1.26 : Amour ou Amitié ? ⚖️

Une brise légère survole mon visage. Suis-je allongée dans un grand champ de blé en fin d'été ? Sans aucun doute.

— Brook ? chuchote une voix masculine.

Une voix que j'adore et reconnaîtrais entre toutes.

— Brooklyn, il faut que tu te lèves, recommence-t-elle.

J'ouvre les paupières. La chambre est baignée d'une étrange et douce lumière bleue. Elle filtre du drap suspendu au-dessus de ma tête. Je comprends que je suis juste sous une fenêtre de toit.

— Tu n'as pas oublié où tu étais ?

Je tourne les yeux sur un visage. Un sourire. Des yeux comme les galets d'une plage au bord de l'océan.

Je fais non de la tête.

— Tant mieux.

Je m'assois, quittant avec regret le confort et la chaleur des draps.

— Il est sept heures et mes petits frères ne vont pas tarder à se réveiller.

Sur le lit en face, je vois seulement une masse de cheveux bruns, bien plus clairs que ceux de Cameron, dépasser des draps imprimés de petits nuages.

Mes yeux dévient lentement pour scruter la pièce qui était dans la pénombre hier soir. Il y a des livres pour enfants dans une petite bibliothèque à côté de la fenêtre. Deux battes de baseball tiennent debout dans un coin et un gant en cuir est en équilibre dessus. Il y a un bureau, mais je doute que l'on puisse y étudier tant il est encombré de jouets et de vêtements. La chaise juste en face est elle aussi prise d'assaut par deux figurines en position assise. Sur ma droite, une petite lampe blanche à pince est accrochée à la tête de lit de Cameron.

Ce dernier place mes baskets face à mes pieds pour que je les enfile. Ce que je fais.

Il me tire doucement par la main pour que je me mette debout, puis m'aide à me vêtir de mon manteau. Ensuite, nous sortons de la chambre et descendons les escaliers. Dans le salon, les volets sont encore fermés, la pièce est très faiblement éclairée. Enfin, nous sortons de la maison sous le chant matinal des oiseaux du parc.

Sur le perron, Cameron couvre mes épaules avec le pull et fait doucement un nœud avec les manches, juste sous mon menton. À cet instant, j'éprouve un sentiment de paix incomparable.

Obnubilée, je fixe ce garçon qui prend soin de moi avec application. Je m'interroge sur ce qu'il pense, alors qu'il a l'air perdu dans ses pensées.

Ce que je ressens pour lui ? De l'admiration, de l'affection et beaucoup d'attachement. Il est clair qu'absolument tout mon corps... non, tout mon être ne veut pas s'éloigner de lui.

— J'ai passé une nuit extraordinaire, souffle-t-il sans détacher ses mains et ses yeux du pull. Merci.

— Merci ?

— Tu as dormi chez moi, reprend-t-il avec tendresse. Et tu avais l'air si paisible. Ça m'a fait plaisir de savoir que tu peux te sentir bien chez moi.

Quelque chose se déploie dans ma poitrine et me donne le tournis. J'arrête son poignet et enfin, je saisis son regard. J'ai besoin qu'il me regarde pour m'assurer que c'est bien réel. Je me perds dans ma contemplation. Sa bouche s'entrouvre légèrement. Il se penche vers moi mais il est interrompu par un bruit de pneus sur le gravier. Une berline s'est arrêtée devant la grille. Je libère son bras pour me tourner et voir qui cela peut être.

— Charlotte est venue te chercher, m'informe Cameron tout bas. Si tes parents apprennent que tu as dormi ailleurs que chez elle, ils risquent de perdre confiance en toi.

Je comprends ce que ça veut dire et acquiesce. Il a raison sur ce point. D'ailleurs, connaissant ma mère, si j'étais rentrée chez moi en pleine nuit, elle m'aurait posé mille questions et je n'aurais pas été capable de lui donner une seule explication valable de ma présence ici alors que j'étais censée dormir chez une amie. Elle aurait paniqué inutilement.

Je remonte mon regard sur lui.

— Tout... tout va bien entre nous ? ne puis-je m'empêcher de demander, car au fond, j'ai ce besoin vital d'être rassurée.

— Oui, tout va vraiment très bien.

Il prend une grande inspiration et enfin, son sourire apparaît sur ses lèvres. Je souris en retour, troublée malgré tout. Ses doigts se posent délicatement sur ma joue et je ressens des picotements partout. Il fronce les sourcils, le regard concentré sur moi.

— Tu es magnifique, Brook. J'te jure...

Il mord son piercing, pendant que son pouce fait de légers va-et-vient sur ma pommette. Ma peau est si sensible quand il me touche de cette façon-là.

— Brooklyn !

Charly m'attend derrière les grilles. Je n'ai pas un bon souvenir de notre soirée pyjama, mais je ne regrette absolument pas la nuit que j'ai passée. Dormir dans le lit de Cameron, partager un moment avec lui, va au-delà de ce que j'aurais pu imaginer.

Nous avançons jusqu'à elle. Cameron m'ouvre le portail et je sors de la propriété.

— On se voit plus tard, murmure-t-il.

Je ne sais pas ce qu'il entend par « plus tard », mais je hoche le menton et me dirige vers mon amie.

Elle n'a pas l'air dans son assiette, comme si elle avait peu dormi. Elle m'analyse sous toutes les coutures lorsque j'arrive devant elle.

Bizarrement, je me sens bien moins rassurée que quelques secondes auparavant. Je regarde en arrière et Cameron me fait un signe avant de rentrer chez lui.

— Il n'a pas abusé de toi ? me lance-t-elle.

Abusé de moi ?

— Je pense que c'est moi qui ai abusé de son hospitalité, déclaré-je en réfléchissant.

— Je crois qu'il ne va pas s'en plaindre.

Soudain, Charly me prend dans ses bras et m'implore :

— Pardonne-moi, je t'en supplie. J'ai fait n'importe quoi. Tu avais besoin de moi et je t'ai ignorée.

Je me dégage doucement. J'avais foi en elle et j'avoue que ma confiance est ébranlée. Ce n'est pas comme si on pouvait tout gommer et retrouver ce qui a été perdu en chemin.

« Pardon » n'est qu'un mot de six lettres, c'est-à-dire pas grand-chose. Cependant, tout comme j'ai laissé Cameron me prouver sa sincérité, je me donne une autre chance de me sentir en sécurité avec elle.

— Nous ferions mieux de ne pas nous attarder. Je vais te préparer le meilleur petit déjeuner de toute ta vie pour me rattraper !

Nous montons dans le véhicule. Le chauffeur prend la route immédiatement. Au bout de deux minutes, Charly prend la parole :

— Cameron m'a envoyé un message hier soir pour me dire de venir te chercher à sept heures tapantes. Heureusement, car j'étais en pure panique. Quand je suis montée dans ma chambre, tu n'y étais pas et à la place, j'ai trouvé deux crados dans mon lit. J'ai piqué une crise et viré tout le monde. Je n'avais qu'une idée en tête, te retrouver. Et alors que tous avaient décampé et que tu étais toujours introuvable, je m'apprêtais à contacter tes parents quand je suis tombée sur le texto de Cameron, qui me disait que tu étais chez lui et que tu dormais déjà. Mon frère et moi étions si soulagés. Lui aussi, n'en menait pas large. Putain, des gens ont baisé dans mon lit, quoi !

Je sursaute sous son soudain éclat de voix. Elle poursuit :

— Désolée, n'aie pas peur, mais ça-me-dégoûte ! J'ai obligé Ethan à me racheter un nouveau matelas sur le net. Il doit être livré lundi. Oui, que lundi ! Et on est dimanche ! Je fais comment, moi !

Elle est si remontée et fougueuse.

Charly m'examine et soudain, elle se met à pleurer. C'est la première fois que je la vois aussi lunatique.

— J'ai eu tellement peur de te perdre, Brooklyn. Ça m'a fait trop de mal de penser que je t'avais blessée. Quelle soirée de merde.

Elle incline son buste vers moi et sa tête se pose sur mon épaule. Doucement, elle enroule mon bras avec les siens. Je ne dis rien.

— Cette fille comptait beaucoup pour moi et hier soir, j'ai cru qu'on allait enfin avoir une vraie discussion. Elle était avec son mec, chez moi, tu te rends compte ? Elle prenait cet air détaché et en même temps en colère. Je voulais obtenir une explication. Pourquoi m'a-t-elle rejetée pour sauter sur le premier type venu ?! Mais elle n'a fait que me dire que j'avais tout gâché. Je me suis sentie incomprise alors que personne ne m'a jamais comprise mieux qu'elle. Bref, ...

Du revers de la main, elle essuie la goutte d'eau qui tombe de sa paupière.

— Charly ?

— Oui ?

— Si elle te rejette, pourquoi tu ne passes pas à autre chose ?

Cette histoire lui cause beaucoup trop de souffrances inutiles.

— Parce que je l'aimais. Comment t'expliquer. Quand tu aimes vraiment quelqu'un, quand tu as vécu avec cette personne tous les plus beaux moments de ton existence, tu ne peux pas juste tourner la page. J'ai aimé la toucher, l'embrasser et je l'ai fait avec une passion insoupçonnée. Tout ce que je ressentais près d'elle me dépassait littéralement. Tu vois ?

Pas vraiment, mais je la laisse continuer.

— Tu peux difficilement oublier et t'imaginer que tu ressentiras la même chose avec quelqu'un d'autre. Après elle, j'ai eu la sensation de vivre dans une fausse réalité. D'ailleurs, tu ne retrouves jamais les mêmes sensations. Elle me fait croire que j'ai été seule dans l'affaire. Je suis sûre que c'est faux. Je ne peux pas être seule à sentir ce grand vide. Ce mal de ventre quand je la vois. Ne cherche pas le grand amour, Brooklyn. Quand on le trouve et qu'on le perd, on ne s'en remet jamais.

Je n'ai jamais pensé à chercher l'amour. Ce n'est pas dans mes projets. D'ailleurs, ça semble si loin de ce à quoi j'aspire. Et puis, comment savoir si je plais à quelqu'un ? Comment savoir si quelqu'un me plait ? Quels sont les codes ? Y a-t-il un protocole à suivre ? Un mode d'emploi pour les personnes qui s'aiment ? C'est très abstrait pour moi.

— Comment sait-on que l'on est amoureux ? demandé-je, malgré tout.

— C'est quand tu ne vis plus qu'à travers l'autre. C'est cucul comme phrase. Mais j'ai eu la sensation de mourir quand elle m'a tourné le dos.

C'est terrifiant...

Nous arrivons devant chez elle et une camionnette de nettoyage est garée devant l'entrée.

— Ethan s'est mis une grosse cuite hier soir. Il boit rarement à cause de l'hygiène de vie sévère qu'il doit respecter pour le baseball. Il est en train de décuver dans sa chambre, donc on ne le verra pas.

Nous croisons un des agents qui nettoient le salon. Lorsque nous atteignons le couloir en direction de la cuisine, j'ai un moment d'arrêt. La scène d'hier soir avec Cameron et Hailey me revient en mémoire. Ai-je interrompu quelque chose ?

J'ai comme des frissons dans le dos.

Alors que je baignais dans la joie et l'apaisement, les images de la veille laissent place à une sorte d'angoisse. Je ferme les yeux pour empêcher un nouveau flash de remplacer les derniers moments avec Cameron.

— Je nous ai pris des croissants tout chauds. Je vais te faire du bacon et des œufs. Installe-toi.

Je la regarde s'affairer et je mange une viennoiserie en silence.

— Ça va ? Tu ne dis rien, me demande Charly au bout d'un moment.

Mon amie attend une réponse. C'est vrai, je rumine un peu. Je dois l'avouer. J'essaie d'interpréter le malaise dont je n'arrive pas à me défaire. Quelque chose me manque pour me rassurer, mais je ne sais pas quoi. Mon amie désigne mon assiette.

— Tu n'aimes pas ?

— Si, c'est très bon.

Elle paraît apprécier ma réponse.

— Je peux te poser une question indiscrète ? Sinon, la curiosité va me tuer.

Je fais oui de la tête, habituée aux expressions peu communes de mon amie. Mourir de curiosité. C'est assez peu probable quand on y pense.

— Il s'est passé quelque chose avec Cameron ?

Je l'analyse longuement.

Elle soupire et clarifie :

— Vous vous êtes embrassés ou un truc dans le genre ?

— Embrassés ?

— Sur la bouche.

J'écarquille les yeux. Embrasser Cameron ?! Mais non ! Je n'y ai jamais songé. Jamais ! Et puis, je peine à tisser des liens d'amitié, alors imaginer Cameron m'embrasser... Je... je ne crois pas qu'il me voie comme une petite amie potentielle.

Je sens mes joues qui chauffent en imaginant la bouche de Cameron sur la mienne... non ! Je ne peux pas penser à ça ! Ça me met dans tous mes états.

Charly esquisse un sourire avant d'éclater de rire.

— Le pauvre...

— Pourquoi tu dis ça ? Il vit très confortablement.

Enfin, je crois... je n'en suis pas sûre en fait. Hier soir, il n'avait pas l'air complètement satisfait de son foyer. J'ai bien remarqué un malaise en toile de fond lorsqu'il évoquait la superficie de sa maison. Elle est plus petite que la mienne ou celle de Charly, mais ça ne me dérange pas l'ombre d'un instant. Parce qu'elle est petite, elle est rassurante. Elle est rassurante car Cameron y vit, tout simplement.

— Tu es une femme, Brooklyn. Avec lui ou un autre, un jour, tu prendras ton pied ma belle.


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