1.41 : Dire Adieu 😔
2 mois plus tard
J'arrive chez Ethan ce vendredi soir. Je n'ai pas vu les gars depuis un bail. Toutes les vacances, j'ai bossé comme un malade.
Alors que je pousse la porte de mon ami, je rencontre Charlotte et Brooklyn qui descendent des escaliers en face. Quand cette dernière me voit, elle a pratiquement un mouvement de recul. Je ne tilte pas.
Je l'avais entraperçue à la remise des diplômes. Elle accompagnait Charlotte. Le reste de la journée, j'avais fait comme si elle n'existait pas, allant même jusqu'à éviter Ethan qui était présent pour féliciter sa sœur.
Je venais de passer l'examen d'entrée à l'armée et depuis, à la maison, c'était la guerre. Chaque jour, mon père m'en voulait d'avoir pris cette décision seul et me tirait la tronche. Nos disputes éclataient souvent devant mes petits frères qui n'en finissaient pas de pleurer. Ma décision était prise.
Je n'avais pas d'explication à donner.
J'avais décidé de leur donner mon solde mensuel pour qu'ils vivent bien. Je me devais de réparer ce que j'avais fait. Je m'en foutais de crever. C'était bizarre comme sensation.
Je salue la sœur de mon pote et poursuis mon chemin jusqu'au banc pour m'asseoir dessus et retirer mes chaussures.
— Allez, viens, entends-je chuchoter Charlotte.
Rien ne se passe.
— T'inquiète pas, il ne va rien te faire, assure-t-elle à son amie.
Je grince des dents.
— Sérieusement..., soufflé-je pour moi-même.
Comme si j'étais capable de lui faire quoi que ce soit.
Quelques secondes plus tard, toujours penché en avant en défaisant mes lacets, je sens leur passage devant moi. Le haut de mon nez se fronce. Si j'avais su qu'elle serait présente, j'aurais évité cette maison.
— Vas-y, je te rejoins, entends-je dire Charlotte.
Des pas s'éloignent.
Je me redresse et Charlotte est toujours là, face à moi. Du coin de l'œil, j'observe la silhouette de Brooklyn qui disparaît dans le couloir. Ma mâchoire se serre.
Peut-on changer d'univers ?
— Elle n'était pas au courant que tu passais. Sinon, elle ne serait pas venue, m'informe Charlotte.
Mon regard mesure la sœur de mon meilleur ami. Je n'ai absolument pas envie de lui montrer que ça m'atteint. Évidemment, ça me fait un truc, seulement, je ne suis pas sûr que ce soit bienveillant.
— Je n'ai pas de problème avec ça, mens-je avec une facilité déconcertante.
Je retire ma veste et la place sur la montagne des autres déjà accrochées à la patère. Charlotte reste à mes côtés.
— Tu as quelque chose à me dire, deviné-je sans mal.
— Mon frère n'y est pour rien si elle est là.
Je lui fais face.
— Je t'ai dit que ça ne me causait aucun problème. C'est chez vous, je n'ai pas mon mot à dire.
— Je sais ce que ça fait de revoir son ex dans un lieu familier. Seulement, Ethan s'est attaché à elle. Ne le force pas à choisir.
Quoi ? Attaché ? Qu'est-ce que ça veut dire ? Ethan ne m'a pas parlé une seule fois de Brooklyn, ni en face, ni par téléphone.
— Qu'entends-tu par il « s'est attaché » ?
C'est à mon ami que je devrais poser la question, mais j'ai besoin d'avoir une réponse immédiatement.
— Comme une sœur, je te rassure. Il est très protecteur envers elle.
Je hausse un sourcil. C'est la meilleure celle-là.
— Tu ne sais pas ce qu'elle vient de traverser. Tu lui as fait du mal aussi, continue-t-elle.
Je médite longuement sur ses paroles. Serait-elle en train de se moquer de moi ?
— Elle ne m'a pas parlé de votre relation, ni de la façon dont elle s'est terminée, se rattrape-t-elle. C'est la façon dont elle a réagi qui me fait dire ça.
Charlotte poursuit son monologue :
— Elle est différente depuis votre rupture.
Je n'accepte pas ce mot : rupture. Est-ce que ce mot a un sens ? J'ai la sensation de n'avoir jamais été avec elle. Et s'il y avait un début de quoi que ce soit, j'ai déjà tourné la page.
Comment cette conversation a-t-elle démarré au juste ? Elle n'aurait jamais dû avoir lieu.
— Si tu le dis, réponds-je en lui indiquant que je me rends dans le salon.
Elle me rattrape par le bras.
— Je ne te demande pas de lui sourire ou d'agir comme avant, insiste Charly. Je veux qu'elle se sente à l'aise chez moi. Tu comptes ne plus lui parler du tout ?
Je baisse les yeux, un sourire faux planant sur mes lèvres. Je sens de longs frissons envahir ma chair.
Je parle entre mes dents :
— Tu veux que je lui dise que mes paroles ont dépassé mes pensées, c'est ça ? Je peux lui mentir, si c'est ce que tu attends de moi pour aider ton amie à remonter la pente après m'avoir trompé.
Charlotte grimace, entendant clairement la note sarcastique dans mes paroles.
— Bien sûr que non, ce n'est pas ce que je te demande. C'était aussi ton amie, non ?
— On ne se reverra plus si souvent que ça, alors ce que l'on représentait l'un pour l'autre n'a plus d'importance, si ?
Je me mords les lèvres pour ne rien ajouter de plus. Qui sait les horreurs que je pourrais encore sortir.
— Elle n'est pas avec Tony, tu sais.
Je la foudroie du regard.
— Je m'en fous, Charly !
En réalité, je ne suis pas certain de savoir ce que je ressens, mais penser à ça provoque en moi une nervosité démesurée. Voilà pourquoi je reprends sèchement :
— Tu crois peut-être utile de jouer son avocate, mais sincèrement, tu n'as pas besoin de faire ça. Maintenant, excuse-moi.
Le mal est fait. Chacun de nous doit reprendre son chemin. Notre histoire a changé mes perspectives et dans cet avenir, Brooklyn n'existe pas.
J'avance pour en finir avec cette conversation qui me gêne et me rend maussade.
Je pars demain pour je ne sais pas quelle destination. J'avais besoin de remplir mes poumons d'oxygène avant mon départ, mais à présent, j'ai l'impression de ne plus avoir la capacité de respirer. Au contraire, je ne fais que suffoquer depuis mon arrivée.
Je ne m'attendais pas à ce que Brooklyn reste dans le salon, en compagnie d'Ethan et de la bande. Dès mon arrivée, nos regards se sont croisés et mon corps s'est mis à trembler. Elle tenait un livre entre les mains. Le pire, c'était cette curiosité corrosive de vouloir absolument savoir ce qu'elle lisait.
J'ai joué deux-trois parties de console que j'ai perdues. J'avais la tête ailleurs, évidemment... Je n'ai pas pu décrocher un mot. Je n'étais pas moi-même. Tout me paraissait suspect. Ses gestes, ses regards, son attitude envers les autres. Elle était là, au centre de ma bande de potes, à côté d'Ethan, comme si elle y avait toujours eu sa place. A-t-elle une aventure lui, ou plutôt avec celui-ci ? Ou celui-là ? Je devenais parano.
Devin essayait de me faire rire avec ses blagues idiotes. Je ne suis pas sûr d'avoir jamais été si hermétique à son sens de l'humour. Soudain, il eut une idée bête. Le but était de former un cercle et de faire passer une feuille en papier de bouche en bouche avec la force de l'inspiration. Tout le monde était heureux de jouer.
Je suis resté à ma place. J'avais conscience que j'étais de la partie sans le vouloir, mais je n'avais pas la tête à m'opposer à quoi que ce soit. J'étais comme anesthésié.
Le papier a commencé à tourner. Un autre jour, j'aurais trouvé ce jeu amusant. Surtout quand Devin a tapoté sur l'épaule d'Ethan qui, concentré sur Brooklyn, n'avait pas remarqué que le jeu avait démarré. Devin a pris son visage à pleines mains et l'a forcé à venir vers lui. Quand mon meilleur ami a compris, il a carrément explosé de rire et le papier a volé entre ses jambes. Puis, est venu le tour d'Ethan et de Brooklyn. Des encouragements se sont élevés dans la salle.
Il lui a calmement expliqué les règles. Toujours volontaire, elle a acquiescé, acceptant le jeu. Ethan a replacé le papier sur sa bouche en inspirant pour le maintenir en place. Il a approché le visage vers celui de Brooklyn. Seulement, au moment où le contact devait se faire, elle s'est arrêtée de respirer et le papier est tombé entre eux. Leurs lèvres se sont rencontrées l'espace d'une seconde. Tous ont crié, surexcités. Sauf Devin et Driss qui ont guetté ma réaction. J'ai scruté le couple sans qu'aucune émotion ne m'atteigne à ce moment-là.
Le néant.
Mon meilleur pote s'est excusé auprès de Brooklyn et a ri. Toute rouge, elle a levé la main, signe qu'il était pardonné. Ethan a coulé un regard vers moi, puis a hoché légèrement la tête avant de se lever. Il a proclamé haut et fort que ce jeu était débile et qu'une autre partie de console s'imposait. Tous l'ont suivi en se bidonnant.
Brooklyn est restée assise, le regard bas. Son index et son majeur sont lentement remontés vers son visage et ont effleuré sa lèvre inférieure.
Son attention a dévié vers moi. Nous nous sommes fixés pour la première fois de la soirée. Je lui ai souri, probablement avec plus de dédain qu'il n'en fallait, avant de me lever à mon tour.
Je me suis dirigé vers la porte-fenêtre, pendant que mes amis se battaient pour les manettes.
Écœuré, je n'avais qu'une seule envie, celle de vomir.
—Brooklyn n'a rien fait de mal, s'inquiète Ethan qui me rejoint après plusieurs minutes. Ce n'était qu'un jeu.
Rien fait de mal ? Pourtant, il y a bien deux choses qu'elle a brisées : ma confiance et mon cœur.
— Je ne vois pas de quoi tu parles, contré-je.
— On dirait que tu ne l'as pas oubliée.
J'ai accepté pour passer à autre chose. Je n'ai pas oublié cette rage.
— Tu veux coucher avec elle ? N'hésite pas, lui indiqué-je, droit dans les yeux.
Mon meilleur ami me dévisage.
— Qu'est-ce qui te prend ?
— Ce qui me prend ? C'est d'avoir voulu passer du bon temps avec mes potes et qu'à la place, tu me parles d'elle. Sérieux, elle était obligée d'être là ?
Il me guette, perturbé par mon ton.
— On ne s'est jamais pris la tête pour une nana. Ce n'est pas maintenant que ça va commencer, si ?
— J'ai l'impression que tu la considères bien plus que comme une simple nana.
— C'est l'amie de ma sœur.
— Je sais à quel point tu aimes ses amies...
C'est une pique acérée. L'ego s'exprime. Il n'a pas sa place entre meilleurs amis. Pourtant, je suis blessé dans mon amour propre.
— Ma sœur sourit de nouveau. Elle participe à nos soirées au lieu de rester enfermée des heures seule dans sa chambre. C'est grâce à Brooklyn. Ça compte pour moi. Tu peux le comprendre ?
— Bien sûr.
Je n'en dis pas plus, préférant me taire.
Au bout d'un moment, il me questionne :
— C'était sérieux entre vous ?
Ce serait ridicule de dire oui. Je relève le regard.
— Qu'entends-tu par-là ?
— Tu as couché avec elle ?
— Non.
— Tu l'aimes toujours ?
Je ne sais pas quoi répondre. Sous l'examen intense de ses yeux verts, ma gorge s'assèche.
Je suis vidé.
Je croyais m'être remis, mais il est évident que c'est loin d'être le cas. La voir m'a violemment ramené aux sentiments que je lui portais et cette colère omniprésente me consume encore.
— Le champ est libre, lui dis-je tout simplement.
Il rit.
— Je l'aime bien, mais tu es mon pote. Eh, tu t'es vu sérieux ? Pourquoi tu te prends la tête ?
Il me chope au cou. Je me dégage, mais il revient contre moi pour m'agacer avec ses mamours exagérés. Je le repousse encore et malgré tout, ses bêtises me font sourire.
— Allez, il faut que tu te reprennes, et quoi de mieux pour ça qu'une partie de FIFA !
Cette fois, j'ai vaincu mon meilleur ami au jeu. Brooklyn n'a plus participé à la soirée. Elle s'est assise au fond du salon, genoux repliés sous le menton et adossée contre le mur à droite, elle nous regardait jouer, comme absorbée.
Voir Brooklyn au milieu de mes potes n'est pas agréable, mais je peux l'ignorer, non ?
Plus tard, je regarde au-delà des grandes vitres du salon d'Ethan. Depuis vingt minutes, Brooklyn est assise à l'extérieur sur une des chaises longues devant la piscine à débordement qui domine la baie de San Francisco. La nuit, la vue est époustouflante. Cependant, cette fille rend terne tout ce qui se trouve autour d'elle. C'est démoralisant.
Il est presque minuit et je dois être sur le quai de la gare dans cinq heures à peine. Les potes ont décidé de sortir en boite et se préparent à partir. Ils ignorent que je me suis engagé, et que c'est la dernière fois que l'on se voit.
Je les observe rire ensemble, s'échanger des blagues. Ethan me tape dans l'épaule et regrette que je ne les accompagne pas ce soir.
"Une autre fois", lui ai-je répondu simplement.
Je refuse qu'il me ramène chez moi. Marcher me fera du bien car, de toute évidence, je doute de fermer l'œil de la nuit. Devin m'informe qu'il me trouvera une copine qui me remontra le moral. Je souris, il a toujours les mots qu'il faut ... ou pas.
Les pneus crissent sur les graviers et je regarde les bolides quitter la propriété.
Je place les mains dans mes poches et au lieu de prendre la direction de la sortie, je prends celle du jardin.
Le panorama est magnifique. Les vagues noires et l'écume blanche dessinent une danse régulière en bas de la montagne. Nous sommes fin août et le vent est encore chaud.
Je m'assieds sur le transat à côté de celui de Brooklyn.
À mon arrivée, elle tourne la tête sur le côté et j'ai l'impression que l'on me tord les boyaux. J'inspire longuement pour reprendre mon souffle et retrouver mon calme.
Oui, je croyais me sentir mieux. Ce n'est décidément pas le cas. Elle m'ignore alors que j'ai encore envie de la toucher, de la sentir contre moi. Un désir mêlé à une tristesse inattendue me capture.
Merde.
Je la déteste et c'est pire que ce que j'imaginais.
Je la déteste car elle m'oblige à l'oublier.
Elle regarde l'horizon et ne prend pas la peine de dégager les mèches de cheveux qui ondulent devant son visage. Je ne sais pas pourquoi je suis là. Je voulais peut-être lui laisser l'opportunité de s'expliquer une dernière fois et partir en paix. J'entends seulement son silence qui me détruit à petit feu.
— Je me suis engagé dans l'armée. Cette nuit, je dois prendre un train pour l'aéroport et...
Arrête ! Pourquoi tu lui racontes tout ça ?
Elle s'en fout.
J'avale ma salive avant de baisser la nuque.
C'est étrange, j'ai toujours su qui s'intéressait à moi, m'appréciait. Je n'arrive pas à savoir si j'ai juste été un passe-temps pour Brooklyn.
Le temps défile. Les secondes, les minutes...
C'est drôle qu'elle reste muette, elle qui savait si bien demander pardon pour tout et pour rien.
J'ai mal, tout à coup.
À quoi pense-t-elle ? Devine-t-elle à quel point je me sens trahi ?
Je me torture.
Pourquoi je cherche encore une signification à ce qu'elle fait ou ne fait pas ? N'est-ce pas la seule personne que je n'ai jamais réussi à cerner ?
Je ne m'étais jamais ouvert à quiconque. Je dois me rendre à l'évidence. C'est une leçon de plus, tout simplement.
Je soupire tout bas et ne parle plus non plus.
Elle tue quelque chose en moi, voilà sans doute pourquoi je n'arrive pas à bouger.
Nous fixons tous deux le Pacifique devant nous. J'écoute le chant du vent.
Finalement, nous n'avons jamais rien eu à nous dire.
La paix entre nous est inaccessible à présent.
À ce moment-là, je suis persuadé que nos souvenirs ensemble s'effaceront jour après jour.
Ce que j'ignorais cependant, c'est que je garderais cette colère sourde, éprouvée quand je me suis éloigné de cette terrasse, cette nuit d'été, la veille de mes dix-huit ans.
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