenter de ne donner aucune raison au Conseil de ne pas me laisser le réussir. Notre groupe gravit une panoplie de magnifiques escaliers. Nous croisons au passage plusieurs enfants alterans, soit de notre âge ou plus jeunes. On nous salue poliment et on souhaite bonne chance au passage. Je commence à être un peu plus nerveuse au fur et à mesure que nous nous rapprochons de notre destination.
C'est après une bonne centaine d'escaliers et d'une trentaine de couloirs que nous finissons par aboutir dans un corridor bien différent des autres du bâtiment: il n'est pas de marbre blanc, mais de pierres métalliques. Plusieurs petites classes qui semblent inutilisées longent les murs du couloir.
- Ici, c'est l'aile réservée exclusivement aux tests. Il n'y a jamais de cours, ici. explique Madame Night. Le test se fait en deux phases: la première est individuelle et vous serez tous répartis dans une classe différente, tandis que l'autre sera en groupe.
Plusieurs autres enseignants se joignent à Madame Night pour nous répartir dans chacune des classes. De se faire envoyer seule dans une pièce me rappelle le premier test, mais je décide que celui-ci sera différent. Je tenterai de ne pas faire l'idiote et de prouver aux autres qui je suis.
J'entre dans la classe à laquelle j'ai été assignée et referme la porte dans mon dos. C'est un endroit sombre auquel même mes excellents yeux nocturnes ont dans la difficulté à s'accoutumer. La seule source de quelconque lumière provient de la petite fenêtre carrée qui se trouve à l'arrière de la salle, et qui donne une magnifique vue sur la ville. Je réalise alors à quel point nous sommes en altitude (ironiquement parlant, car nous sommes tout de même dans une cité souterraine...). Nous sommes réellement au point culminant de la cité.
La salle est de la grandeur d'une salle de classe régulière et est équipée normalement: tableau noir à l'avant, un bureau de prof dans le coin. Les seuls trucs bizarres sont le style gothique très sophistiqué de la pièce, et le fait qu'il n'y ait qu'un seul pupitre à élève dans toute la classe.
Je devine rapidement que je dois m'y installer. Je déteste cela. La façon dont ce test fonctionne me fait beaucoup trop penser au premier à mon goût. Au moment où mes fesses touchent la chaise, le tableau à l'avant de la classe s'anime. Je veux dire par là qu'il se met à éclairer comme un écran, et que sa surface devient blanche. Puis je vois mon visage apparaître sur l'écran. Je suis tellement laide, sur cette photo...! Je tente de ne pas y penser. Je dois me concentrer. Mon visage finit par disparaître, laissant le tableau tout blanc à nouveau, et une voix désagréablement très semblable à celle qu'on entendait au premier test se fait entendre.
- Bienvenue à la première partie du test de logique.
Je ne dis rien. Je cherche du regard si je peux trouver une caméra de surveillance, comme au premier test. Et, oui, j'en repère une au fond de la salle, mais cette fois-ci, elle est protégée par une vitrine de verre. Probablement pour m'empêcher de refaire des bêtises. Je sens mon pouls s'accélérer. Pendant ce temps, la voix continue de parler:
- À présent, vous verrez apparaître à l'écran un problème que vous devrez résoudre. Ce sera parfois de la logique, et d'autres fois des énigmes. Nous vous évaluerons sur votre rapidité à deviner la solution et surtout, de quelle façon vous allez vous y prendre. Le tableau est interactif, donc vous serez invitée à plusieurs reprises à vous lever pour résoudre les problèmes. Commençons.
Je n'ai presque rien entendu de ses petites explications: les battements de mon coeur couvrait sa voix. Si j'échoue un test de plus, cela signifie que j'aurai un score de 3/5 de réussis, ou pire. C'est-à-dire l'échec. Je ne dois pas échouer. Et pour ce test-ci, ma force ne pourra pas me sauver. Je prends une grande inspiration pour me calmer un peu, puis je tente de porter attention au tableau. Celui-ci représente maintenant une énigme. Je fronce les sourcils. Je ne connais pas cette énigme, ni sa solution.
« Deux gardiens sont devant deux portes. L'une mène au Paradis, et l'autre en Enfer. L'un des gardiens est un menteur (il dit toujours le contraire de la vérité), et l'autre, au contraire, ne dit que la vérité. On ne sait pas quel gardien est devant quelle porte. On veut, bien sûr, savoir quelle porte mène au Paradis. Pour cela, on ne peut poser qu'une question à un seul gardien. Quelle sera cette question?»
J'ai la bouche grande ouverte. Je n'en ai aucune idée, et je trouve tout cela un peu étrange. C'est injuste si l'un des Nouveaux, dans une autre pièce, connaît déjà la réponse! J'essaie de ne pas y penser. C'est difficile pour moi de ne pas tomber dans la lune ou de ne pas laisser mes pensées s'envoler comme ça, mais là, je dois vraiment me concentrer sur cette énigme. Et puis, c'est ridicule de tester des gens sur leur rapidité à résoudre des devinettes, d'autant plus que je suis nulle pour cela et que ce n'est pas une bonne façon de juger de l'intelligence de quelqu'un!
Je ne trouve vraiment pas la réponse, et le temps file. Si cela n'est que la première énigme, alors à quoi donc vont ressembler les autres? Je sens que ce test va être long pour moi...
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