1.32 : Confiance 😇

CAMERON

Pour mon insolence, j'avais écopé d'un avertissement. Mais cela n'a aucune importance.

Si on compte ce week-end, cela va faire deux semaines et demie que je n'ai pas vu Brooklyn.

Elle n'est pas revenue au lycée et ça a fait drôle à tout le monde. Même à celles et ceux qui lui menaient la vie dure.

Deux jours après l'incident, j'ai croisé Charlotte dans la cour qui m'a traité de tous les noms d'oiseaux possibles et imaginables. Je l'ai arrêtée et j'ai dû lui tirer les vers du nez pour qu'elle s'explique. Elle m'a appris ce que Brooklyn avait enduré ces derniers mois dans l'isolement et le repli le plus total.

On la harcelait.

Merde, la sœur d'Ethan aurait dû m'en parler ! Mais elle me mettait évidemment dans le lot.

J'ai cru perdre la tête et je m'en suis voulu.

Voir chaque jour sa chaise vide me fait péter un câble. J'en veux à la terre entière. Aux filles, à Driss, à qui je n'adresse plus la parole depuis. Je ne peux pas croire que j'étais ami avec ce genre de mec. Un gars qui reste de marbre face à l'injustice, au harcèlement.

Après ce qui s'est passé, personne n'a pu m'adresser la parole pendant plusieurs jours. Je me sentais coupable, impuissant, nerveux et malheureux. Elle me manquait et je ne pouvais rien y faire. Rien changer.

J'ai longuement réfléchi à ma colère, que je croyais légitime dans cette cage d'escalier. Si j'avais eu mal, c'est que l'on m'avait blessé, d'une façon ou d'une autre. Bizarrement, je ne me souvenais plus à quel moment j'avais puisé cette rancœur pour la projeter sur Brooklyn. Ça me semblait si ridicule à présent. J'étais jaloux, moi qui ne supporte pas ce trait de caractère chez les autres.

Je fais sauter la coque de mon portable et récupère au dos le bout de papier que je relis. Ça va faire la centième fois.

« Je dois m'éloigner de toi. Ça me plonge dans une détresse sans nom quand j'y pense. Je passe d'un état à un autre sans vraiment savoir ce qui me rend malheureuse. Mes repères volent en éclats. Ce truc de peau avec toi me détourne de mes préoccupations. Je voulais juste faire de mon mieux. Je te demande pardon. Un pardon encore, un pardon de trop »

Aux dires des autres, c'est un mot d'amour. Pourtant, les phrases se contredisent. Qu'est-ce que ça veut dire, bon sang !?

Qu'est-ce qu'elle ressent vraiment... ?

J'aimerais lui poser la question franchement. Arrêter de tourner autour du pot. Car moi, jamais je n'aurais cru ressentir cela un jour pour quelqu'un. Je pourrai lui donner tout ce que j'ai. Et sans cela, je me sens perdu, isolé, vide de sens sans elle. Rien ne me convient, ne me suffit plus dans cette foutue vie. J'ai besoin de la voir, de l'étreindre, de la protéger, de savoir si elle va bien.

Je passe mon bras derrière ma tête et relis une fois encore chaque phrase.

Peut-être que ça reflétait l'état dans lequel elle se trouvait juste après que mon père lui ait parlé. Si seulement je pouvais lui poser la question.

Nous sommes samedi soir. Lundi, nous passons des examens blancs et sincèrement, je n'ai plus aucune motivation. Il m'est de plus en plus pénible de dépendre des gens, même de mon père. Parfois, je passe devant les agences d'emploi et je me fais violence pour ne pas y entrer. Mais si je veux montrer l'exemple, je dois au moins aller au bout de cette année.

Foutues responsabilités !

— Cameron ! beugle mon père depuis le salon.

— Je suis en haut !

Ras le bol de faire des allers-retours. Si on veut me parler, la moindre des choses est de lever ses fesses du canapé et...

Je lance un coup d'œil au-dessus du papier alors que la porte s'ouvre sur une vision de rêve. Je me frotte les paupières, puis m'assieds et la regarde encore. Je n'arrive pas à y croire. Brooklyn s'est matérialisée dans ma chambre. Je vérifie l'heure sur mon portable. Bientôt sept heures du soir. Je n'ai pas de fièvre. Pas de délire. Ni de mauvais trip.

Je range le papier dans ma poche, puis me lève doucement. Je l'analyse. Elle porte un jean clair simple et un gilet court bleu pâle. Elle a les cheveux relevés en un chignon qui met en valeur ses grands yeux lagon qui m'observent. On dirait un ange.

Elle est quelque peu intimidée, je le devine nettement. Je suis fébrile, moi aussi. Mon corps entier tressaille à l'idée de l'enlacer, car c'est inévitablement ce que je vais faire.

Je fais deux grands pas et je suis sur elle. Elle recule sous le choc jusqu'à ce que son dos cogne contre le mur de l'autre côté du couloir. Je courbe le dos pour resserrer ma prise autour de sa taille. J'inspire pour remplir mes poumons de son odeur et ses pointes de pieds décollent presque du sol. Elle sent si bon, son corps est tiède. Je ne rêve pas. C'est bien elle.

— Pardon ! Pardon mille fois. Mon Dieu, tu m'as manqué.

Je n'ai plus aucun filtre. C'est la pure vérité. Je l'aime trop fort pour le lui cacher. Je suis soulagé. Heureux. Amoureux. Je la veux. Et veux qu'elle le comprenne. Rien ne peut plus m'arrêter. Ma main droite englobe son crâne et je me courbe un peu plus pour apaiser, dans notre étreinte, toute la tristesse que j'ai ressentie ces derniers jours.

— Je t'ai attendue, soufflé-je.

Elle respire doucement. Ça me calme. Me rassure. J'en ai tellement besoin.

Mel et Théo sont à ma droite devant les escaliers et nous lorgnent, les yeux ronds comme des billes. Je leur souris en me redressant, sans la lâcher pour autant.

— On va devoir faire deux-trois courses, les mecs. On a une invitée.

Les jumeaux paraissent ravis. Il faut dire qu'ils adorent se balader dans les magasins. Ils redescendent les escaliers en braillant.

Je sens que Brooklyn me dévisage. Elle a tendance à m'analyser et alors que ça me gêne d'habitude, je me surprends à adorer cela.

— Tu manges bien avec nous ce soir, n'est-ce pas ? demandé-je, soudain craintif qu'elle soit passée en coup de vent.

Elle hoche doucement le menton et je suis le mec le plus heureux du monde. Bordel, je me sens pousser des ailes.

— Je n'arrive pas à croire que tu sois là. Comment tu te sens ? lui demandé-je.

— Mieux.

Sa voix est toujours aussi douce, comme une caresse.

— Moi aussi, depuis que tu es chez moi, lui avoué-je sans détour.

Elle baisse le menton sur mes mains attachées à ses poignets.

— Je n'ai dit à personne que je venais, me signifie-t-elle.

Un truc douloureux se produit dans mon ventre. Je fronce les sourcils.

— Tu n'as pas à mentir. Je ne t'obligerai jamais à le faire.

— Je n'ai pas eu à mentir, mes parents ne sont pas là.

— ...Ils sont à plusieurs kilomètres d'ici et ne rentreront que demain. Je peux rester cette nuit.

What !?

— Cette nuit ? Tu... tu veux dire, toute la nuit ? Tu veux passer la nuit avec moi ?

J'avale difficilement ma salive. Elle relève un regard troublé sur moi.

— Tu ne le veux pas ?

Et elle me demande ça comme ça ?! Je crois faire de la tachycardie car il est clair que j'atteins les quatre cents battements par minute. Ne pense pas à ça, Cam... Non... je te dis... trop tard ! Voilà, c'est malin !

— Si, évidemment que je le veux... Enfin, bien sûr. C'est ça que je veux dire...

Je fais un pas en arrière et me passe la main dans les cheveux. Est-ce que je flippe ? Oui, un max. Il faut que je pense à autre chose. Car là, dans mes pensées, je suis dans mon lit, sous les couvertures, avec elle contre moi, et... merde.

Il faut que je m'occupe l'esprit, et tout de suite !

Je constate qu'elle scrute ma chambre. Elle scanne chaque objet. C'est le bordel et je me mets à ranger énergiquement mon lit en désordre, balançant les trucs qui traînent dans le placard mural.

Puis, nerveux, je me racle la gorge, sentant bien qu'il faut que j'affronte cette fille désarmante au possible.

— Ça ne te dérange pas de sortir faire des courses ? demandé-je d'une voix étrangement rauque.

— Ce sera la première fois.

— Ah bon ?! m'étonné-je en lui faisant face.

— Je sors très rarement de chez moi, fait-elle, comme si elle craignait mon jugement. Je ne sais pas si je te serai très utile dans cette tâche. Sois sûr que je ferai de mon mieux.

Attendri, j'approche, pose ma main contre sa joue et de mon pouce, je caresse doucement sa pommette. Ma paume s'électrise à ce contact et naturellement, je plonge dans la couleur océan de ses yeux. Sans maquillage et sans artifice, cette fille est sublime sous tous les angles. Je suis un sacré veinard, car aussi inaccessible soit-elle, elle me laisse l'approcher.

Je me mords la lèvre, puis murmure :

— Tu n'auras rien à faire, je te guiderai.

Mais pourquoi ?! Dites-moi pourquoi la phrase que je viens de sortir me met dans tous mes états !? Je suis un cas désespéré...

— Je te fais confiance.

Je déglutis. C'est certain, je-ne-vais-pas-fermer-l'œil-de-la-nuit.

Je décide de prendre mes distances et retourne dans la chambre pour récupérer ma casquette. Je l'époussette vite fait contre ma cuisse et lui couvre la tête avec. Elle passe son chignon à travers tout en me questionnant du regard.

— Il y aura un peu de monde, lui expliqué-je.

Qui ne connait pas bébé ? Je ne suis pas fou, c'est une évidence : on sera dérangés si elle ne se cache pas un minimum. Déjà qu'au lycée, elle se fait mitrailler.

Nous croisons mon père à l'étage inférieur qui lave la vaisselle. Elle traîne depuis un jour, mais je reconnais qu'il la fait beaucoup plus souvent qu'avant. Nous avons eu une longue discussion après ma crise de nerfs. Il a compris le malaise et je crois qu'il est prêt à faire un maximum d'efforts et de concessions pour ses enfants. Chose qu'il avait omise ces dernières années.

Les jumeaux se chaussent pendant que Brooklyn enfile sa parka près de l'entrée. Après avoir mis mes baskets, je me dirige vers la cuisine et récupère de l'argent dans le pot qui sert pour les courses. J'ai pris vingt dollars. Ça devrait suffire.

— Papa.

— Oui, fils ?

— Merci, dis-je dans un murmure.

Merci de laisser Brooklyn entrer dans nos vies. La confiance des êtres qui me sont chers a énormément de valeur pour moi. C'est même inestimable.

— Fais attention.

— Ne t'inquiète pas, je prendrai toutes les précautions possibles.

— Fais gaffe aux tailles quand même.

— OK.

Je fais un pas sur le côté avant de réfléchir, puis de revenir vers lui.

— Attends, tu as dit quoi ?

Je crains d'avoir mal compris.

— Il y a des tailles. Si tu choisis un préservatif trop petit, il comprime la verge et peut craquer...

C'est lui qui craque ! Je vais vomir.

— 'Pa ! lancé-je. S'il te plait, tais-toi !

Je recule les deux mains levées pour qu'il n'en dise pas plus.

— C'est héréditaire, ces truc-là. Tu devrais écouter ton père...

— Non, je vais essayer d'oublier cette conversation, d'accord ? On va l'oublier tous les deux.

Oh ! J'ai des frissons désagréables partout. Il m'a parlé de verge, putain !

Je reviens vers Brooklyn à la fois honteux et inquiet qu'elle ait pu surprendre cette conversation.

— Tu es tout blanc, ne manque pas d'observer Théo.

— C'est vrai... tu es souffrant ? me demande-t-elle, inquiète.

J'expire, soulagé. Je pense l'avoir échappé belle cette fois.

— Je crois que mon père me maltraite, soupiré-je tout de même en ouvrant la porte d'entrée.

Brooklyn écarquille les yeux.

— C'est vrai ?

— Pourquoi tu mens ? m'envoie Melvin, blasé.

— Rho, ça va les mioches, je rigole. On y va ?


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