1.28 : Monstres du passé 🎞
BROOKLYN
Les petits frères de Cameron quittent la chambre et je me retrouve seule face à lui.
Melvin m'a invitée à l'étage alors que le ton montait dans la pièce à côté du salon. À cause de moi, Cameron est entré en conflit avec son père et je me sens désolée.
Je me lance :
— J'ai entendu votre dispute.
Enfin, ses yeux gris plongent dans les miens.
— Tu as tout entendu ?
— Le début.
Il soupire et semble vidé. Je suis sûre à présent d'avoir fait une bourde en venant ici. Je sens les tensions négatives sans pouvoir pour autant les expliquer. Je dois dire à Cameron que je regrette, que je suis désolée, mais j'ai honte, honte d'être toujours désolée.
— J'aimerais te parler, avance-t-il.
Je ressens comme un coup à l'estomac, appréhendant la suite.
— Assieds-toi, s'il te plaît.
Cameron me montre son lit défait, qu'il a refait à la va vite. Je remarque qu'un coin de couette est toujours relevé. Ça me perturbe beaucoup.
Par chance, Cameron le voit et le rabat avant de répéter :
— Tu peux t'asseoir.
Lentement, je m'y installe, juste au bord, de plus en plus mal à l'aise. Il s'assoit sur le matelas en face, puis joint les mains entre ses jambes et baisse les yeux, comme s'il cherchait la bonne manière de procéder. Je le détaille discrètement. Il porte des chaussettes blanches, un jogging bleu marine large et un t-shirt blanc. Mon regard suit le contour de son avant-bras, son biceps, son épaule, puis s'égare sur son torse. Cameron dégage une telle assurance, une telle aura. C'est difficile à expliquer. À côté de lui, je me sens empotée.
Lorsque mes yeux regagnent son visage, il a déjà relevé le menton. Il me scrute à présent avec ce regard intense que je ne comprends pas toujours.
— C'est difficile de réfléchir quand tu me regardes de cette façon, m'avoue-t-il.
— Ah...
Du coup, je ne sais plus où poser les yeux. Finalement, je les arrête sur le bas de son visage. Il humidifie ses lèvres avant de prendre la parole :
— Ne tiens pas compte de cette dispute. D'accord ?
Je plisse les yeux, sans comprendre. La dispute a pourtant eu lieu, comment faire comme si elle n'existait pas ?
— Mon père s'inquiète, mais pour l'instant, il n'y a pas de quoi s'en faire.
Pour l'instant ? Ma gorge s'assèche.
Son silence entre chacune de ses phrases est insoutenable.
Ce n'est pas la première fois que ma présence incommode et chacun réagit de manière différente. Je suis soudain effrayée à l'idée que Cameron me chasse de chez lui, tout simplement.
— Je veux dire, aucune fille ne vient jamais ici.
Je comprends maintenant. Je me lève pour partir, mais il me retient par les hanches. Dès qu'il me touche, je tremble. De partout.
— Attends ! Pourquoi tu t'en vas ?
Il y a tant de tremblements dans la belle couleur de sa voix. Comme d'habitude, je suis confuse et déroutée par son attitude.
Il me ramène entre ses jambes.
— Laisse-moi quelques secondes, s'il te plaît.
J'acquiesce lentement et patiente avec la sensation que mon cœur est au bord de l'implosion.
— As-tu dit à quelqu'un que tu venais ici ? C'est important que je le sache.
Ses iris pénétrants remontent sur moi. Je secoue la tête.
— Je ne l'ai dit à personne, fais-je le souffle court.
Il hoche la tête, semble déchiré. Son nez se fronce quand il prononce :
— Peux-tu garder pour toi... Peux-tu... merde, je ne peux pas te demander ça !
Cameron se lève rapidement et me surplombe d'une demi-tête. Je recule, mes mollets butant contre son lit derrière moi. Lui, fait les cent pas devant moi, les mains dans les poches. Je ne sais plus que faire, que dire.
Soudain, il s'arrête, me fixe et contre toute attente, il se penche et m'enlace.
— Excuse-moi, j'ai besoin de te tenir dans mes bras.
Il me serre de toutes ses forces. Je m'aperçois que moi aussi, j'espérais être réconfortée, rassurée. Et ça marche. Peu de tissu nous sépare cette fois, alors je m'imprègne de sa chaleur et de son odeur. J'écrabouille son t-shirt entre mes doigts, ne voulant les détacher pour rien au monde. Je sens, contre ma joue, les gonflements de son torse à peine mesurés.
Je me surprends à haïr cette distance qui apparaît parfois entre nous. Quand l'incompréhension fait place au doute, puis à la souffrance. Oui, Cameron est une tempête, un ouragan. Il ballotte mon cœur dans tous les sens.
— Ça me fait plaisir que tu sois passée à la maison, souffle-t-il. J'ai envie que tu restes là, dans ma chambre, pour toujours.
Enivrée par ses mots, je me love un peu plus contre lui et il m'enveloppe plus étroitement encore. C'est tellement agréable.
— D'accord, murmuré-je.
D'accord, à tout.
Il me prend les épaules et me repousse doucement. Je sens ses phalanges se crisper et se décrisper.
— Brook...
Il me libère pour sauter sur son matelas. Il s'y allonge, puis roule sur le ventre. Appuyé sur ses coudes, il se cache le visage entre ses mains en grognant.
— Je vais devenir fou.
Ses manières me font sourire. Il réagit comme un enfant, c'est attendrissant.
— Viens là.
Il tend son bras et ses doigts tirent sur la lanière de ceinture de mon jean, et je me retrouve assise à hauteur de son abdomen.
— Tu m'impressionnes, me confie-t-il. Tout est parfait chez toi, c'est perturbant.
Parfait ? À quoi fait-il référence ? Ce qui est parfait peut être considéré comme sans défaut. Or, je suis loin d'être une somme de perfection. Quotidiennement, j'ai l'impression d'être désaxée du monde réel. J'aimerais me voir comme il me voit.
Sa tête pivote vers moi, une expression indéchiffrable sur le visage.
— Et toi ? Que penses-tu de moi ?
Je sens mes mains devenir moites.
— Eh bien..., tu me troubles beaucoup, réponds-je tout bas.
— C'est tout ?
C'est tout quoi ?!
Au secours ! Qu'attend-il ? Oh, la, la, je dois répondre... Cette atmosphère si étrange nous entoure de nouveau. Je suis une nouvelle fois confuse. Ce n'est pas de la timidité, mais la peur de ces émotions inconnues qui me bousculent.
Il se met à rire.
— Tu n'es pas obligée de me répondre tout de suite, fait-il avec un sourire tendre. Prends ton temps. Tu me répondras quand tu seras sûre.
Je hoche le menton.
Il se met sur le dos et croise les bras derrière la nuque. Il paraît perdu dans ses pensées.
Je lève les yeux pour suivre son regard.
— Pourquoi as-tu suspendu un drap au plafond ? demandé-je.
Ses iris dévient jusqu'à la toile tendue au-dessus de son lit et je suis soulagée d'avoir réussi à relancer la conversation. Je progresse ! Si seulement ça me demandait moins d'efforts, de stress et d'énergie...
— Le store du Velux est cassé depuis des lustres. Alors, j'ai accroché ça. Le jour, cela réduit la lumière lorsque mes petits frères font leur sieste. Et parfois, le soir, je le décroche pour pouvoir lire ou regarder un film sur mon portable sans les déranger avec la lumière.
Je suis perplexe et il s'en aperçoit.
— Grimpe sur le lit et place-toi contre le mur, je vais te montrer.
Je me hisse sur le matelas et, ne pouvant pas me mettre debout à cause du plafond mansardé, je me mets sur les genoux, pose les mains de part et d'autre de son visage et je l'enjambe comme je peux. Puis, je m'allonge entre lui et le mur, ma tête sur le bout du coussin juste à côté de son biceps.
Voyant que rien ne se passe, je tourne le visage pour le considérer.
Cameron m'observe, comme médusé.
— Ça va ? le questionné-je.
Ses dents viennent mordre sa lèvre. Il me guette toujours, l'expression étrange. On dirait qu'il est là sans vraiment... être là.
— Tu ne veux plus me montrer, alors ? lui demandé-je.
— Hein ? Quoi ?
— Le rideau.
Il semble se rappeler.
— Ah, oui. Bien sûr. Attends.
Il récupère un coin du drap et le fait sortir de la tringle à notre gauche. La lumière de fin de journée nous inonde et nous découvrons le ciel de cette fin d'après-midi.
Waouh ! Quelle chance d'avoir cette vue directement de chez soi !
Maintenu uniquement par l'autre tringle, le drap tombe sur notre droite en un rideau qui longe le lit, nous donnant l'impression d'être à l'intérieur d'une tente.
C'est très... intime comme situation.
Il se racle la gorge avant d'expliquer :
— Voilà. C'est peu esthétique comme système, mais ça a des avantages.
— Je vois et j'aime beaucoup.
Il a l'air d'apprécier mon jugement.
— C'est assez cool, oui. Sous les toits, on crame en été, mais la nuit, c'est génial, commente-t-il. Surtout lorsqu'on voit les étoiles.
C'est déjà fascinant et apaisant d'observer l'épais nuage qui passe paresseusement dans le ciel bleu.
— Je monte sur le toit parfois.
— Ah, bon ?
Il paraît dans ses pensées mais hoche tout de même du menton. Je me sens tellement bien à présent. Je pourrais m'endormir sans problème, aussi vite qu'hier soir.
— Tu sais, mon père n'a rien contre toi. Nous vivons en autarcie depuis le départ de ma mère.
C'est ce que j'avais compris. Charly me l'avait expliqué brièvement.
— Tu as une photo d'elle ?
Je suis curieuse de voir à quoi ressemble sa maman. Cameron incline légèrement le visage vers moi. Il soupire un « oui », puis tend le bras au-dessus de la tête de lit pour récupérer son téléphone sur le bureau.
Il déverrouille son smartphone, tapote dessus rapidement, puis me le présente. À travers l'écran fissuré, je vois un tas d'images.
— Tu peux les ouvrir en cliquant dessus.
Ce que je fais sur une des photos.
J'ai rencontré énormément de personnes comme elle. Le visage atypique, de mensurations et morphologie idéale. Elle a les mêmes yeux que ceux de Cameron, d'un gris profond et intense. Une bouche pulpeuse. Des traits fins. Elle possède toutes les normes d'un mannequin.
— Elle vient d'Europe, des pays de l'Est, m'explique-t-il. Sa famille a émigré aux Etats-Unis. Elle habitait un trou à rat, à côté de la maison des parents de mon père. Mon père est tombé raide dingue de ma mère alors qu'ils étaient gamins.
À l'entendre ce n'était pas réciproque.
— Et elle aimait ton père ?
— J'en sais rien. Elle l'a quitté mille fois.
Cameron appuie sur le bouton de verrouillage de son smartphone et le balance vers nos pieds. Il se tourne légèrement face à moi, son front appuyé contre son avant-bras. Il fixe le coin entre le mur et le toit.
— Ma mère est tombée enceinte de moi alors qu'elle n'avait que quatorze ans.
— C'est très jeune.
— C'était un accident.
— Un accident ?
— Une grossesse non désirée si tu préfères. La mère de ma mère l'a jetée à la rue et nous avons habité chez mes grands-parents paternels pendant trois ans, jusqu'à ce que mes parents s'embrouillent avec eux et qu'ils décident de prendre un appart ensemble. Et puis un jour, ma mère s'est fait repérer par un agent alors qu'elle était serveuse dans un des restaurants au bord de l'autoroute. J'avais quatre ans. Je ne la voyais qu'un jour sur deux au début, puis une fois par semaine, puis une fois par mois. Elle menait la grande vie, celle qu'elle avait toujours voulue. Je venais de fêter mes six ans quand elle n'est plus revenue du tout.
Elle devait être très occupée.
— Mon père n'avait pas une thune. Il me trimballait d'hôtels en logements miteux. J'étais déjà doué pour taper dans la balle alors nous restions autour du club de baseball. Je ne sais pas si j'ai bien vécu cette période. Je ne m'en souviens pas vraiment. De toute façon à quoi bon m'en souvenir. Mon père était silencieux la plupart du temps. On mangeait et vivait dans le calme absolu. J'imagine que ça n'aide pas à garder ce passé en mémoire.
Son histoire me parle et réveille en moi un vague à l'âme, car j'ai moi aussi très peu de souvenirs de mon enfance, ou encore des moments que je considère sans importance. Encore aujourd'hui, j'ai du mal à me rappeler de mon dernier anniversaire. C'est une déficience dont j'ai conscience. Cameron poursuit :
— Bref, quatre ans plus tard, ma mère s'est repointée chez nous. Nous venions d'emménager ici. Mon père l'a reprise sans chercher à savoir ce qu'elle avait fait ces dernières années. Elle a freiné son train de vie et s'est posée. La première année, ils s'engueulaient, se réconciliaient puis s'entretuaient à nouveau la majeure partie du temps. Elle travaillait encore comme mannequin, mais les contrats se faisaient de plus en plus rares. On vivait principalement de ses revenus. J'étais assez lucide pour savoir qu'elle n'était pas heureuse. Puis, elle a eu mes petits frères, et notre vie a changé. C'était le bordel à la maison, mais on riait tout le temps. Je pensais que les moments sombres étaient derrière nous. Je le pensais vraiment.
Je suis triste pour lui.
— Un jour, je me baladais dans l'avenue principale du centre-ville avec des potes, on se marrait bien, jusqu'à ce que je croise ma mère. Elle se trimbalait avec un type. Ce gars, c'était mon entraîneur de baseball. Il tenait ma mère par les épaules... bref, j'ai très mal réagi.
— C'est à dire ?
Cameron prend une grande inspiration.
— Je l'ai tabassé. C'était il y a deux ans. J'étais jeune, mais j'avais une telle rage. Il n'arrivait ni à éviter mes coups, ni à s'en protéger.
Je suis choquée. Il pivote un peu plus vers moi.
— Je te jure que je ne suis pas un mec violent. J'ai détesté faire ça. Je me suis même rendu à la police immédiatement.
Tout son corps semble tendu comme si, encore aujourd'hui, il avait du mal à retenir ce désarroi et cette colère qui l'ont étreint autrefois.
— Je suis passé au tribunal pour mineurs. Mon coach était là et plaidait en ma faveur. Apparemment, je ne savais pas ce que je faisais au moment des faits. Selon lui, j'avais eu un moment d'absence. Il mentait, j'étais extrêmement conscient des charges retenues contre moi. Tout ce que je sais, Brooklyn, c'est que j'en avais plus que marre d'être spectateur, marre des silences, des trahisons. Triste de m'être trompé sur ma mère et sur cette vie soi-disant parfaite. Je voulais hurler, mais mon père m'a fait jurer de me taire pour le bien de notre famille, de mes petits frères, et d'attendre que le jugement passe. Une fois de plus, j'étais pris en otage de leurs mensonges et leurs non-dits.
Je peux sentir la rancœur dans sa voix.
— Ils m'ont mis un psychologue dans les pattes et pour eux, c'était terminé. Comme si c'était aussi simple...
Évidemment que non, c'est encore présent en lui, ça se sent.
— J'ai arrêté le baseball alors qu'à la fin de l'année je devais intégrer une école réputée pour avoir formé les meilleurs batteurs de ce pays. Ma mère était partie avec son amant, nous laissant sans se retourner. Ma famille était en train d'exploser. Comment aurais-je pu continuer ?
— Ta famille est ta priorité, ça se comprend.
— Il n'y avait pas que ça ! Je ne pouvais plus jouer au baseball sans penser à ce mec qui était un mentor pour moi. Je n'avais même plus envie de gagner, j'avais l'impression d'avoir déjà tout perdu. En plus de n'avoir plus goût à rien. Bref, je te raconte tout ça, car je ne veux pas que tu l'apprennes par d'autres. Je ne veux rien te cacher. Ni qui je suis. Ni ce que j'ai fait par le passé.
— Tu lui as pardonné ? À ta maman ?
Charly essaie de pardonner à son amie. Elle m'a dit qu'il fallait bien commencer quelque part pour avancer.
Il fronce les sourcils.
— Je n'y ai jamais songé. Il paraît qu'elle vit très bien. Alors lui pardonner ? Pour quoi faire ?
— Je ne sais pas. Pour toi. Quand tu ne seras plus en colère.
— Pour cela, il faudrait changer le passé.
— C'est difficile de changer le passé, observé-je.
Enfin, je le vois sourire.
— On peut vivre au présent et parler du futur. Qu'est-ce ce que tu en penses ?
— Oui.
— C'est beaucoup plus intéressant. Brook ?
— Oui ?
— Tu es beaucoup plus intéressante.
🎵 Ariana Grande – « POV »
Il plonge son visage dans mes cheveux et me respire longuement. Ça me colle des frissons partout. Je ferme les paupières, comme bercée par les sensations vertigineuses que Cameron me procure. Je souris, ne pouvant faire autrement. Son corps me réchauffe comme le soleil.
J'ai l'impression qu'il s'est libéré d'un poids en me relatant son histoire et je suis honorée qu'il m'ait accordé sa confiance.
— Brook, tu n'es pas invisible. Je ne vois que toi.
Mes joues rougissent et au même moment, une étrange chaleur se propage dans mon ventre.
— Je veux tout connaitre de toi.
J'ai l'impression de voler à bord d'un planeur.
Je regarde le ciel qui se colore d'orange. Ce qu'il a partagé avec moi m'a fait réfléchir sur ma propre vie. Je crois que tout comme lui, j'ai jeté un voile sur ces dernières années. Je n'ai jamais été aussi attentive aux sensations positives, comme à la douce présence de ce garçon qui respire juste à mes côtés.
Nous restons un moment sans parler et, de toute mon existence, jamais je ne me suis sentie aussi calme et apaisée. En tout cas, avec un être humain.
Son buste se soulève régulièrement contre mon épaule. En faisant attention, je me place sur le flanc et constate qu'il a les yeux fermés. S'est-il assoupi ? Je crois que oui.
Je devrais partir pour le laisser se reposer. Mais au lieu de cela, je place ma tête sur mon coude et le contemple plusieurs secondes, comme obsédée par les détails de son visage.
Prudemment, je lève la main et mon index survole les contours de ses traits pour pouvoir les enregistrer et les remodeler dans mon esprit à l'infini.
Je me demande comment on peut avoir les cheveux si noirs avec des yeux gris comme les siens. De longs sourcils si bien dessinés avec un regard aussi masculin.
Cameron possède une série de contradictions. Comme par exemple, sa personnalité douce, avenante, puis distante et implacable. Son tempérament assuré et ses gestes maladroits l'instant d'après. Ses lèvres ni trop fines, ni trop épaisses et ce piercing qui dénote de son style général, mais qui apporte cette touche en plus qui me fascine.
J'ai souvent entendu dire qu'il était le plus beau garçon du lycée, mais je ne me rends pas bien compte. Enfin, si, j'adore le regarder. C'est un fait avéré. C'est peut-être cela la beauté, une chose trop agréable pour être simplement ignorée.
Mon index survole le bijou à ses lèvres, puis suit la vague de son menton et descend dans son cou jusqu'au creux situé à la limite du col de son t-shirt.
Ma curiosité me guiderait presque à pousser plus loin l'expérience. Comme dessiner la forme de ses épaules, de son torse... je ferme le poing. Je pourrais le faire si je n'avais pas la gorge aussi nouée et mon rythme cardiaque qui se met à accélérer.
Ses yeux s'ouvrent et je suis si surprise que je n'ose plus bouger. Je sens seulement mes joues virer au cramoisi.
Imperturbable, il me fixe sans pudeur.
N'arrivant plus à respirer, je dégage ma main, mais l'instant suivant, il la récupère et la ramène vers son visage.
Mon Dieu, j'entends mon pouls battre sourdement dans mes tempes.
Avec une lenteur calculée, il retrace à l'envers le même chemin que j'avais emprunté plus tôt. Mais alors que je l'avais à peine effleuré, c'est bien une caresse que mes doigts effectuent sur sa peau. Elle est douce. Son grain n'a aucun défaut.
Mon cœur fait des montagnes russes lorsqu'il arrête mon index et mon majeur juste au-dessus de ses lèvres. Tout mon corps se crispe, dans l'attente. De quoi ? Je ne sais pas exactement, mais ça me fiche en vrac. Il garde ces secondes en suspens.
Je retiens ma respiration lorsque doucement, ses lèvres embrassent le bout de mes doigts. Plusieurs fois, en me fixant. Ça me bouleverse. Une lueur nait dans son regard. Sous son intensité, j'ai l'impression que je vais défaillir.
Ma bouche s'ouvre pour respirer, mais ça ne marche pas. Tout mon corps tremble. Je n'arrive pas à détourner les yeux. Cameron est trop attirant.
De puissantes émotions me dépassent clairement et je m'y cramponne, souhaitant que tout ce que je ressens à cet instant ne quitte plus jamais ma poitrine.
— Cameron !
Il sursaute et je le vois tomber derrière le rideau. Je me redresse.
J'entends un « Aïe », puis « Bordel ! » et ensuite des rires d'enfants.
Je dégage le tissu pour voir s'il va bien. Il me décoche un regard penaud avant de se mordre la lèvre. Je ris. Je l'adore. Vraiment beaucoup. Alors pour répondre à sa question de tout à l'heure : « C'est tout ?» Non. Décidément non, ce n'est pas tout...
Pendant ce temps, ses petits frères le mitraillent de questions.
— Qu'est-ce que tu faisais avec Brooklyn dans ton lit ?
— Occupez-vous de vos affaires ! réagit-il.
— Tu étais en train de la peloter !
Cameron s'assoit vivement, saisit Melvin par le col, le retourne dos contre son torse et plaque sa main sur sa bouche.
— Où avez-vous entendu ça, bon sang ?!
Je crois qu'il est temps pour moi de partir.
— Je vais y aller.
Je quitte le lit tout en faisant attention de ne pas marcher sur Cameron. Je me retourne sur le seuil de sa chambre. Il est toujours assis par terre. Il m'observe, son frère gesticulant toujours comme un diable dans ses bras.
— Merci, fais-je reconnaissante. J'ai passé un très bon moment.
— Tu vas revenir ? marmonne Théo qui me scrute en chien de faïence depuis le bureau.
Je jette un coup d'œil à son grand frère.
— Je ne crois pas.
— C'est dommage, tes cookies étaient très bons.
— Reviens quand tu veux, formule Cameron, un sourire doux sur les lèvres.
Il a l'air sincère.
— D'accord.
Je sors de la chambre et, mon sourire ne se détachant pas de mes lèvres, je descends les escaliers. Je traverse le salon et sors de la maison.
J'emprunte le chemin de chez moi et j'en suis à la moitié lorsque le père de Cameron m'interpelle :
— Mlle Becker ?
Je me retourne alors qu'il court jusqu'à moi. Je redescends vers lui pour ne pas qu'il se fatigue. Depuis que je connais leur jolie famille, j'ai envie de sourire, tout le temps.
— Oui, M. Huston ?
Il me rend mon Tupperware. Il ne reste plus un seul gâteau dedans. Je me jure d'essayer de cuisiner autre chose la prochaine fois.
Le père de Cameron grimace un peu, est-ce qu'il est gêné ?
— Je voulais vous dire... Mon fils est trop fier pour vous demander ce genre de chose, mais il vaut mieux que vous limitiez vos visites. Il a déjà eu assez de problèmes.
Je ne comprends pas un traitre mot de ce qu'il raconte. Sa façon de s'adresser à moi, si gentiment, et ce qu'il dit, ne colle pas. Et puis, jamais je ne lui causerais de problèmes, pas sciemment en tout cas.
— Veuillez m'excuser, je crains de ne pas comprendre.
Il soupire, le regard désolé.
— Mon fils n'est pas de ton monde, petite.
Non, il est devenu mon monde. Je me rends compte que j'ai envie de retrouver la sécurité que je ressentais près de lui, loin du discours de son père que je ne saisis pas.
— Vous allez vous blesser si vous continuez sur ce chemin.
— Quel chemin ? Je vous prie d'être plus clair, monsieur. S'il vous plaît, le prié-je.
Quand je panique, mes réflexions sont biaisées. Je me sentais sereine, au septième ciel. À présent, j'ai envie de fondre en larmes car tout ce qu'il dit me fait du mal.
— Mon fils n'est pas fait pour vous.
Pas fait pour moi ?
— Il vaut mieux éviter de parler de Cameron à vos parents. Ni à personne du fait que vous soyez venue ici.
— Je n'en parlerai à personne, fais-je intimidée.
— Voyez-vous au lycée comme des camarades. Ça vaut mieux pour tout le monde.
Est-ce cela que Cameron n'osait pas me dire tout à l'heure ? Je m'embrouille. C'est bête, comment pourrais-je imaginer autre chose ? Un garçon comme lui vouloir une relation amicale avec moi ? Je me suis emballée.
— Je ne demande rien de plus, monsieur.
Enfin, je crois...
Il hoche le menton, satisfait.
J'ouvre la bouche et je suis soudain terrifiée par mon incapacité à exprimer ce que je pense, à expliquer ce que je voudrais vraiment. À comprendre ce que je ressens pour son fils, ce qu'il représente pour moi. Je n'arrive pas à répondre à ces questions alors comment lui dire ? Comment me défendre ?
Je le salue respectueusement, puis je pivote en direction de chez moi. En remontant le chemin de ma maison, je sens ma lèvre inférieure trembler.
« Je ne demande rien de plus, monsieur »
Et alors que je me sentais en phase avec ma dernière phrase, en passant le seuil de ma maison, je fonds en larmes.
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