chapitre dix, le devoir d'histoire-géo
Le lendemain, j'arrive tôt. Je me suis fâché avec ma mère, la veille. Elle trouve que je rentre trop tard. Je me suis senti oppressé, surveillé. Alors j'ai fui la maison, à ma manière. Il est si tôt que les couloirs sont encore vides, et que seule la lumière fragile et criarde des ampoules accompagne ma silhouette. Je déambule, attends le professeur d'histoire, attends Albain, attends qu'une énième journée passe et s'échappe immédiatement, invisible, trop rapide pour que j'ai la moindre chance de la saisir. Et le voilà, avec son sourire-soleil, avec ses yeux rieurs et sa peau hâlée. Il s'approche avec insouciance, sans se soucier des autres.
-Salut ! Alors, motivé pour deux heures d'histoire avec monsieur Duzio ?
Il a beaucoup trop d'énergie dès le matin. Je voudrais répondre que non, mais ma voix reste coincée dans ma gorge, je n'y peux rien. Je voudrais me faire pardonner, d'être si silencieux, si absent, mais j'en suis incapable. Alors, je regarde Albain être Albain, bouger les pied pour ne pas être immobile, s'illuminer quand Feng arrive, juste à temps pour le cours. Ils se chuchotent quelques mots. Le professeur arrive, nous ouvre la porte. Albain m'invite à me mettre à côté de lui, tandis que Feng s'assoit derrière.
-Tu viens, Mathias ?
Je n'ose pas dire non. Pourtant, je crois que j'aurais aimé rester seul. J'ai besoin de silence, de calme, de douceur. Comme s'il avait entendu mes pensées, Albain arrête de bouger. Il gribouille avec hâte sur sa feuille, et suit le cours avec mille fois plus d'attention que je n'en ai jamais eue. Déconcerté, je peine à écouter M Duzio, qui me reprend à l'ordre, tandis que je me replie sur ma chaise. Ça fait rire Albain.
-Je vais vous demander de vous mettre en groupe de quatre, pour le prochain devoir. Analyse de documents autour de la problématique : « Comment la Révolution se repend et éclate dans la France du XVIIIème siècle ? ». Vous avez jusqu'à la fin du cours, mais je vous conseille de vous dépêcher. Vous me rendrez une copie de votre choix.
Immédiatement, Albain se retourne et propose à Feng. Sans surprise, elle accepte : il se tourne vers moi.
-Mathias, Mathias, viens avec nous s'il te plaît !
Il prononce mon nom comme si c'était ce qui allait me happer. Pourtant, ce sont ses yeux que je vois maintenant. Et même si le son chaleureux de sa voix m'enveloppe, je le repousse.
-Ouais, ok.
Et je m'en veux d'avoir répondu si sèchement. Pourtant, il a l'air content. Il balaye la salle du regard, sûrement à la recherche d'une personne à embrigader. Soudain, il se lève et appelle :
-Lucien ! Viens avec nous !
Je retiens ma respiration, tendu à sa place d'avoir tant attiré l'attention. Mais ça ne semble rien lui faire, au contraire, un sourire berce ses lèvres tandis qu'il regarde le garçon aux bouclettes blondes s'approcher des nous, et poser ses affaires sur la table à côté de Feng.
-Vous êtes sûrs... que je ne dérange pas.. ? Murmure-t-il.
-Quelle idée, bien sûr que non ! s'exclame Albain avec un éclat de rire. Feng accueille le nouveau avec un sourire et M Duzio distribue les feuilles.
Et on commence à travailler. Pendant qu'il lit, Albain articule sans voix les mots, c'est amusant. Oh bon sang, Mathias, concentre-toi sur ta lecture, un peu. Ignore autant que possible que la seule personne qui te porte un peu d'attention joue à l'ange juste à côté. Il prendrait peur, s'il savait à quel point il m'obnubile.
Dès qu'il termine de lire les paragraphes, il prend un stylo et s'amuse avec en attendant qu'on le rejoigne. Mais, même lorsque l'on fini, il ne cesse de jouer. Il se déconcentre, s'amuse avec le coin de sa feuille et lance des piques à Feng. Je sens une peur monter au creux de moi. J'ai peur de ramener de mauvaises notes. J'ai peur d'être incapable de travailler, d'être incapable de passer cette fichue année de première. J'ai peur qu'Albain déconcentré ne déconcentre aussi Mathias, j'ai peur qu'il me noie.
Il croise mon regard, m'adresse un sourire. Et je crois que ce sourire me tord de l'intérieur. J'ai envie de lui hurler de travailler, de ne pas faire comme si ce devoir était ce qu'il est, au fond, un simple ensembles de mots sur du papier, sans grande importance, une note quelconque au début de l'année qui sera vite oubliée. Oubliée de tous, mais pas de ma mère. Pas de sa manie d'aller vérifier chaque chiffre qui s'aligne sur mon profil étudiant. Et je le sais, je le sais si fort, la peur m'englobe si fort, que je craque. Je me sens éclater, à l'intérieur. Je me sens, comme le spectateur de moi-même, être éparpillé, être disloqué par la peur de ne pas être, encore une fois, à la hauteur. Je ne sens des larmes que les traînées humides qu'elles laissent. Je ne sens de l'Angoisse que mon corps qui tremble, que mon incapacité à expliquer ce qui me fend. Je vais mal. Laissez-moi. Ne me touchez pas. Ne me regardez pas. Oubliez-moi.
Mais Albain ne m'oublie pas.
Il enlace mes mains, sans les serrer, et caresse mes paumes du bout des pouces.
-Mathias, ça ne va pas ? Tu veux aller à l'infirmerie ?
Je déglutis difficilement, j'ai l'impression que tous les regards sont tendus vers moi, que la salle de classe est maintenant dans l'obscurité avec un seul projecteur, dont le rayon malsain va droit sur moi. Je peine à respirer, ma gorge se bloque. J'ai peur. Ce n'est pas la première fois que j'ai peur de ma mère. Mais c'est la première fois que quelqu'un tente de me calmer, en traçant sur mes mains des cercles maladroits mais pleins de douceur. Je crois que je murmure en boucle « je t'en supplie, travaille », encore, et encore, et encore, comme s'il allait entendre, comme si mes prières pouvaient l'atteindre. Il se rapproche, si lentement que c'est presque imperceptible, mais le voilà, si proche que je pourrais en mourir. Sa voix m'englobe, et je réapprends à respirer.
C'est comme si je marchais sur un fil, prêt à céder, prêt à me laisser chuter dans le vide, où rien ne peut rattraper. Le fil, c'est Albain, je crois. Et je le vois, malgré mes yeux embués, je vois ses yeux, et je m'y perds pour me retrouver. Peu à peu, la lumière revient. Les formes, les couleurs, l'Angoisse se replie au fond de son trou comme une murène prête à bondir, attendant la prochaine occasion, éblouie par le calme. Ébahi, je remue un peu la tête.
-Tu peux parler, Mathias ? Me murmure Albain.
Je réponds immédiatement, comme un réflexe,
-Je suis désolé.
Ma voix est fragile. Elle tremble un peu, je crois. Je sens les regards de Feng et Lucien sur mon dos, mais seul celui d'Albain importe.
-Tu te sens mieux ? Si tu veux aller à l'infirmerie, n'hésite pas à demander, Mathias. Ça t'arrive souvent ? Tu es fatigué ? Tu sais ce que c'est ?
Je me sens débordé et, avant de réfléchir, secoue la tête négativement. Pourtant, je sais parfaitement ce qui vient de m'arriver. Une crise d'Angoisse, triste vagabonde, compagnonne de route depuis ma tendre enfance. Certains hurlent, certains tremblent, moi, je pleure. Des larmes sans raison, sans histoires, des larmes trop brûlantes et trop silencieuses. Je crois que beaucoup de gens n'ont pas du tout réalisé qu'un de leur camarade de classe a éclaté sous leurs yeux. Alors, comme pour me fondre dans leur réalité, je m'efface. J'efface les larmes, je me détache du contact d'Albain , je reconstruis un monde dans lequel aucune crise n'a eu lieu.
-Mathias ? Tu vas bien ?
-Ouais. Je vais bien. (je prends une inspiration timide. Je crois que mes lèvres tremblent.) Maintenant, on travaille, s'il vous plaît.
Albain s'assoit sagement, je n'aurais jamais cru avoir une telle autorité. Même Feng nous adresse un regard étonné, avant de le charrier gentiment. L'ange brun prend un stylo, et entame la rédaction de notes autour de la problématique, sans adresser le moindre regard à la jeune fille. Quelques minutes seulement après, Lucien propose un plan, qu'on adopte à l'unisson. Comme on doit tous en écrire un exemplaire, je commence à rédiger une introduction. Les informations sorties des textes et à peine triées ensembles commencent déjà à s'aligner sagement, comme si c'étaient des mots qu'on avait toujours sus, au fond. « Les idées révolutionnaires, idéaux de liberté et de la volonté du peuple, sont rapidement proscrits par le roi. Victimes de censure, les journaux partageant les nouvelles pensées sont retirés de la vente. Malgré tout, ces idées continuent de se propager, même au cœur des campagnes, notamment par le biais du bouche à oreille. »
En une trentaine de minutes, je pose enfin le point final, après avoir résumé les deux pages rédigées en une conclusion hâtive. J'espère qu'ils auront mieux à proposer que ma version du devoir. Dès qu'il voit que j'ai terminé, Albain me demande s'il peut lire. Pendant qu'il déchiffre mon écriture, je jette un coup d'œil à Feng et Lucien. Ce dernier a lui aussi terminé, et m'adresse un petit sourire, se voulant sûrement rassurant. La chinoise tente de regarder par-dessus son épaule pour piocher des bouts de textes, même si elle semble être en pleine conclusion. Alors, rassuré que l'on ai réussi à faire correctement ce qui était demandé, je crois que je me remets à respirer.
Albain me rend mon document avec une tête d'enterrement. Je me doutais qu'il était médiocre, mais à ce point là ? Inquiet, je lui demande :
-Ça ne va pas ?
-Oh, c'est rien, je viens juste d'être béni par ton devoir et de réaliser à quel point le mien, même si j'ai tout donné, est extrêmement nul. Nul à chier, si je puis me permettre.
Surpris, je secoue la tête, en insistant intérieurement sur le fait qu'il doit avoir mal lu, ou juste être trop dur avec lui-même. J'adresse à sa moitié de table un coup d'œil curieux. La feuille est criblée de ratures et de flèches, si bien qu'on dirait un brouillon. Diantre. Il grogne en me priant de rendre ma copie plutôt que la sienne. Intrigués, Lucien et Feng demande à lire aussi, et on fini par se partager nos feuilles. Celle de Lucien est très bien faite, son écriture est fine et délicate, et les suites d'idées sont logiques. Ça se voit qu'il sait ce qu'il fait. À côté, les paragraphes de Feng sont saccadés et presque comiques, remplis de répétition et de contradictions. Elle désespère, et s'amuse avec Albain de la médiocrité de la feuille de ce dernier. Ensembles, ils décident de lui accorder la note de 1,33/12. Ça semble amuser Lucien, qui commence à se détendre et à rire avec eux. Je me sens un peu tâche, de ne pas réussir à m'intégrer dans cet amusement passager dû à une copie médiocre. Rapidement, le blond semble s'accorder à Albain et Feng. Et la sensation d'être de trop disparaît. Je veux plonger profondément, loin d'eux, et m'effacer pour ne plus être un poids.
Une main se pose sur mon bras et, surpris, je le dégage brusquement. Mon cœur bat à tout rompre. Étonné de ma brutalité, Albain garde sa paume en l'air, avant de la ramener sur sa table.
-Pardon, je voulais pas te faire peur ! Lucien proposait qu'on s'échange nos numéros, alors... si tu veux bien...
Je déglutis péniblement :
-Mais... le professeur...
Le brun me fait un clin d'œil.
-T'inquiète pas, on va l'écrire sur un bout de papier et on les mettras après le cours ! Nous sommes des élèves modèles, voyons.
Ça l'étonne, que je connaisse par cœur mon numéro, que je gribouille sur un bout de papier déchiré de sa copie. Je me sens paniqué, et étrangement... presque joyeux, qu'on me demande un bout de moi. Je vais parler à des gens. Parler à Lucien, Feng et Albain. Parler... à Albain. Et si je disais une connerie ? Si je me faisais détester ? Si je passe pour un idiot ringard, à ne pas connaître le langage des abréviations ? L'Angoisse se remet à grimper. La mâchoire serrée, je lui tends le papier.
-Merci ! (il rayonne, et enregistre immédiatement sur son téléphone, qu'il cache sous la table.)
Feng lui donne des petits coups de pied, en le traitant de mauvais élève. Mais Albain, tout content, ne l'écoute pas et ajoute également le numéro de Lucien, que ce dernier s'empresse de me passer aussi. Heureusement que mon téléphone est éteint, car je vois Albain nous bombarder de messages.
D'un commun accord, mes trois camarades de travail me poussent à rendre ma copie au professeur. J'espère qu'il n'a pas vu à quel point ma main était tremblante d'appréhension. Tandis que les élèves sortent de la classe, à la fin du cours, Albain s'empresse de ranger ses affaires. Il nous attend, à la porte, et sautille jusqu'au prochain cours. J'ai un peu peur de la note qui tombera, mais je crois que... je suis content, en quelques sortes, d'avoir osé quelque chose. J'ai beau me sentir sous une pression énorme, j'ai beau savoir que la note de Lucien, Feng et Albain dépend de moi, je me sens bien.
Peut-être que de nouveaux numéros, sur quelques papiers au fond de ma poche, n'y sont pas pour rien.
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et oui, je suis toujours vivante. z'auriez pas cru, hein?
je suis désolée pour cette longue absence, je suis en vacances avec ma famille et non seulement je n'ai pas vraiment de temps pour écrire, mais en plus je n'ai pas de connexion tous les jours. mais ça ira, Mathias se sent bien.
je sais même pas pourquoi je m'excuse alors que personne ne lit se livre yes
n'hésitez pas à poser votre meilleure étoile, à laisser un petit commentaire et à partager! :)
je vous aime, et n'oubliez pas de sourire!
Mélo :)
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