1.6 - Petit Ange 😇
Depuis le stade, j'ai immédiatement repéré la silhouette de Brooklyn qui traversait la cour d'un pas rapide. Je commençais à m'inquiéter. Cela faisait quarante minutes que je ne la voyais pas sortir de l'immeuble.
Ai-je été trop dur avec elle ?
Je n'ai pas vraiment compris son attitude. Que me voulait-elle ? N'est-ce pas cette fille qui m'a fait comprendre qu'elle n'avait nullement besoin de moi vendredi passé ?
Elle m'avait ignoré. Remis à ma place.
Avant cela, j'avais cru pouvoir l'approcher, mais elle a soudainement dressé la barrière qui existe explicitement entre nous depuis toutes ces années. Je ne suis rien à ses yeux. Juste quelqu'un d'insignifiant.
Je ne veux plus me mêler de ses affaires. Ni de près, ni de loin. Alors pourquoi, à cet instant, je me soucie encore de ce qu'elle ressent ?
Il faut que j'arrête.
Pourtant, elle est assise sur ce banc depuis tout à l'heure, son lourd sac étroitement serré contre sa poitrine, le regard rivé au sol et je n'arrive pas à en faire abstraction. Je suis déconcentré au possible et me demande pourquoi je continue à courir sur le terrain. Je ferais mieux de retourner dans les vestiaires et prendre une douche glacée pour me remettre les idées en place.
— Cameron ! Cours ! La balle !
Je lève la tête et observe le projectile frappé en cloche qui atterri directement dans la cour. J'ai loupé l'action, alors il est inutile de courir. J'entame quelques foulées et suis des yeux la balle qui roule sur le béton. J'ai un temps d'arrêt en voyant dans quelle direction elle est en train de filer. Vers Brooklyn.
Super...
Mon pas perd de l'entrain, c'est évident. Je relève les yeux et constate que plus j'approche, plus je la vois se crisper de la tête aux pieds. Je décide de ralentir encore un peu. Et vu que j'ai toujours été un mec chanceux, la balle s'arrête juste entre ses chaussures.
Pourquoi ne me la renvoie-t-elle pas ? Non, tétanisée, elle me regarde approcher comme si j'étais un dangereux prédateur.
Je baisse ma casquette un peu plus sur mon front pour pouvoir cacher mes putains de joues qui prennent feu. Bon sang, ce n'est pas le moment de perdre ses moyens !
À un peu moins d'un mètre, je me penche devant elle et récupère la balle. Elle retient son souffle. Je sens sa tension à des kilomètres. La mienne a atteint son maximum.
Je recule d'un pas et elle en profite pour quitter le banc à toute vitesse, sans un regard, ni un mot.
Je lui fais peur, maintenant ?! Je passe la main sur mon visage. Et, merde !
— B...
C'est tout !? Un B misérable ! Le cri d'une satanée chèvre ! Je peux mieux faire ! Ok, elle m'impressionne. Mais non, je dois me rendre à l'évidence, je ne supporte pas de laisser les choses dans cet état.
— Brooklyn !
Elle s'immobilise, les épaules voûtées vers l'avant.
— Cameron ?! crie Devin. Qu'est-ce que tu fous !
Qu'est-ce que je fous ?! Je suis en train de mettre ma fierté de côté ! Si on pouvait arrêter deux secondes de me mettre la pression ! Je soupire et y mets un peu plus de conviction.
— Brooklyn, s'il te plait.
Elle se retourne lentement sans lâcher le sol des yeux.
— Cameron ! réitère Devin.
— Attends une seconde, demandé-je à Brooklyn d'une voix douce.
Je renvoie la balle, mais le temps de le faire, elle a repris la poudre d'escampette et fonce tête baissée vers le bâtiment. Sans la moindre hésitation, je retire et jette mon gant par terre, puis lui cours après.
Arrivé à sa hauteur, je la retiens par le poignet et la fait pivoter vers moi.
— Je ne veux pas que tu me détestes ! crie-t-elle soudain.
Que je la quoi ?!
Choqué par le son écorché de sa voix, je la libère.
— Non, ce n'est pas ce que tu crois..., arrivé-je à argumenter pitoyablement.
— Alors pourquoi ?! Pourquoi tout le monde est comme ça avec moi !? Je ne vous ai rien fait !
Sa détresse me fend le cœur.
— Brooklyn...
— Je... je ne t'ai rien fait, précise-t-elle tout bas.
Si, de nombreuses années d'indifférence. Assez nombreuses pour que le moindre battement de ses cils me fasse faire n'importe quoi.
J'essaie de calmer les choses. La mettre dans tous ses états n'était pas dans mon programme du jour.
— C'est ma faute, je pensais... commencé-je.
Fais chier !
—... je pensais que tu n'en avais rien à foutre de moi.
Je sais qu'elle ne va pas comprendre. Son air ébahi en est la preuve. Mais tant pis, j'avais besoin de lui dire.
— Rien à foutre de toi ? Pourquoi devrais-je... Je veux dire. C'est... ce que tu penses ?
Je pense à des milliers de choses, surtout quand elle est juste devant moi. Qu'elle semble si vulnérable. Même menton relevé, elle peine à m'affronter. Sa bouche pulpeuse s'entrouvre délicatement et je ne regarde plus que ça. C'est très déstabilisant...
La sonnerie de l'intercours retentit. D'habitude, j'esquive, mais elle est si proche...
C'est pas normal d'être aussi belle ! Casse-toi, Cam !
Très vite, des élèves nous contournent. J'ai le choix : soit j'en profite pour me tirer d'affaire, soit j'assume jusqu'au bout. Si j'avais été le genre de mec à se défiler, j'aurais délaissé mes frères et je ne serais pas là, devant elle, mais dans un club de baseball de haut niveau à l'autre bout du pays. Et là, beaucoup trop de regards curieux se dirigent vers nous.
— Suis-moi.
Elle obtempère et nous traversons ensemble la cour en direction de la forêt de pins près du réfectoire. Cet endroit dans lequel je n'ai jamais mis les pieds, et où tous les accros se grillent des clopes et plus si affinité.
Elle reste muette et moi, je n'arrive pas à contrôler les battements dans ma cage thoracique. Ça fait mal, ça fait du bien. Je ne sais pas trop.
« — Cameron sort avec elle ?!
— Je n'y crois pas !
— C'est une débile profonde.
— Belle ou pas, il ne se rabaisserait jamais à son niveau.
— Il lui parle par pitié, c'est évident ! »
J'ai envie de leur dire de la fermer, que l'on n'en a rien à cirer de leurs avis qu'ils émettent à voix haute. Brooklyn n'est pas sourde et entend ces horreurs comme moi. Si je n'arrive pas à le supporter, comment y parvient-elle ? Pourtant, elle marche à mes côtés avec dignité et courage.
En penchant un peu la tête, je constate qu'elle se mordille la lèvre et que ses yeux, même si elle s'obstine à les relever, sont baignés de larmes. C'en est trop.
Je lui prends la main.
Elle est douce et minuscule dans la mienne. Cette connexion me bouleverse à un point que je ne saurais décrire. Je sens ses doigts se crisper et son regard s'abattre sur moi. Je maintiens le mien droit et assuré et passe à travers la ribambelle d'élèves qui nous fixent comme des putains de snipers. J'ai envie de les éclater. Tous, un par un. Pourtant, je suis loin d'être un gars violent. J'ai envie de leur dire qu'ils se trompent, que je serais fier si elle acceptait avec sincérité ma main dans la sienne. Mais ce n'est pas le cas. C'est simplement par peur de me froisser qu'elle se refuse à me lâcher, n'est-ce pas ?
C'est une fois à l'abri des regards, dans la forêt de pins, là où je sais que l'on ne peut nous voir et que les ragots ne seront que confirmés, que je desserre mes doigts pour la libérer.
Nous avons tous deux les mains moites. J'essuie la mienne sur mon t-shirt tandis qu'elle récupère la sienne comme si j'y avais jeté de l'essence et que je m'apprêtais à y mettre le feu. Elle me dévisage, atterrée. Et c'est à ce moment précis que je réalise ce que je viens de faire.
— Pourquoi tu as fait ça ? me reproche-t-elle.
J'aimerais pouvoir répondre honnêtement à cette question... En tout cas, mieux qu'un je ne sais pas.
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