1.35 : Incendie 🔥

*Brooklyn*

— Brooklyn, viens, tu as besoin de te coucher dans un vrai lit. Ce sera plus confortable.

J'ouvre doucement les yeux. La lumière de la télévision éclaire toujours le salon. Je m'assieds et Cameron fait pareil. Je frissonne comme si je sortais d'un cocon bien chaud.

— D'accord.

Nous nous levons et montons les escaliers. Il me montre la salle de bains en allumant la petite lumière au-dessus du lavabo sur lequel repose un verre avec une brosse à dents. Deux plus petites sont accrochées par ventouses à la vasque. Il y a une baignoire, un WC, un porte-serviettes, des affaires dans un panier à linge.

— Je vais dormir en bas. Tu as besoin de quelque chose ? T-shirt ? Short ? chuchote-t-il.

Je secoue la tête, ne comprenant pas pourquoi il ne veut plus rester avec moi.

Pourquoi ne pas rester ensemble comme la dernière fois ?

Son enthousiasme a disparu depuis le dîner. Je croyais que tout s'était arrangé entre nous. Je crois que je me suis trompée. Le plus terrifiant, c'est de ne pas en être sûre.

Il sort le portable de sa poche.

— Il est bientôt minuit. À quelle heure veux-tu que je te réveille ?

— Sept heures.

— Ok.

Il tapote sur le clavier.

— Une fois que tu seras couchée, tu peux descendre le rideau ou le laisser accroché. Sinon, tu... bref, si tu as trop chaud ou trop froid...

Il me parle en regardant son téléphone, comme si je n'étais pas là. Il se gratte la nuque. Oui, quelque chose a changé, mais je ne sais pas encore quoi.

Il recule et le stress m'envahit. C'en est trop.

— Pourquoi tu agis comme ça ? demandé-je.

— J'agis comment ?

— Tu fais comme si tu ne voulais pas de ma présence.

Je vois ses yeux s'arrondir.

— Non, je te jure que ce n'est pas ça. Je... réfléchis. Mon père m'a parlé et...

— Je vois.

Des frissons désagréables m'envahissent.

— Non, tu ne vois pas, me dit-il, ses yeux bien ancrés aux miens à présent.

Inquisiteur, peut-être ? C'est la première fois qu'il arbore ce genre d'expression, alors j'interprète comme je le peux. Même s'il ne le perçoit pas, car je suis calme en surface, à l'intérieur, c'est l'incendie.

— Il y a quelque chose qui te dérange ? demandé-je.

J'ai besoin qu'il s'exprime pour comprendre. J'ai besoin de détails concrets et tangibles. Cameron est mystérieux et souvent dans ses pensées. Il garde les lèvres scellées.

J'insiste malgré moi :

— C'est parce que tu réfléchis à ce que ton père a dit que tu m'as observée fixement toute la soirée ?

Il fronce le haut de son nez, puis me questionne en réponse :

— Pourquoi tu ne m'as pas approché, ou juste réagi ?

Il a l'air en colère maintenant. J'ai envie de fuir pour échapper à son regard. À ce moment-là, je ne trouve en lui aucun signe qui me rassure.

— Réagi à quoi ? questionné-je, de plus en plus intimidée.

— Je t'ai observée, attendant que tu te manifestes. Tu ne m'as pas dit un mot. Tu n'as pas bougé. Ça me fait souffrir de te voir comme ça.

J'ai compris. Il a deviné quel genre de personne je suis... Ou plutôt, à quelle pathologie il fait face. C'est inconfortable pour moi, pour lui. Pourquoi rester dans cette situation ?

— Tu veux que je parte, c'est ça ?

— Non, absolument pas ! Je veux comprendre parce que je t'aime, putain !

Sa voix a résonné dans la salle de bains.

— Tu m'aimes ? répété-je, abasourdie.

Il m'aime. Cameron m'aime. Ma tête tourne. Je pensais juste l'intéresser et cela me comblait déjà de joie.

— Com... comment tu peux... m'aimer ?

Son ton se radoucit, mais est toujours plein de tension :

— Je ne sais pas. Je t'aime. C'est tout.

S'il m'aime, comme il le prétend, pourquoi je n'arrive pas à trouver de l'affection sur les traits tendus de son visage. Le contexte dépasse totalement mes compétences. Je reconnais à peine mes propres émotions, comment serais-je capable de déceler les siennes. Et là, j'ai l'impression de tomber dans le vide.

Je secoue la tête. Perturbée.

— Non, tu ne peux pas m'aimer et être en colère. C'est impossible. Amour et colère sont incompatibles.

Ses mains immobilisent mes bras qui se retrouvent coincés contre mon flanc. Je lève le regard. Lui, paraît déstabilisé.

— Bien sûr que si, ça l'est, me dit-il sur un ton ferme. On peut aimer et se disputer. On peut aimer et être complétement désemparé.

Je relève le regard. Il me sonde. D'une voix tremblante, je murmure :

— Eh bien, ce n'est pas évident pour moi. Mais ça, tu l'as compris... n'est-ce pas ?

Cameron hoche imperceptiblement le menton. Mon visage se chiffonne. Il m'a percée à jour, c'est maintenant clair.

— Tu es juste timide et très introvertie... essaie-t-il de se convaincre.

J'ai mal lorsqu'il détourne les yeux. Je sens des larmes noyer mes cils. Pourquoi refuse-t-il d'affronter ma différence s'il l'a percée à jour ?

— Il est tard. On discutera de ça demain, d'accord ? ajoute-t-il.

Quand ses doigts me lâchent et qu'il se détourne pour rejoindre l'escalier, j'ai l'impression que tout s'écroule. C'est terrible de ne pas avoir peur de ce qu'il dit, mais plutôt de ce qu'il ne dit pas. De ne pas avoir peur de ce qu'il fait, mais du pourquoi il agit ainsi.

Je me mets à triturer mes doigts. Mon cœur est compressé. J'ai l'impression que la pièce tourne autour de moi. Mon cerveau turbine dans ce silence. Je ne veux pas subir ça.

— J'ai besoin de stabilité, dis-je dans un chuchotement.

Je récupère toute son attention.

— Pardon ?

J'arrive à le regarder droit dans les yeux.

— Il n'y aura pas de demain. Je te l'ai dit, je n'ai plus de force, même pour toi. J'ai besoin de stabilité, et tout ce que tu me dis et ta façon d'agir ne sont que non-sens pour moi. Je pense que tu ne m'aimes pas, tu es gêné par la personne que je suis. Choqué, peut-être même dégoûté. Je ne suis pas celle que tu imaginais, mais je suis restée moi-même. Si je ne comprends pas ta réserve, je reste figée à essayer de la déchiffrer. C'est ce qui s'est passé ce soir. Je suis comme ça. J'ai essayé de changer, mais c'est impossible.

— Je ne veux pas te changer, se défend-t-il.

— Alors pourquoi tu agis comme ça ? Si tu crois que je suis incapable de savoir quand tu mens, tu me sous-estimes. Le garçon qui m'a prise dans ses bras tout à l'heure, n'est pas le même que celui qui me fuit du regard, ce soir. Ce sont deux comportements diamétralement opposés. C'est ce que j'appelle de l'inconstance. Surement pas de l'amour.

— L'amour n'est pas platonique. On peut avoir des comportements absurdes sans pour autant le remettre en cause.

— Est-ce que l'amour doit être un mensonge ?

— Bien sûr que non ! s'exclame-t-il. Ce n'est surement pas un mensonge.

— Mais tout à l'heure, tu étais d'accord pour passer la nuit avec moi et maintenant...

— Oui, c'est ce que je voulais ! me coupe-t-il.

Il se frotte encore la nuque et je ne comprends pas ce que ça signifie. La confusion me gagne à nouveau. C'est terrible pour moi. Je décide d'en finir.

— Si c'est pour rester là toute seule et toi, dormir en bas, je ne vois aucun intérêt de rester. Qui plus est, ma chambre est à quelques pas. Tout ce que je voulais en venant ici, c'était pouvoir m'endormir près de toi.

— Je...

— Au revoir.

Subitement, il fait un pas et me prend la main.

— Attends. C'est aussi ce que je veux plus que tout au monde.

C'est aussi ce que je veux plus que tout au monde.

Cette fois, c'est clair. Limpide.

Cameron tire sur mon bras et me conduit dans la chambre. Une fois près de son lit, il me saisit sous les jambes et me voilà sur son matelas. J'ai le cœur qui tambourine lorsqu'il s'allonge à mes côtés et qu'il rabat le drap du plafond.

Puis, il se tourne vers moi et se penche.

— Je t'aime, me souffle-t-il. Je veux te comprendre et moi aussi, je veux te sentir contre moi. La prochaine fois, si tu ne comprends pas mes réserves, demande-moi comment je me sens. Je te répondrai sans jamais te mentir.

Il ramène légèrement mon menton vers lui et... et ses lèvres survolent les miennes. Je sens son souffle qui s'entremêle à ma respiration saccadée. Ses yeux voguent dans les miens. Il n'a plus l'air en colère du tout.

À la douce lumière de la lune, je peux détailler les minuscules gerçures sur ses lèvres. Son piercing.

— Car je ne mens pas. Jamais, tu m'entends ? poursuit-il.

Je le regarde bien droit dans les yeux.

— Je t'entends.

Il récupère ma main pour la poser sur son torse. Je sens sous ma paume sa chaleur et son pouls déchaîné.

— Pardonne-moi. Il n'y a rien que je ne donnerais pas pour me sentir comme ça chaque jour. Essaie de lire en moi, Brooklyn.

Je hoche le menton.

— Et toi ? Comment tu te sens avec moi ? me demande-t-il.

— J'ai chaud.

Il sourit. J'ai ce quelque chose dans mon ventre.

— Je veux dire, dans ta tête ?

Ça virevolte parce que nos bouches se touchent presque.

— Est-ce que tu vas m'embrasser ? le questionné-je.

Je vois les coins de ses lèvres se relever.

— J'en meurs d'envie et toi ?

— J'ignore pourquoi tu veux mourir...

Il colle son front contre le mien et je me tais. Son bassin se rapproche de moi en un léger bruissement de tissu.

— Je ne veux pas mourir. Mourir d'envie, ça veut dire désirer tellement fort quelqu'un que tu préférerais mourir plutôt que de ne pas aller au bout de ce que tu ressens. C'est violent. Intense. Si je t'embrasse, je ne pourrai pas m'arrêter qu'à ça.

— Ne t'arrête pas.

L'anneau de sa lèvre inférieure disparaît entre ses dents. Je veux aller plus loin. La curiosité l'emporte. Il n'y a d'ailleurs aucune hésitation.

— Quand tu auras confiance en moi. Quand tu m'aimeras.

Je ne saisis pas l'implicite, mais ce que je ressens pour lui est réel. Je peux dire quelles chaussures il a portées tel ou tel jour. Combien de t-shirt il possède, car je me rappelle chacun de ceux qu'il a mis sous sa chemise. Sa façon de tenir un stylo, de le faire tourner entre ses doigts en cours. Cette année, j'ai étudié Cameron avec obsession. Il est devenu mon habitude et il m'est difficile de vivre sans, tout simplement. Voilà pourquoi je suis venue ce soir.

— Tomber amoureuse, c'est ça ?

Il sourit.

— Oui. Je rêve que tu tombes amoureuse de moi.

— Mais ce qui tombe se brise souvent.

Il semble surpris un instant, hésitant, puis il explique :

— On dit "tomber" pour l'adrénaline. C'est une chute. On ne peut pas la préméditer. C'est imprévisible... C'est ce que je ressens.

Il médite quelques secondes.

— Oui, ça peut faire mal, tu as raison, admet-il. Mais là, tout ce que l'on fait, me fait du bien.

Son nez glisse dans mes cheveux. C'est très agréable. Ma peau me picote de partout.

— Tu peux dormir contre moi, Brooklyn.

Je respire plus fort. Je ferme les yeux, apaisée comme jamais. Je l'entends murmurer avant de m'endormir :

— Tu es brillante, douce, honnête. Tu es la plus belle chose qui me soit arrivée dans la vie. Alors je vais t'avouer ce que je ne dirai jamais à personne. J'ai peur de ne pas être digne de toi. Voilà pourquoi je suis en colère constamment. Ça ne change en rien aux sentiments que j'éprouve pour toi. Si parfois, tu crois que je m'éloigne, ne me laisse pas partir. S'il te plait, retiens-moi, toujours. Car je t'aimerai quoi qu'il arrive.

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