1.16 : Leçon n•1 ☑️

BROOKLYN

🎧 Zara Larsson – Invisible (Slow version)

J'ai refusé.

Refusé qu'Ethan me ramène à la maison.

La voiture quitte le trottoir et me voilà debout face à la pluie qui tombe à torrents. Sur ma montre, je lis cinq heures de l'après-midi. Il n'y a personne. Mis à part les gens dans leurs voitures qui passent de temps en temps, près de l'abri de bus.

En face, il y a le lycée.

Devant, il y a Cameron.

Il a rejoint un préau de l'autre côté de la route. Il a retiré sa capuche. Peut-être attend-il que le temps se calme.

Mains dans les poches, il regarde le véhicule de son ami s'en aller. Lorsqu'il redresse la tête, nos regards se croisent.

Mon monde vacille.

Nous demeurons ainsi plusieurs minutes à nous fixer à travers les filets d'eau. Plus les secondes s'écoulent, plus j'ai la gorge serrée, la poitrine en feu.

Je ne pouvais me résoudre à entrer dans la voiture de son ami, tout simplement parce qu'il n'y était pas. Je n'éprouve pas avec Ethan le même sentiment de sécurité qu'avec lui.

Ça ne s'explique pas.

Alors, je recule et retourne m'asseoir. Je laisse tomber mes yeux sur mes mains qui tremblent de froid. J'ai du sable sous les ongles. Je me demande ce que va dire ma mère et...

— Pourquoi tu n'es pas rentrée avec Ethan ? Tu n'avais rien à craindre, tu sais.

Je relève la tête. Cameron est juste devant moi. Il a couru. Ses iris sont gorgés d'ombre.

— Appelle tes parents.

Il me propose son portable.

— C'est mal vu de refuser une main tendue, me signifie-t-il.

Je regarde le téléphone entre ses doigts.

Que dois-je faire ?

Si je réfléchis bien, je ne veux pas rentrer, mais rester avec lui. C'est tout.

Comment lui dire ?

Il soupire et va s'adosser contre la vitre, là où l'affiche publicitaire change par intermittence. Le mois dernier, j'y ai fait mon apparition, puis ils m'ont remplacée par une autre.

Tout semble si éphémère... substituable.

Tout le monde embrasse tout le monde, disait Charly. Je n'aime pas croire que cela est vrai. Ce n'est pas vrai pour moi. Personne ne m'a jamais embrassée.

Je lève les yeux sur Cameron.

— Que suis-je censée faire ? murmuré-je, l'esprit confus.

Il laisse un silence planer avant de répondre :

— C'est à dire ?

J'arrive enfin à lever plus haut le regard.

— Je ne veux rentrer avec personne d'autre que toi. Est-ce inapproprié de dire cela ?

Son portable glisse de ses doigts et tombe, face contre sol.

— Merde !

Il s'accroupit et le retourne.

— L'écran est cassé... observe-t-il.

Il se relève et retire les saletés de l'appareil. Un camion passe au même moment et nous arrose les jambes.

— C'est dingue ! Putain de journée de merde ! éructe-t-il.

Puis, contre toute attente, il se met à rire. Son rire est si léger et agréable. J'aime tellement sa manière d'être. Sa façon bien à lui d'adorer ou de détester les situations. De prendre la vie comme elle vient.

D'étranges frissons parcourent ma peau alors que je le contemple. Il s'en aperçoit et son rire si harmonieux s'éteint.

Il m'examine, puis murmure :

— Tu ne devrais pas me dire des mots comme ça. Je pourrais mal les interpréter.

— S'il y a une bonne façon de les interpréter, interprète-les ainsi, s'il te plait.

L'atmosphère change. J'entends à peine le bruit des voitures, le clapotis de la pluie. Sentir sa présence, son attention sur moi, est tout ce qui m'importe. Mon cœur cogne de plus en plus fort.

Des filles se joignent à nous pour se protéger du déluge. Immédiatement, elles sourient et engagent la conversation avec Cameron sans faire attention à moi.

— Tu as cassé ton téléphone, Cam ?

Elles le connaissent, on dirait.

— Oui, je suis un peu maladroit ces temps-ci, fait-il en souriant.

— Il y a un magasin qui les répare à côté.

Peu à peu, elles se placent devant moi et je reste à l'écart. Invisible. Comme dans une file d'attente.

— Il n'est pas neuf. Ce n'est pas grave. Je vois l'essentiel sur l'écran.

Elles rient. Mais, était-ce vraiment drôle ? pensé-je, perplexe.

— On t'a vu depuis la bibliothèque de l'école. Alors, on voulait te demander si tu avais prévu quelque chose ce week-end ? J'organise une soirée chez moi samedi et j'aimerais beaucoup que tu viennes.

— ...

Ils parlent ensemble et je les observe. L'intonation de leurs voix n'est pas constante, si bien que cela me perturbe, mais Cameron a l'air à l'aise avec elles. Ça me rend triste de ne pas avoir les mêmes rapports avec lui.

Détendus. Simples. Enjoués.

Je suis toujours tellement troublée quand il me parle, me regarde... Comparée à ces filles, j'ai l'impression d'être déréglée.

Ne puis-je pas faire un effort ?

N'écoutant que mon courage, je me lève soudain. Les filles sont obligées de s'écarter. Elles me dévisagent, pendant que Cameron recule d'un pas sous la surprise de mon coup de sang.

J'ouvre la bouche, un misérable souffle s'en échappe. J'ai envie d'interagir avec lui, mais je n'arrive pas à initier le dialogue. J'essaie désespérément de communiquer. Je crois que je leur ai coupé la parole et l'arrêt de bus semble avoir rétréci.

Pourquoi ma tête me guide toujours de travers ?

Je baisse les yeux et sors de l'abri. Je vais rentrer. Tant pis.

Je ne parcours pas plus de deux mètres que je suis arrêtée par Cameron. Je fixe sa main qui me retient le poignet.

Je lui fais face.

J'observe entre les pans de son K-way son torse qui se soulève rapidement. Je crois qu'il essaie de se pondérer. L'eau du ciel tombe sur son visage qui arbore une expression indéchiffrable.

Il murmure :

— Attends, Brooklyn. Protège ton visage de la pluie.

Ses doigts effleurent mon cou et je frissonne alors qu'il rabat doucement la capuche sur ma tête. Sous l'examen intense de ses yeux, je perds le souffle.

Il tient toujours le tissu entre ses mains, tire dessus et nous ramène, non pas sous l'arrêt de bus, mais derrière le panneau publicitaire, là où les filles ne peuvent plus nous voir. Puis, il se penche et me demande tout bas :

— Où tu vas comme ça ?

— Tu... ét... tu étais en train de discuter et...

Mes joues chauffent.

— Et ?

— Je ne veux pas te déranger.

— Tu n'as pas entendu ? J'étais en train d'expliquer aux filles que je souhaitais continuer ma conversation avec toi. As-tu oublié ? Ne cède jamais une place qui t'es due. Tu m'entends ?

Je le fixe droit dans les yeux.

— Et comment saurais-je qu'elle est à moi, cette place ?

Il déglutit sans cesser de me dévisager avec ce regard si direct et intense. La chaleur dans ma poitrine gagne du terrain sur tout mon corps. Mon cœur bat la chamade. Cette émotion forte que je n'apprivoise pas vraiment, c'est lui qui me la procure.

Je ne connais rien de l'amitié. Est-ce cela que je ressens ?

— Tu voulais rester avec moi ? C'est bien pour cela que tu n'es pas partie avec Ethan, n'est-ce pas ? me questionne-t-il, la respiration courte.

Je hoche le menton.

Des gouttes tombent de ses cheveux. L'une d'elle glisse sur l'arrête de son nez, puis disparaît au coin de sa bouche. J'ai suivi sa descente, comme obnubilée. Parce que c'était beau. Tout simplement.

Cameron poursuit :

— N'aie pas peur de ce que je vais te demander, d'accord ?

— D'accord.

— Ça te dirait de passer du temps avec moi, ailleurs qu'au lycée ? Pour que l'on apprenne à mieux se connaître tous les deux ?

Ma poitrine s'enflamme.

— Oui, réponds-je immédiatement.

Il sourit.

— OK. Samedi, c'est bon ? Je t'attendrai devant chez toi ? Dix-neuf heures, ça te va ?

— Brooklyn ? fait une voix familière derrière moi.

Cameron lâche ma capuche, avant de trébucher en arrière.

Je me retourne. C'est mon père.

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