La fuite
— Mademoiselle Nemerys?
La personne qui vient de prononcer mon nom me touche l'épaule, provoquant comme une décharge à cet endroit. Je suis presque sûre de l'avoir reconnu et c'est pourquoi je me retourne. J'ai un léger recul tandis que le nom de la personne en face de moi me revient.
— Arcon.
Le jeune mousse, dont Lara et moi avons partagé le navire, se trouve sous mes yeux. Bien que mon visage soit entièrement couvert du voile, il m'a reconnu. Le problème qu'il se pose c'est que si après des mois cet homme me reconnaît d'autres pourraient malgré mon déguisement.
— Je pensais pas vous revoir un jour, vous ne deviez pas vous marier? m'interroge-t-il avec toujours un grand sourire.
— C'est ce qui s'est passé mais disons que les choses ne se passent pas toujours comme prévu...
Inutile de lui en dire plus. Nos chemins vont sûrement se séparer de nouveau et je n'ai pas envie de l'entraîner dans ma fuite. Qui sait ce qu'il pourrait se passer si, une fois qu'ils sauront pour ma fuite, les personnes que Calix emploiera pour me retrouver, le trouveront. Je n'ai pas envie que ce pauvre garçon se fasse torturer par ma faute.
— J'imagine bien, mais vous sembliez convaincu de votre mission comme vous l'appeliez.
— Je l'étais, mais maintenant, j'ai d'autres priorités.
Fuir, fuir, fuir très loin et en sécurité.
— Tu es là pour longtemps ? lui demandé-je en croisant les bras.
Autant faire la conversation comme il n'a pas l'air d'avoir envie de partir.
— Oui, on doit repartir aujourd'hui pour un port près de Silly.
J'acquiesce poliment même si je n'ai aucune idée de l'emplacement de cette ville sur une carte. C'est sans aucun doute à Guénadé mais où...
À cet instant, Ilda sort avec une autre personne que je reconnais: Le capitaine Bruce.
— Je nous ai trouvé un navire! me glisse-t-elle gaiement à mon oreille. Je te présente le...
— Inutile de faire les présentations, l'interrompt le commandant du navire. Je connais déjà la demoiselle bien que si je ne me trompe pas, vous soyez à présent une dame.
Gentleman qu'il est, le capitaine me fait un baise main en souriant. Je suis presque rassuré que ça soit sur son navire que nous embarquons. Nous sommes entre de bonnes mains.
— Nous ne repartons que demain matin, si cela ne vous dérange pas. Mes hommes vont dormir ici mais...pour votre sécurité, je vais vous escorter à bord de la Vénéneuse.
— C'est un choix judicieux, surenchérit Ilda. Il vaut mieux qu'on ne vous repère pas en notre compagnie.
Je me tourne vers le cheval tandis que les deux hommes sont en discussion. Il va falloir qu'on l'abandonne ici. Ma consœur de fuite comprend mon malaise vis à vis de l'animal. Une de ses mains se dépose sur mon épaule et je comprends qu'il est temps de l'abandonner. Une dernière caresse à l'équidé puis, j'attrape le sac comportant le peu d'affaires que j'ai pu prendre et commence à suivre le chemin qui mène au bateau. Juste avant de m'emboiter le pas, Ilda détache notre monture et le laisse partir au loin. Je suis rassurée qu'elle le relâche. Le laisser ici aurait pu être un indice pour nous retrouver plus facilement.
Les pavés au sol sont remplacés par des planches de bois à mesure que l'embarcation se fait voir. Sans aucune hésitation, je monte à bord, suivit de la sorcière rouge et du jeune mousse. Le pont paraît bien vide sans aucun matelots à bord et surtout, il n'y aucune agitation. Entre mon ancienne maison et le château, je n'ai jamais été dans un endroit aussi calme. Je ne pensais même pas qu'un lieu puisse être aussi silencieux, sauf s' il s'agit d'un lieu de culte. Seul le son de la mer brise cette paix inhabituelle.
— Vous n'allez pas être dépaysé, votre majesté, m'annonce le capitaine Bruce en ouvrant une porte que je reconnais.
Lara et moi avons partagé cette même pièce lors du voyage aller. Me retrouver ici sans elle me provoque un léger pincement au cœur... J'espère qu'elle me pardonnera d'être partie précipitamment sans elle.
— Capitaine, faites-moi la faveur de ne pas m'appeler ainsi, réponds-je en déposant mon sac sur le lit. Je ne suis pas une reine ici.
— Comme vous souhaitez madame, il se tourne vers Ilda. La cabine juste à côté est à votre disposition et pour votre repas du soir, je vous ferez livrer un panier repas de l'auberge par un des marins.
Ilda comme moi, hochons la tête en signe de compréhension.
— Nous nous ferons petites tant que nous n'aurons pas quitté le port, je vous l'assure capitaine.
Ilda prononce ces paroles en quittant la pièce pour aller dans sa propre cabine. Le jeune mousse la suit pour être sûr qu'elle ouvre la bonne porte. Je déballe mes affaires quand les pas du capitaine se rapprochent de moi.
— J'ignore ce pourquoi vous fuyez madame mais, c'est avec plaisir que je vous aiderai autant que je le peux.
Sans lui répondre, je gratifie le capitaine d'un sourire. La confiance aveugle que je place en lui est la seule chose que je peux lui offrir pour le moment. Il n'imagine pas combien son aide pourrait lui coûter.
À son tour, il quitte la cabine et prend soin d'en fermer la porte avant de partir. Me voilà seule avec mes pensées pour unique compagnie. Les quelques affaires que j'ai pu prendre sont maintenant soigneusement rangées dans la commode. Seulement des robes sont pliées. Aucuns pantalons ni chemises, cela aurait pris trop de place. Il va falloir qu'une fois arriver...là où nous arriverons, on se procure des pantalons. Cela sera plus facile pour nous fondre dans la masse. Ilda veut aller chez les sorcières mais je ne suis pas encore sûre que ça soit la parfaite destination. Elles m'ont mentis et dans un sens, c'est à cause d'elle que je suis en fuite. Pour autant, je ne peux pas rentrer chez moi. C'est le premier lieu auquel Lara lui dira de chercher...
Je sors aussi de mon sac, mon livre de prière. Je ne pouvais pas le laisser là-bas, c'était inimaginable pour moi. Seule la Foi peut me donner de l'espoir et c'est ce dont j'ai besoin. J'ai besoin d'espérer que tout va finir par s'arranger. Et ce vite. Je dépose le livre sur la table de nuit et pars me laver. La poussière et toiles d'araignées des passages secrets ont eu raison de ma longue chevelure.
Lorsque je sors de la salle d'eau enfin propre, j'invite Ilda à entrer.
— Tu les connais alors?
— Oui, Lara et moi avons embarqué ici pour venir à Hallow. Ils prennent soin de nous comme ils l'ont fait la première fois.
— Tant mieux, souffle-t-elle. Je voulais te dire qu'on restera à bord jusqu'à leur destination. Le port où on accostera n'est pas très loin du camp des sorcières actuel.
— Actuel? je tique. Comment ça?
— Le camp change de localisation tous les mois. Il y a une cérémonie et grâce à nos pouvoirs, nous téléportons l'entièreté de notre peuple autre part.
C'est donc comme ça qu'elles ne se font pas attraper par le Conseil qui doit toujours les pourchassées. Cela explique aussi pourquoi, malgré de longues années dans la Forêt obscure, et de nombreuses balades, je n'étais jamais tombé sur le parcours avant la nuit de ma cérémonie. C'est très malin.
— Intelligent, je dois reconnaître que c'est futé.
— Nous avons dû nous adapter avec les événements des derniers siècles.
La Guerre, les chasses aux sorcières qui ont suivi après...Je me demande d'ailleurs quel fut le rôle des Filles de la Morrigan dans cette affaire. Je les vois mal combattre auprès des vampires et des autres créatures mais si elles avaient été du bon côté, elles n'auraient jamais été chassées ensuite. Tout ça n'est pas clair. J'ignore si Ilda connait la vérité. Sa famille et elle vivent depuis des siècles dans la montagne loin du coven qu'il y a forcément des choses qu'elle ignore...ou qu'on lui dissimule.
— Ilda, as-tu cent pour cent confiance en Anelise et les autres?
— Bien sûr, pourquoi cette question?
— Je ne les connais pas assez, si je dois leur confier ma vie je veux être sûre de ne rien craindre là-bas, lui mens-je.
Je ne peux pas lui dire qu'Anelise répand un mensonge à l'encontre des vampires pour maintenir une haine ancestrale. Je n'en suis pas moi-même certaine mais, d'avoir vu le tableau de Liliane dans les appartements de Calix, me donne envie de le croire.
Les bras d'Ilda m'encercle et m'attire vers elle. Son étreinte est chaleureuse, comme celle de Lara habituellement.
— Tu es une des nôtres même si tu pries les dieux du Conseil, tu reste notre sœur par le sang. On est une famille et les membres d'une même famille se protègent toujours.
Mais la famille ment aussi et elle blesse. Ma mère a blessé mon cœur lorsque j'étais enfant.
— Je te promets que tu seras en sécurité avec le coven mais si jamais tu en ressens le besoin, je t'aiderai à partir et te trouverai un autre abri. Je te demande juste qu'on avance petit à petit. La première étape a été de trouver un navire et c'est chose faite. Maintenant on doit partir de Hallow.
J'acquiesce tandis que son emprise se défait. Ses paroles sont rassurantes et me font prendre conscience qu'elle a raison. On ne peut pas tout prévoir, allons-y étape par étape.
En début de soirée, Bruce vient nous apporter notre panier repas.
— J'espère que vous avez faim mesdames! J'ignore tout de vos goûts alors j'ai fait préparer un mélange de ce que le cuisinier avait sur place.
Le capitaine a été généreux sur la quantité de nourriture, on voit des boîtes dépassées du panier remplis. On déballe tout sur la table qui se trouve dans la cabine du commandant du navire et c'est vrai que c'est copieux.
— Vous savez, on a été nourris capitaine, lui dis-je.
— Oh je m'en doute mais votre fuite a dû vous creuser l'appétit, non?
— Vous avez bien raison, répond Ilda en commençant à nous servir tous les deux. D'ailleur on vous doit quelque chose?
— Je le fais avec plaisir, il chasse notre question en levant la main droite qu'il pose sur son cœur. Je n'ai besoin de rien sauf que vous finissiez tout ça, rigole-t-il. Je dois rejoindre mes hommes mais Arcon va venir monter la garde avec un autre marin. Passez une bonne nuit et à demain!
L'homme au large chapeau repart en silence nous laissant en tête à tête pour partager ce repas. Les différents plats sont tous copieux, il va nous être impossible de tout manger. Je suis gênée en pensant à la somme qu'a dû déverser le capitaine pour nous offrir ce festin. Ce geste ne sera pas oublié, loin de là.
Après le repas chacune de nous retrouve sa cabine et s'y enferme. Arcon et le second marin nous ont prévenu de leur arrivée lorsque nous étions au dessert. Les deux hommes se sont alors mit d'accord sur leur manière de monter la garde. Arcon restera devant nos cabine pendant une heure avant de rejoindre l'autre et de faire le tour du bateau plusieurs fois dans la nuit. Je suis rassurée et une nouvelle fois embarrassée par la modification des plans de bases de l'équipage. Ils étaient censés pouvoir se reposer une nuit à terre.
— Vous savez madame Nemerys, m'interpelle Arcon pour que je lève la tête vers lui. Je suis content d'être celui chargé de votre protection à bord.
— Merci Arcon, je lui souris avant de verrouillé ma porte et d'aller vers la fenêtre.
Ma cabine donne droit sur la mer, personne ne risque de me voir si j'ouvre un peu pour observer le ciel. Ce dernier est plutôt nuageux, ni la lune ni les étoiles ne sont visibles. Un peu comme mes émotions, tout est flou dans le ciel ce soir.
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