Je suis fébrile. Je ne tiens plus en place. Je sais que, dans une heure, ce sera mon tour. Mon tour d'impressionner le Conseil lors de ce test. Au moins, je suis plutôt douée, au combat à l'épée, mais je ne veux pas simplement me battre. Je ne veux pas que le Conseil puisse tranquillement prendre des notes sur ma force et mes pouvoirs: je dois absolument leur faire sentir que je ne suis pas comme les autres, et que je ne me laisserai pas faire...

Nous sommes tous dans un gigantesque amphithéâtre circulaire à ciel ouvert. Les sièges entourent l'aire de combat, qui est tout en bas. C'est bondé de monde: l'amphithéâtre est plein à craquer! Anna, qui est assise juste à côté de moi, explique que c'est une tradition ici, à Alteran, d'aller voir les Nouveaux au combat, lors du test, à chaque année. Ce qui me fait bien rire: regarder Valentine et Gaïa se battre avec des épées en bois, ce n'est pas un spectacle bien impressionnant... Je garde cette réflexion de mauvais goût pour moi, car les deux filles sont juste derrière moi.

Présentement, en-bas, dans l'aire de combat circulaire, ce sont deux garçons Nouveaux (dont j'ai oublié les noms) qui se battent avec des dagues en bois. La foule est en délire: des cris, des encouragements. Pourtant, les deux Nouveaux ne sont pas tellement bons - sans vouloir être méchante, j'irais jusqu'à dire qu'ils sont nuls.

- Je ne sais pas pour vous, les filles, mais je commence sérieusement à avoir le trac, frémit Jess.

- Faut pas, Jess! sourit Tess à sa copine. Vois les choses du bon côté!

- Facile à dire, bougonne Jess. Moi, je suis avec Daphné! Et elle est particulièrement bonne.

- Vous allez vous battre avec quelle arme? lui demandé-je.

- On ne se bat pas en combat singulier, répond-elle en secouant la tête. Daphné et moi avons été assignées au tir à l'arc. Au fond, le Conseil va nous juger par le nombre de points que nous aurons amassé comparé aux autres, sur les cibles.

- Daphné est douée au tir à l'arc? m'étonné-je.

- Oh que oui!

Je hausse les épaules avec un petit sourire triste. Amé, Anna, Tess et Jess ne m'ont toujours pas reparlé de l'incident de ce midi. Je sens toujours une légère tension entre nous dû au fait que nous n'avons pas abordé de le sujet. Je prends une grande inspiration et me lance:

- Au fait, à propos de ce midi avec la salle à manger, je...

- C'était vraiment cool! s'écrit Amé avec un regard brillant d'excitation.

Jess, Tess et moi la dévisageons. Amé secoue la tête et se défend:

- Bah oui! Ton pouvoir est juste trop bien! Putain, moi je voudrais bien pouvoir anéantir une pièce entière de quelques simples petits coups de pied.

- Ne va surtout pas croire que c'est "cool"! m'opposé-je. Maintenant, le Conseil, il...

Je m'interromps. Je ne dois pas parler de ça. Je me traite de tous les noms: ce que je suis idiote! Je dois garder ce que le Conseil pense de moi secret.

- Le Conseil... quoi? insiste Amé.

Elle, ainsi que Jess et Tess, sont pendues à mes lèvres. Elles veulent entendre la fin de la phrase. Je ris nerveusement en croyant que ça pourrait camoufler mon malaise, et je m'éclaircis la gorge:

- ... il a les yeux rivés sur moi... Voilà tout.

Amé roule les yeux vers le ciel et secoue sa tête, faisant voler ses cheveux frisés dans tous les sens.

- Tu ne dis pas tout! devine-t-elle. Merde, Jenn! Tu sais que tu peux tout nous dire.

- Oui, je sais...

Mais je ne peux pas tout leur confier... Je commence de plus en plus à douter d'Amé. Pourquoi est-elle toujours aussi insistante? Non. Je suis simplement paranoïaque. Amé est digne de confiance. Mais reste que je ne leur dirai rien. J'opte pour simplement tourner la page.

- Ça va aller, d'accord? dis-je avec un sourire forcé.

- Ouais, pour l'instant, soupire Amé en me considérant moqueusement.

Je réalise que Anna n'a pas réagis de toute la conversation. Elle garde un air songeur et me fixe intensément avec ses yeux violets démesurément agrandis par ses lunettes. Je fronce les sourcils.

- Anna... Est-ce que ça va? m'inquiété-je.

Elle détourne le regard et feint de s'intéresser au combat, en-bas.

- Ouais, t'en fais pas pour moi, répond-elle un peu trop vite.

Je m'apprête à insister, mais je décide de n'en rien faire. Et puis, à quoi ça servirait? Anna n'est pas obligée de me pardonner tout de suite pour ce que j'ai fait à la salle à manger. Quelle discussion étrange... Après quelques minutes de silence, Tess lance avec excitation:

- C'est le tour de Fabien et Jacob! On va bien rire!

Je vois, à l'autre bout de l'arène, dans les loges, Atenas se lever et s'approcher du micro. De sa voix très solennelle, il tonne:

- Mesdames et Messieurs, chers habitants d'Alteran, voilà le tour du duo Fabien Gray et Jacob Hill, au combat au javelot.

La foule se lève pour applaudir et hurler. Je suis pliée en deux de voir Fabien et Jacob faire leur apparition dans l'aire de combat, leur visage rayonnant de fierté et d'amusement.

- C-combat au javelot? s'interroge Amé. Le javelot, c'est fait pour être lancé, non?

- Si, pour les humains, répond Anna. Mais à Alteran et Étamiert, ce sont des armes de combats. Enfin, tu vas voir. Je suis sûre que Fabien et Jacob vont nous en mettre plein la vue.

- Bordel, tu connais vraiment tout, toi, marmonne Amé.

La foule se calme progressivement et elle se rassied pour laisser le combat débuter. Je suis plutôt surprise par la façon dont le combat au "javelot" se déroule. Je me permets de mettre des guillemets au javelot, car ce n'est pas vraiment ça. C'est un long bâton de la forme d'un javelot, mais les deux bouts sont pointus et tranchants - bien que, dans ce cas-ci, ils sont en en bois - et les combattants tiennent le javelot à deux mains, au milieu, et le font tournoyer pour tenter d'atteindre l'adversaire. Comme une épée double, au fond. Je trouve ça plutôt impressionnant et inhabituel. Et aussi vraiment hilarant! (Bah oui, il ne faut pas oublier que ce sont Fabien et Jacob tout de même!)

Les deux garçons jouent la comédie, et exagèrent chacun de leurs mouvements. Ils crient n'importe quand et éclatent de rire à tout moment. On voit bien qu'ils s'amusent, au moins. La moitié des spectateurs sont ahuris, l'autre est morte de rire. Je me permets de jeter un coup d'oeil en direction du Conseil, dans les loges. C'est alors que je me renfrogne. Le Conseil ne semble pas satisfait du tout. Il a même l'air légèrement agacé.

- Oh, mon dieu... pensé-je à voix haute.

- Quoi? Qu'est-ce qu'il y a? demande Amé en riant.

- Il faut qu'ils arrêtent tout de suite leur numéro! m'énervé-je. Le Conseil va leur faire échouer leur test!

- Jenn... Ce ne sont pas de nos affaires.

Je soupire et me dis qu'elle a probablement raison. Après tout, ce n'est pas bien grave s'ils n'en échouent qu'un, non? Rien qu'un? Je suis rongée par le stress et l'angoisse. Quelques minutes plus tard, alors que le combat de Fabien et Jacob tire à sa fin, un homme - que je devine être un des responsables de cet événement - vient me rejoindre.

- Jennifer Akson? lance-t-il d'une voix bourrue.

Je me lève de mon siège, tremblotante. Je sais ce qui se passe. C'est mon tour d'aller dans l'arène.

- Suivez-moi, ordonne le monsieur.

Nous traversons les gradins pour se rendre sous l'arène, là où se préparent les "artistes". Pour se faire, nous descendons par des escaliers inégaux et pénétrons finalement dans une salle plutôt grande, éclairée par des torches. Il y a, au fond, de grandes portes fermées qui doivent mener à l'aire de combat. Je ne suis pas seule: il y a plusieurs personnes responsables qui s'affairent à m'habiller pour le combat et une dizaine de guerriers. De vrais guerriers. De gigantesques hommes. Je me sens envahie de frayeur: ces hommes, ce géants, sont mes opposants... Je vais mourir. Je sais, j'ai affirmé la même chose lorsque j'avais reçu un texto de Kat, il y a cinq jours, mais ce n'était rien comparé à ce qui m'attend.

Après avoir enfilé une très belle cuirasse noire constellé de pierres noires et des bottes de cuire bien particulières, je m'installe sur un banc et attends nerveusement de me faire appeler dans l'arène. Quelques minutes plus tard, les grandes portes s'ouvrent. J'ai d'abord cru que c'était pour que j'embarque dans l'arène, mais je vois simplement Fabien et Jacob revenir de leur combat. Je souffle de soulagement. Ce n'est pas mon tour tout de suite.

Les deux garçons rient aux éclats alors que des hommes s'occupent à retirer leur cuirasse. Je suis très inquiète pour eux: en espérant qu'ils passent leur test tout de même...

C'est alors que la fille que je n'ai pas envie de voir présentement fait son apparition dans la salle. Daphné. Vêtue d'un très beau jean noir épousant parfaitement les courbes de ses jambes et un t-shirt noir pendant sur une épaule, elle est tout simplement parfaite. Sans parler de ses cheveux. Ses cheveux noirs brillants sont noués en une très jolie tresse française qui lui tombe parfaitement dans le dos. On aurait dit une vraie guerrière.

Une pointe de jalousie me tenaille alors que je la vois s'approcher de Fabien. Elle lui fait un magnifique sourire que Fabien lui rend. Ce dernier a terminé de faire enlever sa cuirasse et semble discuter avec Jacob. Ils parlent un peu avec Daphné, et rient avec elle. Je sens mon coeur se pincer. Fabien et Jacob, ce sont mes amis, et je les vois sympathiser avec mon ennemie. 

- Hé, Jenn! s'exclame Fabien à ma vue. Alors, j'étais comment?

Toute heureuse qu'on m'ait adressée la parole, je me lève et vais les rejoindre. Je sens le regard méprisant de Daphné peser sur moi. 

- Vous étiez incroyables! rigolé-je.

- Oh, tu sais, ce n'est qu'une question de talent, répond Jacob en me faisant une courte révérence.

- C'est donc ton tour dans quelques minutes? me demande Fabien.

- Ouais, soupiré-je. Avec ces types-là.

Je pointe de la tête les guerriers. Un moment de silence passe.

- Tu vas les écraser! s'écrit finalement Jacob. Tu es capable d'anéantir une salle à manger: ne me fais pas à croire que ces bonshommes-là t'effraient.

- Ce n'est pas si simple que ça, malheureusement, répliqué-je.

Je ne veux pas me plier complètement au Conseil! Je dois me démarquer. Mais, bien entendu, je ne peux rien dire. Je dois tout garder pour moi. Ça me déchire. J'ai hâte qu'Alex rentre de l'école, ce soir, pour que je puisse tout lui déballer de cette journée.

- Crois en toi, dit Jacob en me mettant une main sur l'épaule.

J'éclate de rire, et Jacob s'éloigne pour aller discuter avec des hommes qui s'occupent de l'événement. Agacée, Daphné siffle alors:

- Jennifer, ne vois-tu donc pas que tu t'es complètement imposée dans notre discussion? On parlait avant que tu n'arrives, figure-toi!

Avant que je ne puisse répliquer quoi que ce soit, Fabien me défend:

- Jenn a le droit autant que toi de prendre part à notre conversation, Daph. Cesse de te comporter comme une gamine.

- Comme une ga...? Oh! Alors comme ça, c'est moi la gamine, hum? Je ne faisais que du bien! Je disais simplement à Jenn de ne pas interrompre la conversation.

- Elle n'interrompait rien, grogne Fabien.

- Ah ouais? Eh bien laisse-moi te dire une chose, Fabien Gray. Le truc avec toi, c'est que tu ne sais pas en qui mettre réellement ta confiance, alors au bout du compte, tu sors toujours perdant! J'imagine que tu n'as même pas dit à Jennifer qu'on a déjà sortis ensemble!

Mon coeur manque un bond. Quoi? Fabien a déjà sorti avec elle? Mais l'autre jour, à la terrasse, Fabien avait dit qu'il n'avait jamais eu de relation amoureuse! Je suis entre la colère et la confusion. Je lève un regard interrogateur vers Fabien. Ce dernier n'a pas bronché. Il siffle, entre ses dents:

- Pourquoi irais-je me vanter à qui que ce soit que j'ai déjà embrassé une fille comme toi?

- Parce que tu es trop humble, Fabien, réplique sarcastiquement Daphné. (Elle se retourne vers moi et chuchote:) La bataille n'est pas finie, ma vieille.

Et elle traverse la pièce pour remonte les escaliers d'un pas furieux. Fabien semble tendu. Je me sens totalement confuse. Qu'est-ce que c'est que cette histoire? Depuis tout ce temps, Daphné serait-elle simplement jalouse de moi à cause de Fabien? Ça ferait du sens. La première fois qu'elle m'a parlé, c'était juste après que Fabien m'ait invitée à passer du temps avec lui. Je m'apprête à lui poser quelques questions, lorsque retenti un énorme cor.

Et on annonce mon nom.

Le son provient de l'arène. Je suis saisie de quelques tremblements. Ma tête se vide, mon pouls s'accélère. Je suis peut être un peu moins timide qu'avant, mais je reste tout de même Jenn! J'ai toujours horreur de me présenter devant un tas de gens.

Un homme m'agrippe le bras et me balance vers les portes de fer de l'arène. On me lance une épée de bois que je saisis tant bien que mal au vol. Je me retourne fébrilement vers les portes, attendant avec angoisse qu'elles s'ouvrent. J'entends la cacophonie étouffée de la foule qui hurle, qui applaudit, du cor qui ne cesse de beugler, ainsi qu'un battement. Un battement? Mais qu'est-ce qui peut produire ce son étrange? Je pose ma main sur ma poitrine. C'est mon coeur. C'est lui qui émet ce son assourdissant. J'avale de travers. Le temps me semble interminable.

Je ne peux pas me permettre d'échouer ce test-ci. Je dois combattre. Je dois prouver au Conseil que je vaux mieux que ce qu'ils croient. Que je ne suis pas qu'une simple jeune fille de dix-sept ans. Je ferme les yeux. Je prends une grande inspiration. J'expire longuement. Je sens ma puissance surnaturelle électriser mon coeur, puis mes épaules, et mes bras en entier pour finir par mes mains. Je serre les poings et ouvre les yeux.

Les grandes portes s'ouvrent sur moi. Je fais un pas dans l'arène.

Je suis prête à combattre.