CAMERON

Je m'assieds, balance mon sac et ma veste sur la table, puis pose mes bras et mon front dessus.

Je suis en train de perdre la tête.

J'entends que l'on approche. On tire une chaise et on s'installe face à moi.

— Ça va ? demande Hailey, d'une toute petite voix.

Je bouge le front de gauche à droite. C'est la misère...

— Il s'agit de Brooklyn, n'est-ce pas ? Elle ne te laisse pas indifférent.

Si seulement je pouvais être moins lisible... Je mords la manche de mon pull, puis relève les yeux sur Hailey. Subitement, son teint prend trois couleurs au-dessus de la normale. Surpris, je lâche le tissu et me redresse un peu plus sur la chaise.

— Pourquoi es-tu toute rouge ?

Elle dissimule ses joues sous ses paumes avant de reprendre contenance.

— Pour rien, pour rien.

J'aurais parié qu'elle dirait ça, alors qu'avec Brooklyn, je ne sais jamais à quoi m'attendre. Que ce soit pour anticiper ses réactions, ses paroles ou encore cerner ce qu'elle ressent vraiment. La preuve, je l'ai attendue une heure samedi, et si Ethan n'était pas passé, j'y serais encore.

Hailey sort ses bouquins, puis des petites feuilles cartonnées roses et jaunes.

— J'ai fait des fiches de révision.

— Tu connais déjà la leçon ? m'étonné-je.

— Oui. Enfin, non. Je veux dire, je n'ai pas eu le temps de bien les retenir. Tiens, tu veux les lire ?

— Je veux bien. Merci.

Son écriture est propre et soignée. Les lettres bien rondes. Elle a surligné les dates importantes et mis en évidence les événements avec des tirets.

— Tu as une mémoire photographique ?

— Oui.

Je retourne les feuilles sur lesquelles Hailey a écrit recto-verso.

— Je suis impressionné.

Jamais, je n'aurais eu le temps de faire ça.

— Tu peux réviser avec si tu veux, je vais prendre le livre, me propose-t-elle gentiment.

— Non, non, ce sont tes fiches.

— Ça me fait plaisir.

— Euh, d'accord.

Ça me gêne quand même. Rapidement, je trouve une solution qui nous convient à tous les deux :

— Je vais t'interroger et ça nous permettra de réviser ensemble.

Elle me dédie un large sourire.

— C'est une super idée.

— Ok, c'est cool.

Nous révisons une heure entière avant que la sonnerie annonce le début du cours.

— Merci, tu as assuré, lui dis-je avec gratitude.

Je pense m'en tirer pas trop mal vu que tout est frais dans ma tête. Ça allège un peu mon stress de la journée et c'est grâce à Hailey. Elle n'était pas obligée de m'aider.

— Ça m'a fait plaisir de réviser avec toi, me confie-t-elle. On pourra recommencer si tu veux.

Ce n'est pas une mauvaise idée. Le faire entre midi et deux peut aussi me dégager du temps le soir et le week-end.

Elle range ses affaires, se lève, puis se faufile entre les chaises jusqu'à sa table.

Je l'interpelle :

— Dis-moi la vérité.

Son expression se crispe légèrement.

— Quelle vérité ?

— Tu connaissais déjà la leçon par cœur, n'est-ce pas ?

Elle se détend. Cependant, vu son attitude embarrassée, j'ai vu juste. Enfin, c'était assez évident.

— Oui. Je voulais faire quelque chose pour toi.

Elle est honnête et je préfère mille fois cela aux faux-semblants.

— C'est sympa, merci. Mais au fait, tu n'avais pas les clés de la salle alors ?

— Non, je suis allée les chercher et quand je suis revenue au réfectoire, je t'ai vu te disputer avec cette fille au milieu de la cour.

— Je ne me suis pas disputé avec elle. C'est la sœur de mon meilleur ami.

— Ah. Excuse-moi. Je ne voulais pas me montrer indiscrète.

Je réfléchis, puis percute.

— Attends, tu n'as pas mangé ?!

— À vrai dire, je n'ai pas eu le temps.

— Mince ! Je vais te chercher un truc au distributeur tout de suite.

— Non, ça va, je t'assure.

— J'insiste. Je me sentirai coupable si ton ventre grogne pendant tout l'examen. Ça risque de me déconcentrer.

Elle se met à rire et je lui souris.

— Ah, alors ok, accepte-t-elle.

Ses joues s'empourprent encore. Et comme elle ne s'en cache plus, je trouve cela mignon.

— Je me dépêche.

— D'accord !

Je fouille dans ma poche arrière. Je sais que j'ai trois dollars qui traînent. Je pensais les garder pour prendre un café avec les potes ce week-end, mais je lui dois bien ça.

Je m'élance à travers la salle, puis cours dans le couloir. Le prof ne va pas tarder à arriver et je n'ai pas envie d'être en retard. Des élèves rentrent déjà dans leurs classes. Le distributeur se trouve à l'étage du bas, j'en ai pour deux minutes.

Je croise Devin qui crie sur mon passage :

— Eh Cameron, tu as le feu aux fesses ?

— Ah, ah, très drôle !

Je saute les dernières marches avant de stopper net. Brooklyn arrive en face. Mon souffle se coupe. Et non, je ne ferai pas demi-tour comme un gamin.

Elle redresse la nuque et lorsqu'elle m'aperçoit, je peux sentir d'où je suis la panique et le désarroi qui l'envahissent.

Brooklyn s'immobilise et regarde autour d'elle, comme si elle cherchait une issue de secours. Je me décompose. Une fois de plus, mon cœur redevient un organe douloureux.

Pense-t-elle vraiment à pivoter en direction de la cour pour ne pas me croiser ? C'est ce que je constate quand elle regarde en arrière.

— Tu peux prendre les escaliers, lui indiqué-je.

Je m'écarte pour la laisser passer. Sa bouche grimace. Je la scrute. La seconde sonnerie la fait sursauter.

Est-ce vraiment moi qui la mets dans cet état ?

Je secoue la tête. Je m'en veux terriblement.

— Brooklyn, à propos de ce que j'ai dit tout à l'heure...

Je n'ai pas l'impression qu'elle m'entend et ce n'est pas la première fois que ça arrive. Je l'ai déjà remarqué à plusieurs reprises. C'est comme si elle se murait pour se protéger de tout.

Et là, elle se protège de moi...

Je ne le supporte pas.

D'un pas incertain, elle se met à marcher, yeux baissés. Quand elle me dépasse, je l'entends murmurer :

— Pardon. Pardon. Je ne voulais pas... je... c'est parce que je dois aller en classe... alors... Pardon, pardon...

Ça me fait tellement mal. Comme un coup de poing dans l'estomac. J'ai envie de lui saisir le poignet. D'avoir finalement la conversation que j'évitais. Je me sens prêt, mais elle, je sais qu'elle ne le sera plus jamais. Nous avons brisé ce lien de confiance qui naissait entre nous. Je peux le sentir comme lorsqu'on voit devant ses yeux une chose que l'on aime se briser.

Ma main retombe et je la regarde monter l'escalier.

Ma gorge est sèche, mon pouls bat sourdement dans mes tempes et mes nerfs sont redevenus béton.

En fait, c'est mieux pour moi, c'est mieux pour elle. Elle mérite un vrai mec et je crois qu'elle le sait.

C'est avec beaucoup moins d'entrain que je me sers au distributeur et réintègre la classe.

Tout le monde est déjà installé et je me force à ne pas regarder en direction de Brooklyn. Je passe entre les tables et donne le paquet de chips et une bouteille d'eau à Hailey.

— Merci, fait cette dernière, la mine inquiète. Tu n'as pas l'air dans ton assiette. Ça va ?

Des sifflements s'éveillent dans la salle.

— On dirait qu'un nouveau couple s'est formé ! envoie Devin.

Quoi ?!

— Et pas n'importe lequel ! embraie Tony.

— Youhou !

— Que vous arrive-t-il ? Asseyez-vous donc, M. Huston, ordonne le professeur.

Je retourne à mon siège tout en fusillant mes potes du regard. Qu'est-ce qui leur prend ?

— Tu es un champion de vitesse quand il s'agit de remplacer tes meufs ! me charrie Driss en me tapant dans l'épaule.

Je me retourne.

— De quoi tu parles !?

— Je déconne, Cam. Tu es trop tendu ces derniers temps.

— C'est ça...

Le professeur se racle la gorge et je me rencogne contre ma chaise. Il laisse la feuille de contrôle sur le coin de mon bureau et dès la lecture des consignes, je sais que je vais réussir l'examen. C'est un exposé.

Je tourne la tête en direction de Hailey. Elle m'offre un sourire complice et je réponds d'un léger signe de la main.

Avec elle, je suis à l'aise. Je ne ressens ni complexes, ni attentes. C'est simple. Sans prise de tête. Confortable.

Doucement, ses joues virent au rouge intense et je me rends compte que je suis toujours tourné vers elle. Je la fixais, tout simplement.

Je reviens à mon devoir.

C'est étrange cette sensation dans la poitrine. Ce vide sans comparaison. J'ai l'impression d'être revenu à la case départ. Je suis profondément triste, mais au fond, plus calme et serein.

Je crois que je viens de vivre ma première peine de cœur.

🤍🖤🤍

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