1.40 - Barrage 🛑 2/2


— Tu as récupéré le courrier ? me demande mon père depuis sa chambre pour la douzième fois ce matin.

Il est complètement à la ramasse et je dois être derrière lui pour chaque chose qu'il fait.

— On avait dit qu'on le ferait au dernier moment, mais j'y vais, lui indiqué-je pour ne pas le contrarier plus qu'il ne l'est.

Si ça peut le rassurer...

Nous devons quitter la maison avant midi et il stresse. Ce matin, j'ai déjà fait un aller-retour entre ici et l'hôtel. Après le courrier, je dois récupérer les affaires des jumeaux et faire un second voyage. Ces derniers se battent à l'étage, ils hurlent depuis une heure. C'est clairement l'enfer.

J'écarte le ventail de la porte d'entrée et je tombe nez à nez avec Brooklyn qui monte les escaliers du perron.

Est-ce que je rêve ?!

Je n'arrive à articuler aucun mot. Elle me les retire tous. Parce qu'elle est fraîche, belle et que je dois avoir la tête d'un mec qui n'a pas dormi de la nuit.

C'est absolument le cas !

Elle était tout ce que j'aimais, celle que je voulais, mais à présent, tout ce que je vois ce sont ses mensonges. À travers elle, je vois les défauts de ma mère...

Lorsque son regard rejoint le mien. Ça se confirme. Je serre les dents.

— Cameron ?

— Qu'est-ce que tu veux ?

Qu'on soit clair, je n'ai aucune envie d'entretenir une conversation avec elle. Je pensais en avoir fini hier soir.

Elle lève, devant elle, un petit sac en toile brun.

— J'ai préparé des gâteaux et...

— On n'en veut pas.

J'emploie le « on » exprès.

Elle reste muette plusieurs secondes, puis comme si de rien n'était, elle tente de passer entre moi et la porte. Ça reste encore ma baraque pour trois heures et elle ne va sûrement pas y entrer comme dans un moulin. Ça aussi, c'est terminé.

Je claque la porte devant son nez et lui fais barrage.

Elle regarde à gauche, puis à droite, comme si je l'avais détournée de ses plans.

— Pour... pourquoi tu ne me laisses pas entrer ? demande-t-elle innocemment.

C'est une blague ?!

— Si tu veux me parler ce sera devant cette porte. Mon père et mes frères sont à l'intérieur. Je n'ai pas envie qu'ils assistent à ça. Dépêche-toi. Je n'ai pas le temps.

Je plante mes mains dans mes poches et la jauge.

— Tu es encore en colère, devine-t-elle.

Je ris. Est-elle à ce point à côté de la plaque ?

— Devrais-je être autre chose que ça ?!

— Tu avais promis de ne plus crier.

— Les promesses, tu sais...

Elles servent à faire joli, n'est-ce pas ?

— J'ai mal au cœur quand tu es comme ça, ajoute-t-elle.

— Moi aussi, j'ai mal.

Ça ne fonctionne plus avec moi.

Elle relève les yeux, mais la peine est trop lourde à porter, je ne peux pas la regarder en face. Pourtant, c'est moi qui ai été sali, humilié devant ma famille, mes potes, tout le lycée.

— Écoute, ça ne sert à rien de rester là. Rentre chez toi, dis-je calmement dans l'espoir d'en finir au plus vite.

Elle reste figée, comme si je lui avais parlé chinois. Et puis merde, tant pis pour le courrier. Je m'apprête à rentrer chez moi, seulement elle me retient le bras.

— Cameron...

Je me dégage brusquement.

— Arrête !

Ma respiration s'est accélérée. Elle me dévisage et je n'arrive pas à supporter son regard.

— Je n'ai pas envie de t'écouter ! Je n'ai plus envie de tout ça ! vociféré-je hors de moi.

— Tout ça. C'est moi ?

— Oui, bordel ! Évidemment ! Qu'est-ce qui ne tourne pas rond chez toi !?

Elle se mord la lèvre et ferme les yeux.

— Qu'est-ce que tu penses ? Je t'en prie dis le moi.

Est-elle venue pour me torturer ?! Me provoquer ? Les deux !?

— Ok ! Tu veux des putains de précisions sur ce que je pense ! Tes parents doivent être ravis que tu aies trouvé mieux qu'un pauvre fils d'employé. Tu as embrassé Tony, alors ton choix est fait. J'espère juste que ça valait le coup !

— Le coup de quoi ?

— De tout foutre en l'air !

— Ce n'est pas ce que je voulais.

— Tu cherchais quoi alors ?! À ressentir toutes les putains de choses que tu ne ressens pas avec moi ?!

Je veux le savoir. Je m'essouffle.

— Je ne sais pas ce que j'ai ressenti...

Je pousse un cri de rage :

— Parce que tu es une putain de coquille vide, Brooklyn ! Voilà ce que tu es !

Elle me dévisage. Je lui fais peur et je n'en ai rien à foutre.

Je sens des larmes gagner mes paupières et je n'ai franchement pas envie de les lui offrir.

— Laisse-moi tranquille, lui demandé-je encore d'une voix épuisée.

Et alors que je la pensais prête à rebrousser chemin, elle me pousse et tente de forcer le passage pour entrer chez moi.

D'abord stupéfait, je la regarde faire. Puis, reprenant mes esprits, je l'attrape, la rejette durement et son sac tombe au sol. Elle essaie de nouveau, s'accrochant à la poignée cette fois. Je retire l'un après l'autre ses doigts.

— Laisse-moi..., gémit-elle.

Est-elle devenue complètement folle ?! Elle ouvre à demi la porte tout en me poussant sur le côté. À bout de patience, je lui agrippe le bras et la dégage brutalement en arrière.

— Tu ne rentreras plus chez moi !

Elle opère un demi-tour de justesse, trébuche sur les deux marches et tombe sur les genoux dans la poussière. Elle reste quelques instants dans cette position. J'ai la gorge en feu, un truc au fond s'enflamme. C'est trop dur. Ça fait trop mal. Garde les yeux ouverts, Cam ! Si tu les fermes, tu vas pleurer ta haine devant elle.

— Ne m'oblige pas à refaire ça...

Depuis le bas des marches, elle expire rapidement, comme si elle avait couru un marathon. Elle se relève lentement, puis me refait face.

— Tu n'es plus la bienvenue ici, affirmé-je, les dents serrées. Tu me mets mal à l'aise.

Elle se tient le coude qui s'est écorché dans sa chute.

— Tu as dit que rien ne changerait jamais... murmure-t-elle.

Je secoue la tête.

— Tu n'es pas croyable ! Penses-tu que j'imaginais que tu sauterais sur le premier venu ?! Atterris ! Tu m'as trompé... ou j'en sais rien... merde, je ne sais même pas si tu considérais que l'on sortait ensemble ! Ou peut-être vas-tu me balancer tes salades et me dire que ça aussi, tu l'as oublié ! Tu sais quoi, aujourd'hui, je m'en contrefous.

Elle délaisse son bras pour se gratter le plat de la main.

— Je veux être avec toi, s'il te plait... laisse-moi, gémit-elle. Montons dans ta chambre et...

— Dans ma chambre ?! Tu n'y as plus ta place !

— Je n'y ai plus ma place ?

— Les filles dans ton genre ne m'intéressent pas.

— Je sais, mais je... peux m'améliorer.

— Mais arrête ! Je ne veux plus jamais te revoir ! Tu captes ?!

Son visage se décompose un peu plus et je sens le mien se déformer sous la souffrance. Je dois le faire. Elle doit absolument sortir de mon champ de vision.

— Tu crois que je n'ai pas assez de problèmes ?! lancé-je. Je n'ai pas besoin de toi ! Je n'aime pas tes manières ! Ni la personne que tu es !

Je fixe le mouvement de ses ongles qui vont et viennent de plus en plus vite. Va-t-elle se gratter la peau jusqu'au sang ?

— Oui... oui... je... sais, mais...

L'entendre bégayer me déchire le cœur. Une goutte coule sur ma joue sans que je n'aie pu la retenir. Je dois vite me sortir de là.

— Je ne t'aime pas ! Je ne pourrai jamais aimer une fille comme toi !

Son regard pénètre le mien et je sens, cette fois, que mes paroles l'ont atteinte. Ses doigts ont cessé tout mouvement. Une larme roule sur sa joue. Une autre la suit. Ses traits se chiffonnent. Sa bouche s'entrouvre, son menton remue. Je la sens choquée. Je la blesse profondément et c'est volontaire.

— Tu me quittes ? C'est ça ?

J'inspire bruyamment, n'arrivant plus à me contrôler. J'acquiesce. Ne pouvant faire que ça.

Elle me met K.O. lorsqu'elle poursuit d'une voix étranglée :

— Si tu me quittes, tu me brises.

Ma nuque flanche. Mes doigts se tétanisent. Le nœud se resserre dans ma gorge. Je sens des gouttes quitter mes paupières. Je pleure comme une mauviette. À deux doigts de lui tendre les bras car tout en moi la rappelle à mon côté. Mais j'ai beau l'aimer comme un fou, à cet instant, si je la touche, je sais que je vomirai mes tripes la seconde d'après. Elle me dégoute. Je ne lui ferai plus jamais confiance et je sais aujourd'hui que je ne suis pas un mec qui pardonne.

— Je te quitte et tes sentiments ne sont plus mon problème, soufflé-je. Rentre chez toi, c'est la dernière fois que je te le demande gentiment.

J'ai les yeux rivés sur ses chaussures, attendant des secondes interminables. Lorsque je les vois lentement opérer un demi-tour, je me sens mourir. Le silence m'asphyxie.

Sans lever le regard, je rentre chez moi et m'adosse à la porte, le thorax en feu.

— Cameron ? Ça va ?

Mon père et mes petits frères me dévisagent, les yeux ronds.

Merde.

Puis-je faire comme si rien ne s'était passé ? Comme s'ils n'avaient rien entendu ? Comment serait-ce possible ?

N'arrivant pas à les affronter, je tourne le visage vers la cuisine.

— Il reste un peu de vaisselle à faire.

Machinalement, je relève les manches et m'avance jusqu'à l'évier. Chaque pas, comme chaque seconde, je sens la douleur écraser mon torse. J'ai l'impression de mourir. Ma trachée est en feu.

J'actionne le robinet, prends l'assiette dans une main et cherche des yeux l'éponge. Je regarde mes doigts qui ne bougent pas dans l'eau sale du lavabo. Ils sont tétanisés.

J'ai l'impression de perdre la boule.

— Mon fils, retourne-toi.

Mon corps obéit. Soudain, l'assiette s'éclate au sol en un bruit terrible. Elle m'a échappé.

Je fixe les morceaux de vaisselle éparpillés. Ça y est. J'ai touché le fond. C'est fini. J'arrête de lutter.

Je m'accroupis. Mes mains viennent cacher les larmes qui quittent mes paupières comme jamais. Même si j'aimerais les retenir en serrant les dents, cette fois, c'est impossible. J'ai le cœur rongé de regrets, de dégout et de rancœur.

Je voulais vivre une belle histoire, mais j'ai fini par mettre en difficulté ma famille. Je voulais penser à moi, juste une seule fois...

— Tu avais raison, papa. Je vous demande pardon. Pardon pour tout.


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