Chapitre 2: Événement surnaturel

Je vais mourir. C'est officiel. Demain matin, je me jette en-bas d'un pont avec une brique dans les mains. ( Je ne sais pas si la brique est réellement nécessaire, mais il faut toujours prendre des précautions... non? )

Kat vient de m'envoyer un message texte. Elle a écrit:

« J'ai rendez-vous avec l'amour!! Je t'en reparlerai demain :) »

Pas la peine de préciser que, présentement, j'ai la mâchoire décrochée et les yeux exorbités. Elle sort avec Alex, maintenant? C'est impossible. Je compose à toute vitesse son numéro de téléphone et j'attends sa réponse. J'attends. J'attends encore. Je commence à me demander si elle va vraiment répondre. Puis j'entends sa voix enjouée:

- Salut, c'est toi, Jenn?

- Kat! m'exclamé-je. Qu'est ce que c'est que cette histoire? Tu passes tes soirée avec Alex, maintenant?

- Pas tout à fait. J'ai trouvé son adresse dans le bottin. Je vais passer le voir.

Elle n'est pas sérieuse?

- Kat, ça ne fonctionne pas, ton plan... tu es en train de me dire que tu vas aller cogner chez lui, comme ça, sans vraiment le connaître?

- Mais non, je vais faire comme si je m'étais perdue ou un truc du genre... Oh, Jenn! Ce sera tellement romantique!

Ça y est. Kat est folle.

- Et puis, où vit-il? soupiré-je.

- Apparemment, dans les souterrains de la ville, tu sais, près du métro...

Je sais d'où elle veut bien parler: elle fait références aux vieux appartements qui longent la section abandonnée du métro. Il me semble qu'ils sont désaffectés depuis de nombreuses années, pourtant.

- Quoi? C'est possible, de vivre à cet endroit?

- Il semblerait... bref, je te laisse, je t'en donne des nouvelles demain! À bientôt!

- Non, Kat, attends...

Elle a raccroché. La pauvre ne sait même pas qu'Alex ne sera pas chez lui jusqu'à huit heures ce soir: il sera avec moi! Bah, tant pis. Au fond, c'est son problème. C'est tout de même bizarre, quelqu'un qui vit sous la ville. Je ne sais même pas si c'est vraiment possible.

On sonne à la porte. C'est, bien évidemment, Alex. Je me précipite vers l'entrée pour répondre. Nous nous saluons et nous nous installons dans le salon pour travailler.

Alors qu'il griffonne quelques notes du texte sur sa feuille, je lui dis:

- Tu savais que Kat voulait te rendre visite, ce soir?

Il lève ses yeux bleus vers moi et hausse un sourcil.

- Tu parles de la fille blonde?

J'allais le reprendre: « Fausse blonde », mais je me retiens. Je ne fais que hocher la tête. Alex hausse les épaules et me répond:

- Bah, elle disait que ce serait bien si on se voyait de temps à autre, mais...

- Mais quoi?

Je ne peux pas m'en empêcher. La réaction d'Alex me surprend: il arrête d'écrire sur le papier et relève lentement la tête d'un air inquiet.

- Tu as dit qu'elle voulait aller chez moi...?

- Ouais, je sais que c'est un peu débile, mais...

Alex ravale un juron. ll se gratte la nuque, visiblement embêté. Il demeure quelques secondes en silence avant de reprendre, très lentement:

- Et... elle a trouvé mon adresse?

- Il semblerait que oui, dis-je en le dévisageant. Et même qu'elle est convaincue que tu vis dans les souterrains de la ville... Pourquoi?

Il ne me répond pas.

- Pourquoi? insisté-je.

- On reparlera de ça plus tard, tu veux?

Je décide de clore le sujet pour l'instant, mais je me promets de ne pas oublier de lui en reparler. S'il croit que je vais laisser tomber aussi facilement, eh bien, il se trompe.

On commence à discuter de tout et de rien. Il est vraiment sympa. Je ne sais pas pourquoi il s'était comporté aussi bêtement, ce matin. Peut-être est-il seulement grognon en se levant...? Je ne sais pas. Je ne sais pas non plus pourquoi il ne parle pas d'où il vit. Je ne sais pas pourquoi on ne se préoccupe plus de Kat. Je ne sais pas pourquoi Alex est arrivé à notre école, comme ça, en plein moi de novembre. Je ne sais rien. À l'école, on ne nous apprend pas à comprendre ce genre de chose. Mais non. On nous apprend ce qu'est un angle obtus. Comme si ça allait me servir dans la vie...

Après quelques minutes, je me lève et je dis à Alex:

- Il faut que j'aille aux toilettes. Continue à composer le texte, d'accord?

- D'accord, essaie de ne pas te tuer.

Je ris malgré moi. Il est trop idiot.

J'entre dans la salle de bain. Puisque je suis la plus idiote sur Terre, je me cogne le petit orteil sur le coin d'un meuble. Je ne peux m'empêcher de hurler. Super intelligent: quand je crie, ça ne sonne pas comme les actrices Hollywoodiennes qui ont un beau cri. Oh que non! Moi, quand je crie, ça ressemble à une autruche agonisante.

Du salon, j'entends Alex qui me demande:

- Ça va? Je ne pensais pas que tu allais vraiment te tuer...

- Mais non, crétin! Je me suis seulement cogné l'orteil.

Je l'entends rire. Pfff. Qu'il rit. Quand ça lui arrivera, je me moquerai de lui, moi aussi!

Après m'être traitée de tous les noms, je me redresse et je me dirige vers la toilette. Je l'ouvre et j'étouffe un cri d'horreur: croyez-le ou non, l'eau était noire. Je suis entre la peur et le dégoût. Qu'est-ce que c'est que ça et comment est-ce arrivé là?

Je me penche un peu vers l'avant pour inspecter le liquide de plus près. À mon plus grand effroi, l'eau se met à bouger et à prendre la forme d'une étrange chose gélatineuse et informe. Mon coeur bat à la chamade. Une bouche munie de petites dents tranchantes se forme, avec un énorme oeil répugnant bien au centre. Je ne fais que regarder. Qu'est-ce que je regarde, exactement? Ah oui, c'est vrai, je suis en train de fixer une toilette avec un truc dégoûtant à l'intérieur. Je n'y crois tout simplement pas. Je me penche encore un peu...

La chose noire me saute à la figure. Je recule brusquement et je perds pied dans le tapis de douche. Je me cogne violemment la tête sur le mur, et je lâche un petit cri de stupeur. (Bah oui, ce n'est pas à tous les jours qu'on se fait attaquer par un truc noir dans sa salle de bain.)

Je suis aveuglée par la créature gluante: elle est accrochée à ma figure. Toujours couchée dans ma salle de bain, je tente de la décoller. Je me débats et la chose grogne et crache, comme un félin menaçant. Je commence franchement à paniquer.

Alex cogne à la porte:

- Tu t'es encore cogné l'orteil, j'imagine?

Il est vraiment bête. Toujours entrain de me battre contre la chose dans ma figure, je tente du mieux que je peux de l'appeler:

- Alex, aide-moi! Entre dans la salle de bain, j'ai besoin de ton aide!

- Mais, Jenn, la porte est barrée...

Oups. Je ne peux quand même pas me lever pour lui débarrer la porte tout en me débattant?

- Défonce la porte! paniqué-je. Fais quelque chose, je t'en prie!

Je l'entends frapper violemment dans la porte. Si je n'étais pas occupée à sauver ma vie, j'aurais levé les yeux dans les airs.

- Crétin, tu ne réussiras jamais avec ton pied, lui hurlé-je.

Mais à peine trois secondes plus tard, la porte tombe lourdement sur le sol. Je n'ai pas le temps d'en être surprise. La créature commence à m'étouffer - ne me demandez pas comment, je n'ai même pas envie de savoir à quoi j'ai l'air présentement - et je suis toujours là, sur le sol, à moitié assommée. J'entrevois le visage d'Alex au travers du noir dans la chose, je vois un éclat de lumière, j'entends un cri strident, je sens une douleur vive dans le cou et on se retrouve simplement Alex et moi dans ma salle de bain.

- C'est fini? demandé-je à Alex d'une voix tremblotante.

- Pour l'instant.

Sa voix est grave et teintée d'inquiétude. J'ai peur, moi. Pourquoi Alex ne semble pas si perturbé?

- Alex? me risqué-je. Qu'est-ce qui...?

- Es-tu blessée?

Je reste un moment à le fixer sans rien répondre.

- Es-tu blessée? demande-t-il, visiblement inquiet.

« Il se soucie de moi... » Je ne peux pas m'empêcher d'avoir cette petite arrière-pensée. Reste que je commence à sérieusement m'inquiéter. Je me gratte le cou, et je touche à quelque chose. Une morsure. Je m'interromps immédiatement pour regarder mes doigts. Ils sont tachés d'un liquide noir.

- Oh mon Dieu... murmuré-je. Alex, qu'est-ce que c'est?

- C'est une morsure...

Il semble étrangement inquiet. Il me regarde comme s'il me voyait pour la première fois. Un peu mal à l'aise, je poursuis la conversation:

- Oui, en effet... Est-ce que tu savais ce qu'était cette chose?

Alex me regarde bizarrement. J'ai vraiment peur.

- Alex, réponds-moi.

Il baisse les yeux. Je suis son regard, et je découvre à nos pieds la créature noire, inerte, mais toujours aussi répugnante. Je peux enfin l'examiner de plus près. Elle n'a aucune forme précise. On voit par contre clairement une ouverte ronde avec de petites dents tranchantes et un oeil violet et globuleux au centre, qui fixe le plafond d'un regard vide.

- Il est mort? demandé-je.

- Je crois, oui.

- C'est toi qui l'as tué...?

Je déteste quand Alex ne répond pas et qu'il garde cette expression étrange. Je lui implore du regard de comprendre et de tout me dire. C'est quand même intrigant qu'il soit capable de décoder mes expressions faciales sans vraiment me connaître. Kat n'a jamais été capable. Alex soupire et me répond simplement:

- J'en avais déjà vu avant, mais... pas dans ces conditions-là, disons. Je trouve ça bizarre qu'il t'ait attaqué, comme ça, sans raison apparente.

- Il devait en avoir une! m'exclamé-je. Il a essayé de me tuer.

- À moins que... Dis, tu n'aurais pas déjà reçu un, hum, petit bracelet...

- Alex, non seulement tu tentes de changer de sujet au mauvais moment, mais en plus, tu ne le fais pas très subtilement, m'irrité-je.

- Tu ne comprends pas, je...

On ouvre la porte d'entrée. Il ne manquait plus que ça: c'est ma mère qui rentre du travail. Alex et moi nous regardons, affolés. J'accours voir ma mère. Elle me salue et se rend dans la cuisine.

- Comment a été ta journée? me demande-t-elle banalement.

- Très bien, tenté-je de dire avec nonchalance. Et la tienne?

- Correcte, comme d'habitude.

Ma mère continue de parler. Je regarde du coin de l'oeil en direction de la salle de bain, et je vois Alex replacer du mieux qu'il le peut la porte et jeter le monstre... dans la poubelle à côté de la toilette. Il est idiot! Je lui décoche un air découragé en tentant de ne pas rire. Il me répond par un haussement d'épaules. C'est une bonne idée de cacher la chose là: lorsque mon grand-père va venir nous visiter la semaine prochaine, il va faire une crise cardiaque en ouvrant la poubelle et va s'étouffer avec son dentier. Génial.

Alex décide de prendre la poubelle et de la mettre dans une armoire. Je ne peux pas croire qu'il soit aussi stupide! Visiblement agacé par mon attitude, le garçon sort le monstre de la poubelle, saisit l'aspirateur qui est à côté de la salle de bain et se met à aspirer la chose. Là, je ne peux pas m'empêcher de rire. C'est juste ridicule!

- Je te fais rire? me demande ma mère, sceptique.

- N-non, je pensais à un truc drôle qu'il m'est arrivé aujourd'hui... bredouillé-je en tentant de contenir mon rire.

- C'est moi ou j'entends l'aspirateur?

Je regarde à la dérobée du côté de mon ami. Il avait aspiré le tapis de douche et il était coincé dans l'aspirateur. Bravo. Je lui fais signe de tout arrêter, et c'est ce qu'il fait.

Mal à l'aise, je dis à ma mère:

- Eh, j'ai oublié de te le dire, mais j'ai un copain avec moi, là, et on fait un travail d'école, donc on va continuer à le faire, dis-je nerveusement à ma mère.

Je vais rejoindre Alex dans la salle de bain. C'est un vrai fouillis: l'aspirateur qui gît dans un coin, la toilette tachée de noir, la poubelle renversée, et...

Mon coeur fait un bond. Comment ai-je fait pour ne pas le réaliser?

- Alex, tu saignes...

Son bras droit est marqué d'une énorme coupure.

- Tout à l'heure, avec la bestiole... Enfin, ça a plutôt bardé. (Il a un petit rire ironique.) Je suppose que maintenant, tu dois me trouver bizarre et idiot.

- Idiot, oui, mais bizarre, pas du tout.

Nous restons un moment en silence. Puis, tristement, Alex lâche:

- Ta blessure... je ne crois pas que nous devrions la prendre à la légère, mais on ne peut rien faire pour ce soir.

Je hoche la tête. Je ne sais pas quoi penser.

- Oh, je dois partir, dit Alex en consultant sa montre. On se revoit demain à l'école.

Et il part.

Je me fais gronder par ma mère et mon père pour la salle de bain, puis je fais tout de suite me coucher. Je les comprends un peu. Moi, si j'étais rentré de l'école et que j'avais vu la salle de bain ravagée, je ne demeurais pas indifférente. Je crois. Sauf que mes parents ne savent pas ce qui s'est passé.

Je réfléchis. Tout s'est passé si vite, aujourd'hui! Le bus, Kat qui aime Alex, Alex qui se met en équipe avec moi, le cours de science, le message texte ce soir, Kat qui cherche Alex dans les souterrains de la ville, Alex qui est mystérieux, et qui vient de tuer un monstre venu des toilettes, puis...

Tout me semble si irréel. Je tâtonne mon cou. La blessure a séché, mais elle me fait toujours mal lorsque je la touche. Je me lève et avance vers mon miroir sur le mur. Mon miroir est brisé sur le côté, car à sept ans j'ai joué au baseball dans ma chambre et j'ai lancé la balle dans le verre. (Involontairement, bien sûr!)

Il fait noir, mais j'ai fixé le plafond si longtemps dans l'obscurité que mes yeux se sont habitué à la faible luminosité de la pièce. Je m'approche de mon reflet. J'ai l'air normal, mais je ne me sens pas normale. Le côté de mon cou n'est pas normal. Il légèrement tapissé de noir près de la plaie. Dégoûtée, je recule d'un pas. Je dois admettre que c'est plutôt flippant.

Je soupire. Si Alex ne pouvait rien faire, alors, je ne peux rien faire moi non plus.

Alex. Quelque chose est étrange chez lui, je ne sais pas si c'est de la bonne ou de la mauvaise façon. Quels sont ces secrets qu'il tente de dissimuler? Comment a-t-il tué la chose noire? Pourquoi devait-il partir avant huit heures? Tant de questions sans réponse, et je ne compte pas rester dans l'ignorance.

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En média: un tagnum - le truc noir, oui vous apprendrez plus tard que ça s'appelle ainsi hihi - fait par moi sur Photoshop. Pour la taille réelle, copiez le lien de l'image dans la barre d'adresse ;)



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