1.22 : Rêve 💤
CAMERON
— Trois tours de piste minimum pour les filles et le double pour les garçons, ordonne le prof de sport.
— Quoi !? Six tours obligatoires ! se plaint l'assistance masculine.
— Je veux évaluer votre niveau pour le cross académique. Si vous êtes capables de plus, vous pouvez faire des tours supplémentaires.
— Mais bien sûr..., il veut surtout glander, murmure Driss.
— Pourquoi les filles en font moins ? C'est du sexisme ! s'exclame Devin.
— Tu as une remarque à faire ? Tu veux être dans le groupe des filles ? le charrie notre professeur de sport.
— Ouais, pourquoi pas !
— Ok, ça suffit. Tu courras tes six tours et tu enchaîneras avec trente pompes.
— C'est l'armée ici ou quoi ?
— Tu continues ? Tous les garçons, même punition.
— Ta gueule, Devin ! se plaignent les gars.
— Le coup de faire de moi l'ennemi commun est trop classique, monsieur !
— Ta gueule ! s'écrie le groupe qui se met à le frapper.
Je souris et j'apporte ma contribution en lui mettant un taquet avant de me lancer sur la piste.
Nous venons à peine d'entamer le parcours que rapidement, des écarts se forment entre les coureurs.
Du coin de l'œil, j'observe Tony qui cale son rythme à celui de Brooklyn. Je décide de ne pas m'attarder sur eux et de mettre un maximum de distance entre nous.
— Tu crois qu'il va la pécho ? me demande Devin, qui court à mes côtés.
Je ne réponds pas. Seulement, mon pote ne lâche pas l'affaire.
Il poursuit :
— En persévérant, il va y arriver. Parce qu'il faut avouer qu'il y met beaucoup d'énergie, le salaud.
Silence éloquent...
Mon compagnon de course persiste :
— J'ai l'impression qu'il est sincère. Qu'est-ce que tu en penses ?
Pas vraiment envie d'y songer.
— Tu prends vraiment l'exercice au sérieux !? s'exclame mon ami pour me faire réagir.
— Tu crois en la signification des rêves ? lancé-je pour changer de sujet.
Perplexe, il m'observe quelques secondes, puis répond :
— Ouais, j'y crois trop. Tu sais qu'un jour j'ai rêvé d'un truc trop bizarre. Je sautais du haut d'un immeuble en croyant savoir voler. Du coup, je tombais dans le vide, car impossible d'ouvrir mes ailes. Enfin, mes bras, tu vois. Et là, bim ! Je me retrouve par terre.
— Tu tombes de ton lit, tu veux dire ?
— Non, je suis au pied du bâtiment.
— Attends. Tu es réveillé ?
— Non, je veux dire que je m'éclate vraiment en bas de l'immeuble.
— Dans ton rêve ?
— Oui !
Dialogue de sourds...
— Et ?
— Eh bien, j'ai mal.
— Dans ton rêve ?
— Non, aux jambes.
« Cam, fait un effort pour comprendre », me sermonné-je.
Je reformule très lentement :
— Donc tu avais mal aux jambes dans ton rêve.
— Non, quand je me suis réveillé le matin, j'avais mal partout, tu vois ? Comme si j'étais réellement tombé d'un immeuble.
Il m'a mis KO ! Je pars en fou rire. Elle est complètement dingue son histoire, je dois bien l'admettre.
Seulement, je pensais à un rêve qui fait réfléchir. Qui te laisse avec une boule au ventre le matin et la sensation que ça s'est vraiment passé. En ce moment, je ne fais que des rêves où je n'arrive rien à contrôler. J'essaie de bouger, mais je suis impuissant. Ce qui se déroule dans mon rêve me touche, me heurte profondément au réveil.
Devin se met à courir à reculons. Il interpelle Driss que l'on vient juste de dépasser et qui crache ses poumons.
Ce dernier répond :
— Qu'est-ce que tu me veux !?
— Tu suffoques, gros ! se moque Devin.
— Putain, je pense aux trente pompes, enfoiré !
— Le prof a déjà oublié, t'inquiète.
— Ouais, c'est ça...
— Tu fais des rêves zarbis des fois ?
Il redresse le menton et s'exclame :
— Carrément ! Je fais des rêves genre à répétition.
Comme moi ! Plus attentif, je tends l'oreille.
— Je rêve que l'on est devenu des géants avec des armures en pain d'épice et que l'on se bat sur un sol en chewing-gum. Du coup, on a trop du mal à avancer. Ah, et il y a des nanas partout aussi, qui hurlent mon prénom.
— C'est un fantasme, ça ! balance Devin avant d'exploser de rire.
Je suis plié aussi et je m'efforce de respirer comme je peux pour ne pas perdre le rythme.
— Toi, tu rêves que tu n'es plus puceau, tête de con ?! envoie Driss, énervé.
Le prof nous rappelle à l'ordre.
Au bout de dix minutes de course, nous entamons bientôt notre cinquième tour. Je ralentis l'allure près d'Hailey qui me lance un regard larmoyant. Elle a l'air au bout de sa vie. Je l'encourage en lui tapotant le haut du crâne.
— C'est bientôt fini, tiens bon.
Elle secoue la tête courageusement et je la dépasse pour rejoindre Devin.
Plus loin, nous croisons Brooklyn et Tony, qui lui parle depuis le début de l'exercice.
— Plus qu'un tour obligatoire pour les filles ! scande le professeur.
J'accélère ma vitesse de course. Devin me suit sans peine. Certains ont abandonné et marchent sur le terrain.
— C'est bon les filles, les trois tours sont faits. Vous pouvez poursuivre ou vous arrêter pour vous étirer.
Même après les tours réglementaires, Brooklyn court toujours. Tandis que Tony s'épuise à lui faire la conversation.
Peu à peu, la piste de course se vide et ce sont bientôt les garçons qui finissent leur dernier tour réglementaire. Il ne reste que trois filles sur le terrain, Hailey, Judy et Brooklyn.
J'entame mon septième tour avec Devin et, pour la deuxième fois, je dépasse les derniers coureurs.
— Sérieux, tu ne veux pas t'asseoir maintenant ? entends-je Tony dans mon dos.
Brooklyn lui répond de sa voix douce :
— Non, ça va.
— Tu t'entraînes ou quoi ?
— Oui. J'ai un tapis de course à la maison. Tu peux t'arrêter, je crois. Tu as l'air fatigué.
— Tu m'étonnes... se marre Devin.
Mon pote est mort de rire une fois de plus. Ce qui lui donne un point de côté.
Bientôt, il ne reste plus que Tony, Hailey, Brooklyn, Devin, moi et Judy. Cette dernière est au stade de l'effort critique. Elle libère le terrain de course vingt secondes plus tard.
Devin fait une remarque de son cru :
— Elles tiennent pour t'impressionner, j'en suis sûr. Ou parce que Brooklyn a décidé de faire le marathon de New-York. En fait, on dirait une compète d'égos. Purée, moi qui pensais qu'il n'y avait que les mecs qui avaient de la testostérone.
Sur ces paroles, Hailey abandonne, verte et nauséeuse. Quand je la croise, je lui demande si elle se sent bien. Elle acquiesce, puis fonce dans les vestiaires.
Devin se marre.
— Hé ! Sois plus cool avec elle, lui suggéré-je tranquillement.
— Mais la pauvre. J'aurais la mort à sa place d'abandonner au profit de ma rivale.
Il se bidonne de plus belle. Je lui donne un coup dans l'omoplate.
— Arrête de dire des bêtises.
— J'ai mal au bide, lance-t-il. Je te quitte là.
Il bifurque sur la droite et traverse le terrain au pas. Je décide de continuer encore pour un tour ou deux, histoire de vraiment me défouler, quand j'entends quelqu'un qui crache ses poumons approcher dans mon dos.
— S'il te plaît, arrête de courir.
C'est Tony qui m'a rejoint. Il est exténué. Son teint, d'habitude hâlé, est très pâle.
— Quoi ?
— Tu ne vas pas tenir dix tours comme ça ?!
— J'en sais rien. Pourquoi ?
— Bah, on dirait qu'elle s'est donné comme objectif de me tuer.
J'imagine qu'il parle de Brooklyn.
— Sérieusement, je veux que tu abandonnes, réitère-t-il.
— Pourquoi ?
— J'ai l'air de quoi si je termine et que tu restes seul sur la piste avec elle.
Je reste silencieux. Il me gave.
— Elle me plait, m'informe-t-il, comme si ce n'était toujours pas évident.
— Pourquoi elle te plaît ?
Ai-je vraiment demandé ça ?!
Du coin de l'œil, je le vois serrer les dents.
— Parce qu'elle est sublime et j'aime bien son caractère.
J'aimerais lui dire d'arrêter de la regarder avec ses yeux aveuglés, voraces et impatients... Alors, il la verra alors comme je la vois. Il l'aimera avec son âme.
— Son caractère ? Tu ne la connais pas, ris-je avec sarcasme.
— Tu la connais, toi ?
— Non, avoué-je.
Mais je sais qu'elle se fout royalement de qui terminera en premier. Contrairement à la plupart des gens, elle n'est pas dans le paraître.
— Ça ne t'a pas empêché de lui demander de sortir avec toi, fait-il sur un ton de reproche.
— C'est vrai.
— Bon, alors, tu t'arrêtes de courir ?
— Non.
— Pourquoi ?
— Ça commence mal, tu n'en es même pas au premier rencard que tu triches déjà.
Il se fige pendant que je poursuis ma course.
— Oh ! m'interpelle-t-il alors que j'ai déjà quelques mètres d'avance. Arrête-toi !
Est-ce que la moitié du stade doit assister à ça ?
— Cameron ! me relance-t-il. Tu n'as pas lâché l'affaire avec elle ?! Elle t'a recalé mec, et je pensais que tu sortais avec Hailey maintenant ! crie-t-il encore.
Je l'ignore. Il pique un sprint et m'attrape par le t-shirt pour me retourner, mais il n'arrive qu'à arracher ma manche. Le tissu s'ouvre et mon flanc droit se retrouve à découvert.
Je m'immobilise. J'ai les muscles des bras qui tremblent soudain. Mes jambes aussi, à cause de l'effort que j'ai stoppé net.
Je fais volte-face.
— Ne refais plus jamais ça, le préviens-je froidement.
Il a les traits tendus. La posture sur la défensive.
Tout le monde s'arrête, même Brooklyn. Elle nous observe depuis la portion de la piste qui se trouve derrière les cages de foot. J'imagine qu'elle nous entend très bien aussi.
— Quoi ? Tu ne sors pas avec Hailey ?! Pourquoi tu le caches ? envoie-t-il bien haut et fort.
— À quoi joues-tu au juste ?
— C'est à toi que je pose la question !
Les gars nous rejoignent.
— Vous n'allez pas vous battre ?! Quel est le problème ?
Tony me montre du doigt.
— Demande-lui !
Je fixe Tony sans le lâcher d'un iota. J'ai la rage.
Devin me tire l'épaule.
— Cam, qu'est-ce qui se passe ? Tony, pourquoi tu lui as flingué son t-shirt ?!
— Faut pas en faire un drame. J'ai à peine tiré dessus qu'il s'est déchiré. C'était un t-shirt bon marché. Je t'en repayerai un mieux que ça.
J'ai un coup de sang. Je prends le tissu et le déchire pour de bon avant de le jeter à ses pieds. Je fais un pas vers Tony, intimidant. Il recule.
— Tu crois que c'est le t-shirt ton problème !?
J'entends un « Damn boy ! » et des "Oh" s'élever autour. Il fait dix degrés, je suis torse nu et ça n'était absolument pas prévu au programme. Je sens de nombreuses paires d'yeux se braquer sur mon torse.
J'ai craqué !
— Circulez les filles, il n'y a rien à voir ! entends-je dire Devin sur ma droite.
Il écarte les bras et demande aux autres de reculer. Ce genre de démonstration est loin d'être mon délire.
Dépité, je ramasse le t-shirt à la hâte et le place devant mes abdominaux. Le professeur arrive en courant.
— M. Huston, qu'est-ce qui vous prend ?! Allez vous calmer dans les vestiaires ! ordonne-t-il.
Je sors du petit groupe qui s'est formé autour de nous. Je traverse le stade et me rends au gymnase tout en me demandant ce qui m'arrive et surtout, pourquoi je suis à deux doigts de péter les plombs.
J'ouvre la porte en verre, envoie le t-shirt dans une poubelle à l'entrée et me dirige vers les toilettes des filles.
Je toque doucement au battant.
— Hailey ? Ça va ? Tu as vomi ?
J'entends un gémissement derrière.
— Je peux entrer ? demandé-je tout bas.
— Non ! J'ai trop honte !
Je ris.
— Mais non, faut pas. Je reviens, ok ? Je vais te chercher un truc sucré à manger.
— Non ! Non ! Je vais aller à l'infirmerie. J'ai beaucoup... vomi.
Sa voix me paraît si affligée.
— Je me change et t'accompagne ?
— Non... Je ne veux pas que tu me voies comme ça.
Je souris.
— Comme tu veux. On se voit plus tard, alors.
Les filles et le paraître...
Je fronce les sourcils et lentement, mon sourire s'efface en pensant à Brooklyn. Je secoue la tête. Pourquoi faut-il que mon cerveau la place à des moments pareils ?! C'est affligeant.
Je pénètre dans le vestiaire des garçons. Je prends le temps de me rincer et lorsque je finis de m'habiller, tout le monde revient du stade. Je croise les gars et passe à côté de Tony sans lui adresser un regard.
— Vous n'allez pas vous prendre la tête pour une nana quand même, se plaint Devin.
Je récupère mon sac dans le casier et le cale sur une de mes épaules.
— Bien sûr que non, lui assuré-je.
J'ai juste besoin que la tension redescende. Je dépasse les bornes, j'en ai conscience. Qu'est-ce qui m'a pris de me mêler de ce qui ne me regarde pas ? Qu'aurais-je perdu à arrêter cette stupide course ? J'ai réagi à chaud.
— Je vous attends à l'extérieur.
Je quitte les vestiaires. J'ouvre la porte du gymnase et tombe nez à nez avec Brooklyn. Elle porte dans ses bras les équipements d'athlétisme que l'on a utilisés en première heure de sport. Trop gentille et disciplinée, c'est la seule à avoir respecté les dernières consignes du professeur en fin de cours.
Ce que je note surtout, c'est qu'avec ses joues rouges dues à l'effort et sa queue de cheval, elle est magnifique.
Aïe !
— Cameron... murmure-t-elle.
Je baisse la tête.
— Excuse-moi, dis-je pour passer.
Elle se décale et je la dépasse une fois de plus aujourd'hui.
Je n'aime pas la tournure que prennent les événements. J'aime encore moins mon attitude. Et ce qui est sûr, c'est que j'ai hâte de quitter cette foutue école.
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