CH5: UNDER THE GREN LAKE
Une brume dense enveloppa ses chevilles et abandonna des milliers de gouttelettes sur sa peau nue. Elle roula sur la surface du lac comme un tsunami intangible et habilla les conifères de son manteau de mystère. Assise sur le ponton, les pieds se balançant dans le vide malgré le danger que représentaient les créatures nageant dans les profondeurs, Hermione se plongea à corps et âme dans un ouvrage épais. Le monde n'existait plus autour d'elle. Pourquoi s'avancer sur la berge flottante à la tombée de la nuit ? Elle l'ignorait. Ses membres avaient pris la décision à sa place. Elle avait pensé à revenir sur ses pas — sa raison lui intimait de regagner le confort de l'auberge — mais son corps n'obéissait plus aux ordres de son esprit.
Les unes après les autres, les pages de son livre s'enchaînèrent sans qu'elle prête réellement attention aux mots inscrits sur le papier gondolé par l'humidité. Ses sens se rivèrent sur la grève où une silhouette familière se nourrissait avec une férocité glaciale. Des coulures rouges et visqueuses tachant son visage, elle se redressa dans un lent mouvement de prédateur. Ses yeux scrutèrent son environnement à la recherche d'une nouvelle proie avant de se plonger dans ceux de Hermione. Un long frisson parcourut son échine alors que Drago s'immobilisa de l'autre côté du Loch Neònach, la tête penchée pour analyser son état d'esprit. Il ne s'approcha pas. Même après avoir disparu sous la surface pour reprendre sa respiration, il resta éloigné, à l'écart de ses mains tremblantes de la Londonienne qui caressait ses cicatrices pour se souvenir des dangers de la faune lacustre. Les attaques de Bellatrix avaient été une piqure de rappel. Aucun ami ne nageait dans le lac. Seuls des monstres avides de chair fraiche et de désespoir chassaient sous l'eau émeraude.
Alors pourquoi ?
Pourquoi son cœur se serra-t-il quand la silhouette de Drago s'évanouit derrière la brume ?
Pourquoi son corps lui hurla-t-il de le rejoindre sur l'autre rive ?
Pourquoi ses mains rêvèrent-elles de s'égarer sur sa peau diaphane ?
Pourquoi son âme se perdit-elle dans les réminiscences douloureuses de ses lèvres contre les siennes ?
Expulsant ses pensées de son crâne par un long soupir, Hermione maudit les souvenirs envoûtants de Drago qui hantait encore son esprit avec vivacité. Ils refusaient de s'estomper. Ils l'accompagnaient chaque minute du jour et de la nuit. Ils se dessinaient dans ses rêves. Elle ferma son livre dans un claquement sonore et agacé. Elle devait s'éloigner. C'en était presque devenu vital. Elle bondit sur ses deux jambes. Jamais le chemin de terre menant à l'auberge ne lui avait paru si proche. Elle adressa une dernière œillade vers le lac où la silhouette de Drago se camouflait derrière la brume.
« Hermione ! l'appela son ami à lunettes dès qu'elle franchit le seuil de l'auberge. »
Observant de la tête aux pieds la silhouette de Harry qui se tenait dans l'embrasure de la porte menant à la cuisine, la jeune femme camoufla un esclaffement sonore de sa paume. Décoré de centaines de fleurs brodées, un vieux tablier rose protégeait son corps avec peu d'efficacité si elle en croyait la farine qui s'étendait sur ses cheveux, son visage et ses habits. Le dos de sa main étala la poudre blanche sur ses pommettes. Ginny et Ronald apparurent derrière lui. Vêtus de façon similaire, ils esquissèrent des sourires jumeaux pleins de malice. Hermione n'osa pas imaginer l'état de la cuisine.
« Qu'est-ce que... »
Ses interrogations moururent sur ses lèvres. Les doigts de Ron s'enroulèrent autour de son poignet, évitant avec précision les lésions abandonnées par Bellatrix sur sa peau. Il l'entraîna dans la cuisine sans lui laisser le temps de protester, le couple sur les talons. Hermione crut que sa mâchoire allait se décrocher à la vision de l'état de la pièce. Une bombe aurait pu exploser qu'elle n'en aurait pas été surprise. Farines et grumeaux s'étendaient sur la crédence ocre. Ingrédients et ustensiles s'étalaient à perte de vue sur le plan de travail. L'apocalypse. Aucun mot ne décrivit mieux l'apparence de la cuisine dans l'esprit de la Londonienne. Un mort-vivant aurait pu émerger de derrière le plan de travail pour lui dévorer le cerveau.
« Pourquoi on dirait que vous avez fait la guerre ? s'enquit-elle, incertaine de désirer une réponse.
— On a voulu cuisiner quelque chose, expliqua Ginny. Puis Harry et Ron se sont disputés sur un truc débile.
— C'était pas débile, ripostèrent-ils d'une même voix.
— Ça l'était, prononça-t-elle en chassant leur désaccord d'un mouvement de la main. Ils se sont retrouvés avec de la farine sur le visage. Ça a dégénéré. Et je suis un dommage collatéral parce que j'ai rien demandé de tout ça.
— On ne vous a jamais dit qu'il ne fallait pas jouer avec la nourriture ? »
Une adorable culpabilité fleurit sur leurs traits et arracha un tel fou rire à la jeune femme qu'elle en eut les larmes aux yeux. Il chassa le souvenir du regard captivant de Drago dans sa mémoire pour le remplacer par le désabusement de ses premiers amis depuis la fin du lycée. La ville rouge, son effervescence et les interminables diners mondains avaient volé ses chances de faire de nouvelles rencontres et de tisser de nouvelles amitiés. Sa présence dans le wagon des garçons relevait du miracle.
Incapable de se soustraire à cette hilarité qui lui provoquait un léger pincement au niveau des côtes, Hermione ne perçut pas les mouvements de ses nouveaux amis dans la cuisine. Elle ne les vit pas plonger leurs mains dans la farine dans un accord silencieux. Elle ne les vit pas s'approcher avec ce rictus malicieux qui précédait les bêtises. Elle ne les vit pas souffler la poudre blanche qu'elle mettrait des heures à faire disparaître de son visage et de ses cheveux.
« Vous allez me le payer, articula-t-elle sans entre deux hoquets de rire. »
De larges sourires étirèrent les lèvres de ses amis. Elle secoua la tête de droite à gauche, le surplus de poudre dégringolant de ses mèches comme une avalanche, et s'empressa de rattraper Ronald qui cherchait à fuir la pièce. Leur amusement résonna dans la cuisine. Ils s'inquiéteraient du ménage et de la colère de Molly plus tard. Rien n'était plus important que leurs rires mélodiques.
***
Ronald avait décrit la maison d'Alastor Maugrey comme une vieille bicoque qui tenait péniblement debout. A peine plus grande qu'un studio en plein cœur de Londres, elle se dressait telle une ruine au milieu d'habitations plus récentes. Des trous creusaient l'ardoise du toit et dévoilaient une charpente décrépie menaçant de s'effondrer. La façade se tassait sous le poids des années. Deux fenêtres fendues sur les murs apportaient un semblant de luminosité à l'intérieur et la porte ne tenait que sur un gond. Hermione peina à croire qu'une personne d'esprit puisse y vivre lorsqu'elle l'aperçut.
La jeune femme resta debout sur le seuil, les pieds figés dans la terre meuble et le poing suspendu dans les airs, hésitant à frapper le bois mangé par les termites de l'entrée. Jamais sa route n'avait croisé celle du vieux Maugrey. Il quittait si peu souvent son domicile que ses rencontres avec Harry et Ron se comptaient sur les doigts de la main. Hermione ignorait encore la façon dont sa visite soudaine serait perçue. Une fine couche de sueur recouvrit son corps malgré la fraicheur. Son cœur pulsa au rythme impatient de frappement sur le battant.
La porte s'ouvrit avant que son poing tape son bois pour la première fois et elle dévoila la silhouette d'un homme intimidant. Son œil valide la toisa avec cette curiosité animale. L'autre se figea sur un point invisible dans son dos. Il l'examina quelques secondes avant que ses lèvres quasi inexistantes ne s'étirent dans une grimace singeant un sourire. Elle accentua chacune des cicatrices et rides parsemant son visage que ses cheveux fins ne camouflaient pas. Ses prunelles incertaines se portèrent sur la plus large d'entre elles. Longue et blanchie par les années, elle encadrait son œil artificiel.
Hermione adressa un sourire timide à l'homme qui l'observait dans un silence inquiétant. Son regard froid longea les marques rougeâtres que les ongles de Bellatrix avaient abandonnées sur son corps et se figea sur le collier reposant dans le creux de son cou. Jamais la jeune femme ne se sentit comme une brindille qu'une simple pression entre le pouce et l'index briserait. Elle dansa d'un pied à l'autre pour chasser le malaise qui enflait en elle tel un ballon sur le point d'exploser.
« C'est pour quoi ? »
Son timbre bourru lui arracha un frisson. Hésitants, ses yeux se plongèrent dans ceux imparfaits du vieux Maugrey. Il esquissa un sourire qui ressemblait à une grimace comme s'il cherchait à la mettre à l'aise. Peine perdue. Hermione refusait de rester silencieuse. Elle inspira le courage flottant dans l'atmosphère.
« Je... Je voulais vous parler de Bellatrix, commença-t-elle d'une voix tremblante. J'ai cru comprendre que...
— Suis-moi. »
Tournant les talons, Alastor se précipita à l'intérieur de son domicile, là où il n'accaparait pas l'attention des passants par son apparence hors du commun. Hermione l'imita sans prononcer un mot. Ses prunelles glissèrent sur l'agencement de cette maison si minuscule qu'il paraissait presque impossible pour un homme aussi imposant que Maugrey de vivre à l'intérieur. Une cuisine rustique, une table, trois chaises dépareillées et un immense lit occupaient l'espace. Rien de plus. Même sa chambre dans l'auberge sembla plus spacieuse que cette bicoque. Derrière une porte entrouverte se dessina une salle de bain dont les meubles jaunâtres dataient d'une époque lointaine. Sans articuler le moindre mot, Alastor tira une chaise et invita la jeune femme à s'y assoir. Elle ne se fit pas prier et s'installa sur le bois instable. Maugrey l'imita et croisa ses bras contre son torse.
« Tu es la fameuse amie londonienne de Harry et Ronald qui s'est fait agresser par notre bonne vieille Bellatrix Black, devina-t-il d'une voix sans émotion sans la quitter de son œil valide.
— Comment...
— Comment je suis au courant ? termina-t-il. Merrowcoe est un petit village où les informations circulent vite. Elles parviennent même à un homme comme moi. A croire que mes murs sont fins ou que les passants ne peuvent pas s'empêcher de crier les nouvelles à ma porte. »
Un sourire asymétrique et malicieux naquit sur ses lèvres. Hermione n'eut aucune difficulté à imaginer les villageois répandre des rumeurs à quiconque voulait les entendre ou non. Ces mots détendirent les muscles de la jeune femme qu'elle n'avait jamais sentis se crisper. Peut-être l'avaient-ils toujours été. Peut-être était-elle née avec cette ficelle qui la maintenait toujours dans cette posture tendue et inconfortable. Hermione l'ignorait.
« Tu les as vues, devina-t-il sans se débarrasser de son rictus. Les créatures du lac, précisa-t-il dans un écho aux paroles de Harry. Tu les as vues.
— C'est le collier qui vous l'a fait dire ? s'enquit-elle.
— Pas uniquement. Bellatrix s'est attaquée à toi et tes escapades nocturnes sur le ponton sont loin d'être discrètes, expliqua-t-il. Personne n'a un panorama comme la mienne sur le Loch Neònach et personne n'a des cheveux comme les tiens à Merrowcoe. Pourquoi es-tu venue me voir... il marqua une pause.
— Hermione. Hermione Granger.
— Pourquoi es-tu venue me voir, Hermione Granger ? »
Sa question la prit de court. Comme incapables de rester ouverte plus de quelques secondes, ses paupières papillonnèrent. Elle essuya la moiteur de ses mains contre son pantalon et chercha à échapper à l'intensité de son œil valide. Aucune raison ne la prédisposait à rencontrer Alastor. Seules les attaques de Bellatrix les liaient. Au souvenir du visage fou de sa tortionnaire, ses cheveux se dressèrent à la base de sa nuque.
« Je... hésita-t-elle. Je voulais savoir comment ne plus avoir peur d'Elle. »
Un long soupir quitta les lèvres de Maugrey. Sa chaise émit un craquement sonore lorsqu'il se redressa. Il plongea son œil fonctionnel sur elle. Hermione eut l'impression qu'il sondait son âme, qu'il devinait chacune de ses intentions et pensées. Un nouveau frisson parcourut son échine. Il ouvrit la bouche, dévoilant ses dents tachées.
« Je connais son histoire, expliqua-t-il d'une voix douce qui jurait avec son apparence. C'est pour ça que je n'ai pas peur d'elle.
— Harry et Ron me l'ont déjà raconté, murmura-t-elle. Elle me terrifie toujours autant. J'ai l'impression qu'elle est toujours là, dans un coin, prête à me bondir dessus. »
Le sourire du vieux Maugrey s'évanouit de son visage. Son œil valide se plongea sur un point invisible sur le Loch Neònach. Hermione eut presque la sensation que les souvenirs s'animaient dans ses pupilles. Une époque lointaine y apparut ; une époque où son regard s'illuminait au doux son des plaisanteries.
« Bellatrix était une adolescente magnifique, commença-t-il. Son orgueil, typique de la famille Black, et sa tendance à mépriser les autres la rendaient hideuse. Mais il y avait ce petit truc chez elle, ce petit truc qui la transformait en un être magnétique. Une fois que nos yeux se posaient sur elle, ils ne pouvaient plus la quitter.
» Elle était courageuse, Bellatrix. Elle s'aventurait sur les rives du Loch Neònach en pleine nuit. Elle se fichait de tous ceux qui lui hurlaient des avertissements. Elle se fichait du danger. Elle criait à tous ceux qui portaient assez d'importance à ses mots qu'elle avait pour amant une créature du lac. Elle n'arrêtait pas de s'en vanter et d'exposer les trésors qu'il lui offrait. Un collier comme le tien en faisait partie, expliqua-t-il en désignant sa nuque. On était tous jaloux de cette créature.
» Puis il y a eu la noyade. Je m'en souviens comme si c'était hier. Elle revenait à Merrowcoe pour les vacances. L'université d'Édimbourg accueillait tous les Black depuis des générations. Bellatrix me manquait plus que je ne l'aurais avoué. Alors j'en profitais pour l'observer. Je m'arrangeais toujours pour zyeuter le lac. Elle s'y rendait tous les soirs.
» Lorsqu'elle est tombée dans l'eau, je cuisinais. J'ai abandonné mon plat sur le feu et je me suis précipité vers la rive où son corps avait disparu dans un amas d'écume. Je ne pourrais jamais dit qu'elle mouche m'a piqué cette nuit-là, mais j'ai plongé la tête la première. L'eau était froide. Mes doigts se sont refermés autour de son poignet et je suis parvenue à la ramener à la surface. Son corps était glacé dans mes bras et ses lèvres violettes, mais elle respirait. Il a fallu plusieurs minutes pour qu'elle cesse de trembler et que ses paupières se soulèvent.
» Un hurlement presque animal a vibré dans sa gorge et ses yeux se sont enflammés de cette folie qui ne la quitte plus. Je me souviens avoir eu peur. Son corps s'est animé. Elle m'a attaqué et m'a presque arraché l'œil. Elle m'accusait de lui avoir enlevé son amour et de lui avoir gâché la vie. »
Échos de l'article de la journaliste, les mots de Maugrey dévoilèrent une autre vision de l'histoire de Bellatrix. Pour la première fois depuis leur rencontre, Hermione la comprit. Sa fascination pour les créatures du lac, son amour insensé pour une d'entre elles, son besoin de le sentir près d'elle ; Hermione les partageait. Ses doigts se refermèrent autour du pendentif. Sa psyché se confondit avec celle de Bellatrix. Leurs sentiments se mélangèrent. Leurs cœurs battirent à l'unisson. Des années séparaient leur rencontre avec les habitants du Loch Neònach. L'histoire se répétait.
Cette pensée l'accompagna hors de la maison du vieil Alastor. Elle resta dans un coin de son esprit jusqu'à la tombée de la nuit. Une brume épaisse s'étendit à perte de vue et avala les rayons de la pleine lune. Debout sur le ponton instable surplombant le lac, habillée d'une robe de chambre, elle se pencha pour observer le clapotis de l'eau contre la barque. Les mouvements réguliers la plongèrent dans une transe de laquelle elle refusait de se réveiller. Les yeux clairs de Drago percèrent le brouillard pour se planter dans les siens. Ils brillèrent d'une malice familière et rassurante. Son corps apparaissant et disparaissant à travers la purée de pois, il nagea dans sa direction. Ses lèvres s'étirèrent dans ce rictus doux et carnassier ; ce rictus de prédateur prêt à endormir sa proie dans des effluves d'amour insensé. Hermione accueillit les battements frénétiques de son cœur avec une joie qu'elle peinait à camoufler. Elle s'assit sur le ponton. Ses jambes se balancèrent au-dessus de la surface. Ses pieds nus et sa robe de chambre frôlèrent l'eau glacée du Loch Neònach. Une chute la tuerait.
Les doigts anguleux de Drago longèrent sa cheville avec la douceur d'une plume. Ils abandonnèrent une trainée de chair de poule jusqu'à ses cuisses où il s'accouda comme il le pouvait. Des auréoles sombres s'étendirent sur le tissu humide. Les nuances irisées de sa queue brillèrent dans la nuit. Les phalanges de la jeune femme se perdirent dans ses mèches argentées et les battements de son cœur se calmèrent aussitôt. Là était sa place. Les paupières veineuses de Drago s'alourdirent à son contact. Les larges fentes sous ses oreilles s'activèrent avec la même régularité que son souffle contre le tissu de sa robe. Hermione sentit son cœur battre contre ses jambes. Le sien imitait-il le rythme effréné de celui de son amant surnaturel ?
Ses doigts ralentirent les massages entre ses mèches blanches pour s'interrompre sous l'afflux persistant de ses pensées. Drago se redressa pour plonger son regard dans le sien. Sa main droite quitta ses cuisses pour remonter vers sa nuque où reposait le collier qu'il lui avait offert. Sa paume s'arrêta quelques secondes au-dessus de son sein gauche, appréciant les pulsations rapides de l'organe. Les pommettes de Hermione brûlèrent sous son toucher.
« Je crois que je suis amoureuse de toi. »
Les yeux clairs de la créature s'ancrèrent aux siens et cherchèrent dans ses iris le sens de ses mots. La tête penchée sur son épaule et la bouche entrouverte dévoilant ses dents aiguisées comme des rasoirs, il reproduisit le mouvement de ses lèvres pour offrir une signification à ses paroles. Les doigts de Drago abandonnèrent le collier pour effleurer ses joues brûlantes. Leur fraicheur contrasta avec la chaleur de son corps. L'air se chargea d'électricité autour d'eux. Ses poils se hérissèrent autour des endroits où leurs peaux se rencontraient. Un timide sourire naquit sur ses lippes lorsque sa main s'éloigna, écorchant son épiderme de ses griffes. Son sang glissa sur ses phalanges que sa langue lécha avec une précipitation aussi terrifiante que fascinante.
Boum, boum.
Les battements de son cœur l'assourdirent et effacèrent son environnement. Drago replongea sous la surface. Allait-il disparaître encore une fois ? Le reverrait-elle ? Avait-il compris le sens de ses mots ? Tant de questions sans réponses se bousculèrent dans son esprit. La brume sembla s'épaissir autour de ses chevilles. Dans son dos, les lumières de l'auberge s'allumèrent. Elles projetèrent sa silhouette déformée sur le lac et dévoilèrent celle de Drago s'extirpant de la purée de pois. Ses bras prirent appui sur le ponton pour se hisser à ses côtés. Jamais Hermione n'avait vu son corps dans son entièreté. Elle en eut le souffle coupé. Sans ses branchies, ses doigts palmés et ses dents acérées, il ressemblait à un jeune homme de son âge dont la beauté rendait muet. Les différences marquantes naissaient à l'endroit où son nombril aurait dû décorer son abdomen. Sa peau se fondait avec des écailles irisées pour se continuer sur une queue verte aux reflets orangés.
Boum, boum.
Sa main bougea.
Elle se déplaça du ponton pour se figer au-dessus de sa poitrine. Elle resta immobile plusieurs secondes sur sa peau diaphane, appréciant les pulsations de son propre cœur, avant de s'animer. Elle se tendit dans sa direction, paume ouverte vers le ciel, comme s'il serrait un organe battant. Il le lui offrit. La bouche de Hermione s'assécha alors qu'elle acceptait ce muscle n'existant que dans leurs esprits. Drago avait compris. Il avait compris ses mots.
« Je.. sa voix hésitante peina à articuler des syllabes d'une langue qu'il ne maîtrisait pas. Je... Aime... Toi. »
Des perles salées roulèrent sur ses joues de la jeune femme. Derrière leur brouillard, les prunelles claires de la créature tremblèrent d'effroi comme s'il lui avait jeté un maléfice sans le vouloir. Il s'approcha, dévoilant le pli inquiet entre ses sourcils. Elle chassa les ridules de ses traits en s'esclaffant d'un rire soulagé. Ses mains s'enfermèrent autour des siennes. Un sourire lumineux éclot sur son visage où les larmes chaudes creusaient des sillons. Son cœur annonça la cadence fiévreuse de ses pensées. Drago combla la distance séparant leur corps à une vitesse qui lui laissait le temps de fuir.
Hermione ne voulait plus fuir.
Toute sa vie elle avait pris ses jambes à son cou.
Toute sa vie elle avait cherché à disparaître lorsque son esprit ne parvenait plus à trouver de solution brillante à ses problèmes.
Un mariage avec cet homme qu'elle n'aimait pas, une ville dont l'effervescence noyait ses sens, des parents soucieux de leurs images que la déception marquait un peu plus chaque jour. Hermione les avait fuis.
Elle refusait de continuer. Jamais son esprit n'avait connu un apaisement comme celui-ci. Ce calme familier l'accompagnait depuis qu'elle occupait cette chambre minuscule au quatrième étage du Terrier. Sa peur de Bellatrix et sa peine du vieux Maugrey ne changeraient pas cet amour qu'elle éprouvait pour Merrowcoe ; cet amour qu'elle éprouvait pour Drago.
Timides, les lèvres de la créature lacustre frôlèrent les siennes. Son souffle froid contre sa peau lui arracha un frisson d'anticipation. Elle s'empressa de combler cette distance qui les séparait. Leurs lippes se rencontrèrent avec la puissance d'un éclair dans la nuit. Les siennes s'abreuvèrent de l'humidité du corps de Drago dont les doigts remontèrent de ses bras pour se figer à l'arrière de sa nuque. De fines griffures déchirèrent sa robe et marquèrent son épiderme dans leur sillage. Moucheté de rouge, le vêtement se transforma en un amas de tissu difforme autour d'elle. Hermione s'en moquait. Elle se moquait de tout.
La foudre aurait pu la percuter sans qu'elle s'éloigne de Drago.
Ses mains fébriles sillonnèrent sa peau lisse au-dessus de sa taille, remontèrent vers son torse et son visage. Elles longèrent ses branchies qui palpitaient sous ses oreilles, arrachèrent un glapissement à son amant dont les dents se refermèrent contre sa lippe inférieure. Le goût ferreux explosa dans leur bouche alors qu'ils s'embrassaient avec une avidité qui lui était inconnue. Un interminable frisson parcourut le corps de l'homme lacustre. Il pressa ses lèvres avec férocité contre les siennes. Puis, comme frappé dans l'estomac, il s'éloigna.
Du sang. Les doigts incertains de Hermione se portèrent à son visage et rencontrèrent quelque chose de chaud et visqueux. Son sang. Il tacha son menton et celui de Drago de ce rubis liquide. Ses yeux dilatés tremblèrent dans leur orbite. Une longue plainte de désespoir s'envola dans la nuit. Son regard déserta le sien et se posa vers l'auberge comme s'il cherchait à trouver une aide. Hermione perçut les signaux contradictoires qui l'animaient. Son instinct lui intimait de lui arracher la gorge pour combler cette faim insatiable alors que son esprit lui hurlait de la chérir tel un trésor fragile. Sa raison disparut dans leurs baisers fiévreux, la jeune femme enveloppa ses joues de ses paumes, ignorant ce sang encore chaud contre sa peau. Elle approcha son visage du sien.
« Je me fiche de saigner. »
Elle reposa ses lèvres avec force contre les siennes. Leurs dents se percutèrent. Les yeux clairs de Drago, écarquillés par l'impulsivité de ses mouvements, se fermèrent dès que la bouche de la jeune femme se rencontra la sienne. Plus rien n'existait.
Leurs deux âmes s'unissant en harmonie sur ce ponton, la douleur crispant les traits de Hermione dès que les crocs de son amant se plantaient dans sa peau et leurs cœurs battants comme un seul organe constituaient ce nouveau monde dans lequel ils se perdaient.
Plus rien n'existait.
Même lorsque son corps bascula en direction du Loch Neònach.
Même lorsque son sang noircit l'eau autour d'elle par ses volutes carmin.
Même lorsqu'elle s'enfonça dans les profondeurs.
Plus rien n'existait.
Rompant leur baiser impatient par une distance insupportable, Drago se dévoila dans son habitat naturel. Sa queue irisée s'anima pour maintenir les à une portée raisonnable de la surface. Ses veines luirent dans l'obscurité, créant un halo lumineux autour d'eux. Ses cheveux argentés dansèrent au rythme du courant. Hermione aurait pu l'observer jusqu'à la fin de ses jours. Les lèvres avides de l'homme lacustre retrouvèrent les siennes, coupant son souffle. Son corps s'enfonça sous la surface. Elle crut entendre une voix soucieuse hurler son prénom à la surface.
Plus rien n'existait.
Même lorsque l'air manqua et que l'eau s'infiltra dans ses poumons.
Même lorsque l'acide gastrique remonta le long de son œsophage.
Plus rien n'existait.
Une quinte de toux vola ses dernières ressources d'oxygène. L'eau glaciale du Loch Neònach pénétra dans son corps comme un poison. Elle se fraya un chemin jusque dans ses organes respiratoires, lui subtilisa son énergie, alourdit son corps et ses paupières. Drago nagea avec panique autour d'elle. Son corps prit l'apparence de celui d'un enfant surpris par la gravité de sa propre bêtise. Hermione esquissa un sourire dans sa détresse. Elle se déconnecta du monde.
Deux choses lui parvinrent avant qu'elle ne sombre dans l'inconscience : les traits tirés par la culpabilité de Drago dont le corps s'éloigna à toute vitesse et un bras cherchant à l'atteindre à la surface du lac vert.
Son sourire s'apaisa.
Ses yeux se fermèrent.
Son corps s'alourdit.
Ses pensées quittèrent ce monde où plus rien n'existait.
Hermione en eut une pour toutes les personnes qu'elle avait rencontrées : Bellatrix et leur destin commun ; Maugrey et la tristesse de son œil valide ; Minerva et ses bras ouverts qui l'invitaient dans la salle des archives ; Molly et Arthur avec leur sens de la famille qui l'incluait ; Ginny et ses confidences nocturnes ; les autres Weasley et leur gentillesse à son égard ; Harry et son inquiétude fraternelle qui l'enveloppait comme une couverture ; Ronald et son sourire victorieux alors qu'il la surpassait dans de leurs parties d'échecs.
Elle en eut une pour elle aussi.
Parce qu'elle avait cessé de fuir.
Parce qu'elle avait goûté au bonheur pour la première fois à Merrowcoe.
Parce qu'elle ne regrettait rien.
Ses pensées se turent. Une main s'enroula autour de son poignet alors que son corps refroidissait. Hermione ignorait à qui elle appartenait.
Une histoire familière dans les profondeurs
MERROWCOE. Les événements ont une fâcheuse tendance à se répéter lorsque la brume habille le Loch Neònach. Le corps inconscient d'une femme a été retrouvé dans les profondeurs du lac. Revêtant une cape de courage, un jeune homme a plongé dans l'eau glacée pour la récupérer. Les témoins soulignent et acclament son héroïsme.
Je ne pouvais pas la laisser se noyer, a-t-il avoué lorsque les autorités ont pris sa déposition à l'hôpital.
Toujours dans le coma, la noyée ne peut pas répondre aux questions. Son corps présente de nombreuses lésions semblables à des morsures et ses poumons sont encore gorgés d'eau. Les médecins estiment qu'il est trop tôt pour savoir si elle va s'en sortir.
On fait tout ce qui est en notre pouvoir pour la soigner, commenta l'un d'eux. Ses blessures sont graves et elle aura des séquelles à son réveil.
Un événement similaire s'était déjà produit dans le village. Les témoins nous avouaient la présence d'une créature aux yeux clairs nageant dans les profondeurs du lac vert.
on boucle cette histoire par un fin plus ou moins ouverte. ça a été un plaisir à écrire et j'espère que ça a été un plaisir à lire. on se retrouve tout de suite dans les remerciements.
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