- Le deuxième test durera toute la journée, contrairement à celui d'hier. Nous ferons appel à votre calme et à votre respect des consignes au cours de cette journée qui sera plutôt particulière.

Ses yeux violets glacés sont braqués sur moi. Son message s'adresse à moi plus qu'à n'importe quel autre Nouveau ici présent. Atenas fait un discours devant le lieu où le test aura lieu: le centre d'entraînement. De la taille d'un terrain de football, ce dernier est entièrement bâti en pierres grises et est surmonté d'un toit en dôme violet. Il est aussi doté d'un autre bâtiment légèrement plus petit, qui contient une salle à manger les appartements des guerriers alterans. On se croirait dans un film médiéval...

Suite au discours du chef du Conseil, une belle femme extrêmement costaude prend la place. Ses cheveux bruns foncés attachés en chignon, l'air sévère et vêtue d'une cuirasse de combat noire, elle me donne la chair de poule. Elle nous dit, de sa voix autoritaire:

- Bonjour, je suis Karina, sous-dirigeante de l'armée alteranne. Dans le test d'aujourd'hui, nous vous apprendrons d'abord à vous battre, puis on vous évaluera.

Tous les garçons se mettent à chuchoter entre eux, enthousiastes. Karina fronce les sourcils et siffle:

- Eh, les garçons, si vous croyez que vous allez apprendre à maîtriser un fusil, vous avez tort. Bien que les autorités policières ont droit à ces armes, on ne les utilise pas en guerre. Notre peuple et celui des Étamiens ont gardé les techniques de combats traditionnelles, c'est-à-dire... (Elle s'éloigne et revient avec une grande épée.) Le combat à l'épée... (Elle repart et se rapproche avec un petit couteau tranchant.)... le poignard et la dague... (Elle refait le même manège, mais cette fois-ci avec deux armes dans les bras.)... l'arc à flèche et le javelot.

- Vous voulez qu'on se batte avec ces jouets? ricane Dannis, un des copains de Fabien. Ça ne vaut pas une mitraillette.

Karina tranche furieusement la gorge d'un des pauvres mannequins de combat qui figurent à ses côtés d'un seul coup de poignard. Et effectue une vrille et enfonce le couteau dans la poitrine du mannequin derrière elle. En moins de deux, elle est déjà entrain de pulvériser le prochain d'un bref coup de dague dans les côtes. Le tout s'est effectué avec une fougue et une vitesse tout simplement pétrifiante. Haletante, Karina se retourne vers Dannis.

- Ces jouets sont appelés des armes, persifle-t-elle. Des armes extrêmement dangereuses si tu sais t'en servir. Est-ce clair?

Les yeux grands comme des soucoupes, Dannis hoche nerveusement la tête. J'ai la mâchoire déboîtée: s'ils veulent faire de moi une machine à tuer comme cette femme cinglée, eh bien c'est peine perdue. C'est à peine si je suis assez brave et rapide pour tuer une araignée. J'ai horreur des araignées. Bon, ce n'est pas une phobie, mais reste que je les déteste, ces petits bêtes.

- Nous vous avons jumelé en équipe de deux selon le niveau que nous croyons que vous êtes et selon l'arme que nous vous avons attribuée, explique fermement Karina en inspectant une liste sur sa feuille. D'abord, Daphné Jacobs... Tu seras avec Jessica Miller.

Jess et Tess, qui sont juste derrière moi, se mettent à haleter comme des chiots au coeur brisé. Je les entends se murmurer qu'elles sont amies pour la vie, que Jess doit survivre à cette épreuve... Des trucs vraiment clichés. Mais en même temps, je comprends ce que vit Jess: je l'ai vécu hier. Se mettre en équipe avec une peste, c'est juste horrible.

- Fabien Gray, tonne Katrina. Tu seras avec Jacob Hill.

Le regard de Fabien et celui de Jacob se croisent, et les deux amis éclatent de rire à l'unisson. Ils vont bien s'amuser, ensemble. Je souris malgré la colère que j'éprouve toujours pour Fabien: ils agissent comme deux enfants qui viennent d'apprendre qu'ils pourront s'inviter pour jouer à la maison. C'est plutôt mignon.

- Pénélope Collins avec Cindy Roberts. Tessina Redwood avec Jane Ellis. Lucas Brown avec Michael Hudson.

Ainsi passent les noms des vingt-neuf Nouveaux. Incluant le mien...

- Jennifer Akson avec Valentine Olson.

Je ne suis pas certaine de savoir qui est cette Nouvelle, mais c'est déjà mieux que Daphné. Une fois tous les noms nommés, Karina nous assigne tous l'arme qu'elle croit que nous maîtriserons le mieux. À ma plus grande surprise, elle me remet une épée. Je tremble rien qu'à penser au fait que je tienne une arme blanche dans mes mains. Je crois que ce type d'arme est celui qui m'effraie le plus, au-delà des armes noires. J'ignore pourquoi...

- ... commençons!

Pourquoi est-ce que ça m'arrive toujours, à moi? J'ai encore loupé les explications. Tout le monde se mobilise et se disperse à des endroits distincts dans l'énorme centre d'entraînement. Une fille un peu grassouillette, les cheveux noirs courts et le visage taché d'acné vient à ma rencontre. Un sourire timide aux lèvres, elle se présente:

- Moi, c'est Valentine. Tu es Jennifer, non? (Je hoche la tête.) Génial. Bon... alors entraînons-nous...

Nous allons dans la partie du "gymnase" réservé pour le maniement de l'épée. Un homme jeune à l'air sympathique appelé Adam nous apprend les bases de la maîtrise de cette arme. Je m'avère plutôt douée. Nous sommes un total de six Nouveaux qui avons été assignés à l'épée, donc trois équipes de deux, et je suis celle du groupe qui apprend le plus vite. Ma peur et mon insécurité s'envole drôlement rapidement, et je développe très rapidement un vif intérêt pour cette discipline. Adam me montre des techniques que les autres ne sont pas encore en capacité d'apprendre.

- Parfois, utiliser la partie tranchante de la lame n'est pas la meilleure option, m'explique Adam. La partie plane peut nous aider à simplement frapper sur l'armure en métal de l'adversaire de façon à l'enfoncer vers l'intérieur. Résultat: l'adversaire meurt suite à une blessure due à son armure coupante qu'on aura retournée contre lui. Allez, essaie sur le mannequin. Je te préviens: tu ne réussiras pas du premier coup. Cela demande une force incroyable qui ne s'acquiert qu'avec beaucoup d'entraînement.

J'empoigne fermement l'épée et assène un violent coup sur l'armure métallique du mannequin, en plein sur les côtes. Elle demeure marquée d'un grand repli vers l'intérieur. Je remercie intérieurement mes capacités surnaturelles. Essoufflée, je me retourne vers Adam et attends son verdict. Il semble tout simplement émerveillé.

- Ce coup-là, c'est la mort assurée en à peine une heure! s'estomaque-t-il. Je dois montrer ça à Karina...

Et il s'en va en courant. Les cinq autre Nouveaux qui ont aussi été assignés à l'épée arrêtent de pratiquer et me fixent avec surprise. Je résiste à l'envie de sourire de satisfaction: enfin une chose à laquelle je suis douée! Le Conseil ne pourra pas trouver de défaut à cela, cette fois-ci.

Adam revient en courant, Karina sur ses talons.

- Elle a fait ça, du premier coup en plus! s'exclame Adam en pointant l'armure mal en point du mannequin.

- De la chance, sans doute, réplique durement Karina, toujours aussi imperturbable. Essaie une autre fois.

Je vais au prochain mannequin et lui réserve le même sort qu'au précédant. Karina me regarde, les bras croisés, un air impressionné planant sur son visage dur.

- Eh bien, je crois que je t'ai sous-estimée, lâche-t-elle. Avais-tu déjà travaillé le maniement de l'épée avant?

- Non, madame, réponds-je.

- Il va donc falloir te changer de coéquipière, soupire Karina en inspectant sa liste. Sinon, tu vas massacrer la pauvre Valentine lorsque nous commencerons à travailler les combats singuliers. Valentine Oslon!

La fille trottine nerveusement vers elle.

- Qu'y a-t-il, madame? postillonne Valentine.

- Changement de coéquipière. Tu seras avec Gaïa Allison, et Jennifer avec Béatrice Logan. Béatrice avait déjà fait de l'escrime avant, donc elle est très douée. Elle sera de ton calibre, Jennifer.

Je hoche la tête, incertaine. Si la fille avec qui je suis en a déjà fait avant, c'est sûre qu'elle sera bien meilleure que moi...

Nous pratiquons encore nos techniques individuellement pendant une heure et demi. Adam m'a mainte fois répété à quel point j'avais un "talent naturel". Ça me gêne un peu: je ne suis pas habituée de me faire dire ce genre de choses. Je n'ai pratiquement aucun talents. Je suis pourrie à l'école, en arts, en sports... Je suis heureuse de constater que j'excelle à au moins une chose: le maniement de l'épée.

Mais l'heure vient où nous devons nous regrouper deux par deux pour débuter l'apprentissage du combat singulier. On troque nos vraies épées par des fausses en bois, question de ne pas se tuer au combat. Avant qu'Adam ne commence à donner les explications, Béatrice et moi nous rejoignons. Ma partenaire est grande, élancée, les cheveux noirs aux reflets pratiquement bleus, et les yeux violets aux aguets.

- Salut, lui dis-je en souriant.

- Salut... répond-elle avec une légère timidité.

Un moment de silence. Je me racle la gorge et dis quelque chose pour briser le silence:

- Donc... comme ça, tu faisais de l'escrime?

- Ouais, c'était plutôt cool.

Un nouveau silence. À ce moment un peu malaisant, Adam frappe dans ses mains et prend la parole:

- Ok, les Nouveaux! Maintenant que vous êtes tous deux par deux, on peut commencer. Selon les règles de politesses alterannes et étamiennes, les combattants se doivent de se saluer de la façon traditionnelle avant de débuter le duel. Comment faire? Eh bien, vous plantez la bout de votre lame sur le sol avec votre main gauche, cachez votre main droite dans votre dos, fléchissez légèrement vos jambes et penchez la tête en-avant, sans toutefois quitter votre partenaire des yeux. Ensuite, vous pourrez passer au combat. Je ne veux pas trop vous donner d'indications pour l'instant. Faites appel à votre jugement pour savoir ce qui est dangereux ou non. De plus, il n'y a pas de "façons spéciales" ou de règles particulières pour gagner un duel. Imaginez que vous tenez une réelle épée dans vos main et demandez-vous si votre coup aurait mis K.O. l'adversaire. Si oui, vous l'emportez. Battez-vous dans les petites aires de combat, là-bas. Je passerai et vous dirai au fur et à mesure ce qui va ou non.

Béatrice et moi nous regardons. Elle hausse les épaules se place dans un des petits arènes, son épée en bois à la main, comme pour dire "On commence?". J'accepte et me place devant elle. On se salut maladroitement comme l'avait indiqué Adam, puis le duel commence. Duel qui, comme je m'y étais attendue, ne dure pas plus d'une trentaine de secondes. De sa main agile d'escrimeuse, Béatrice me décoche très rapidement un coup dans le ventre. Je soupire. Mon adversaire sourit vaniteusement.

- Ça se voit que tu es débutante, se moque-t-elle.

- Haha ouais, bien sûre... maugrée-je. On recommence.

S'ensuivent ensuite plusieurs défaites. Je suis décidément bien moins bonne qu'elle. Je réalise par contre que, de fois en fois, je suis toujours un peu meilleure, plus rapide, plus agile. Au point que, au bout d'une heure, je réussis finalement à battre Béatrice. Je tente de camoufler mon amusement face au désappointement de mon adversaire. Frustrée, elle secoue la tête:

- Ça ne vaut pas! C'était un coup de chance.

Nous nous saluons rapidement et recommençons un autre duel. Béatrice est énervée, et ça se voit dans la façon qu'elle se bat. Elle frappe n'importe où avec son épée, n'attend même pas d'avoir porté un coup pour en donner un autre, jongle entre la défensive et l'offensive sans même savoir dans quelle position je me trouve. Alors, bien évidemment, je profite de sa stratégie désordonnée pour la vaincre. La pauvre fulmine... D'une certaine façon, ça se comprend. Lorsque tu pratiques un sport similaire depuis plusieurs années et qu'une débutante te bat à deux reprise, il y a de quoi être contrariée.

- On refait. J'étais juste déconcentrée, prétend-elle.

Au même moment, Adam s'approche de notre aire de combat, un calepin pour prendre des notes dans ses mains.

- Salut les filles! lance-t-il, souriant. Je vais juste vous évaluer un peu, question de prendre compte de votre évolution et de vous donner des conseils.

Béatrice me fusille du regard. Elle n'a pas l'intention de me laisser une victoire, surtout devant lui. Mes mains tremblent sur le manche de mon épée de bois. J'avale de travers ma salive et salut l'adversaire. Les battements effrénés de mon coeur résonnent dans mes tympans. Je connais cette sensation. C'est celle de l'adrénaline.

Au lieu de porter un coup rapide et tenter de la prendre par surprise dès le début, j'attends qu'elle passe à l'attaque. Impulsive comme elle est, je sais qu'elle le fera. Nous demeurons à une certaine distance l'une de l'autre, en tournant en rond dans l'arène tels deux félins se menaçant. Puis, rapidement, elle porte le premier coup: elle tente de m'atteindre à la hanche, mais sans succès. Je pivote rapidement sur moi-même pour parer son attaque et je lui envoie ma lame de bois dans le creux de son bras qui tient l'arme.

- Si l'épée et le combat auraient été réels, Jennifer l'aurait remporté. Et, puisque là sont les règles, Jennifer, tu as remporté ce duel, me félicite Adam. Incroyable, en à peine deux heures de pratique, tu sais te battre contre une fille qui a de l'expérience. Un grand bravo!

Après nous avoir donné quelques astuces, Adam repart, me laissant seule avec la fille que je viens d'humilier. Je suis à présent vraiment embarrassée. Décidément, je n'aime pas trop me faire bombarder de compliments. Ni être avec une personne en colère par ma faute. Cherchant un peu mes mots, je dis à Béatrice:

- Écoute, je suis désolée. Je crois que nous sommes parties du mauvais pied, et je...

- La ferme! aboie-t-elle, visiblement furieuse. Je n'ai pas besoin de tes excuses, ni de ta pitié. Maintenant, bats-toi!

Elle n'a pas gagné un seul autre duel contre moi du reste de l'avant-midi. Je me sens mal pour elle. J'ai dû complètement la démoraliser pour cet après-midi, lorsqu'on va nous évaluer. Sans vouloir sembler égoïste, je vois tout de même le bon côté de la carte. Je suis douée à cette discipline, non seulement grâce à un talent naturel, mais aussi grâce à mes habilités telles que ma force, ma puissance et mon endurance. Le Conseil ne pourra pas me faire échouer ce test-ci, cet après-midi. Enfin, je crois. Je dois m'attendre à tout.